Le soir du séder, le sang de l’agneau et la mila

Il existe 15 simanim – 15 actes et étapes symboliques – au cœur de la soirée du séder, qui évoquent des concepts extrêmement élevés. Nous aimerions ici suivre les explications du Ma’hzor Vitri qui explique, appuyé par Rachi, que ces 15 « balises » ont été instaurées pour nous guider dans la voie du Service divin :

« Au départ, on dit kadèch, afin de signifier à l’homme que, dès le début de son travail, il doit se sanctifier (lehitkadèch) avec zèle, dans l’esprit de l’injonction : “Sanctifie-toi, même dans ce qui t’est permis.” (Yevamot 20a) Aussitôt après, on enchaîne avec oure’hats – le lavage rituel des mains –, afin de souligner que la lutte contre le mauvais penchant doit être menée avec abnégation.

« Ensuite, on dit immédiatement karpass et ya’hats – on sort une des matsot que l’on fend en deux, afin de nous enseigner qu’il convient de briser le mauvais penchant qui nous attaque pendant l’exécution de la mitsva, en évitant tout orgueil ou autre motivation impure.

« Puis, c’est le tour de maguid, le récit de la Haggada. Tous les actes précédents ont permis à l’homme d’accéder au niveau où il sera capable de revivre, au présent, le passé, comme si toute l’action se déroulait actuellement sous ses yeux.

« Ensuite, désignant du doigt la matsa, il récite le passage araméen “ha la’hma ania – voici le pain de misère”, comme s’il contemplait en direct ses ancêtres en train de le consommer en Egypte. »

Tout homme doit se rappeler que le mauvais penchant se tient à la croisée des chemins, prêt à le faire trébucher et même à le tuer (Soucca 52a ; Kiddouchin 30b), et c’est pourquoi on brise la matsa du milieu. Le message suivant peut alors nous pénétrer : de même que les enfants d’Israël eurent le mérite de sortir d’Egypte par l’élimination des forces impures, si nous-mêmes parvenons à nous défaire du mauvais penchant et nous soumettons au joug du bon penchant, nous serons délivrés.

Le karpass renferme également une profonde symbolique. Ce terme peut être décomposé en la lettre samekh, d’une part – de valeur numérique 60, en allusion aux 60 myriades qui furent délivrées d’Egypte –, et le mot parekh de l’autre – tiré de l’expression avodat parekh, du verset : « Les Egyptiens asservirent les enfants d’Israël avec rigueur (beparekh) » (Chemot 1:13). Ce dernier terme, décomposé, se lit « bepé rakh – avec un langage doux », analysent nos Sages (Sota 11a). Car les Egyptiens ne se montrèrent pas au départ sous leur véritable jour. Ils leur présentèrent au départ ces corvées comme une contribution à l’effort national et leur promirent un salaire à hauteur de leur peine, pour finalement les habituer au servage. De même, le mauvais penchant attire au départ l’homme par de douces paroles, jusqu’à le placer sous sa coupe – « au départ, invité, il devient maître à bord » (Soucca 52b ; Beréchit Rabba 22:11). C’est pourquoi nous devons toujours être sur la brèche et nous efforcer de nous placer sous la tutelle du bon penchant.

Pour en revenir à la nuit du séder, si l’on réfléchit à sa signification, on ne pourra manquer de percevoir la bonté du Créateur à notre égard à chaque étape. Ainsi, les Hébreux n’étaient pas par eux-mêmes dignes d’être délivrés, car plongés dans les quarante-neuf degrés d’impureté (Zohar ‘Hadach Yitro 39a). D’ailleurs, peu avant le 15 Nissan, quatre cinquièmes d’entre eux – des impies qui ne voulaient pas quitter l’Egypte – moururent lors de la plaie des ténèbres, d’une durée de trois jours (Chemot Rabba 14:3). Cette situation est bien sombre, et les fautes semblent de loin l’emporter sur les mérites.

Aussi, dans Sa Miséricorde infinie, le Saint béni soit-Il leur donna-t-Il deux mitsvot – le sang du korban Pessa’h et de la mila (Mekhilta Bo 12:6) –, pour leur permettre de démontrer que, même plongés dans les quarante-neuf degrés d’impureté, ils concluaient une alliance avec le Créateur. In fine, l’objectif était de les amener à l’ouverture de la mer, semblable à un mikvé purificateur. Le Tout-Puissant releva ainsi Son peuple déchu, le plaçant à un niveau supérieur à toutes les autres nations. Il en fit ainsi Son peuple élu, le mettant à l’abri des accusations des anges tutélaires des différents autres peuples.

