Orgueil et modestie ou Pessa’h et la délivrance

D’après nos Sages (Pessa’him 6a ; Meguila 29b ; Avoda Zara 5b), « on pose des questions et on explique les lois de Pessa’h, [à partir de] trente jours avant la fête ». Pour être plus exact, cette indication de nos Maîtres telle qu’elle est formulée laisse entendre que même si l’on connaît déjà ces lois et que l’on n’a pas de questions, il faut en poser et rechercher les réponses.

Cela signifie également qu’il faut expliquer les lois aux autres, afin qu’eux aussi les maîtrisent. Voilà qui est étonnant : pourquoi celui qui connaît déjà les halakhot devrait-il poser des questions et en chercher les réponses ?

Un autre point, révélé par le Zohar (II 40b), suscite l’interrogation. Il y est écrit qu’au moment où l’homme raconte la sortie d’Egypte, il procure une telle joie au Créateur qu’Il appelle tous Ses anges pour écouter ce récit. Ces créatures célestes se réjouissent alors de la délivrance divine, et Le louent pour tous les miracles et prodiges opérés en faveur des enfants d’Israël. Mais pourquoi le Saint béni soit-Il a-t-Il besoin du témoignage des anges ? Et pourquoi ceux-ci ne se répandent-ils en louanges qu’après avoir entendu de la bouche des hommes le récit de la libération d’Egypte ? Les anges ne louent-ils pas par ailleurs le Créateur chaque jour ?

Autre question : comment comprendre qu’en dépit de l’observance de la mila, de la pureté de leurs mœurs et de leur indéfectible attachement à leurs noms, langue et vêtements spécifiques (Bamidbar Rabba 20:21 ; Pessikta Zoutra Chemot 36a ; Cho’her Tov 114:4), les Hébreux aient déchu jusqu’au quarante-neuvième degré d’impureté ?

La raison de ce paradoxe est la faute de la médisance, dans laquelle ils trébuchaient, comme l’explique Rachi en marge du verset (Chemot 2:14) : « Ainsi, la chose est sue », qui traduit la brusque prise de conscience de Moché de la raison de l’esclavage – la délation. Il serait erroné de croire que l’idolâtrie était la cause de leur déliquescence, puisqu’en cela, ils agissaient sous la contrainte égyptienne. Pourtant, il est étonnant que, soumis aux dures exigences d’un esclavage cruel, ils aient eu le loisir de laisser libre court à leur mauvaise langue ! On nous apprend par ailleurs (Yalkout Chimoni Emor 657) qu’ils réparèrent par la suite ce péché. Dans ce cas, pourquoi leur chute à travers les quarante-neuf paliers d’impureté se poursuivit-elle ?

C’est d’autant plus surprenant qu’ils continuèrent à pécher après avoir approché le korban Pessa’h, symbole de l’unité du peuple juif, comme le suggère le verset (Chemot 12:6) : « toute l’assemblée de la communauté d’Israël l’abattra vers le soir ». Comment se fait-il qu’un peuple si uni ait pu tomber aussi bas ?

Comme nous allons le développer dans l’un des chapitres suivants (« ‘Hamets et matsa, ou l’élimination de l’orgueil »), l’orgueil est mère de tous les vices et à l’origine de toutes les fautes. A cet égard, la sortie d’Egypte visait au premier chef à éradiquer ce défaut, l’humilité étant une condition sine qua non au don de la Torah qui devait suivre à l’issue de 49 jours.

Il faut cependant savoir que tant que Paro, incarnation du mal, était en vie, l’impureté de l’orgueil sévissait dans toute son ampleur. Car cet impie se gonflait de superbe face à Moché et Aharon, il s’enorgueillissait, plongé dans les quarante-neuf degrés d’impureté dont il puisait sa force, suivi par l’ensemble de son peuple. Ce n’est qu’au moment de l’ouverture de la mer, lorsqu’il s’écria : « Qui est comme Toi parmi les puissants, Eternel ? » (Chemot 15:11), qu’il effaça son orgueil devant le Tout-Puissant, et que les cinquante degrés d’impureté – valeur numérique de mi (« qui ») – qu’il incarnait furent anéantis.

