L’investissement personnel : une préparation au don de la Torah

La période de la supputation de l’Omer correspond à une préparation au don de la Torah, à laquelle elle aboutit à Chavouot. Il est impossible d’acquérir une chose sans avoir préalablement fourni les efforts nécessaires pour atteindre cet objectif. Ainsi, lorsqu’un homme désire rejoindre une certaine destination, il doit tout d’abord planifier son voyage, acheter un billet… Or, il en est de même pour ce qui a trait au spirituel : la préparation représente une étape incontournable à l’acquisition et à la progression dans les degrés du Service divin. Aussi celui qui ne se prépare pas à recevoir la Torah sera incapable de vivre et d’apprécier ce don, le moment venu.

L’essentiel de la préparation réside dans l’effort. C’est la raison pour laquelle nos ancêtres subirent l’offensive d’Amalek dans le désert alors qu’ils se trouvaient justement dans cette période de préparation – préparation certes, mais à laquelle faisait défaut son ingrédient principal, l’effort. Tel est le sens de l’interprétation que nous livrent nos Sages sur le verset : « ils campèrent à Refidim » (Chemot 17:1) : ils se relâchèrent (rifou) en Torah (Bekhorot 5b ; Sanhédrin 106a). En l’absence d’effort de la part de l’homme, le Satan, c’est-à-dire le mauvais penchant (Zohar II 42a), ici incarné par Amalek (ibid. III, 281b), s’attaque à lui.

Ceci rejoint l’enseignement donné par Rabbi Chimon (Avot 3:7) : « Celui qui, tandis qu’il chemine, étudie la Torah mais s’interrompt pour dire : “Comme cet arbre est beau ! Comme ce champ est beau !”, se rend, d’après le texte, passible de mort. » Même s’il s’interrompt pour louer le Créateur sur la beauté de Ses œuvres, dans l’esprit du verset : « Que Tes œuvres sont grandes, ô Seigneur ! » (Tehilim 104, 24), il est pourtant condamnable.

Car le mauvais penchant, conscient de son impuissance face à l’homme qui est absorbé dans son étude, s’approche de lui avec ruse en lui soufflant : « Regarde comme cet arbre est beau ! Rends donc hommage à Dieu qui l’a créé ! » Par ce subterfuge, il l’éloigne momentanément de son étude. Il faut donc éviter de se laisser séduire par ce redoutable ennemi qui, une fois qu’il a réussi à exercer une petite influence sur l’homme, tentera sans cesse de gagner encore du terrain, pour finalement le mener à l’abandon total de son étude.

Dans le même esprit, nos Sages expliquent que l’expression : « Si vous vous conduisez selon Mes lois » (Vayikra 26:3) se réfère à notre devoir de fournir des efforts dans l’étude de la Torah (Rachi ad loc.). Autrement dit, seuls les efforts investis dans l’étude nous permettent d’accomplir les mitsvot comme nous le devons – outre le fait qu’ils constituent une garantie à la résolution de toutes les difficultés que nous rencontrerons. C’est pourquoi nous lisons la paracha de Be’houkotaï avant la fête de Chavouot, afin de souligner que seule la Torah est source de vie et que c’est uniquement par les efforts que nous investissons dans son étude que nous trouverons une solution à tous nos problèmes, conformément à la promesse formulée dans la suite du texte : « le glaive ne traversera point votre territoire » (Vayikra 26:6).

Un bédouin, qui vivait dans une tente, avait l’habitude d’aller puiser de l’eau au puits quand il en avait besoin. Un jour, il se rendit en ville et y vit un homme tourner un robinet, duquel jaillit un flux d’eau. Emerveillé, il lui demanda de bien vouloir lui vendre ce robinet, à n’importe quel prix, afin qu’il puisse s’en servir dans sa tente et disposer d’eau sans devoir fournir d’effort. L’homme lui répondit : « Penses-tu réellement que c’est ce robinet qui génère de l’eau ? Certainement pas ! Il est simplement relié à un tuyau qui donne sur une source d’eau, et c’est elle qui permet à l’eau de couler dans le robinet. S’il n’est pas relié à cette source, ce robinet ne sert à rien ! »

De même, si nous désirons recevoir la Torah à Chavouot, il nous incombe de nous atteler avec ardeur à son étude ; c’est alors que nous pourrons jouir de l’influx céleste qui se déversera sur nous lors de la fête. A l’inverse, celui qui s’éloigne de la Torah, source d’eau de vie, ressemble à un robinet qui n’est pas connecté à une réserve d’eau.