Ce point se retrouve allusivement dans la consommation du karpass, terme qui équivaut, en valeur numérique, aux mots rakh assaf. On suggère ainsi que même si les Hébreux étaient encore « débutants » (rakh) dans le Service divin, D. releva (assaf) leur honneur, leur permit d’échapper à la disgrâce, afin qu’ils ne soient pas sous le coup d’accusations dans le Ciel.

Notons par ailleurs que l’on trempe le karpass dans de l’eau salée afin d’évoquer l’ouverture de la mer Rouge, le fait que les enfants d’Israël pénétrèrent dans ses eaux salées – acte qui leur fut tenu comme le mérite d’une immersion dans un mikvé, source de purification et de sanctification intenses.

Nous ne laissons, au cours de la nuit du séder, de rappeler les infinies bontés divines. Car, bien que nous fussions alors plongés dans les quarante-neuf degrés d’impureté, D. nous fit sortir d’Egypte, nous permettant d’atteindre des niveaux d’élévation extrêmes.

L’abnégation des Hébreux en Egypte

Si nous insistons certes sur l’étendue de la grâce divine à l’égard de nos ancêtres, il est important de souligner que, pour leur part, ces derniers firent preuve d’un grand dévouement en Egypte, à travers le sacrifice pascal. De ce fait, nos Maîtres statuent (Choul’han Aroukh Hilkhot Pessa’h 430:1) que le Chabbat précédant Pessa’h est appelé Chabbat Hagadol, en raison du miracle qui y eut lieu.

De quel miracle s’agit-il ? Au cours de ce Chabbat, les enfants d’Israël attachèrent l’agneau – animal idolâtré par les Egyptiens – au pied de leurs lits, en vertu de l’injonction divine. Atterrés, leurs tortionnaires ne manquèrent pas de les interroger, et les Hébreux leur répondirent posément. Alors, par miracle, ces païens ne purent rétorquer ; contre leur gré, leurs lèvres restèrent scellées. Car les premiers avaient fait preuve d’une grande abnégation. Conscients du gros risque de représailles, ils s’étaient néanmoins conformés à la lettre à l’ordre divin. D’un autre côté, les Egyptiens continuèrent à se gausser d’eux et à les retenir prisonniers. Les enfants d’Israël durent donc faire preuve d’une grandeur d’âme particulière pour rester imperturbables face à l’affront.

De manière allusive, notera-t-on, le liage de l’agneau au pied du lit (mita) visait à faire grincer des dents les Egyptiens et à soumettre les quarante-neuf (mèm-tèt) degrés d’impureté sous les « pieds » du Créateur (Y-a, youd-hé) – le terme mita étant composé de ces quatre lettres. En outre, cela eut lieu un Chabbat, afin de souligner combien ce jour est propice à la lutte contre les forces du mal. En faisant preuve d’un tel dévouement, les enfants d’Israël se rendirent alors dignes d’être délivrés.

Contre le mauvais penchant, le sang de l’agneau pascal et de la mila

« Mais Je passai auprès de toi et Je te vis t’agiter dans ton sang (…)» (Ye’hezkel 16:6). Cette célèbre métaphore du prophète, citée dans la Haggada, évoque, selon nos Sages (Mekhilta Bo), le sang du korban Pessa’h et de la mila.

Pourquoi fallait-il ce sang de deux provenances différentes ? Pourquoi ne pas s’être contenté, d’une part, du sang de la circoncision, qui aurait tout autant pu être badigeonné sur les linteaux, et de l’autre, d’attacher l’agneau au pied des lits, afin de faire plier les forces du mal ?

Cette question, récurrente dans les écrits kabbalistiques, appelle, me semble-t-il, une explication quant à la nature du Satan. Il existe de fait deux types de mauvais penchant que l’homme doit toujours s’efforcer de combattre et de vaincre. Le premier s’attaque plutôt au « cerveau », à la tête de l’homme, en tentant d’y introduire des pensées répréhensibles, pour le pousser à la faute. Ce processus est brillamment décrit par Rachi (Chela’h 15:39) : « L’œil observe, le cœur désire et le corps est vecteur de l’action. »

Le second s’en prend plutôt à l’homme dans le domaine des plaisirs matériels permis, afin de lui faire franchir la barrière de l’interdit. Car si l’homme tire une jouissance dans le domaine matériel, même s’agissant de choses permises, il en arrive finalement à tirer profit de choses interdites.

