Le pardon des fautes par le mérite de Yaakov Avinou

Dans la partie de la prière de Roch Hachana appelée zikhronot (litt. les mémoires), nous affirmons : « Car Tu Te souviens de tout ce qui est tombé dans l’oubli depuis toujours ». Explication : D. voit que l’homme fait techouva et regrette ses fautes, aussi lui pardonne-t-Il, oubliant même – volontairement – ces errements. Lorsqu’Il S’en rappelle, c’est pour les transformer en mérites, à travers la techouva par amour (Yoma 86b).

Mais lorsque l’homme réitère ses erreurs du passé, il se place dans le cas de « celui qui dit : je vais pécher puis me repentir » (ibid. 88b), et la possibilité de s’amender lui est ôtée. Plus même, le Saint béni soit-Il Se souvient alors de toutes les fautes qui avaient été effacées et reléguées dans l’oubli par sa techouva, puisqu’Il n’oublie rien en réalité.

Nous savons par ailleurs que l’image de Yaakov est gravée sur le Trône de gloire (Beréchit Rabba 82:2) afin que, le cas échéant, il prenne la défense du peuple juif devant le Créateur, en soulignant combien, en dépit de l’extrême puissance du mauvais penchant, il l’avait personnellement combattu toute sa vie, et demandant au Tout-Puissant, par ce mérite, de pardonner à Ses enfants. De même, lorsqu’un homme replonge dans les fautes du passé, après s’être repenti et avoir joui de l’effacement de ses fautes, le souvenir de ses anciens péchés resurgit.

Le Très-Haut choisit pourtant, dans Sa miséricorde infinie, d’opter pour le pôle de la Longanimité et de ne pas faire mourir le fauteur. Il ne laisse pas latitude à tous les accusateurs de proférer leurs accusations contre cet homme revenu au mal et n’oublie pas l’image de Yaakov, « l’élu des Patriarches » (Beréchit Rabba 76:1 ; Zohar I 119a), gravée sur Son trône et qui plaide la cause du coupable.

De fait, l’image de Yaakov aide tout homme à surmonter son mauvais penchant, de même qu’elle soutint Yossef, son fils, face à l’épreuve, lui permettant de ne pas céder aux tentations du mal et de faire régner la pureté dans le monde.

De progrès en progrès

A Roch Hachana, on dit que le Créateur juge l’homme « là où il se trouve » – expression originellement employée à propos de Yichmaël (Beréchit 21:17) –, en fonction de son niveau actuel, de ses actes présents, sans tenir compte du passé ou de l’avenir.

Cependant, il faut savoir qu’il est interdit de stagner, de rester statique ; il faut au contraire progresser sans cesse, de palier en palier, quitte même à atteindre le seuil de l’impossible.

Dans le passage du sacrifice de Yits’hak, il est écrit qu’Avraham Avinou emmena avec lui, outre son fils, deux jeunes hommes – Yichmaël et Eliezer – auxquels il finit par intimer : « Pour vous, demeurez ici avec l’âne (im ha’hamor) » (ibid. 22:5). Ces derniers mots peuvent aussi se lire « am ha’hamor » (« le peuple de l’âne »), remarquent nos Sages (Yevamot 62a), « un peuple qui ressemble à l’âne ».

Ce commentaire semble poser plus de problèmes qu’il n’en résout : si Yichmaël était semblable à un âne, que faisait-il dans la demeure d’Avraham ? Fait d’autant plus étonnant que Sarah avait pourtant déjà mis en garde son époux contre la perversité latente de ce fils – ce que semble ici confirmer la comparaison peu flatteuse – enclin à l’idolâtrie (cf. Tossefot Sota 6:3) et lui avait demandé de le chasser (cf. Beréchit 21:10) !

Dès lors, quel est le sens du mode de jugement adopté à son égard – « là où il est » ? Le Très-Haut interrogea les anges, leur demandant de cerner le niveau présent de ce fils, et ceux-ci répondirent qu’il était tsaddik. Comment un individu comparable à un ânon peut-il être tsaddik, énigme insoluble s’il en est, dans la mesure où « l’ignorant ne peut être pieux » (Avot 2:6) ?

En outre, pourquoi le Saint béni soit-Il ne le jugea-t-Il pas en fonction de son devenir ? Au moment où, chassé avec sa mère, il est aux portes de la mort, il est possible qu’il ait pleuré ou se soit repenti, mais cette repentance n’est-elle pas comparable à celle de l’individu qui projette de commettre une faute puis de se repentir, et dont la techouva est d’emblée rejetée (Yoma 85b) ?