A la lumière de ces explications, nous pouvons comprendre les paroles de Yehouda ben Téma : « Sois audacieux comme le léopard, léger comme l’aigle, prompt comme le cerf et fort comme le lion pour accomplir la volonté de ton Père céleste. » (Avot 5:20) À priori, ces consignes semblent surprenantes : quel intérêt y a-t-il donc à ce que l’homme, doté d’intelligence et au tempérament calme, modifie sa nature pour ressembler à la bête, caractérisée par son impulsivité et sa cruauté ?

C’est que, tout homme doit fournir des efforts pour acquérir la vigueur propre aux animaux, qui lui permettra de se vouer comme il le doit au service de l’Eternel et de satisfaire Sa volonté. Le changement de sa pondération innée en un zèle fougueux mis au service de son Créateur, exige de lui de nombreux efforts, d’autant plus que le mauvais penchant, conscient du but qu’il vise par ce travail sur soi, cherchera à tout prix à l’en empêcher.

Par conséquent, l’essentiel de notre préparation au don de la Torah passe par les efforts que nous investissons, principalement durant la période de l’Omer. Lors de ces jours, il nous est demandé de nous défaire de notre carapace impure pour devenir saints. A l’instar de la femme impure qui, en respectant scrupuleusement les lois de pureté, fait le maximum pour redevenir pure, examinons donc nos actes afin d’estimer s’ils sont, ou non, conformes à la loi, de sorte à pouvoir les corriger le cas échéant.

Celui qui met à profit cette période pour se préparer comme il faut, se verra pardonner tous les péchés qu’il aura faits jusqu’à ce jour et deviendra une nouvelle personne. Dans ce sens, Chavouot peut être rapproché de techouva, le repentir.

Le Rambam a statué à cet égard (Hilkhot Techouva 2:2) qu’un repenti bénéficie d’une absolution totale, et en particulier de l’expiation du péché d’un délaissement de la Torah, pour lequel nos Sages se montrent très sévères. Ainsi, ils affirment (‘Haguiga 5b) que le Saint béni soit-Il pleure tous les jours au sujet de trois types d’individus, l’un d’eux étant celui qui aurait la possibilité d’étudier mais ne l’exploite pas. De même, ils nous avertissent de la gravité de ce péché en affirmant qu’il cause la mort de ses enfants (Chabbat 32b), la guerre, la peste et la famine (ibid. 33a), ainsi que l’arrêt des pluies (Taanit 7b). Comment expliquer qu’un délaissement de l’étude puisse avoir des répercutions si tragiques et punir non seulement l’homme lui-même, mais également ses enfants ?

De fait, le mot Chavouot peut aussi être rapproché du mot chevoua, signifiant serment. En d’autres termes, à l’instant où entre la fête, le Saint béni soit-Il descend vers le monde pour nous donner la Torah, tandis que nous répondons tous, à l’unisson, « nous ferons et nous comprendrons » (Chemot 24:7), tel un serment que nous formulons. Or, ce serment inclut également les non-juifs qui, eux aussi, s’engagent à cet instant à respecter les sept mitsvot noahides que Dieu leur a imposées (Yevamot 48b) et à ne pas importuner les enfants d’Israël dans le respect de la Torah. Un non-juif qui empêche un Juif d’observer les mitsvot commet un grave péché, pour lequel il sera puni dans les temps futurs. Ce serment formulé à Chavouot inclut tout Juif, même s’il dort durant la fête.

Illustrons cette idée par un exemple. Si quelqu’un pénètre dans une pièce emplie de parfums, il en ressortira imprégné par ces bonnes odeurs, même s’il n’a rien fait de concret pour cela et n’a eu nulle intention d’en être pénétré. De même, à Chavouot, une atmosphère de sainteté enveloppe le monde, si bien que tous en sont influencés et que chacun prend part à ce serment universel.