Cependant, avant cet instant historique, en dépit de l’ancrage des Hébreux dans leur tradition, ils n’avaient pas suffisamment de mérite pour pouvoir prétendre à la délivrance, principalement à cause du lachon hara, symptôme de l’orgueil dans lequel ils étaient plongés et qui leur rendait impossible l’amendement de toutes leurs fautes et vices.

De ce fait, le Créateur demanda à ce que personne ne sorte de sa maison pendant toute la durée de la plaie touchant les premiers-nés (ibid. 12:22), de crainte que les Hébreux n’entendent les cris de Paro et ne le prennent en pitié, lui, le paradigme de l’orgueil et des forces impures. Du fait que les enfants d’Israël étaient contaminés par ce défaut, ils ne purent se purifier, et ce, en dépit de toutes leurs autres bonnes midot.

A ce titre, le saut de l’Eternel au-dessus de leurs maisons était particulièrement significatif. En effet, Il sauta par-dessus des êtres courbés, ce fléchissement étant le propre de la modestie. En pliant l’échine, les enfants d’Israël s’élèveraient en modestie.

Le désir du Créateur était que ces derniers parviennent à l’idéal d’humilité par leurs propres efforts et non en voyant Paro, car il existait toujours un risque de le suivre. C’est là le sens des versets : « Tirez et prenez pour vous du menu bétail (…). Puis vous prendrez une poignée d’hysope (…) » (Chemot 12:21-22). Les enfants d’Israël devaient prendre ces éléments par eux-mêmes et non à cause de Paro, tête de file des forces impures.

On comprend à présent pourquoi, lorsqu’un homme fait le récit de la sortie d’Egypte, D. Se réjouit, accompagné de tous Ses anges qui Le louent, émerveillés par le spectacle de cet homme qui a réparé son orgueil et s’élève en modestie.

Le fait de s’accouder, le soir du séder, est également lié à ce concept. S’accouder, c’est faire preuve de sa soumission au Maître du monde et ne s’enorgueillir que dans Ses voies. Mais c’est aussi la problématique de la « nuit des gardes », notion mystérieuse et scellée, de même qu’à l’inverse de l’orgueil, la modestie implique discrétion, pudeur et dissimulation.

En d’autres termes, ce n’est que lorsque l’homme répare le vice de l’orgueil et s’élève en modestie que le Tout-Puissant et tous Ses anges se réjouissent avec Lui. Seulement à partir de ce stade, après avoir débarrassé son cœur de toute trace d’idolâtrie, l’homme peut être délivré de l’exil et mériter la délivrance. « Tirez et prenez pour vous », suggère, à en croire le Midrach (Mekhilta Bo), qu’il fallait se débarrasser de tout relent d’idolâtrie pour prendre « l’agneau (litt. « le menu bétail ») de la mitsva ». D’ailleurs, les initiales de l’expression « avoda zara » forment le mot az, qui est la caractéristique de l’effronté. En d’autres termes, il fallait éliminer tout orgueil pour parvenir à une authentique modestie.

Cela nous permet de comprendre pourquoi même l’érudit doit approfondir les halakhot depuis trente jours avant la fête. Car celui qui ne fait pas preuve de bonne volonté dans ce domaine démontre une certaine effronterie, tandis que s’il prend la peine de poser les questions et de se pencher sur les réponses, même s’il les connaît déjà, il fait montre de soumission et de modestie, base et socle de toutes les vertus. Le mot gaava (« orgueil »), multiplié par deux, a d’ailleurs une valeur numérique de trente, ce qui correspond à ces trente jours qui permettent d’annuler doublement la fierté et d’acquérir la modestie.

Lorsqu’un homme entreprend un véritable travail sur soi pour parvenir à l’humilité, il peut être certain que D. en éprouve une très grande joie et appelle Ses anges pour qu’ils relèvent le fait. En outre, s’il ressent la sortie d’Egypte comme un fait personnellement vécu, même si ce n’est pas le cas, il est à l’origine d’un accroissement des forces des légions célestes. Le cas échéant, les anges ne manquent pas de louer et d’exalter le Créateur.

