L’acharnement dans l’étude, une condition à son maintien

En marge du verset : « Voici la règle, lorsqu’il se trouve un mort dans une tente » (Bamidbar 19:14), nos Maîtres, de mémoire bénie, commentent : « Rèch Lakich affirme : les paroles de Torah ne se maintiennent qu’en celui qui se tue à la tâche pour elles. » (Berakhot 63b ; Chabbat 83b) Cette idée peut se retrouver dans les mots matan Torah, don de la Torah, dont les initiales forment le mot mèt, signifiant mort ; autrement dit, si l’on désire avoir le mérite d’apprécier à sa juste valeur l’inestimable trésor que l’Eternel nous a donné, nous devons nous atteler avec ardeur à la tâche de l’étude, ce qui nous permettra également de vaincre le mauvais penchant.

Mais quand l’homme ne s’investit pas suffisamment dans l’étude de la Torah, il devient la proie de choix du mauvais penchant, ce à quoi font allusion les lettres finales de matan Torah, noun et hé, en cela que celles qui les précèdent dans l’alphabet hébraïque, mèm et dalet, forment le mot dam, signifiant sang. Comme l’explique le Zohar (I 255a), ce mauvais esprit, en incitant l’homme au péché, l’entraîne jusqu’aux profonds abîmes du Gehinam.

Numériquement parlant, cette idée peut se retrouver de multiples manières. Le terme mèt (mort) équivaut à l’expression beit Hachem (maison de l’Eternel) : celui qui s’y assoit pour étudier la Torah avec acharnement méritera que le Créateur Se comporte vis-à-vis de lui avec grâce, bonté et miséricorde, be’hen be’hessed ouvera’hamim, et qu’Il lui permette de jouir de la lumière dissimulée et merveilleuse, or ganouz venifla, expressions également équivalentes. Par contre, s’il n’étudie pas la Torah, ce sont les lettres finales de matan Torah qui nous révèlent son sort : elles équivalent au mot be’héma, avec colère, traduisant le comportement divin qui lui est réservé, la Rigueur.

Lorsque nos ancêtres déclarèrent à l’unisson, au pied du mont Sinaï, « nous ferons et nous comprendrons » (Chemot 24:7), ce n’est pas leur estime pour la Torah et les mitsvot qu’ils exprimèrent, mais plutôt pour le Créateur, qu’ils appréciaient et en Qui ils avaient foi. Car, à ce moment-là, ils ne connaissaient pas encore la nature de ce trésor qu’ils s’apprêtaient à recevoir, pas plus que son rôle prépondérant dans la pérennité du monde (cf. Rachi Beréchit 1:1). Ils ignoraient également leur devoir de s’investir dans l’étude pour en ressentir le délice.

Du fait qu’ils n’étaient pas encore conscients de la saveur que représente l’étude de la Torah, Dieu dut la leur imposer, conformément à l’interprétation des Tossefot (Chabbat 88a). Ceci corrobore également la précision du Midrach selon laquelle, lorsque Moché appela les enfants d’Israël pour qu’ils viennent recevoir la Torah, il les trouva endormis ! Nos Sages soulignent d’ailleurs (Maguen Avraham, Ora’h ‘Haïm 494), au nom du Zohar, que les hommes pieux des anciennes générations avaient l’habitude de rester éveillés toute la nuit de Chavouot, qu’ils consacraient à l’étude, afin de réparer ce manquement de leurs ancêtres en cette nuit historique.

Pourtant, dire qu’ils ignoraient alors la valeur de la Torah semble problématique en regard de tous les préparatifs qu’ils firent à l’approche de son don : ils comptèrent l’Omer durant cinquante jours, se sanctifièrent les trois jours précédant ce grand événement en s’abstenant d’avoir une relation avec leur femme (cf. Chemot 19:15). Dès lors, comment comprendre, d’un autre côté, qu’ils allèrent paisiblement dormir la nuit précédant matan Torah, au lieu de déborder d’excitation et d’émotion ? Nous en déduisons que tant qu’un homme ne s’est pas sérieusement impliqué dans l’étude de la Torah, il ne peut réellement en ressentir la jouissance. Même s’il croit en Dieu, sa foi ne peut être entière, car le Saint béni soit-Il et la Torah sont intimement liés et forment une entité (Zohar III 73a). Ainsi, lorsque les enfants d’Israël acceptèrent la Torah, leur acceptation ne provenait pas d’une compréhension profonde, mais plutôt d’une foi basée sur les miracles divins auxquels ils avaient assisté.