C’est pourquoi nos Maîtres nous ont recommandé (Berakhot 5a) : « Si un homme voit des malheurs s’abattre sur lui, qu’il examine ses actions, comme il est dit : “Examinons nos voies, scrutons-les et retournons à l’Eternel” (Ekha 3:40). S’il ne trouve nulle scorie, qu’il les impute à son délaissement de la Torah, comme il est dit : “Heureux l’homme que Tu redresses, Eternel, et que Tu instruis dans Ta Torah !” (Tehilim 94:12). » Car, comme nous l’avons déjà souligné, lorsque l’investissement dans l’étude fait défaut, toutes sortes de calamités nous assaillent.

Soulignons ici la consigne de nos Maîtres selon laquelle la paracha de Bamidbar doit être lue avant la fête de Chavouot : « Comptez puis arrêtez-vous », autrement dit, lisez la section de Bamidbar, dans laquelle figure le recensement des enfants d’Israël (Bamidbar 1), puis célébrez la fête de Chavouot, aussi nommée Atsérèt (lit. un arrêt).

Le lien entre ce recensement effectué dans le désert et la fête du don de la Torah est que celle-ci fut donnée en ce lieu public afin de nous enseigner que quiconque désire y prendre part en a la possibilité (Pessikta Zoutra Terouma 25:16). Et, pour poursuivre le fil de notre raisonnement, nous pouvons ajouter que, de même qu’on ne peut s’engager dans un désert sans préparation préalable, de même, il est impossible de se lancer dans l’étude de la Torah sans y investir des efforts soutenus.

Dès lors, le lien entre les sections de Be’houkotaï et de Bamidbar s’éclaircit, en même temps que notre devoir de lire cette dernière, qui évoque le recensement du peuple juif, avant Chavouot. Car, afin d’aboutir à un compte, il faut d’abord compter, et pour que le compte des enfants d’Israël atteigne un nombre idéal, ils doivent s’atteler ensemble à l’étude de la Torah ; ils mériteront alors d’en être les réceptacles et de continuer à s’élever dans son étude et par son biais.

Ainsi, il est possible d’imputer la mort des élèves de Rabbi Akiva entre Pessa’h et Chavouot à leur manque d’investissement dans la solidarité, ce qui corrobore l’enseignement de nos Sages (Yevamot 62b) selon lequel ils manquaient de respect mutuel. Car seuls les efforts nous permettent de parvenir à la solidarité et à l’unité, semblables à un seul homme, doté d’un seul cœur (Mekhilta ; Rachi Chemot 19:2).

Sur le mode allusif, notons pour conclure que le terme yeguia (effort) a la même valeur numérique que les mots pé é’had (une bouche), ce qui laisse entendre que seuls les efforts, l’investissement, peuvent nous mener à la solidarité. Si l’on œuvre dans ce sens, on pourra alors fêter Chavouot conformément à l’injonction : « fêtez votre fête », expression numériquement équivalente à celles précitées.

Résumé

 •Pendant la période de l’Omer, on doit se préparer au don de la Torah qui aura lieu à Chavouot. Cette préparation nécessite un grand investissement, sans lequel on sera incapable de ressentir l’influx de sainteté qui enveloppe le monde durant la fête. Amalek parvint à s’attaquer au peuple juif dans le désert, car celui-ci n’avait pas fourni suffisamment d’efforts pour s’apprêter au don de la Torah.

 •D’après Rabbi Chimon, celui qui étudie en route et s’interrompt pour admirer la beauté de la nature se rend passible de mort – car il met ainsi court à ses efforts et finira par cesser complètement d’étudier. Nos Sages affirment que seule une étude acharnée constitue une garantie pour l’accomplissement des mitsvot, en même temps qu’une protection contre toutes les calamités. Les efforts à fournir par l’homme incluent une modification de son tempérament calme pour servir son Créateur avec fougue.

 •L’homme qui se prépare convenablement à l’approche de Chavouot sera absous. Même son relâchement en Torah, péché d’une grande gravité, lui sera pardonné. Car Chavouot englobe la dimension du repentir (techouva) et du serment (chevoua), proclamé par l’humanité entière qui s’engage à respecter les mitsvot. Nous lisons la paracha de Bamidbar avant cette fête car, de même qu’on ne s’engage pas dans le désert sans préparation, de même on ne peut recevoir la Torah, donnée en ce lieu, sans s’y être préparé.

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