Lien entre l’acquisition de la Torah et les aliments

Nos Sages, de mémoire bénie, nous enseignent (Avot 6:4) : « Telle est la voie de la Torah : tu mangeras du pain trempé dans du sel, boira de l’eau avec modération (…) ». Nous en déduisons que la condition de base à l’acquisition de la Torah est, pour l’homme, de se contenter de la nourriture la plus élémentaire. À priori, ceci pourrait nous étonner : en quoi une nourriture plus riche, ou tout au moins plus honorable, constituerait-elle un obstacle à l’acquisition de la Torah, et quel est donc le lien entre celle-ci et l’alimentation ?

En guise de préambule, rapportons cet enseignement de nos Maîtres (Tan’houma Behaalotekha 16 ; Zohar II 62a) selon lequel la manne que D. fit tomber du ciel pour les enfants d’Israël, lors de leur traversée du désert, pouvait prendre le goût de n’importe quel aliment, s’adaptant ainsi à la préférence de chacun, comme le laisse entendre le verset : « Il leur accorda ce qu’ils réclamaient » (Tehilim 106:15). Il est évident que l’intention du Saint béni soit-Il à travers cette variété de goûts n’était pas de satisfaire la gourmandise de l’homme ; il semble donc que ceci visait à lui permettre de déceler, à travers chaque goût précis, le secret dissimulé dans l’aliment en question.

Or, seul celui qui mange avec la bonne attitude ou se tient à un niveau élevé peut accéder à ce secret. Cette possibilité fut donnée à nos ancêtres par le biais de la manne, conformément à cet enseignement : « La Torah n’a été donnée pour être interprétée qu’aux personnes mangeant de la manne. » (Mekhilta Bechala’h 20) En d’autres termes, ceux qui consommaient cette nourriture céleste étaient en mesure de ressentir le secret dissimulé dans le goût de l’aliment et d’en retirer quotidiennement une élévation spirituelle.

La Guemara (Yoma 75a) distingue trois catégories d’individus parmi ceux qui consommèrent la manne dans le désert. La première désirait goûter à tous les goûts existant dans le monde afin d’accéder, par ce biais, à une connaissance du Créateur, dans l’esprit du verset : « Que Tes œuvres sont grandes, ô Seigneur ! » (Tehilim 104:24) Car si D. a créé une si grande variété de goûts dans les aliments, c’est bien dans le but qu’on y décèle de profonds secrets, ce à quoi on peut parvenir, au moins partiellement, si on mange avec une intention pure et désintéressée, sans se livrer au plaisir gustatif. Cette idée peut être lue en filigrane dans le verset : « A cette vue, les enfants d’Israël se dirent les uns les autres : “Qu’est-ce (mane) ceci ?” car ils ne savaient ce que c’était (ma)» (Chemot 16:15) : ils cherchèrent à déceler en la manne de nombreux goûts, afin de parvenir au cinquantième degré de sainteté – ma noun (lettre de valeur numérique 50).

Les personnes appartenant à la seconde catégorie désiraient consommer la manne telle qu’elle, dans l’état où elles la recevaient, partant du principe qu’on ne pose pas de questions sur les ordres de la Torah et qu’il ne sert à rien de chercher à comprendre leurs secrets, puisqu’il s’agit de décrets divins (cf. Rachi Bamidbar 19:2) devant être acceptés de manière inconditionnelle. C’est pourquoi elles ne demandèrent pas à goûter les nombreuses saveurs que pouvait prendre la manne, maîtrisant ainsi leur curiosité de connaître les secrets divins. Car elles savaient pertinemment que tout ce que l’Eternel fait dans Son monde est pour le bien (Sanhédrin 28b), et que rien n’est le fruit du hasard. Elles mangèrent donc la manne dans l’esprit de l’injonction de nos Sages : « Tu mangeras du pain trempé dans du sel (…) », c’est-à-dire sans y rechercher une variété de goûts.

Quant à la troisième catégorie d’individus, ils mangeaient pour le seul but de manger. Ce sont eux qui se plaindront par la suite en disant : « Il nous souvient du poisson que nous mangions pour rien en Egypte (…), maintenant, nous sommes exténués, nous manquons de tout : point d’autre perspective que la manne ! » (Bamidbar 11:5-6) Leur riposte est difficile à comprendre : comment est-il possible qu’après tous les prodiges desquels chacun, sans exception, était témoin en Egypte (Mekhilta Bechala’h 2), ils aient souhaité remplacer la manne, nourriture spirituelle, par des aliments purement matériels ? Plus encore, pourquoi ont-ils précisément regretté ce qu’ils mangeaient en Egypte ? N’y avait-il réellement pas ailleurs de meilleure nourriture que ce qu’on leur y proposait, en tant qu’esclaves ?

