La subsistance, une donnée déterminée à Roch Hachana

Dans la Guemara (Yoma 35b), il est mentionné qu’après cent vingt ans, riche, pauvre et impie devront se présenter à leur jugement. Au pauvre, on demandera : « Pourquoi ne t’es-tu pas consacré à la Torah ? » S’il répond : « J’étais trop occupé à rechercher des moyens de subsistance du fait de ma pauvreté », on lui rétorquera : « Tu n’étais pas plus pauvre que Hillel Hazaken ! » On raconte que ce dernier, en dépit de sa misère criante, économisait de l’argent pour aller étudier quotidiennement. Un jour, il se trouva sans un sou à donner au gardien de la maison d’étude, comme c’était de rigueur à l’époque, et fut donc condamné à rester dehors. En désespoir de cause, il s’allongea sur la cheminée. La neige se mit à tomber et le recouvrit rapidement. Jusqu’à ce qu’on s’aperçoive de sa présence, il était complètement glacé. Chemaya et Avtalyon l’introduisirent dans la maison d’étude et on entreprit de le ranimer. On transgressa même le Chabbat pour le sauver – car cela s’était déroulé un Chabbat. Ce récit démontre de façon éloquente comment même un misérable peut et doit se sacrifier pour la Torah.

Au riche, on demandera aussi : « Pour quelle raison n’as-tu pas étudié la Torah ? » S’il réplique : « J’étais trop pris par mes affaires », la réponse sera cinglante : « Tu n’étais pas plus riche que Rabbi Eliezer ben ‘Harsoum, à qui son père légua mille ânons et mille navires, qu’il ne vit pas de sa vie tant il se consacra à la Torah.

On interrogera également l’impie quant à sa désinvolture à l’égard de la Torah. Que pourra-t-il dire pour se justifier ? « J’étais trop perturbé par mon désir. » On lui répliquera : « Tu n’étais pas plus assailli que l’a été Yossef Hatsaddik ! » La femme de Potifar, qui avait jeté son dévolu sur lui (Beréchit 39:7), le poussait chaque jour à pécher. Et pourtant, il lui résista jusqu’au bout.

Pour conclure, les arguties du pauvre seront rejetées par l’exemple d’Hillel, celles du riche par l’image de Rabbi Elazar ben ‘Harsoum. Quant à celles du fauteur, elles ne pourront résister au modèle de Yossef.

Ce passage de la Guemara est remarquable en cela qu’il souligne la possibilité donnée à tout homme, même le plus commun, de ressembler à Hillel, Rabbi Eliezer ben ‘Harsoum ou Yossef Hatsaddik. Nul ne pourra se défendre de les imiter en prétendant ne pouvoir leur être comparé. De tels arguments sont irrecevables aux yeux du Saint béni soit-Il, car chaque homme naît avec le potentiel et les moyens de devenir le Grand de la génération. Même s’il n’est pas possible de parvenir au niveau réel de ces hommes d’exception, nous pouvons, par rapport au niveau de notre génération et à nos données personnelles, leur devenir comparables. Tout homme pourra donc se voir reprocher de ne pas avoir étudié la Torah comme Hillel, Rabbi Eliezer ou Yossef.

A la lumière de cet enseignement, lisons cet aphorisme de nos Sages (Betsa 16a) : « Tous les moyens de subsistance d’un homme sont déterminés depuis Roch Hachana (…) », tant les données matérielles que spirituelles, de sorte que la matérialité n’entrave pas la spiritualité, et que l’homme puisse s’élever en Torah.

Et nos Maîtres d’ajouter (ibid.) : « S’il diminue, on lui diminue ; et s’il ajoute, on lui ajoute. » Autrement dit, s’il diminue son étude de la Torah et son accomplissement des mitsvot, on diminue ses moyens, tandis que s’il progresse en Torah et mitsvot, du Ciel on lui ajoute.

La subsistance, d’origine divine

Je me suis demandé pourquoi, chez les Juifs séfarades, on vend l’honneur d’ouvrir le Hekhal au moment où on lit le Psaume de la subsistance (Tehilim 24), qui débute ainsi : « De David. Psaume. A l’Eternel appartient la terre et ce qu’elle renferme (…) » Pourquoi ne vend-on pas plutôt le Psaume de la sagesse, pour espérer être sage ?