Après avoir médité toute la nuit, une idée m’est venue. Cependant, avant de l’exposer, je voudrais éclaircir deux points. Le premier concerne la coutume de consommer de la tête de mouton à Roch Hachana, le second, notre habitude de lire le passage relatant le quasi-sacrifice de Yits’hak, introduit par le verset (Beréchit 22:1) : « Il arriva, après ces faits, que D. éprouva Avraham (…) ». En d’autres termes, quel est le rapport entre le sacrifice de Yits’hak et Roch Hachana ?

Pour répondre à ces deux interrogations, soulignons qu’à Roch Hachana, l’homme doit changer du tout au tout, pas seulement d’un point de vue émotionnel, mais surtout au niveau spirituel, dans lequel il doit sans cesse progresser, sans quoi il reste comparable à un ignorant, à un âne qui accomplit toujours les mêmes tâches sans aucune modification.

Tel est le message de Roch Hachana : dans son Service divin, l’homme doit ressentir une élévation et un changement d’année en année. De même qu’un homme riche souhaite augmenter sa fortune d’une année à l’autre, sans quoi il n’a pas l’impression de réussir, de même, au niveau spirituel, l’homme doit sans cesse progresser de niveau et s’élever de degré en degré, de façon perceptible.

Tel est le sens de l’injonction d’Avraham Avinou à Yichmaël de rester en arrière, « avec l’âne ». Il insinuait ainsi que, depuis le moment où D. l’avait jugé « là où il est », et jusqu’au moment du sacrifice de Yits’hak, il n’avait nullement évolué, tel un âne, qui accomplit immuablement le même labeur, ne recherchant ni changement ni évolution : on lui donne sa charge, il travaille ; sinon, il reste désœuvré.

A travers ce message sous-jacent du Patriarche, il est possible qu’il ait provoqué la techouva de Yichmaël. En outre, Yichmaël avait eu le mérite personnel de surmonter les grandes épreuves qu’ils rencontrèrent en chemin vers le lieu du sacrifice – et notamment le passage du fleuve qui leur barra la route (Tan’houma Vayera 22) – mais toutefois, il n’eut pas celui de voir le nuage surmontant la montagne (ibid.23), signe de la Présence divine (Pirké deRabbi Eliezer 31).

Aussi fut-il ordonné à Yichmaël, qui perdit ainsi le mérite de servir Avraham et Yits’hak au cours du sacrifice lui-même, de rester à attendre en arrière, car depuis le moment où il avait échappé à la mort de soif dans le désert, bien qu’il se fût soumis à Avraham, il n’avait pas le moins du monde évolué, progressé.

En outre, Yichmaël savait certainement où se rendaient Avraham et Yits’hak et il est possible qu’à ce moment, il ait même envié le sort de Yits’hak, destiné à être sacrifié pour D., et se soit demandé pourquoi ce mérite insigne ne lui était pas revenu. La raison en est claire : c’est parce qu’il était resté statique, n’avait pas progressé depuis lors.

De ce fait, Avraham Avinou dit à Yichmaël et Eliezer : « Pour vous, demeurez (chevou) ici avec l’âne ». Or, le terme chevou peut être rapproché du mot techouva, autrement dit, « faites techouva et élevez-vous de palier en palier, et alors vous aussi aurez ce mérite ! » Mais, du fait que Yichmaël n’évolua pas et resta comme un âne désœuvré, il n’eut pas le mérite d’être sacrifié.

De même, à Roch Hachana, l’homme est jugé « là où il est ». Si ses actes font de lui un tsaddik, la sentence divine sera de lui octroyer une bonne vie. Mais s’il n’a pas évolué depuis l’année passée, comme on l’attendait de sa part, l’accusation pesant sur lui sera considérable, D. lui reprochant de se comporter comme une bête, comme un âne.

Si l’on argue que cet homme se lève tous les matins, prie, étudie, accomplit mitsvot et bonnes actions comme l’année passée – « là où il est » –, il est certes tsaddik, son comportement est certes louable, mais le fait qu’il ne cherche pas à progresser, à évoluer sans cesse, le rend semblable à un âne. En effet, s’il est parvenu à ce niveau d’être un juste « là où il est », pourquoi ne poursuit-il pas sa progression ? A Roch Hachana, cette stagnation est considérée comme un grand déficit, et il n’est plus jugé aussi positivement, « là où il est ».

