L’étude de la Torah : la mission de l’homme et le fondement du monde

La Guemara (Chabbat 88b) rapporte que lorsque Moché monta au ciel, les anges de service se plaignirent auprès du Très-Haut en disant : « Maître du monde, que fait donc ce mortel parmi nous ? » Nous pouvons nous interroger sur cet étonnement des créatures célestes, alors qu’elles étaient informées du fait que le Saint béni soit-Il s’apprêtait à donner la Torah au peuple juif. En outre, elles assisteront elles-mêmes à cet événement (ibid.). Quel est donc le sens de leur argument ?

En réalité, lorsque les anges dirent : « Que fait donc ce mortel parmi nous ? », loin de chercher à dénigrer Moché, leur intention était au contraire de souligner sa supériorité. En effet, comme nous le savons, lors du don de la Torah, les enfants d’Israël atteignirent un niveau supérieur à celui des anges. Si ces derniers se plient invariablement à la Volonté divine, c’est uniquement du fait qu’ils ne sont pas animés par un mauvais penchant les incitant à y contrevenir et ne sont aucunement liés à la matière. Par contre, du point de vue de l’homme, la soumission représente un réel défi. Aussi, lorsque nos ancêtres, êtres de chair et de sang, empruntèrent le langage propre aux créatures célestes, prêtes à se plier à la Volonté divine avant même de savoir ce à quoi elles s’engageaient, ils les dépassèrent. Nos Maîtres précisent (Chir Hachirim Rabba 6:3) que leur volonté d’aller au-delà de leurs capacités naturelles au moment du don de la Torah alla jusqu’à causer le détachement des âmes de leurs corps.

Au sujet de l’ascension de Moché au ciel pour recevoir la Torah, le verset dit : « Tu es remonté dans les hauteurs, après avoir fait des prises » (Tehilim 68:19). Or, le vocable « prises » s’emploie pour un homme victorieux, sortant gagnant d’une guerre. En ce qui concerne Moché, sa victoire était double, car non seulement il vainquit les anges, mais en plus il y parvint sur le terrain de ces derniers, ce qui est d’autant plus difficile. D’où l’argument des anges : « Que fait donc ce mortel parmi nous ? », autrement dit, cet être humain qui nous a dépassés et qui a en plus réussi à faire des prises – chasse-le donc des sphères célestes, désiraient-ils signifier.

Nous pouvons en déduire la primauté de l’étude de la Torah. L’étude a une place si considérable aux yeux de l’Eternel que lorsque l’homme s’y attelle, le Très-Haut Se libère de toutes Ses occupations pour ne Se tourner que vers lui, comme le laisse entendre le verset : « Je M’occuperai de vous, Je vous ferai croître » (Vayikra 26:9), plus particulièrement adressé aux personnes qui se vouent à l’étude de la Torah. De même qu’au moment de la Création du monde, le Saint béni soit-Il abandonna tout pour contempler la Torah et créer le monde à partir d’elle (Zohar II 161b), ainsi se libère-t-Il pour ainsi dire de tous Ses offices pour se concentrer sur celui qui étudie la Torah.

De fait, ce comportement divin est conforme à la règle générale de « mesure pour mesure » (Sanhédrin 90a) : l’homme se montrant prêt à quitter toutes ses activités pour se consacrer à l’étude de la Torah, l’Eternel, reflétant son comportement, abandonne toutes Ses autres charges pour l’accompagner dans son étude, en vertu de l’enseignement de nos Maîtres : « Quiconque s’assoit pour réviser son étude, le Saint béni soit-Il révise face à lui. » (Tamid 32a)

A celui qui s’interroge sur le risque que représente l’abandon de toute la création de la part de Dieu, au moment où Il Se consacre à celui qui étudie, je répondrai que celui qui se voue à l’étude devient l’associé de l’Eternel dans la Création, et que par conséquent, c’est justement son étude, à laquelle le Très-Haut s’est joint, qui assure le maintien de l’univers entier. Tel est bien le sens de la maxime de nos Maîtres : « Le monde tient sur trois piliers : la Torah, le Service divin et la bienfaisance. » (Avot 1:2)

Précisons néanmoins que même celui qui étudie doit se méfier des attaques sournoises de son mauvais penchant. Car il arrive souvent que ce redoutable ennemi de l’homme commence par l’encourager à étudier la Torah et observer les mitsvot, afin qu’il ne se tienne pas sur ses gardes et soit au contraire satisfait de sa situation spirituelle, de sorte qu’il puisse ensuite aisément l’inciter à commettre des transgressions. Ceci rejoint cette autre maxime, à priori surprenante : « Celui qui, tandis qu’il chemine, étudie la Torah mais s’interrompt pour dire : “Comme cet arbre est beau ! Comme ce champ est beau !”, se rend, d’après le texte, passible de mort. » (ibid.3:7) Comment comprendre, en effet, qu’une personne qui s’émerveille sur la beauté de la Création, ce qui semble s’apparenter à une mitsva, commette un si grave péché ? C’est que, telle est l’une des tactiques employées par le mauvais penchant pour nous détourner de l’étude. Aussi, si au lieu d’être attentifs à notre deuxième voix intérieure, celle de notre bon penchant, qui nous encourage toujours à persister dans ce domaine, nous nous laissons ainsi séduire par notre mauvais penchant, nous nous rendons très condamnables.

