Réflexion sur le récit de la sortie d’Egypte et mise à l’écart du ‘hamets

« A chaque génération, affirment nos Sages (Pessa’him 116b), chacun doit se considérer comme étant soi-même sorti d’Egypte. » Croire que ce ne sont pas seulement nos ancêtres que D. libéra d’Egypte et que nous sommes Son peuple d’élection, est l’un des principes fondamentaux de notre foi.

Comment un homme qui n’a jamais connu le servage pourrait-il ressentir la libération d’Egypte comme un évènement de son histoire personnelle ? Cette question, que nous avons déjà soulevée à plusieurs reprises, suppose plusieurs réponses.

Une façon infaillible d’y parvenir est l’amour de D. En effet, par une connaissance claire et une réflexion approfondie sur Ses actes et bienfaits, on réalisera que tout n’est que bonté de la part du Créateur, bonté qui se manifeste chaque jour, à chaque instant. C’est à cette réflexion que le roi David nous invite, lorsqu’il dit (Tehilim 107:43) : « Quiconque est sage doit observer ces faits et se pénétrer des grâces de l’Eternel. » En d’autres termes, le sage est celui qui médite sur les bontés divines. A ce titre, on ne saurait se contenter de voir ou seulement d’entendre rapporter Ses prodiges, car cela ne suffirait pas à nourrir un véritable émerveillement face à leur beauté, contrairement à une véritable méditation, qui mène certainement à des sentiments d’émerveillement, à une conscience aigüe de l’aspect miraculeux de ce qui nous arrive. C’est ainsi qu’on parviendra à véritablement se lier au Créateur de tous ses membres.

Ainsi, si l’on médite en profondeur sur le miracle de la sortie d’Egypte, on parvient à un sentiment très fort à l’égard de cet évènement, même si on n’y était pas soi-même. A travers cette réflexion, on en finit par acquérir la conscience d’avoir soi-même été libéré d’Egypte avec nos ancêtres, et personnellement élu par le Créateur pour Le servir.

En outre, si nos pères n’avaient pas été délivrés, nous non plus ne l’aurions pas été. L’homme en arrive ainsi à vibrer à l’unisson avec ses pères, si durement asservis en Egypte, au point d’en ressentir leur souffrance et leur détresse comme siennes. Car comment peut-on voir son père souffrir sous le joug et se sentir soi-même libre ?

Le but est d’arriver à une forte foi dans le Créateur, à laquelle seule une préparation intensive peut mener, et c’est pourquoi nous évoquons tous les jours la sortie d’Egypte et nous nous penchons sur l’étude des lois de Pessa’h bien avant la fête (Pessa’him 6a), afin de parvenir à un véritable sentiment d’exil et de délivrance.

Le vocable employé par nos Maîtres dans la maxime citée en ouverture est particulièrement édifiant. En hébreu, plus que de se considérer en pensée comme étant sorti d’Egypte, il est littéralement question de « se voir – lirot èt atsmo ». Car de même que la vue est un témoin fidèle des faits qui nous entourent, la foi en la sortie d’Egypte doit être précise et visualisée : il faut parvenir à percevoir la réalité à travers les yeux d’un esclave libéré d’Egypte avec ses pères.

En outre, se voir, c’est se montrer à soi-même, se figurer la réalité du passé, celle de l’esclavage, et la comparer à celle que l’on vit actuellement. Ceci est de nature à nous amener à un véritable attachement au Créateur.

La première parole adressée par le Créateur à Ses enfants au moment du don de la Torah – « Je suis l’Eternel ton D., qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte » (Chemot 20:2) – est particulièrement révélatrice du fait que cet évènement fondateur est le socle de la foi des enfants d’Israël à toutes les générations.

Le thème de la sortie d’Egypte est porteur de foi, foi en cette libération tant ponctuelle qu’actuelle. Nous devons être persuadés que chacun d’entre nous a été libéré des forces impures et a accédé à la liberté. Ne pas y croire, c’est rester esclave des puissances du mal.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons reçu l’ordre de faire le récit de la sortie d’Egypte aux jeunes enfants également (ibid. 13:8), car leur esprit est encore pur et sans tache et ils ont une capacité d’assimilation bien plus grande que les adultes : nos paroles pénètrent directement leur cœur pur. C’est d’autant plus vrai concernant ce récit de la sortie d’Egypte, d’une véridicité incontestable. Or, le propre de la vérité est d’émouvoir, de marquer, tandis que le mensonge finit toujours par être effacé, en vertu du principe énoncé par nos Maîtres (Ketouvot 12b) : « entre ce qui est douteux et ce qui est certain, opte pour ce qui est certain ».