La tête de mouton ou la résistance aux épreuves

Cela posé, nous comprenons parfaitement l’habitude de consommer de la tête de mouton à Roch Hachana, où nous évoquons le souvenir du sacrifice de Yits’hak.

En effet, lors de la route que fit Yits’hak avec son père vers le lieu du sacrifice, il fut confronté à une épreuve de taille, car à tout instant, il pouvait être tenté de dire à son père : « Je ne veux pas être sacrifié sur l’autel », du fait qu’il était déjà un adulte, âgé de trente-sept ans. Pourtant, il a surmonté l’épreuve à chaque instant, s’élevant en continu, à chaque seconde, à des niveaux grandioses, jusqu’à l’intervention de l’ange, qui dit à Avraham (Beréchit 22:12) : « Ne porte pas la main sur le jeune homme ».

Il s’éleva à un point tel que, même au moment où Avraham Avinou offrit l’animal en sacrifice «  à la place de son fils » (ibid. 13), il conçut véritablement son geste comme le sacrifice de Yits’hak et, tout ce qu’il fit subir à la bête fut considéré comme si son enfant avait subi le même sort (Beréchit Rabba 56:10), Yits’hak étant ainsi véritablement considéré comme ayant été sacrifié.

De ce fait, bien que n’ayant pas été égorgé ni sacrifié réellement, Yits’hak continua à s’élever. Car tout homme peut se sanctifier et se purifier, pas seulement à travers l’acte, mais également par la pensée ou la volonté d’accomplir une mitsva et, une mitsva en entraînant une autre (Avot 4:2), toute sa vie devient sainte.

Ainsi, lorsque l’esprit ne cesse de penser à la Torah et à l’accomplissement des mitsvot, l’homme progresse de façon incessante et reste constamment lié à D., chaque jour étant optimisé ; il maîtrise sa vie et son temps, et non l’inverse. Car comment pourrait-il dire : « Aujourd’hui, je n’ai pas le temps d’étudier la Torah ni d’accomplir une mitsva » ? Il doit avoir le contrôle de son temps et ne pas se laisser dépasser par lui.

Lorsque l’homme maîtrise son emploi du temps, même s’il arrive qu’à un moment donné, il ne puisse accomplir une certaine mitsva, il est certainement occupé, à cet instant, à en réaliser une autre. D. lui donnera l’opportunité d’accomplir toutes les mitsvot, soit concrètement, soit en intention, du fait que « le Saint béni soit-Il considère une bonne intention comme un acte » (Kiddouchin 40a).

Telle est la voie qu’ouvrit Yits’hak pour ses descendants, leur montrant comment adhérer aux mitsvot en permanence, s’élever et progresser de degré en degré, maîtriser le temps et le mettre à profit pour le seul Service divin.

Celui-ci doit emplir tout l’horizon de nos pensées, au point d’en arriver à un niveau de sacrifice constant : « Mais pour Toi nous subissons toute la journée la mort » (Tehilim 44:23), tel Yits’hak, auquel fut substitué, in extremis, un bélier, mais qui s’éleva tellement en pensée et en actes dans le Service divin, de manière continue, qu’il eut le mérite d’être considéré comme un sacrifice sur l’autel.

De même, à Roch Hachana, l’homme doit ressentir que, pendant tout le mois d’Elloul, il s’est transformé et élevé dans les degrés de la Torah et de la crainte du Ciel, transformation positive, loin de rester dans un perpétuel « là où il est » – ici et maintenant.

A ce niveau, non seulement l’esprit de l’homme est pur de toute faute et dénué de tout lien à ce monde et à la matérialité, mais il est attaché, dans une parfaite maîtrise du temps, à progresser sans cesse, à l’instar d’Avraham Avinou, « avancé en jours » (Beréchit 24:1), et de Yits’hak, en progrès constant.

Dès lors, on comprend la symbolique de la tête de mouton, traditionnellement consommée à Roch Hachana, afin de rappeler l’acte de Yits’hak, qui progressa sans cesse en pensées et en actes, au point qu’il fut considéré comme le véritable sacrifice, et non le bélier, leçon qu’il tira – kavach, à rapprocher de kévess (le mouton) – et transmit à ses descendants.

L’homme doit progresser tout au long de l’année, et plus particulièrement à Roch Hachana, se transformer en profondeur, non pas seulement au niveau de la tête, mais toute sa personnalité doit vivre une amélioration, de l’ordre de celle décrite dans le verset (Divré Hayamim II 17:6) : « Son cœur grandit [par sa constance] dans les voies du Seigneur ».

