Les secrets de la Torah

Nos Sages soulignent (Chabbat 88a ; Chemot Rabba 29:9) le silence et l’immobilité générale dans lesquels fut plongée la création lors du don de la Torah : nulle volaille ne vola, nul oiseau ne gazouilla… Quel est donc le sens de cet arrêt sur image ?

Nous allons voir en quoi ce questionnement va nous mener à comprendre un aspect très profond du don de la Torah. La base de la Torah est la Kabbale, c’est-à-dire ses secrets, son interprétation ésotérique. Or, il va de soi qu’on ne révèle un secret qu’à un homme de confiance, conscient de ses responsabilités. Etre responsable, c’est savoir garder son calme, se tenir à l’écart des vains plaisirs de ce monde. C’est pourquoi, au moment où Dieu s’apprêtait à révéler les secrets de la Torah à Ses enfants, il fallait que le monde entier reste silencieux.

C’est également la raison pour laquelle on ne doit pas être rémunéré pour l’étude de la Torah, car ceci reviendrait à subir l’influence des plaisirs de ce monde, ce qui ferait écran à notre réception des secrets de la Torah.

L’homme doit être reconnaissant envers son Créateur pour le fait qu’Il lui a révélé les secrets de la Torah. En effet, lors du don de la Torah, les enfants d’Israël méritèrent non seulement de devenir les réceptacles de cette dernière, mais aussi d’appréhender ses secrets – les termes hébraïques lekabel (recevoir) et kabbala (la Kabbale) pouvant être rapprochés. Par ailleurs, les mots kabbala et léka’h (leçon – terme se référant à la Torah) ont, à un près, la même valeur numérique. Ainsi, il est écrit : « Car Je vous donne une bonne (tov) leçon : n’abandonnez pas Ma Torah. » (Michlé 4, 2) Le mot tov se réfère aux secrets de la Torah, et le fait qu’ils nous furent révélés, en plus de la Torah écrite, constitue une tova, un acte charitable de la part de l’Eternel, car sans cet aspect fondamental, nous n’aurions pu aspirer à la plénitude.

Illustrons cette idée par l’exemple d’un homme qui aurait offert à son prochain une belle armoire remplie d’ustensiles d’or et d’objets précieux, mais ne lui en aurait pas donné la clé ! Aussi devons-nous exprimer notre gratitude au Saint béni soit-Il, qui nous a donné la Torah avec ses secrets, qui en sont la clé. Notre reconnaissance se manifestera par la responsabilité que nous témoignerons, en délaissant les plaisirs de ce monde et en refusant d’être rémunérés pour l’étude de la Torah.

Néanmoins, il nous reste à éclaircir la nécessité qu’a vue le Créateur à nous transmettre les secrets de la Torah. En effet, même sans cela, les enfants d’Israël croyaient déjà en Lui, comme il est dit : « Ils eurent foi en l’Eternel, et en Moché Son serviteur » (Chemot 14:31). En outre, avant de savoir en quoi consistait la Torah, ils se déclarèrent prêts à l’observer, comme le souligne le verset : « Nous ferons et nous écouterons » (ibid. 24:7), proclamation téméraire qui leur valut la qualification de nos Sages (Chabbat 88a) de « peuple impétueux ». S’ils ne connaissaient pas le contenu de la Torah, à plus forte raison ignoraient-ils ses secrets, et néanmoins, ils furent prêts à l’accepter. Pourquoi donc l’Eternel jugea-t-Il nécessaire de les leur révéler ?

En réalité, il semble que le Saint béni soit-Il les ait obligés à accepter l’aspect ésotérique de la Torah, contrainte qui, bien entendu, visait leur intérêt. Autrement dit, en dépit de la foi ardente qui les animait, le Tout-Puissant dut les contraindre d’accepter les secrets de la Torah, en suspendant la montagne au-dessus d’eux comme un baquet, les menaçant : « Si vous acceptez la Torah, tant mieux, et sinon, vous serez enterrés ici. » (Chabbat 88a ; Avoda Zara 2b ; Zohar III 125a)

En de nombreux points du monde, l’influence néfaste des non-juifs représente pour nous une dangereuse menace, un risque d’affaiblissement de notre foi. Si nous désirons parvenir à rester fermes face à ces dangereux courants, il nous incombe de rester impassibles, d’opter pour le silence, de nous tenir à l’écart des plaisirs de ce monde. Un tel comportement constituera alors une « muraille » contre ces agressions spirituelles. Aussi, en plus de la foi dont nos ancêtres étaient dès le départ animés, il fallait qu’ils reçoivent la Torah et ses secrets. Ces secrets et le silence qui les accompagna allaient être l’armure qui les protégerait de tous temps, y compris aux périodes les plus périlleuses, de l’influence des nations.