C’est pourquoi ils allèrent dormir la nuit précédant le don de la Torah, du fait qu’ils ignoraient encore son inestimable valeur. S’ils se préparèrent certes de multiples manières à cet événement, tous ces préparatifs n’étaient pas pleinement vécus, mais correspondaient plutôt à des gestes effectués machinalement (cf. Mena’hot 7a). D’où la nécessité, pour l’Eternel, de retourner la montagne au-dessus d’eux comme un baquet et de les contraindre ainsi, sous la menace d’être enterrés vivants, à accepter la Torah. Car, s’ils s’étaient certes déclarés prêts à l’accepter, elle n’était pas encore profondément ancrée dans leur cœur, et ils auraient donc aisément pu changer d’avis.

Par conséquent, il est important de savoir que la seule foi en Dieu est loin d’être suffisante, et qu’elle doit être conjuguée à une étude assidue de la Torah, sans quoi elle ne peut mener l’homme à rien et même en venir à s’estomper. Seule la Torah indique à ce dernier la voie qui le conduira véritablement au service de son Créateur, comme le souligne la succession des versets : « Tu aimeras l’Eternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir » (Devarim 6:5) et : « Ces devoirs que Je t’impose aujourd’hui seront gravés dans ton cœur » (ibid. 6:6). Seule l’acceptation des lois de la Torah nous permet d’aimer réellement le Créateur. Or, pour accepter ces lois, il faut les étudier avec ardeur, et on méritera alors de voir cet héritage se perpétuer dans les générations suivantes : « Tu les inculqueras à tes enfants (…) » (ibid. 6:7).

Il fallut beaucoup de temps aux enfants d’Israël pour comprendre la valeur incomparable de l’étude de la Torah et son pouvoir salvateur. Celui-ci se manifesta toutes les fois où, après avoir péché et s’être repentis, ils bénéficièrent du pardon divin par le mérite de leur assiduité dans l’étude. Ce schéma typique se reproduisit à l’époque de Mordekhaï et d’Esther, où un décret d’extermination pesait sur le peuple juif, à cause de sa participation au festin d’A’hachvéroch (Meguila 12a). Puis, en dépit de leur volonté de se repentir, Dieu refusa leur démarche, jusqu’à ce qu’ils s’engagent à étudier la Torah, suite à quoi ils furent soustraits au terrible décret, la Torah protégeant et sauvant l’homme de toute calamité (Sota 21a).

La Torah, antidote au mauvais penchant

Nos Sages se sont appuyés sur la célèbre phrase prononcée par Yits’hak au moment où il s’apprêtait à bénir ses enfants, « la voix est celle de Yaacov, mais les mains sont celles d’Essav » (Beréchit 27:22), pour déduire et nous transmettre un principe fondamental : tant que la voix de Yaakov résonne dans les maisons d’étude, les mains ne sont pas celles d’Essav, c’est-à-dire demeurent impuissantes (Beréchit Rabba 65:20).

Haman l’impie, conscient de cette réalité, chercha à s’en servir pour accuser le peuple juif. Ainsi, il se rendit auprès d’A’hachvéroch et lui conseilla : « Le Dieu de ceux-là porte l’immoralité en haine. Oblige-les donc à participer à ton festin, où ils mangeront et boiront à l’excès et feront ce qui leur plaît. » Mordekhaï, conscient du danger qui pesait sur les Juifs, leur interdit de s’y rendre, leur expliquant qu’il ne les y avait invités que dans l’intention de leur faire commettre une faute et de les rendre condamnables. Cependant, ils refusèrent de se plier à ses directives et se joignirent au festin. Rabbi Yichmaël affirme : « Ils furent dix-huit mille cinq cents à participer au festin, où ils se saoulèrent et se débauchèrent. Le Saint béni soit-Il n’était pas obligé d’accepter leur repentir, car ils n’étudiaient pas la Torah, qui constitue la condition de base. »

Or, si ce n’était la prise de conscience presqu’immédiate des enfants d’Israël du danger qui les menaçait, les sombres desseins d’Haman auraient, à D. ne plaise, pu se réaliser. Ils comprirent en effet que tout ne dépendait que d’eux et que c’est uniquement en se replongeant dans l’étude de la Torah, précieux bien dont ils avaient hérité des centaines d’années plus tôt et dont ils avaient déjà eu l’occasion d’apprécier la valeur, qu’ils avaient une chance d’être sauvés. C’est pourquoi ils s’empressèrent d’accepter de plein gré le joug de la Torah, conformément à l’enseignement de nos Sages (Chabbat 88a) : « Rabba affirme : cette génération l’accepta au temps d’A’hachvéroch, comme il est écrit : “Les Juifs observèrent et acceptèrent” (Esther 9:27), ils observèrent ce qu’ils avaient déjà accepté. » Et c’est effectivement cette implication dans la Torah qui leur tint lieu de mérite et annula le décret d’Haman. Car, lorsque la voix de Yaakov, celle de l’étude, résonne, les mains d’Essav demeurent impuissantes.

