La Torah acceptée sous la contrainte et son pouvoir contre les puissances impures

En marge du verset : « et ils s’arrêtèrent au pied de la montagne » (Chemot 19:17), nos Maîtres expliquent (Rachi ad loc. ; Chabbat 88a) que le Saint béni soit-Il a suspendu la montagne au-dessus des enfants d’Israël comme un baquet en les menaçant ainsi : « Si vous acceptez la Torah, tant mieux ; et sinon, que vous soyez enterrés ici ! »

Cette interprétation de nos Sages soulève plusieurs questions. Pourquoi Dieu obligea-t-Il les enfants d’Israël à accepter la Torah ? Et, si l’on admet une telle nécessité, pourquoi avoir choisi de les apeurer précisément en retournant la montagne sur eux, plutôt que par tout autre moyen ou punition ? Plus encore, si l’on s’en tient à leur déclaration unanime, rapportée par le texte saint, « nous ferons et nous comprendrons » (Chemot 24:7), qui atteste leur volonté et leur commun accord d’accepter la Torah, quelle nécessité y avait-il donc à les y forcer ? Si l’on suppose que ceci était nécessaire du fait que leur engagement ne provenait pas d’un cœur entier, quel intérêt y avait-il toutefois à leur imposer la Torah par la contrainte, et que dire du libre arbitre accordé à l’homme ?

A l’heure où nos ancêtres se tenaient au pied du mont Sinaï, le mauvais penchant avait été déraciné de leur cœur (Chir Hachirim Rabba 1:15), puisqu’ils venaient d’achever un processus de purification de quarante-neuf jours visant à annihiler d’eux toute impression de l’impureté égyptienne, étant alors prêts à recevoir la Torah. Par conséquent, il n’était pas nécessaire que l’Eternel les contraigne à l’accepter en retournant la montagne au-dessus d’eux, du fait que le mauvais penchant avait été aboli de leur cœur, uniquement enclin au bien. Comment donc comprendre l’enseignement précité de nos Sages ? C’est que le mauvais penchant est comparé à une montagne (Soucca 52a ; Zohar I 99b), aussi, en retournant la montagne au-dessus d’eux comme un baquet, le Tout-Puissant désirait leur signifier que, s’ils étaient certes en ce moment libres de toute tendance au mal, néanmoins, si à l’avenir ils n’étudiaient pas la Torah, ils devraient y faire face.

Aussi était-il fondamental de leur transmettre que l’arme la plus efficace pour vaincre le mauvais penchant est la Torah, conformément à ces paroles de nos Sages : « Le Saint béni soit-Il dit aux enfants d’Israël : “Mes enfants, J’ai créé le mauvais penchant, et Je lui ai créé la Torah comme antidote. Si vous étudiez la Torah, vous ne subirez pas son emprise, comme il est dit : «si tu t’améliores, tu pourras te relever» (Beréchit 4:7), mais sinon, vous serez sous sa coupe, comme il est dit : «le péché est tapi à ta porte» (ibid.).” »

En d’autres termes, si, par la suite, ils n’utilisaient pas l’arme que représente la Torah, ils risqueraient d’être enterrés sous la montagne, car le mauvais penchant s’introduirait à nouveau dans leur cœur et, sans l’appui de la Torah, ils n’auraient aucun moyen de s’en sortir, ressemblant alors aux mécréants qui, « même de leur vivant, sont appelés morts » (Berakhot 18b ; Beréchit Rabba 39:7 ; Pessikta Zoutra Beréchit 8:21). Dans une telle situation, ils recevraient toute l’influence et la vitalité de leur « tombe », c’est-à-dire des puissances impures. Tel est le sens profond de cette image, donnée par nos Sages, de la montagne renversée sur eux comme un baquet, symbolisant l’emprise menaçante du mauvais penchant, de laquelle il est très difficile d’échapper une fois qu’on s’est laissé prendre dans ses rets.