Afin que l’homme surmonte ces deux genres de mauvais penchant, la Torah lui imposa deux actes : la circoncision et le korban Pessa’h. Le sang de l’agneau pascal faisait pendant au mauvais penchant qui fait trébucher l’homme dans le domaine matériel, comme le sang des sacrifices, dont il est interdit de tirer profit, tandis que le sang versé à travers la circoncision faisait pendant au mauvais penchant qui s’attaque à l’esprit. En effet, en préservant la sainteté de ce signe d’alliance, l’homme mérite d’être qualifié de « saint » (Zohar I 162a). Faisant plier les forces impures qui s’en prennent à son esprit, il purifie ainsi ses pensées à l’extrême.

Or, ne l’oublions pas, ces deux types de mauvais penchant sont liés. Ainsi, il est impossible de parvenir à une pureté de pensée si, en même temps, on mange et boit à outrance – si l’on ne s’est pas fixé de barrières, de limitations dans le domaine du permis. Le travail de l’homme est donc de sacrifier sur l’autel ces deux penchants qui le combattent simultanément. De ce fait, le sang de la mila seul, pas plus que celui des sacrifices, n’est suffisant, et c’est pourquoi le prophète emploie une formule double : « Par ton sang, vis ! Par ton sang, vis ! »

« Que pas un seul d’entre vous ne franchisse la porte de sa maison jusqu’au matin » (Chemot 12:25), les avertit le Créateur, face à cette double preuve d’abnégation. Et nos Sages de commenter (Baba Kama 62a) : « Lorsque permission est donnée au destructeur de laisser libre cours à son pouvoir, il ne distingue pas le tsaddik du racha (le juste du mécréant). » Afin que les Hébreux ne fussent pas eux aussi touchés par la plaie des premiers-nés, ils devaient donc impérativement rester à l’abri chez eux.

En outre, par le mérite de l’abnégation dont les enfants d’Israël firent preuve, D. leur fit don, pour toutes les générations, de cette nuit si particulière, « nuit des gardes » (Chemot 12:42) placée à l’abri des créatures malfaisantes (Pessa’him 109b).

Au sujet de cette remarquable abnégation, le Créateur s’écrie, par l’organe du prophète (Yirmyahou 2:2) : « Je t’ai gardé le souvenir de l’affection de ta jeunesse (…), quand tu Me suivais dans le désert, dans une région inculte. » Les enfants d’Israël étaient alors en effet dans la fleur de l’âge, aussi innocents et dévoués que des enfants n’ayant jamais goûté le parfum de la faute.

Cela va également nous permettre de répondre à la célèbre question concernant l’aspersion du sang sur le pourtour des portes. Etait-ce indispensable pour que le Créateur puisse établir la distinction entre aînés et cadets (cf. Baba Metsia 61b), entre Juifs et non-juifs ? Même sans signe distinctif, dans Son omniscience, Il aurait pu faire le tri.

Mais en vérité, le véritable objet de cet impératif était de transmettre un message à Ses enfants : de même qu’Il avait « sauté » par-dessus les demeures des hébreux sans les toucher, tout homme doit « enjamber » le mal et ne choisir que le bien. Mais comment parvenir à un tel niveau ? Le secret : un dévouement de tous les instants, permettant de distinguer les mitsvot des fautes, le bien du mal.

Or, si l’on veut que le Créateur ait envers l’homme un comportement empreint de miséricorde, tout en « enjambant » l’attribut de rigueur, il faut fournir un effort ici-bas, tout « éveil d’en bas » ayant un écho dans les sphères supérieures – ce que l’on appelle l’« éveil d’en haut » (Zohar I 77b, 88a).

En vérité, l’accusation pesant sur les enfants d’Israël était de taille, au point que le Saint béni soit-Il dut « sauter » par-dessus leurs maisons. Comme Il l’indique Lui-même (Chemot 12:13) : « Je verrai le sang et Je sauterai sur vous », dans le sens de « J’épargnerai ». En effet, lorsqu’un décret pèse sur le peuple juif, l’attribut de rigueur redouble toujours de force pour accuser l’homme, lui faire payer le prix de ses errements. Pour y échapper, il faut alors vraiment que l’Eternel, pour ainsi dire, « fasse un saut » – décide de fermer les yeux sur ceux-ci.

Pour éveiller cette Miséricorde divine, l’homme doit témoigner un important dévouement, à l’instar de celui dont firent preuve les enfants d’Israël lorsqu’ils badigeonnèrent du sang sur le pourtour des portes – le sang est d’ailleurs un symbole d’abnégation. Il faut par ailleurs éviter soigneusement tout acte interdit, qui pourrait éveiller l’attribut de rigueur et causer les pires dégâts, voire même, que D. préserve, l’extermination.

Il est rapporté dans la Guemara (Meguila 12a) que les élèves de Rabbi Chimon bar Yo’haï l’interrogèrent :

« Pourquoi tous les persécuteurs des enfants d’Israël que comptait cette génération – celle d’A’hachvéroch – entreprirent-ils de les anéantir ?

