Le silence éloquent du monde lors du don de la Torah

Dans les Tehilim, nous pouvons lire : « Du haut du ciel, Tu fis entendre Ta sentence : la terre s’en effraya et demeura immobile. » (76:9) Nos Maîtres, de mémoire bénie, soulignent eux aussi (Chemot Rabba 29:9) le silence général qui enveloppa le monde à l’heure où le Tout-Puissant Se révéla à Ses créatures sur le mont Sinaï pour leur faire entendre Ses paroles : pas un oiseau ne gazouilla, pas une vache ne meugla et pas un bébé ne pleura.

D’emblée, plusieurs questions nous interpellent. Tout d’abord, pourquoi était-il nécessaire que l’humanité entière soit plongée dans un tel mutisme ? Dieu n’aurait-Il pas pu donner la Torah si le monde avait normalement poursuivi son cours ? En outre, si l’on admet la nécessité de ce silence total, pourquoi fallait-il, d’un autre côté, que de puissants tonnerres éclatent et que le Chofar retentisse si fort, comme il est dit : « il y eut des tonnerres et des éclairs (…) et un son de cor très intense (…) Le son du cor allait redoublant d’intensité » (Chemot 19:16-19) ?

De fait, le Saint béni soit-Il désirait transmettre aux enfants d’Israël la haute responsabilité qui reposait sur leurs épaules. Il leur communiqua donc ce message en leur démontrant que, s’ils n’acceptaient pas la Torah ou se relâchaient dans son observance, négligeant leur Service divin, c’est le monde entier qui risquerait de redevenir silencieux, de retourner à son état chaotique originel.

Dans ce sens, le silence symbolise le mauvais penchant qui, logé dans le cœur de l’homme (Berakhot 61a), tente perpétuellement de le faire taire, de l’immobiliser dans son Service divin, de semer la confusion dans son esprit afin de le détourner de sa mission. Pour parvenir à cette fin, ce redoutable ennemi s’appuie sur toutes les épreuves auxquelles l’homme est confronté pour refroidir sa foi en Dieu, dans l’espoir de le rendre silencieux, serait-ce pour un instant. Si, sous l’influence néfaste du mauvais penchant, l’homme se retrouve démuni de Torah et uniquement plongé dans ses soucis, le silence menace l’ensemble de l’univers, qui ne vit le jour que pour la Torah, comme le souligne le verset : « Si Mon pacte avec le jour et la nuit pouvait ne plus subsister, si Je cessais de fixer des lois au ciel et à la terre (…) » (Yirmyahou 33:25).

Ceci corrobore l’interprétation de nos Sages (Avoda Zara 3a ; Chabbat 88a) du Hé supplémentaire du verset : « Le soir se fit, puis le matin ; ce fut le sixième (hachichi) jour » (Beréchit 1:31). Ils expliquent qu’au moment où l’Eternel créa le monde, Il posa une condition à Ses créations, les prévenant : « Si le peuple juif accepte la Torah [le six Sivan], vous pourrez vous maintenir, et sinon, Je vous ramènerai au néant. » C’est pourquoi, en cet instant grandiose où Il fit don de la Torah à Ses enfants, Il imposa le silence général à tout l’univers, de sorte à donner à tous la mesure du dommage qui pourrait résulter de la prolongation de cet état de torpeur. S’il incombait aux enfants d’Israël de réaliser leur responsabilité par rapport à la pérennité du monde, les nations devaient, quant à elles, en être les témoins.

Le Saint béni soit-Il désirait également leur signifier que l’essentiel de leur réception de la Torah devait se passer dans leur cœur, où, comme nous l’avons vu, se dissimule le mauvais penchant. Celui-ci tente inlassablement et en ayant recours à d’innombrables ruses d’étouffer son âme, comme l’affirment nos Sages : « Le mauvais penchant de l’homme se renouvelle chaque jour et tente de le tuer, comme il est dit : “Le méchant fait le guet pour perdre le juste, il cherche à lui donner la mort.” (Tehilim 37:32) »

Tout ce qui se passe dans le cœur de l’homme est caché, car le cœur est le siège de l’intériorité, caractérisée par le silence. Nos Maîtres soulignent à cet égard (Pessa’him 54b) que nul ne peut savoir ce qui se dissimule dans le cœur d’autrui. C’est pourquoi un silence absolu régna lors du don de la Torah, afin de nous enseigner que l’essentiel de notre mission consiste à corriger nos traits de caractère et à mener à bien notre lutte contre le mauvais penchant, qui s’attaque toujours à nous en cachette, de manière sournoise.

Symboliquement, le son du Chofar qui retentissait au mont Sinaï peut faire allusion à toutes les épreuves auxquelles l’homme doit faire face de son vivant, et que le mauvais penchant exploite pour semer des doutes en son cœur et refroidir sa foi dans le Créateur. Or, le moyen de s’en sortir nous a été livré par le texte saint : « Le son du cor allait redoublant d’intensité ; Moché parlait et la voix divine lui répondait. » (Chemot 19:19) En d’autres termes, quand bien même l’adversité s’intensifierait, l’homme doit savoir qu’elle est naturelle et qu’on ne peut rien faire à son encontre, si ce n’est poursuivre avec ardeur son Service divin – « Moché parlait » – afin de continuer à assurer le maintien du monde.

Nos Maîtres nous ont avertis en ces termes (Berakhot 5a) : « Si un homme voit des malheurs s’abattre sur lui, qu’il examine ses actions (…) S’il ne trouve nulle scorie, qu’il les impute à son délaissement de la Torah. » Suite à cette introspection et prise de conscience, les épreuves cesseront de l’accabler. Et si elles continuent à le tourmenter, l’homme doit savoir qu’elles lui ont été envoyées par amour (ibid.), conformément à cet adage du plus sage des hommes : « Car celui qu’Il aime, l’Eternel le châtie » (Michlé 3:12). Telle est bien la lutte constante que l’homme doit mener contre son mauvais penchant, qu’il doit s’efforcer de vaincre.

Il est intéressant de noter que l’expression par laquelle nous avons ouvert notre propos, « la terre s’en effraya et demeura immobile », est numériquement équivalente à « car tu portes un lourd fardeau » ; autrement dit, la simultanéité du silence du monde et des bruyantes manifestations lors du don de la Torah fait écho à l’incommensurable responsabilité qui repose sur nos épaules. Si nous en sommes conscients et ne perdons pas de vue notre mission, nos jours sur terre se prolongeront et l’univers ne retournera pas au chaos.

Résumé

 •Nos Sages s’interrogent sur le contraste entre le silence absolu du monde lors du don de la Torah et les bruyantes manifestations qui le caractérisèrent. Nous avons expliqué que le silence symbolise le mauvais penchant, qui essaie à tout prix de figer l’homme dans son Service divin. Dieu imposa le silence à la création afin de nous permettre de réaliser notre responsabilité dans la pérennité du monde, puisqu’il serait à nouveau réduit au chaos si nous ne respections les mitsvot et ne nous attelions à l’étude de la Torah.

 •Recevoir la Torah, c’est avant tout travailler ses traits de caractère, son intériorité, car il ne sert à rien d’avoir l’air extérieurement bien. Le bruit qui accompagna le don de la Torah est une allusion aux malheurs auxquels l’homme est confronté, et dont le mauvais penchant se sert pour le refroidir dans son Service divin. Mais nous devons nous efforcer de surmonter ces épreuves et d’accepter la Torah malgré ces difficultés.

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