Combien remarquable est l’estime du Saint béni soit-Il pour les enfants d’Israël lorsqu’empreints de modestie, ils racontent Ses merveilles et prodiges, estime telle qu’Il appelle Ses anges pour qu’ils s’inspirent de la persévérance de ces derniers dans l’acquisition de bons traits de caractère ! Ainsi présentés, les enfants d’Israël apparaissent même comme supérieurs aux anges, car ils n’échappèrent aux persécutions qu’après avoir développé la vertu de modestie et anéanti tout orgueil.

Ces éclaircissements sont tout autant pertinents en ce qui concerne la guerre d’Amalek, comme il est dit (Chemot 17:8) : « Amalek attaqua Israël à Refidim ». « Refidim – car ils s’étaient relâchés (litt. rafou yédéhem – affaiblis) dans l’étude », expliquent nos Sages (Tanna debé Elyahou Rabba 24). Et pourquoi ce relâchement ? Parce qu’ils avaient trop présumé d’eux-mêmes, forme d’autosuffisance. A peine eurent-ils péché par orgueil que survint Amalek, paradigme de l’orgueil, refroidissant leur attachement à la Torah et aux mitsvot.

Cela nous démontre, une fois de plus, que dès qu’un homme s’enorgueillit, il se place sous la coupe du mauvais penchant. Ce n’est que s’il se comporte avec humilité qu’il peut mériter de réparer le mal, d’assister à des prodiges et de vivre la Délivrance, comparable à notre sortie d’Egypte.

Résumé

 •Il est question d’une obligation universelle, et donc, touchant tout homme, même le plus érudit, d’étudier les lois de Pessa’h. Pourquoi est-ce le cas ? Et pourquoi le Saint béni soit-Il fait-Il venir Ses légions célestes pour écouter le récit des hommes ? En outre, pourquoi les anges Le louent-ils précisément à ce moment-là ? Comment comprendre le fait qu’en dépit de la sauvegarde des points principaux de leur tradition, les enfants d’Israël aient tellement déchu ? Cette déchéance trouve sa cause dans la médisance, dont ils se rendirent coupables. Cependant, même lorsqu’ils eurent réparé leur tort, ils n’échappèrent pas à l’impureté ambiante, au point qu’ils faillirent ne pas être libérés.

 •L’orgueil est la mère de toutes les fautes, et c’est sur ce point que les Hébreux trébuchèrent en Egypte, bien que s’étant gardés de nombreux autres vices. Sur ce point, il était clair que Paro était le sommet des forces impures, lui dont l’orgueil était illimité. Il voulut corrompre les enfants d’Israël dans ce domaine, afin qu’ils restent en Egypte. Au contraire, le Créateur désirait qu’ils réparent ce défaut, afin d’être aptes à recevoir la Torah. Pour éviter qu’ils ne retombent dans ce travers sous l’influence délétère de Paro, le Créateur leur interdit de sortir de leur maison lors de la mort des premiers-nés. Ainsi, ils n’entendraient pas les cris du mécréant.

 •C’est pourquoi, lorsque l’homme relate la sortie d’Egypte et parvient à l’humilité, le Saint béni soit-Il appelle Ses anges pour leur montrer combien ce mortel les dépasse. C’est une grande source de réjouissance pour le Très-Haut. De même, celui qui prend la peine de poser des questions concernant les lois et d’y répondre, du fait qu’il en a reçu l’ordre divin, fait preuve de modestie et d’effacement. Cette vertu se trouve également au cœur du saut divin par-dessus les maisons des enfants d’Israël, à travers le geste de se baisser, renvoyant à la notion de plier l’échine. C’est aussi le concept de « tirez et prenez » : retirez-vous de l’idolâtrie, de l’orgueil, et acquérez humilité. Si l’homme s’enorgueillit, le mauvais penchant finira par s’en prendre à lui, comme ce fut le cas lors de l’attaque d’Amalek. Ce n’est que s’il se fait humble qu’il peut avoir le mérite d’assister à des prodiges, d’être délivré de tout malheur, et d’échapper à l’impureté pour s’attacher à la sainteté et à la pureté.

 

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