A cet égard, l’interdit du ‘hamets remplit un rôle fondamental, et c’est pourquoi la Torah se montre si stricte quant à celui-ci, comme le reflète l’insistance suivante : « vous ferez disparaître le levain de vos maisons » (Chemot 12:15), « qu’il ne soit point trouvé de levain dans vos maisons » (ibid. v.19), « et l’on ne doit voir chez toi ni ‘hamets, ni levain » (ibid. 13:7). Cela va même plus loin, puisqu’un interdit de nos Sages touche jusqu’au ‘hamets qui serait resté en possession d’un Juif pendant la fête (cf. Pessa’him 21b). Tout cela doit concourir à renforcer le sentiment de notre liberté, celle du peuple élu qui, en se tenant à l’écart du ‘hamets, est conscient qu’ainsi commença l’émergence de notre peuple.

D’ailleurs, le mot ‘hamets est l’anagramme du verbe tsama’h (« il a émergé »). Car, pour ressentir cette éclosion, pour mériter d’appartenir au peuple élu, on doit annuler, sacrifier tout ‘hamets qui est en nous sur l’autel du Service divin.

Une fois, après la fête de Pessa’h, je me trouvai à la gare, m’apprêtant à voyager pour une brit mila lors de laquelle je devais être sandak, lorsqu’une femme, qui ne semblait pas juive, s’approcha de moi et me demanda à brûle-pourpoint : « Pourquoi, après la fête de Pessa’h, y a-t-il tellement de Juifs qui se laissent pousser la barbe ? » Pourquoi me posait-elle cette question ? Face à mon étonnement, elle m’expliqua qu’elle était juive, et avait célébré Pessa’h pour la première fois cette année. Je lui répondis à sa question, après quoi chacun d’entre nous poursuivit son chemin.

Je m’interrogeai alors : comment comprendre que cette femme, qui ne s’était jamais posé de questions jusqu’alors, montrait un soudain intérêt pour le Judaïsme ? La réponse est, me semble-t-il, la suivante : lorsqu’un homme commence à vivre Pessa’h comme il convient, la sainteté de cette fête a une influence sur lui et lui donne la force de continuer à progresser dans le Judaïsme tout au long de l’année. S’il rencontre sur son parcours des situations qui l’interpellent, il n’hésite pas à arrêter un Juif pratiquant pour lui poser des questions.

Cette femme ne s’était jamais intéressée à notre tradition. Mais dès qu’elle eut goûté aux délices de la fête de Pessa’h, s’abstenant de consommer du ‘hamets pendant toute la fête, en soumission au Créateur, elle se mit à ressentir qu’elle aussi avait été libérée d’Egypte. Elle s’épanouit peu à peu en tant que Juive vivant pleinement sa Torah. C’est pourquoi elle commença, après Pessa’h, à poser des questions sur des usages qui l’intriguaient. Ce regain d’intérêt pour la Torah est dû au fait qu’elle s’était gardée d’avaler le moindre ‘hamets pendant la fête.

Fuir le ‘hamets comme garantie d’élévation

Lorsque l’homme prend particulièrement garde de ne pas consommer de ‘hamets pendant Pessa’h, cela provoque en lui un extraordinaire élan de techouva ; il devient tel un nouveau-né n’ayant encore jamais goûté à la faute.

Comme nous l’enseigne le Ari zal : celui qui évite scrupuleusement tous les interdits liés au ‘hamets pendant Pessa’h est assuré de ne pas commettre de faute tout au long de l’année. Car le terme ‘hamets est composé des mêmes lettres que le verbe tsama’h, qui dénote une idée de croissance, de développement propre au végétal. En effet, s’il évite tant de consommer que de voir ou de trouver du ‘hamets chez lui, sa nouvelle naissance revêt l’aspect de l’éclosion d’une nouvelle plante.

Un jour où je donnai un cours sur le thème de la sortie d’Egypte, je remarquai qu’un des hommes de l’assistance riait, comme s’il dénigrait mes propos. Comment est-ce possible qu’un homme qui mange de la matsa à Pessa’h et annule tout son ‘hamets avant la fête, puisse ainsi émettre des doutes sur la véracité de mes explications des miracles d’Egypte ? me demandai-je. Pourtant, cet homme prie trois fois par jour au Beth Haknesset, évoquant chaque jour la sortie d’Egypte et récitant également le Cantique de la Mer Rouge (Chirat Hayam). Comment peut-il ainsi se moquer et prendre tout cela à la légère ?!

A la lumière de nos explications précédentes, tout s’éclaire : il est possible qu’une telle personne n’évite pas scrupuleusement tous les interdits liés au ‘hamets, aussi sa foi est-elle sans doute chancelante, y compris sa croyance dans la véracité des miracles. Car l’éclosion de l’homme en tant que Juif démarre à Pessa’h, à travers ses précautions pour éviter tout ‘hamets.