Ainsi donc, bien que les enfants d’Israël aient attesté à l’unisson leur volonté d’accepter la Torah, l’Eternel a jugé nécessaire de leur montrer, de façon imagée, la force de leur adversaire, le mauvais penchant, afin qu’ils soient conscients du danger auquel ils seraient confrontés et prennent les précautions nécessaires pour y échapper. Le Créateur désirait également leur communiquer une note d’espoir, en leur signifiant qu’Il avait déraciné le mauvais penchant de leur cœur et qu’ils pouvaient donc tourner la page, entamer une nouvelle existence.

Nous pouvons répondre à notre problématique selon une autre démarche. Le moment où les enfants d’Israël ont dit : « Tout ce qu’a dit l’Eternel, nous le ferons ! » (Chemot 19:8) se situait avant la révélation divine du Sinaï, et le mauvais penchant n’avait donc pas encore totalement été extirpé de leur cœur. Aussi existait-il un risque qu’ils s’appuient ensuite sur ce fait pour prétexter qu’à l’heure où ils s’étaient engagés, ce n’était pas d’un cœur entier mais sous la pression de leur penchant au mal, intéressé à augmenter ainsi leur punition en cas de désobéissance. C’est pourquoi il était nécessaire que cette première déclaration soit confirmée par une seconde : « Tout ce qu’a prononcé l’Eternel, nous le ferons et l’écouterons » (ibid. 24:7), déclaration cette fois prononcée en l’absence de toute inclination au mal. Par ailleurs, cette proclamation était nécessaire parce que, suite au déracinement du mauvais penchant de leur cœur, métamorphose correspondant à l’étape primaire de l’éloignement du mal (cf. Tehilim 34:15), il fallait passer à l’étape suivante, celle de pratiquer le bien (ibid.), à laquelle fait justement allusion cette proclamation.

En toute humilité, je proposerais une autre explication de l’image de cette montagne, renversée au-dessus du peuple juif comme un baquet. Le terme kafa (suspendit, retourna) peut être rapproché des termes kippa (calotte) et ‘houpa (dais nuptial). Autrement dit, après leur avoir signifié que le mauvais penchant, qui venait de leur être arraché, ressemblait à une montagne menaçante susceptible de se retourner sur eux comme un baquet – duquel il est ensuite très difficile de se soustraire –, l’Eternel utilisa, pour ainsi dire, cette même montagne renversée comme un dais nuptial, sous lequel Il sanctifia Ses enfants par la Torah.

Enfin, à travers cette image, le Saint béni soit-Il voulait leur communiquer leur devoir de subjuguer leur mauvais penchant, car « le produit des pensées du cœur [de l’homme] est uniquement, constamment mauvais » (Beréchit 6:5) ; nous devons donc l’obliger à nous écouter et à nous servir, lui inspirer notre crainte et l’employer pour des actions saintes, à l’instar de Rabbi Yehochoua ben Lévi, qui parvint à dominer l’ange de la Mort, lequel se trouva contraint de lui remettre son glaive et de le conduire où il désirait (Ketouvot 77b).

La présence de toutes les âmes juives au mont Sinaï

Nos Maîtres, de mémoire bénie, interprètent (Chabbat 146a) le verset : « Mais avec ceux qui sont aujourd’hui placés avec nous, en présence de l’Eternel, notre Dieu, et avec ceux qui ne sont pas ici, à côté de nous, en ce jour » (Devarim 29:14) comme une allusion au fait que toutes les âmes juives, aussi bien celles ayant déjà été créées que celles n’étant pas encore venues au monde, furent présentes lors de la révélation du Sinaï. Toutes sont incluses dans ce singulier globalisant du verset : « Israël y campa » (Chemot 19:2) ainsi que dans la déclaration proclamée à l’unisson : « nous ferons et nous comprendrons », déclaration ayant valeur de serment dans lequel les enfants d’Israël s’engagèrent à accepter la totalité de la Torah (Chevouot 39a). Il est également précisé (ibid.) qu’en plus de la Torah écrite qui leur fut alors donnée, ils reçurent également la Torah orale.