Il en résulte qu’en dépit de tous les préparatifs faits par les enfants d’Israël depuis leur sortie d’Egypte et de leur sublime élévation qui leur valut d’être surnommés : « génération de la connaissance » (Vayikra Rabba 9:1), ils ne parvinrent pas à une connaissance parfaite du Créateur et, dans une moindre mesure encore, à une juste appréciation de la valeur de la Torah – ne l’ayant pas encore reçue et ne s’étant pas encore plongés dans son étude.

De nos jours, par contre, où nous nous trouvons après le don de la Torah, nous sommes tous conscients de sa valeur et avons donc la possibilité de l’accomplir avec perfection, en vertu de cet enseignement : « La Torah se trouve à tous les coins de rue, et quiconque désire l’étudier en a le loisir. » (Kiddouchin 66a) Mais le revers de la médaille est que cette chance qui nous est offerte peut aussi constituer une grande accusation à notre encontre, dans le cas où nous manquerions d’ardeur dans l’étude de la Torah et l’accomplissement de ses mitsvot.

C’est pourquoi, au moment où nous veillons la nuit de Chavouot, que nous consacrons à l’étude de la Torah, en guise de dernière préparation à notre ré-acceptation de celle-ci, il est sûr que nous ressentons un grand enthousiasme à la recevoir. Car, lorsque vient la fête de Chavouot, la voix divine qui s’adressa alors, à travers le feu (Chabbat 146a), à nos ancêtres, ainsi qu’à nos âmes qui participèrent également à cette manifestation, résonne à nouveau en nous. Nous ne pouvons prétexter avoir, à cette époque, accepté la Torah sous la contrainte, puisqu’à celle de Mordekhaï et d’Esther, les Juifs ratifièrent cette acceptation de plein gré, comme nous l’avons expliqué.

Aussi n’avons-nous pas d’excuses et devons nous préparer convenablement, pas uniquement depuis la veille de Chavouot, mais dès Pessa’h, où il nous incombe d’annuler et de brûler tout levain se trouvant dans la pâte, c’est-à-dire, d’un point de vue symbolique, le mauvais penchant logé en notre sein. Il s’agit tout d’abord d’annihiler notre fierté et de cultiver l’humilité, représentée par la matsa à l’aspect plat. Puis, nous devons compter l’Omer et tenter, durant cette période, de corriger tous nos autres traits de caractère.

A présent, si, malgré tous ces préparatifs, l’homme ressent qu’il manque d’enthousiasme à l’approche du don de la Torah, c’est le signe clair qu’il reste encore en lui une pointe d’orgueil – même s’il pense s’être suffisamment travaillé sur ce point –, puisque la Torah ne peut s’acquérir que dans la modestie (Taanit 7a), à l’image de l’eau, à laquelle elle est comparée, qui quitte les hauteurs pour rejoindre les lieux de basse altitude (Chir Hachirim Rabba 1:19).

Aussi étrange que cela puisse paraître, il existe des personnes qui, au lieu de vivre intensément la fête de Chavouot au sein de leur domicile, préfèrent la passer dans des hôtels pour s’y reposer. Or, il s’agit là d’une grave erreur. Car la fête qui célèbre le don de la Torah doit être précédée d’une préparation intense et d’une implication redoublée dans son étude, chose qui est impossible à réaliser dans de tels lieux de détente.