La différence entre ces domaines réside, me semble-t-il, dans le fait que la subsistance est une donnée que l’on doit solliciter de D., les prières étant très importantes pour cela, et c’est pourquoi on a la coutume d’acheter par un don d’argent l’ouverture de l’arche qui prélude au Psaume de la subsistance. La sagesse, en revanche, est une donnée déjà définie lorsque l’homme naît. Comme nous l’explique la Guemara, déjà avant la formation de l’embryon, on détermine, sur la goutte de semence, si l’être qui en sera issu sera sage ou sot (Nidda 16b).

Lors de sa venue au monde, l’homme est donc déjà doté de forces d’âme, d’un bagage qui lui permettra, s’il le désire vraiment, de reconnaître le Créateur, de traduire ce potentiel en actes – la différence de la fortune, du domaine financier, qui n’est pas une réalité intrinsèque à sa nature, puisque l’homme naît et est enterré nu, n’emportant rien de sa richesse dans l’au-delà (cf. Tehilim 49:18).

Ainsi, indépendamment de sa situation financière ou morale – qu’il soit riche, pauvre ou impie –, l’homme est à même de mettre en branle les capacités de réflexion, la sagesse dont il dispose, pour contrer le mauvais penchant et se consacrer à la Torah.

A présent, nous allons nous pencher plus en détail sur ce fameux Psaume « de la subsistance », récité à Roch Hachana. On peut y lire (ibid. 24:7) : « Exhaussez, ô portes, vos frontons (…) ». A la lecture de ce verset, enseignent les kabbalistes, il faut évoquer mentalement le fait que le Saint béni soit-Il pénètre dans le Gan Eden pour Se divertir de paroles de Torah avec les âmes des tsaddikim. Or, quel est le lien entre le thème de la subsistance et cette jouissance divine ?

De fait, l’homme doit demander à D. et L’implorer pour qu’Il lui octroie sa subsistance facilement et avec largesse, sans efforts, afin qu’il puisse servir le Tout-Puissant sans difficultés. D’un autre côté, il doit rester conscient que la fortune risque de le détourner de l’étude de la Torah. « Qui multiplie ses biens, multiplie ses tracas », nous mettent ainsi en garde les Sages (Avot 2:7). A ce titre, l’épreuve de la richesse est pire que celle de la pauvreté. Or, l’homme qui, de son vivant, s’éloigne de la Torah n’aura pas le mérite d’être de ceux dont l’âme se divertit avec le Tout-Puissant dans le Gan Eden, lorsqu’Il y pénètre dans ce but.

Prendre conscience de cet écueil, c’est réaliser combien il est dommage d’utiliser sa fortune dans un but matériel et de perdre tout son temps. Car celui qui ne se sera consacré qu’à la matérialité ne pourra espérer entendre des paroles de Torah de la bouche du Créateur et se réjouir en Sa compagnie dans le Gan Eden.

C’est donc en connaissance de cause que les kabbalistes nous engagent, précisément pendant que l’on récite le verset : « Exhaussez, ô portes, vos frontons (…) » de ce Psaume, de s’imaginer l’entrée de D. dans le Gan Eden, afin de réaliser le déficit de celui qui se laisserait étourdir par la richesse. Le mot « portes » (chéarim) est d’ailleurs composé des mêmes lettres que le terme achirim (riches), pour souligner combien la richesse peut nous faire perdre l’occasion d’entendre de D. des secrets de Torah dans le Gan Eden.

L’homme doit donc savoir employer sa richesse avec justesse, être conscient que ses moyens lui ont été impartis dans un but précis, et tenter de ressembler à Rabbi Eliezer ben ‘Harsoum, que sa richesse n’empêchait pas d’étudier la Torah. Il lui incombe d’employer sa fortune pour soutenir ceux qui étudient la Torah, à l’instar de Yissakhar et Zevouloun (Beréchit Rabba 99:9), afin de ne pas perdre l’occasion de jouir des « cours de Torah » que donnera le Tout-Puissant, dans le paradis, aux Temps futurs. En outre, on peut retrouver allusivement, à travers le mot chéarim, les notions de ani (pauvre), achir (riche) et racha (impie).