Car, si l’homme reste « là où il est », arrive à Roch Hachana sans aucun progrès par rapport à l’année passée, il est comme une tête d’animal, être immuable qui accomplit sa tâche de manière invariable. C’est un gros tort pour l’homme que de rester « là où il est », de stagner, alors qu’il détient une étincelle divine supérieure.

Telle est d’ailleurs la nature de la différence entre Yichmaël et Yits’hak : Yichmaël est resté « là où il est », immuable, sans chercher à dominer la dimension temporelle, sans chercher à progresser, ce pourquoi il n’aperçut pas le nuage surplombant la montagne et perdit le mérite de servir Avraham et Yits’hak lors du sacrifice. Ceci lui valut d’être comparé à un âne, jusqu’à ce qu’il fasse techouva et décide de profiter de chaque instant pour s’élever dans le Service divin.

C’est d’ailleurs le sens de la réplique du Patriarche : « nous nous prosternerons et reviendrons vers vous » (Beréchit 22:5) car, contrairement à vous, nous avons le mérite de monter servir D. sur la montagne. Vous avez tout perdu du fait que vous n’avez pas progressé et ne vous êtes pas améliorés, tandis que nous-mêmes nous nous élevons sans arrêt et sommes donc plus méritants que vous.

Si l’on s’attache à l’enseignement de ce passage, lu à Roch Hachana, et de la tête de mouton – la nécessité d’une progression constante dans le Service divin et la résistance aux épreuves –, on méritera de s’élever, de s’améliorer, ainsi que de bénéficier de l’éclairage divin. Cette section de la Torah nous raconte comment, en dépit des difficultés, Yits’hak parvint au niveau de sacrifice, mérite qui suscite la Miséricorde divine en faveur de ses descendants.

Au-delà, Yits’hak Avinou nous démontra que, lorsqu’un homme accomplit une mitsva, les portes du Gan Eden s’ouvrent devant lui. Ce faisant, si le corps de l’homme n’a pas le mérite d’accéder au paradis, son âme a le mérite de jouir de l’intensité de son rapprochement vis-à-vis de D. D’une certaine manière, à chaque instant où l’homme s’attache au Créateur et s’élève, les portes du paradis s’ouvrent devant lui.

La preuve en est qu’au moment du sacrifice, Yits’hak aperçut, à travers l’ouverture des portes du Gan Eden, les anges en larmes (Beréchit Rabba 56 :14). À priori, cela peut paraître étonnant, dans la mesure où seul l’homme qui s’apprête à mourir peut voir sa place au Gan Eden. Or, Yits’hak ne devait pas être véritablement sacrifié ; pourquoi donc aperçut-il le paradis ?

De plus, cette vision de la place de choix qui l’attendait pour avoir surmonté cette épreuve était de nature à le réjouir et pouvait lui laisser à penser qu’il méritait une récompense pour les mitsvot accomplies. Pourtant, nous savons que les justes ne demandent pas de récompense, aimant le Créateur de façon désintéressée. Dans ce cas, pourquoi Yits’hak vit-il les portes du Gan Eden, ce qui risquait, à D. ne plaise, de porter atteinte à son niveau et à sa grandeur ?

A la lumière de ce que nous avons dit, tout devient clair : lorsqu’un homme se consacre à la Torah et aux mitsvot avec dévouement, et qu’il s’élève de degré en degré, il sacrifie son être, s’ouvre la voie du Gan Eden, mérite de se rapprocher de D. et jouit de l’éclat de la Présence divine, comme les justes au paradis (Berakhot 17a). Une seule condition : être lié à D. dans sa vie à travers les mitsvot et la Torah, et progresser de jour en jour.

En outre, comme nous l’avons auparavant expliqué, lorsque l’homme évolue sans cesse, il ôte toute possibilité au mauvais penchant et aux forces impures de le dominer. Car même si le Satan tente de toutes ses forces d’empêcher l’homme de se rapprocher de D. et de mériter le Gan Eden inférieur et supérieur, ce dernier conserve toujours sur lui une longueur d’avance, si bien qu’il ne peut le rattraper.

De plus, lorsque l’homme s’élève en Torah et crainte du Ciel dans ce monde, il ressent une jouissance comparable à celle du Gan Eden. La Torah étant constituée de lumières supérieures, heureux celui qui a le mérite de jouir de ces lumières dans ce monde ! Pour un tel individu, la joie sera double dans le Monde futur, car il méritera par ce biais d’être élu, de par son Service, par le Créateur et de jouir de la proximité et de l’aide divine contre le Satan.