Comme nous le savons, le comportement divin est le reflet de celui de l’homme, aussi, s’il se voue avec abnégation à l’étude de la Torah surnommée « vie » (Avot deRabbi Nathan 34:10), il méritera en retour d’avoir une part dans la Torah, comparée à l’eau. En effet, nos Sages affirment (Baba Kama 17a) que l’élément liquide fait toujours référence à la Torah, comme il est dit : « Ah ! Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! » (Yechaya 55:1)

Néanmoins, il existe une catégorie d’eau que l’on pourrait qualifier de « morte », en l’occurrence, la mer. Autrement dit, ceux qui choisissent de passer Chavouot dans un hôtel en bord de mer, plutôt que de bénéficier des vertus de l’eau, c’est-à-dire de la Torah, ne feront que subir le préjudice des visions indécentes s’offrant en ces lieux à leurs yeux. Celui qui se rend à la Mer Morte pour y trouver un remède à ses maux n’est malheureusement pas conscient des dommages spirituels qu’il peut encourir, à l’image de ces eaux salées dans lesquelles il ne peut certes pas se noyer, mais qui, en pénétrant dans ses yeux ou ses oreilles, peuvent s’avérer nuisibles. Par conséquent, ce ne sont pas toutes les eaux qui font pendant à la Torah authentique et éternelle qui, dépourvue d’effets indésirables, est exclusivement bénéfique pour l’homme, qu’elle guérit et auquel elle apporte un regain de vie (Erouvin 54a).

L’étude de la Torah possède une place si primordiale que c’est dans ce domaine que le mauvais penchant déploie le plus de ruses pour en détourner l’homme. Comme le ‘Hafets ‘Haïm, de mémoire bénie, avait l’habitude de le dire, peu lui importe bien si l’homme supplie l’Eternel ou prie, l’essentiel pour cet esprit rusé est qu’il n’étudie pas. Si la prépondérance de l’étude n’est plus à démontrer, il est néanmoins important de savoir qu’elle vise essentiellement l’observance des mitsvot, comme le soulignent nos Sages : « Grande est l’étude, en cela qu’elle mène à l’acte. » (Baba Kama 17a) Il nous incombe donc également de nous investir dans l’observance des mitsvot.

Par exemple, il ne servirait à rien de se préparer spirituellement entre Pessa’h et Chavouot si on ne se travaillait pas sur les relations interhumaines, puisque l’essentiel durant cette période est de mettre en pratique le commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Vayikra 19:18). C’est justement sur ce point que les disciples de Rabbi Akiva faillirent, en cela qu’ils manquèrent de respect mutuel (Yevamot 62b), péché qui fut à l’origine de l’hécatombe dont ils furent victimes pendant ces jours-là.

Par conséquent, l’homme doit méditer sur sa mission dans ce monde et réfléchir à le façon dont il peut se rapprocher et se lier au Créateur, de toute son âme et de tous ses moyens. Ce lien puissant ne s’exprimera pas forcément à travers la multiplication de jeûnes et autres mortifications, qui ne sont souvent que le fruit des incitations du mauvais penchant, cherchant à pousser l’homme à de tels comportements pour l’éloigner de l’étude de la Torah. De même, celui qui étudie ne doit pas se croire à l’abri de tout péché, comme le démontre l’erreur des élèves de Rabbi Akiva, et il lui appartient donc à lui aussi de se montrer prudent.

En définitive, pour éviter de faire fausse route, il faut clarifier le savoir, rechercher, de manière authentique, ce que le Saint béni soit-Il attend de nous. La période séparant Pessa’h de Chavouot est particulièrement propice à une telle réflexion, qui doit être conjuguée à un regain d’ardeur dans l’étude de la Torah et dans l’observance des mitsvot, le tout en gardant le profil bas.

Résumé

 •Nos Sages affirment que la Torah ne se maintient qu’en celui qui se tue à la tâche pour elle, idée que l’on retrouve à travers les initiales de matan Torah qui forment le mot mèt, mort. Mais, lorsque les enfants d’Israël déclarèrent: « nous ferons et nous comprendrons », ils ne furent motivés que par leur amour pour l’Eternel, tandis qu’ils ne pouvaient encore apprécier la Torah, n’ayant pas eu l’occasion de goûter à la saveur de son étude ; ils l’acceptèrent donc sous la contrainte.

 •En dépit de tous leurs préparatifs, l’amour de la Torah n’étant pas ancré en eux au moment de son don, ils dormirent la veille de cet événement, plutôt que de déborder d’excitation. Ce n’est qu’à l’époque de Mordekhaï qu’ils comprirent, face à la menace d’extermination d’Haman, le pouvoir salvateur de la Torah, qu’ils acceptèrent cette fois de plein gré.

 •Aujourd’hui, où nous connaissons la valeur de la Torah, un relâchement dans son étude est d’autant plus condamnable. Si nous nous préparons convenablement au don de la Torah, nous ressentirons un formidable éveil, et si tel n’est pas le cas, cela signifie qu’une pointe d’orgueil, entravant sa réception, subsiste encore en nous.

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