Voilà pourquoi la Torah nous met en garde avec tant d’insistance sur l’interdit du ‘hamets à Pessa’h. Se comporter ainsi, c’est se garantir un effacement devant le Créateur. Or, de même que l’on arrose un végétal d’eau pour lui permettre de pousser, l’homme doit « s’arroser » d’eau – de Torah (Baba Kama 17a) –, afin de « fleurir » en Juif authentique et de devenir une nouvelle créature. Cela, toutefois, à condition qu’il s’efface et même s’humilie devant le Créateur, en vertu du principe suivant (Sota 21b) : « Les paroles de Torah ne s’intègrent qu’en celui qui se considère comme nul » – et non en l’homme gonflé d’orgueil, à l’instar du ‘hamets.

En outre, lorsque l’homme s’efface totalement et réfléchit au travail de ses ancêtres en Egypte, où ils étaient tels du ‘hamets, gonflés de vide, comme le suggère le verset du prophète (Ye’hezkel 16:7) : « Tu étais nue et dénudée » – de mitsvot, d’après les commentateurs –, il en arrive aussitôt à reconnaître le Créateur et les miracles qu’Il opéra en faveur de ces derniers, pour lesquels la délivrance d’Egypte marqua une nouvelle naissance. C’est aussi la raison pour laquelle nous lisons à Pessa’h : « Voici le pain de misère que nos ancêtres consommèrent en Egypte », afin de rappeler qu’ils y étaient comparables à du ‘hamets, pauvres en Torah et en mitsvot, et ne connurent leur véritable éclosion qu’avec leur libération, qui les rendit semblables à de la matsa.

Si chaque fête a sa spécificité – Roch Hachana, et la notion de jugement, Yom Kippour, et celle de pardon… –, à Pessa’h, elle est inscrite dans le nom de la fête lui-même : pé-sa’h, c’est la « bouche qui parle », pour raconter la sortie d’Egypte, communiquer la grandeur de ses miracles, ainsi que l’explique le Chla Hakadoch. L’interdit de consommer du ‘hamets et l’obligation de manger de la matsa, ainsi que l’étude des lois spécifiques de la fête forment par ailleurs la trame rituelle de celle-ci, si fondamentale. De même qu’une femme impure ne se purifie que si elle s’immerge dans un mikvé, pour se purifier et se rapprocher du Créateur, il faut « se laver » de tout relent de ‘hamets et méditer en profondeur sur le thème de la sortie d’Egypte. C’est là la clé pour éviter toute faute, se développer selon la Volonté divine en progressant palier par palier. C’est ainsi que l’on parvient à vraiment se sentir sorti d’Egypte et que l’on peut prétendre à l’éclairage céleste et à la bénédiction divine.

Résumé

 •« Chaque homme doit se considérer [litt. « se voir »] comme étant lui-même sorti d’Egypte. » Mais comment parvenir à ce ressenti lorsqu’on n’a jamais connu les vicissitudes de la condition d’esclave ? Par le seul fait d’écouter ou de voir, on ne peut arriver à rien ; seule une réflexion approfondie peut nous permettre de nous sentir lié à cette histoire et d’en intérioriser le déroulement. Une grande dose de foi est donc nécessaire, ce qui nécessite une préparation intensive, ce pourquoi nous étudions les lois de Pessa’h dès trente jours avant la fête. Il est question de s’y « voir », car il faut se représenter les évènements avec précision.

 •Le fait de se garder de l’interdit de ‘hamets permet également de parvenir à cela – ‘hamets et tsama’h (idée d’éclosion et de développement) sont composés des mêmes lettres –, car si l’on est très scrupuleux face à cet interdit, on se rend semblable à un jeune enfant qui pose des questions, s’intéresse au Judaïsme, se rattachant ainsi au peuple élu. A l’inverse, celui qui se montre négligeant face à cet interdit en vient à éprouver des doutes. Tel le ‘hamets, il n’évolue pas dans la direction souhaitée. De ce fait, nous devons garder en mémoire le sort de nos pères en Egypte, si pauvres en Torah, la délivrance marquant pour eux un nouvel essor, et nous identifier à cette trajectoire.

 •Telle est la spécificité de Pessa’h, marquée par le récit de la sortie d’Egypte, ainsi que l’étude et surtout la pratique des lois concernant le ‘hamets. Par l’étude de la Torah, on devient comme un nouveau-né ou encore une jeune pousse qui éclot et grandit selon la Volonté divine, et ce, notamment grâce au respect des interdits liés au ‘hamets. Par ce biais, nous parvenons à nous sentir intimement concernés par la sortie d’Egypte, progressons de niveau en niveau et jouissons de l’éclairage et de la bénédiction de D.

 

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