Les épreuves, un tremplin vers D.

A la lumière de ces explications, nous pouvons à présent expliquer le verset (Beréchit 22:13) : « il vit, et voici qu’un bélier, après, était accroché par ses cornes dans le buisson ». Pourquoi le Saint béni soit-Il ne montra-t-Il pas dès le départ cet animal au Patriarche ? En outre, comment Avraham Avinou pouvait-il être sûr que ce bélier n’appartenait à personne ? N’eût-ce été le cas, il aurait été interdit d’approcher cet animal volé sur l’autel (cf. Vayikra Rabba 2:7). En outre, que signifie : « un bélier, après » ? Peut-on envisager qu’un seul terme de la Torah, comme ce dernier, soit superflu ?

La réponse me semble être la suivante : le Tout-Puissant ne soumet jamais l’homme à une épreuve – et, à plus forte raison, à une demande aussi difficile que celle de sacrifier son propre enfant – que s’il a la capacité de la surmonter. De ce point de vue, s’Il avait demandé à Avraham de ne pas sacrifier son fils, cela aurait sans doute été encore plus difficile pour ce dernier que de le sacrifier.

Or, D. fait toujours précéder le remède au mal (Meguila 13b) et, lorsqu’Il veut demander au Patriarche d’épargner son enfant, Il prépare auparavant, à son insu, le bélier, prêt à être sacrifié à la place de Yits’hak depuis la Création du monde (cf. Rachi Yalkout Chimoni), afin que toutes les pensées d’Avraham, au moment du sacrifice, soient « automatiquement » transférées sur l’animal, de sorte qu’il ne soit pas perturbé à ce moment-clé.

Or, justement, du fait qu’il n’avait pas aperçu ce bélier auparavant, le Patriarche eut la certitude immédiate que cet animal était là dans l’attente d’être approché à la place de son fils, et qu’il ne pouvait donc s’agir d’un animal volé. Ce dernier point est d’autant plus évident que D. évite aux tsaddikim les faux-pas (Ketouvot 28b), en vertu du principe (Chemouel I 2:9) : « Il garde les pas de Ses fidèles ».

Ce principe est absolument fondamental dans le Service divin : si D. place l’homme dans une épreuve, il est évident qu’au moment-même de la difficulté, Il lui a déjà préparé le remède. Le rôle de l’homme est donc juste de surmonter son mauvais penchant et l’épreuve.

Voilà l’un des principes essentiels de la foi : même si, objectivement, on ne perçoit pas de solution, D. n’amène pas d’épreuve sur l’homme s’il ne peut la surmonter.

Tel est le sens des termes « ayil a’har – un bélier, après », qui ont la même valeur numérique, en ajoutant 2 pour les concepts eux-mêmes, que l’expression « bam ba’har – Il les a choisis ». Autrement dit, le Très-Haut ne choisit que l’homme qui surmonte toujours l’épreuve contre le mauvais penchant.

A ce titre, il existe un fossé entre l’homme qui mène une existence paisible et heureuse, sans épreuve, et celui qui est accablé de difficultés continuelles visant à le détacher du Service divin, et qu’il surmonte. Il est vrai qu’un homme qui n’est jamais soumis à des épreuves aime sincèrement D., du fait qu’il ne lui manque rien. Mais qu’est-ce qui prouve que, lorsque les épreuves arriveront, il continuera à L’aimer  ?

Aussi D. élit-Il et aime-t-Il davantage l’homme qui, en proie aux épreuves, résiste, montrant ainsi son amour pour Lui de tout son cœur, de toute son âme et de toutes ses forces, à l’instar de Rabbi Akiva, qui n’avait de cesse de dire (Berakhot 61b) : « Quand donc aurais-je enfin l’occasion d’accomplir cette mitsva (de mourir en sanctifiant le Nom divin) ? »

Lorsque le bélier apparut aux yeux d’Avraham et qu’il surmonta son désir intense de sacrifier son fils, la Torah témoigne sur lui que D. l’élut, de même que les gens de cette trempe.

De fait, il existe des personnes qui éprouvent une joie telle à surmonter l’épreuve et à se rapprocher de D. que, dès que celle-ci cesse, elles éprouvent une tristesse, celle de ne pouvoir continuer dans cette voie. D. les place alors immédiatement en situation d’accomplir une autre mitsva, qui leur apporte satisfaction et comporte une apparence d’épreuve afin qu’ils la surmontent également.