L’exemple de Rabbi Akiva, au départ ignare (Ketouvot 62b, 63a ; Nedarim 50a), illustre parfaitement l’aspect erroné de ce dilemme entre richesse et Torah. Lorsqu’il épousa Ra’hel, le richissime Calva Savoua, père de celle-ci, la déshérita. Toutefois, lorsqu’il entendit que son gendre était devenu un Grand en Torah, il regretta son geste et annula son vœu.

Les Tossefot (Ketouvot 63a) s’interrogent sur la possibilité d’annuler un vœu de cet ordre. Calva Savoua prétendait en effet qu’il ne l’aurait pas formulé s’il avait su que son gendre atteindrait un tel niveau. Or, il existe un principe selon lequel il est impossible d’annuler un vœu en s’appuyant sur notre ignorance de l’avenir au moment de sa formulation (cf. Nedarim 64a : « ein pote’hin benolad »). Et de répondre que l’éventualité que Rabbi Akiva devienne un grand en Torah ne s’apparentait pas à la catégorie de nolad, du fait que lorsqu’il entama sa démarche d’apprentissage, on pouvait déjà prévoir qu’il le deviendrait.

Celui qui se plonge dans l’étude a donc le potentiel, s’il le veut vraiment, de devenir un grand Maître. Le cas échéant, même la fortune ne devrait pas le déranger, à l’instar de Rabbi Akiva, devenu très riche. Il faut être conscient que D. nous octroie nos moyens financiers dans un but déterminé et nous souvenir de Lui.

Lors du jour du jugement, D. nous considère tous comme des justes, sans prendre en compte le futur (nolad). En ce jour, tous viennent prier et D. pardonne, par le mérite de leur présence dans les lieux d’étude et de prière, tandis qu’Il élimine tous les accusateurs. Car la lumière de la Torah les rend meilleurs (Yerouchalmi ‘Haguiga 1:7) et les amène à se repentir. Du fait de leur présence dans les lieux de prière, ils deviennent des érudits et des grands en Torah.

Résumé

 •Nos Sages nous démontrent que l’exemple de Hillel remet en question les pauvres qui chercheraient à se dérober au devoir d’étudier, de même que celui de Rabbi Eliezer ben ‘Harsoum ébranle les arguments des riches. Enfin, Yossef oblige, de par son vécu, les impies à admettre leurs erreurs. Si la Guemara nous les cite, c’est pour souligner combien tout homme peut les imiter. En prenant conscience que ses moyens de subsistance sont déterminés à Roch Hachana et en combattant le mauvais penchant, l’homme peut se consacrer pleinement à la Torah et au repentir. On vend le mérite d’ouvrir le Hekhal au moment de la récitation du Psaume de la subsistance, pour souligner qu’il faut prier pour que celle-ci ne nous détourne pas du Service divin. On ne demande pas la sagesse car, contrairement à la richesse, que l’on n’emporte pas avec soi dans la tombe, c’est une donnée de base de notre être, qu’il nous appartient de développer et de concrétiser.

 •Au milieu de ce Psaume, récité à Roch Hachana, il faut s’attarder sur la pensée que le Saint béni soit-Il Se divertit avec les tsaddikim dans le Gan Eden. Or, l’homme ne doit pas oublier que l’argent risque de l’éloigner de D. et lui faire perdre ces précieux moments de jouissance au paradis. Aussi lui appartient-il de prendre garde de ne pas oublier le Créateur dans sa richesse.

 •Prenons à cet égard exemple sur Rabbi Akiva, devenu riche, après que son beau-père eut annulé son vœu de déshériter sa fille. A Roch Hachana, lorsque l’homme réalise que la richesse ne doit pas lui faire oublier Celui Qui la lui a accordée, et médite sur l’importance d’étudier la Torah et de se repentir, le Maître du monde lui pardonne ses erreurs et élimine tous les accusateurs.

 

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