L’époque des Tannaïm connut deux remarquables figures de Torah et de sainteté qui, en dépit de leur grandeur commune, se distinguèrent pourtant par leur approche personnelle dans l’étude. L’une d’elles fut Rabbi Meïr, auquel on attribue tous les enseignements anonymes de la Michna (Sanhédrin 86a). Comme son nom l’indique, il éclaira le monde par sa compréhension aiguisée de la Torah orale, et les autres Sages par sa perspicacité dans la loi (Erouvin 13b). L’autre fut Rabbi Chimon bar Yo’haï, qui devint célèbre par l’inestimable contribution qu’il nous apporta dans la révélation de la Torah ésotérique. Ces deux Sages avaient une connaissance phénoménale de la Torah mais, celle-ci comprenant soixante-dix facettes, chacun d’eux suivit sa propre voie pour l’interpréter. C’est par leur mérite conjugué que la Torah, aussi bien révélée que secrète, ne fut pas oubliée par le peuple juif, comme se l’était exclamé Rabbi Chimon : « A Dieu ne plaise que la Torah ne fût oubliée du peuple juif, comme il est dit : “car la bouche de sa postérité ne l’oubliera point” (Devarim 31:21) ! » (Chabbat 138b)

A travers l’expression : « Israël y (cham) campa en face de la montagne » (Chemot 19:2), nous pouvons lire en filigrane la présence de ces deux géants en Torah lors de la révélation du Sinaï, l’adverbe cham étant formé à partir des initiales de leurs prénoms – Chimon et Meïr. Sur le mode allusif, le texte laisse donc entendre que Rabbi Meïr et Rabbi Chimon se trouvaient, comme toutes les âmes juives, au pied du mont Sinaï, et que par conséquent ils ont reçu la Torah de Moché, qui l’a lui-même reçue du Tout-Puissant, ce qui certifie l’authenticité de toutes leurs interprétations se basant sur cet enseignement de source divine.

Enfin, l’expression du verset précité : « en face de la montagne » peut être interprétée à la lumière d’un autre verset de la Torah, « Je lui ferai une aide face à lui » (Beréchit 2:18), relatif à la création de la femme. Nos Maîtres commentent (Yevamot 63a) : « Si l’homme le mérite, elle sera son aide, et sinon, elle lui tiendra tête. » Or, il en est de même pour sa relation avec le mauvais penchant : si l’homme le mérite, c’est-à-dire s’attelle à la tâche de l’étude, il aura le pouvoir de le vaincre, voire même de le déraciner de son cœur ; mais, dans le cas contraire, ce sera son ennemi qui prendra le dessus, s’imposera à lui comme une montagne et ne cessera de l’accuser. Cette idée peut se retrouver dans les expressions hébraïques « en face de la montagne » et « elles, nous les étudierons jour et nuit », numériquement parlant équivalentes.

Résumé

 •L’Eternel a renversé la montagne au-dessus des enfants d’Israël afin de leur montrer ce à quoi ressemble le mauvais penchant, dont ils devraient à l’avenir se méfier – même si, à cette heure, il avait été déraciné de leur cœur. Seule la Torah leur permettrait de le surmonter. L’image du baquet symbolise l’extrême difficulté de se défaire des rets du mauvais penchant une fois qu’on y est tombé. Le mot kafa (« retourna ») peut aussi être interprété dans le sens de kippa, ‘houpa, fonction que prit la montagne renversée, sous laquelle Dieu sanctifia Ses enfants par la Torah. Il leur signifia également leur devoir de subjuguer le mauvais penchant et de l’utiliser pour des causes sacrées.

 •L’expression « y (cham) campa » fait allusion, à travers le terme cham, formé des initiales de leurs prénoms, à deux grands Tannaïm, Rabbi Meïr et Rabbi Chimon, grâce auxquels la Torah ne fut pas oubliée de notre peuple et qui furent eux aussi présents lors de la révélation du Sinaï. La suite du verset, « en face de la montagne » laisse entendre que si l’homme le mérite, en étudiant la Torah et se dressant contre le mauvais penchant, il parviendra à le vaincre.

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