Tel est le sens du « ayil a’har », du bélier soudain visible : D. élit (ba’har bam) et aime ceux qui surmontent les épreuves. Tel est le sens de l’expression : « accroché par ses cornes dans le buisson » (Beréchit 22:13), laissant entendre que, même des hommes d’un tel niveau, le mauvais penchant tente de les capturer, de les empêcher de triompher de l’épreuve ; mais ces derniers le surmontent et le vainquent.

Ainsi, Avraham Avinou ne se contenta pas de rester « là où il [était] » : il chercha au contraire à dépasser l’épreuve de ne pouvoir sacrifier son fils et à aller de l’avant. Pour ce faire, le Tout-Puissant plaça à son intention un bélier accroché au buisson, ce qui le mettait face à une nouvelle épreuve, certes moindre : tirer au plus vite l’animal du buisson et le sacrifier.

Ainsi, le Patriarche eut le mérite d’accomplir un sacrifice parfait, acte qui serait inscrit en faveur de ses descendants à sa suite, le jour du jugement, à Roch Hachana, leur permettant d’être acquittés « là où ils sont » – à leur niveau.

En outre, ce mérite les aidera d’autant plus quand ils continueront eux aussi à se dépasser pour surmonter l’épreuve à laquelle ils seront confrontés, même s’ils ne sont pas encore au niveau de le faire ; il leur permettra de s’attacher à D., en progressant de palier en palier. Le but étant d’éviter une accusation lors du jugement, le reproche d’être restés à leur position antérieure, car s’ils avaient certes un niveau de base (« là où ils sont »), de là, il est toujours possible de progresser.

Comme on le sait, « lorsque l’homme ouvre une brèche de la taille d’un chas d’aiguille, on lui ouvre un accès de la largeur d’une salle » (Chir Hachirim Rabba 5:3) ; il peut alors se renforcer et progresser dans son Service divin, même s’il n’est pas encore à ce niveau, à l’instar d’Avraham Avinou et de Yits’hak.

Pour preuve, je vais vous rapporter les questions que m’a posées un visiteur : « Rav, pourquoi l’année qui s’est écoulée n’a-t-elle pas été bonne pour moi ? J’ai pourtant accompli Torah et mitsvot, et surmonté de nombreuses épreuves. Pourquoi, dans ce cas, n’ai-je aucune source de revenus, outre le fait que j’ai perdu toute ma fortune ? »

Je lui ai répondu : « Comment peux-tu prétendre que tu as passé une mauvaise année, alors que tu es vivant et en bonne santé, grâce à D. ? Cela, en soi, ne suffit-il pas à qualifier une année de bonne ? Cette année, de nombreux jeunes sont morts, tandis que toi, tu es vivant et en bonne santé. Ce n’est que dans le cas où tu fais fortune qu’une année mérite d’être qualifiée de bonne ?! Tu as oublié les millions de fois où le Saint béni soit-Il t’a sauvé la vie et celle de ta famille. Peut-être que si tu avais mérité la fortune, l’attribut de Rigueur t’aurait accusé pour une certaine faute, et tu serais tombé malade ou même mort, que D. préserve. Pourquoi prétends-tu avoir passé une mauvaise année ? Quel manque de reconnaissance envers le Saint béni soit-Il ! » Sur cette réponse, l’homme se tut et exprima ses regrets pour ses récrimin- ations.

D’après tout ce que nous avons dit, tout s’éclaire : c’est là la méthode du mauvais penchant, avant Roch Hachana, d’amener l’homme à des pensées hérétiques et de lui faire passer ce jour saint à se plaindre et récriminer contre D. Ceci afin de lui faire perdre son opportunité de changer à Roch Hachana, de s’attacher davantage au Créateur, et provoquer de la sorte une stagnation dans son Service divin. Et même s’il n’a pas de péchés, il ne grimpera certainement pas l’échelle de la perfection, car c’est incompatible avec de telles plaintes contre le Créateur et représente en soi un échec face à une épreuve.

Le ‘hassid (l’homme pieux) : préserver l’image divine

Nous connaissons tous la célèbre formule (Avot 2:6) : « L’ignorant (am haarets) ne peut être pieux (‘hassid). » Nous allons tenter d’expliciter ces appellations d’am haarets et de ‘hassid.