A l’heure où les enfants d’Israël devaient sortir d’Egypte, ils éprouvèrent un grand éveil, puisqu’ils eurent foi en la promesse : « Sachez que le Seigneur Se souviendra de vous et vous ramènera de ce pays » (Beréchit 50:24). Néanmoins, leur niveau n’était pas des plus hauts, et ils étaient bien loin de se tenir à celui des anges. Car, s’ils avaient foi en D., ils étaient d’autre part animés d’un mauvais penchant, et étaient donc pareillement enclins au bien et au mal. Nos Sages affirment à cet égard qu’ils surent d’un côté rester fidèles à leurs traditions en conservant notamment leurs prénoms hébraïques et leurs coutumes vestimentaires (Vayikra Rabba 32:5 ; Pessikta Zoutra Chemot 6:6), mais tombèrent, d’un autre côté, dans le quarante-neuvième palier d’impureté (Zohar ‘Hadach Yitro 39a).

Pourtant, le Saint béni soit-Il Se garda de les accuser et de les punir, conscient qu’il n’y avait pas lieu de les incriminer ; au contraire, Il les aida à récupérer les étincelles de sainteté qui s’étaient dispersées en Egypte. Au sujet de leur sortie précipitée d’Egypte, il est écrit qu’« ils n’avaient pu attendre » (Chemot 12:39), car s’ils étaient encore restés, serait-ce un court laps de temps, dans ce pays corrompu, ils auraient sans doute sombré dans le cinquantième palier d’impureté, point de non-retour.

Tel est aussi le sens de cette déclaration divine : « Je te garde le souvenir de l’affection de ta jeunesse, de ton amour au temps de tes fiançailles, quand tu Me suivais dans le désert, dans une région inculte. » (Yirmyahou 2:2) À priori, il peut paraître surprenant que la sortie d’Egypte soit considérée comme un acte charitable de la part des enfants d’Israël, alors qu’elle semble plutôt s’identifier à un acte divin de Miséricorde, puisque, comme nous l’affirmons dans la Haggada, si l’Eternel ne nous avait pas alors soustraits à ce joug, nous y aurions encore aujourd’hui été soumis. Mais, comme nous l’avons expliqué, nos ancêtres étaient en Egypte pareillement enclins au bien et au mal, aussi, leur choix de suivre le Créateur et d’opter pour le bien, maîtrisant leur mauvais penchant, représentait un effort surhumain, pour lequel Il leur reste, si l’on peut dire, à jamais reconnaissant.

C’est d’ailleurs ce premier pas vers le bien qui constitua l’assise sur laquelle ils se basèrent par la suite pour poursuivre leur progression spirituelle – une mitsva en entraînant une autre (Avot 4:2) –, qui allait finalement les mener au don de la Torah, où ils se hissèrent au summum des degrés.

Résumé

 •En quoi le séjour de Moché dans les cieux indisposa-t-il tant les anges ? Ceux-ci étaient conscients du remarquable niveau qu’il avait atteint alors qu’il n’était qu’un être humain, soumis aux incitations du mauvais penchant ; ils se sentaient donc menacés par sa présence dans leur territoire.

 •D’où la primauté de l’étude de la Torah et la valeur inestimable de l’homme qui, sourd aux incitations de son penchant, s’y consacre. L’Eternel délaisse Ses autres occupations pour Se joindre à son étude, ce qui, loin de remettre en question la stabilité du monde, le consolide et assure sa pérennité. Cependant, il convient de toujours se tenir sur ses gardes, le mauvais penchant profitant souvent de notre assurance pour nous faire trébucher.

 •Au moment de la sortie d’Egypte, les enfants d’Israël se tenaient loin du niveau des anges, puisqu’ils étaient autant attirés par leur mauvais que par leur bon penchant. D’un côté, ils furent fidèles à leurs traditions, mais de l’autre, ils servirent l’idolâtrie, plongés dans le quarante-neuvième degré d’impureté. Aussi, lorsqu’en dépit de leur situation ambivalente, ils décidèrent de suivre l’Eternel dans le désert, Il leur considéra ceci comme un acte charitable, qui leur servit d’ailleurs d’assise pour la suite de leur progression spirituelle.

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