Répondez par vous-mêmes, leur répondit le maître.

Parce qu’ils jouirent du banquet de cet impie. »

Une autre raison est ensuite évoquée : pour s’être prosterné devant une idole, à l’époque de Nevoukhadnétsar (Nabuchodonosor).

Pourtant, dans la chronologie de l’Histoire, A’hachvéroch ne vient pas immédiatement après ce despote. Pourquoi, dans ce cas, le décret de génocide ne devait-il prendre effet qu’à ce moment-là ?

Si le Saint béni soit-Il n’entreprit pas de punir les Juifs déjà à l’époque, c’est parce qu’ils avaient alors agi sous la contrainte, un peu comme en Egypte. En revanche, au moment du banquet d’A’hachvéroch, il semblerait que nombre d’entre eux arboraient sur leurs vêtements des effigies païennes, à l’image de celle portée par Haman. De plus, en faisant leur entrée dans le palais pour participer au festin, ils se prosternèrent vraisemblablement devant des idoles, ce en quoi ils étaient loin d’être innocents ou forcés. De ce point de vue, même si l’on avance qu’ils ne consommèrent pas de mets non-cachère, cette faute était suffisamment grave pour les placer en très mauvaise posture. Rétroactivement, leur faute de l’époque de Nevoukhadnétsar devenait plus grave, comme s’ils s’étaient prosternés de bon cœur.

Cette analyse nous permet d’aboutir à la conclusion qu’il faut éviter scrupuleusement tout interdit de sorte à éveiller la Miséricorde de l’Eternel et Sa protection de toute nuisance. Pour y parvenir, il faut Le servir avec abnégation, à l’instar de nos pères qui, en Egypte, étalèrent le sang de l’agneau idolâtré des Egyptiens sur le chambranle des portes. Puissions-nous ainsi mériter d’arriver prochainement à la Délivrance finale, en nous inspirant de cet exemple !

Résumé

 •Les différentes étapes – ou signes – de la nuit du séder évoquent des concepts très profonds, et au premier plan, la lutte de l’homme contre le mauvais penchant. Au départ, on récite kadèch, afin de se sanctifier dans le Service divin, suivi de oure’hats, lavage des mains qui vise à souligner que la lutte contre le mauvais penchant doit être menée avec abnégation. Il faut parvenir à le briser, action du ya’hats que l’on réalise symboliquement sur la matsa du milieu. Le karpass, quant à lui, évoque la démarche du mauvais penchant. En effet, décomposé en la lettre samekh, d’un côté, et le terme parekh de l’autre, il évoque le dur esclavage (avodat parekh) suivi de la délivrance des soixante (guematria du samekh) myriades d’Hébreux. Le terme parekh – ou « pé rakh » – présente métaphoriquement la ruse du mauvais penchant qui, bien avant d’attaquer en règle, attire l’homme par de suaves discours. Le surmonter, c’est se purifier et se sanctifier dans le Service divin.

 •Les enfants d’Israël n’étaient pas en soi dignes d’être délivrés, mais D. « enjamba », ferma les yeux sur leurs manquements et les délivra en raison de leur abnégation, matérialisée à travers le sang du sacrifice et de la mila. L’attribut de rigueur était prêt à exterminer tous les Juifs, mais le sang badigeonné sur les portes l’en empêcha. Deux types de sang étaient nécessaires, en parallèle aux deux types de mauvais penchant : celui qui s’attaque à l’esprit, en inspirant de mauvaises pensées, et celui qui s’en prend à l’homme qui jouit du monde matériel. Le sang du sacrifice pascal était le remède idéal contre celui-ci, tandis que le sang de la circoncision permettait de lutter contre le mauvais penchant qui développe son empire sur l’esprit. Et c’est pourquoi le prophète s’écrie à deux reprises : « Par ton sang, vis ! » La nuit de Pessa’h, devenue « nuit des gardes » pour toutes les générations, souligne le pouvoir de l’abnégation, qui peut venir à bout des plus grands obstacles.

 •Aussi, bien que le Créateur eût pu se passer du symbole du sang apposé sur les maisons pour distinguer Ses cibles, Il voulait à travers celui-ci apprendre à l’homme comment surmonter le mauvais penchant. Déjà à travers l’abnégation dont les Hébreux firent preuve en liant l’agneau au pied de leurs lits, ils pouvaient surmonter le Satan, à condition toutefois de se garder scrupuleusement du péché. C’est là le seul moyen d’échapper aux accusations de l’attribut de rigueur et de mériter la Délivrance.

 

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