En guise d’explication, on peut avancer qu’un homme qui a de la pitié et de la considération pour son âme, laquelle, bien que confinée dans un corps vulgaire, reste sainte, transforme ainsi son corps, faisant acquérir à la matière une forme. Un tel homme est appelé ‘hassid car il a pitié (‘has) de l’étincelle divine qu’il porte en lui – le Nom divin Youd-Hé équivalent, plus ou moins un, aux lettres youd et daleth, formant le son -id, du mot ‘hassid.

Nous touchons là à la définition du ‘hassid : ‘has et Youd-Hé. Afin de conserver son judaïsme intact et son caractère saint, il ne donne pas l’occasion au mauvais penchant de l’influencer et le fuit comme du feu. Il s’élève de jour en jour et progresse en crainte du Ciel, à partir de son niveau de base, il se dépasse pour atteindre des objectifs paraissant hors de portée. Telle est précisément la grandeur du ‘hassid.

A l’inverse, le am haarets, qui pourtant disposait, lui aussi, de la possibilité de croire et d’accomplir Torah et mitsvot, n’a pas façonné sa matière et est resté constamment statique, comme la terre (arets), élément immuable, d’où la dénomination d’am haarets. En effet, depuis la Création, la terre est toujours restée et restera pareille à elle-même. Comparativement, le am haarets priera demain comme il prie aujourd’hui. Un tel homme ne peut être un ‘hassid, qui s’élève et progresse, à moins qu’il ne décide de se comporter comme tel et d’entreprendre un changement de fond.

On peut comprendre en ce sens le verset (Beréchit 22:4) : « Et il vit l’endroit de loin ». Explication : lorsqu’un homme ne porte pas atteinte à la pureté de son regard, en contemplant seulement des visions générant de la sainteté, en portant ses regards sur la Torah et en se plongeant dans son étude, « la lumière émanant de la Torah a le pouvoir d’améliorer l’homme » (Yerouchalmi ‘Haguiga 1:7). Il en suit la voie et s’élève dans celle-ci de degré en degré, méritant de « voir de loin », d’acquérir l’Esprit saint et de voir la Présence divine reposer sur lui.

Ce niveau était celui d’Avraham et de Yits’hak, qui méritèrent de voir la Présence divine sur la montagne (Tan’houma Vayera 23), vision qui échappa à Yichmaël et Eliezer, du fait de leur stagnation et de leur absence de progrès et d’efforts dans ce sens.

Or, lorsque ces derniers décidèrent vraiment de surmonter leur mauvais penchant, ils déployèrent des trésors d’énergie, traversèrent triomphalement de nombreuses épreuves, à l’instar d’Avraham et de Yits’hak, mais ils ne purent atteindre le niveau de « voir de loin », du fait qu’ils ne s’élevèrent pas de façon incessante.

Cet exemple nous démontre combien il est important d’actionner ces forces intérieures et de s’élever dans le Service divin, et pas seulement à titre occasionnel, comme Yichmaël et Eliezer qui, pour n’avoir pas suffisamment sanctifié leurs regards, ne purent « voir de loin ».

Ce « handicap » les poussa certainement à se remettre en question et à modifier leur mode de vie, au point que Yichmaël eut le mérite de se repentir et Eliezer, celui d’accéder au Gan Eden.

Ainsi, le but essentiel recherché, l’objectif capital dans la vie d’un homme, est de surmonter, à Roch Hachana, toutes sortes de pensées étrangères qui pourraient lui venir à l’esprit, afin qu’il ne soit pas comme un âne, à l’instar de Yichmaël, et ne reste pas statique. A partir de son niveau de base, il faut se dépasser et se lier au Créateur.

Ce faisant, « celui qui vient se purifier, on l’aide » (Yoma 38b) et, dans Sa bonté infinie, D. l’aidera à surmonter les épreuves et lui donnera droit à une bonne et douce année, amen !

Résumé

 •A Roch Hachana, D. juge tout homme « de là où il est » – en fonction du niveau où il se situe – comme ce fut le cas de Yichmaël. Mais il faut progresser de niveau en niveau, quitte à atteindre l’impossible. Or, Yichmaël, ici comparé à un âne, avait été chassé, sur l’injonction de Sarah. Dès lors, comment pouvait-il se repentir et devenir tsaddik ? Fût-ce le cas, il serait comme celui qui dit : « Je vais pécher puis me repentir », option très problématique. En outre, pourquoi mange-t-on, à Roch Hachana, de la tête de mouton, et pourquoi y lit-on alors le passage relatant le sacrifice de Yits’hak ?