Les versets décrivent le don de la Torah comme de tumultueuses manifestations : « il y eut des tonnerres et des éclairs (…) et un son de cor très intense (…) Le son du cor allait redoublant d’intensité » (Chemot 19:16-19) ? Nos Maîtres, de mémoire bénie, expliquent (Yalkout Chimoni Chemot 286) qu’à ce moment historique, la terre fulmina, ce que confirme le verset : « la terre frissonna » (Juges 5:4). Pourtant, d’un autre côté, ils affirment que le monde entier fut réduit à un silence absolu. Comment concilier ces deux réalités ?

En fait, elles se complètent : au départ, le monde était très agité, puis le Saint béni soit-Il désirait faire cesser cette agitation, par crainte que les enfants d’Israël ne s’y habituent. En effet, comme nous l’avons expliqué, s’accoutumer à un environnement bruyant peut être très préjudiciable, le bruit étant souvent synonyme d’excitation pour les plaisirs de ce monde, à l’antipode du calme, valeur à cultiver. Aussi, réduisant le monde au silence, l’Eternel prononça les dix paroles.

Outre le préjudice du bruit, la force de l’habitude est elle aussi grandement nuisible, l’homme risquant de s’habituer au péché. On raconte qu’il arriva une fois à un Rav à Londres de passer devant un magasin ouvert le Chabbat, lorsqu’il fut soudain choqué par la présence d’une mezouza fixée sur le montant. Offusqué, il se mit à réprimander le patron. Les Chabbat suivants, il passa encore devant ce magasin, invariablement ouvert, et avec le temps, s’accoutuma à cette vision, pour finalement ne même plus le remarquer. Le Rav, comme beaucoup d’autres personnes, avait malheureusement pris pour un fait accompli que ce commerce juif était ouvert le Chabbat.

La routine peut donc mener l’homme à devenir insensible au péché. Aussi nous incombe-t-il de lutter au maximum contre ce courant et de maîtriser toutes les mauvaises habitudes, et ce, en s’appuyant sur le pouvoir de la Torah, qui « protège et sauve l’homme » (Sota 21a). La voix de la Torah, dominante, réduira alors au silence le bruit néfaste des influences extérieures.

Si l’on s’en tient à l’affirmation du Zohar (II 90b) selon laquelle « la Torah, le Saint béni soit-Il et le peuple juif forment une seule entité », on peut en déduire que, de même que la Torah a une dimension ésotérique, de même en est-il de tout Juif. Car le nom du Juif, yehoudi, provient du nom Yehouda, lui-même formé à partir des lettres youd, hé, vav, hé du Nom divin et de la lettre daleth. Notons, en outre, que la petite valeur numérique du terme yehoudi équivaut à ce Nom divin. De la même manière que le Créateur est, par essence, mystérieux et infini (Rambam Yessodot haTorah 1:7), puisqu’on ne peut Le voir ni comprendre Son comportement, dont seul un aperçu nous transparaît à travers la Torah, ainsi, tout Juif possède cette dimension mystérieuse, du fait que c’est uniquement par la Torah, base et principe essentiel de l’univers, qu’il peut trouver sa place dans ce monde.

Nous pouvons avoir une mesure de l’importance du pouvoir de la Torah et de ses secrets par ce jugement erroné et malheureusement répandu sur les érudits : « En quoi contribuent-ils donc au maintien du monde en étudiant la Torah ? Ils ne font que se soucier de leur propre progression intellectuelle ! Pourquoi donc devrions-nous les soutenir financièrement ? » – en vertu de l’antique accord conclu entre Yissachar et Zevouloun (Vayikra Rabba 25:2). Rav Elyahou Lopian, de mémoire bénie, souligne à cet égard que, si les gens savaient combien de mauvais décrets les érudits annulent par le pouvoir de la Torah – qui protège l’homme de toute calamité (Kiddouchin 82a) –, ils seraient prêts à leur céder toute leur fortune, voire même à adopter leur conduite.

Résumé

 •A l’heure historique du don de la Torah, le monde entier était agité, puis Dieu lui imposa le silence pour révéler à Ses enfants les secrets de celle-ci. Il désirait ainsi nous transmettre notre devoir de rester « calmes », de nous tenir à l’écart des plaisirs de ce monde, afin que notre foi ne s’affaiblisse pas.

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