 •En ce jour, l’homme doit ressentir un changement dans ses actes, et éviter de stagner, ce qui est, en substance, le sens du message d’Avraham à Yichmaël : même si, « là où tu es », à ton niveau actuel, tu peux prétendre au rang de tsaddik, du fait que tu ne progresses pas, tu es tel un âne. A travers ces messages sous-jacents et la conscience de son infériorité, il est possible que Yichmaël se soit repenti, mais du fait de son absence de progression, du fait qu’il n’entreprit pas de changement en profondeur, il n’eut pas le mérite de voir la Présence divine sur la montagne ni d’être l’objet du sacrifice. De même, tout homme, à Roch Hachana, doit ressentir la nécessité de s’élever, dans le cas contraire, l’accusation pesant sur lui est grande et l’Attribut de Rigueur peut l’accuser, lui demandant pourquoi il n’a pas cherché à progresser. Même s’il est tsaddik d’après ses actes, il doit cependant progresser et s’élever davantage.

 •Nous pouvons dès lors comprendre pourquoi nous mangeons de la tête de mouton à Roch Hachana, car Yits’hak surmonta certainement l’épreuve du sacrifice en s’élevant davantage à chaque instant, à partir de son niveau de départ, pavant ainsi pour ses descendants la voie de la progression. Yits’hak connut d’ailleurs une telle élévation que, même remplacé par le bélier, il resta le véritable sacrifice. Lorsque l’homme s’élève à Roch Hachana, il poursuit la voie de Yits’hak, et c’est pourquoi, en ce jour, on rappelle son sacrifice, couronnement d’une élévation incessante, au contraire de l’animal, immuable.

 •Yits’hak démontra en outre que, si on s’élève, les portes du Gan Eden s’ouvrent, comme ce fut le cas au moment où il fut ligoté sur l’autel. C’est ainsi que l’homme parvient à surmonter le mauvais penchant qui tente de le faire trébucher. De même, celui qui se plonge dans le Texte saint jouit des lumières du Gan Eden, et D. l’aide à poursuivre sa lutte contre le mauvais penchant. Mais pourquoi D. ne montra-t-Il pas auparavant le bélier à Avraham ? Et d’où Avraham savait-il qu’il pouvait librement utiliser ce bélier ? Comment pouvait-il avoir la certitude que celui-ci n’avait pas de propriétaire ? Que signifie l’expression « ayil a’har – un bélier, après » ?

 •Comme nous le savons, D. ne place pas l’homme dans une épreuve s’il n’est pas capable de la surmonter. Il crée en outre le remède avant la plaie. Lorsque l’Eternel demanda à Avraham Avinou de ne pas sacrifier Yits’hak, ce qui était en soi une grande épreuve, il est évident qu’Il prépara le remède – le bélier – avant le mal, et c’est pourquoi Il ne le lui montra avant, afin de ne pas le perturber dans ses gestes. Après cela (a’har), lorsque Avraham vit le bélier, il comprit aussitôt que celui-ci ne pouvait avoir été placé là qu’à son intention, afin qu’il surmonte cette nouvelle épreuve, de ne pas sacrifier son fils. Lorsque l’homme dépasse l’épreuve, D. l’élit et l’homme mérite de s’élever de façon prodigieuse, atteignant à partir de son niveau de base, un niveau inespéré, que laisse entrevoir la promesse divine : « Ouvrez-Moi une brèche de la largeur d’un chas d’aiguille et Je vous ouvrirai des portails assez larges pour y faire pénétrer des chars ! » Gardons-nous de prendre exemple sur ces hommes qui, à Roch Hachana, sont pleins de récriminations contre D., prétendant ne pas avoir eu une bonne année. Car telle est la voie du mauvais penchant, de faire trébucher l’homme et l’amener à des pensées impies, afin de l’empêcher de surmonter l’épreuve et de s’élever.

 •Tel est le sens du principe : « l’ignorant ne peut être pieux ». L’homme pieux (‘hassid – ‘hass Y-a), c’est celui qui, par pitié (‘hass) pour son âme, s’élève, tandis que l’ignorant est qualifié d’am haarets (peuple de la terre), car il est aussi immuable et stagnant que la terre. Lorsque l’homme s’élève, il mérite, à l’instar d’Avraham et Yits’hak, de « voir de loin », de bénéficier de la révélation de la Présence divine. Yichmael et Eliezer, du fait qu’ils ne s’élevèrent pas, n’eurent pas le mérite de la contempler et restèrent au même niveau. Lorsqu’ils prirent conscience de cela, ils se repentirent et eurent accès au paradis.

 

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