Proposons l’explication suivante. Ces hommes-là avaient goûté à toutes les saveurs que pouvait prendre la manne, et connaissaient donc les secrets de chaque aliment. C’est la raison pour laquelle ils désiraient manger une nourriture « normale », c’est-à-dire matérielle, afin de pouvoir corriger, à travers cette consommation, ce qui devait l’être et la transformer en nourriture spirituelle. De cette manière, ils pourraient, pensaient-ils, se rapprocher davantage de leur Créateur. Aussi évoquèrent-ils les plats qu’ils mangeaient en Egypte, regrettant de les avoir consommés sans en connaître les secrets, et désirant à présent y goûter à nouveau afin de le faire avec la bonne intention et d’opérer des réparations.

Cependant, force est de constater qu’en dépit de leurs bonnes intentions, D. fut loin d’approuver leur point de vue, comme il est dit : « L’Eternel entra dans une grande colère » (Bamidbar 11:10). Car leurs arguments n’étaient que le fruit des incitations du Satan, la preuve étant qu’ils furent mêlés de colère – ce qui n’aurait pas été le cas si leur intention avait été entièrement pure. L’aboutissement de leur plainte prouve que, dès le départ, elle contenait les germes de la querelle, la manière dont une chose se termine étant souvent à l’image de son amorce (Nedarim 48a ; Guittin 66a). Leur erreur fut de ne pas réaliser leur possibilité de réparer ce qui devait l’être, d’accéder aux secrets de la création et d’annihiler le désir personnel par la consommation même de la manne, mais uniquement après s’en être nourris durant quarante ans. C’est en cela qu’ils se leurrèrent, pensant pouvoir gravir de nombreux échelons en une seule fois, ce qui conduisit finalement à leur déchéance, une transgression en entraînant une autre (Avot 4:2).

Si l’on réfléchit à notre quotidien, on réalisera qu’il nous arrive parfois de vouloir accomplir une mitsva, à laquelle se mêle finalement de la colère, par exemple. En réalité, c’est là l’œuvre du Satan, qui nous encourage à faire une mitsva quelconque pour ensuite introduire en nous de tels sentiments négatifs, la mitsva se transformant ainsi en avéra, en faute. Nos Sages affirment (Zohar I 27b) à cet égard que celui qui s’emporte est comparable à un idolâtre. Il arrive même que ce soit le mauvais penchant qui exhorte l’homme à se rendre à la maison d’étude, si bien qu’arrivé sur place, ce dernier perturbe l’étude des autres, prononce des propos médisants, ou étudie mais en éprouvant de l’orgueil.

Il en résulte que si l’on désire acquérir la Torah et appréhender ses secrets, il faut s’en remettre à la consigne de nos Sages : manger du pain trempé dans du sel et boire de l’eau en petite quantité, c’est-à-dire s’alimenter sans retirer le moindre plaisir gustatif. Car, si on consomme des aliments raffinés et variés et cherche à déceler en chacun le secret dissimulé, on peut aboutir à une grande erreur, celle dont furent victimes les personnes desquelles nous avons expliqué le point de vue.

L’homme qui est conscient que la nourriture vise avant tout à lui procurer les forces nécessaires pour continuer à servir l’Eternel, pourra effectivement poursuivre son ascension spirituelle. Même s’il lui arrive de goûter à un aliment raffiné, il ne devra pas s’attarder sur son goût, mais plutôt penser que cela participe à la sanctification du Nom divin. Au lieu de se laisser aveugler par le plaisir que lui procure ce met, il gardera bien à l’esprit qu’il ne le mange que pour mieux servir son Créateur. Celui qui réfléchit ainsi pourra atteindre un très haut niveau, et deviendra un réceptacle digne de la Torah.

Nous trouvons ainsi de très grandes figures de notre peuple qui n’accordaient pas la moindre importance à ce qu’ils mangeaient, n’y prêtant parfois même pas attention. Mentionnons, à ce titre, le fait insolite suivant. Il arriva une fois qu’on présente au Baal Hatania, que son mérite nous protège, un plat extrêmement salé, et qu’il ne remarque pas son goût singulier, tant il était parvenu à annihiler toute attirance pour la nourriture.

Résumé

 •Nos Sages affirment que pour acquérir la Torah, il faut se contenter de manger du pain trempé dans du sel et boire de l’eau en petite quantité. Nous avons proposé d’expliquer cette consigne en dégageant l’idée que recèle la plainte, au sujet de la manne, formulée par un groupe des enfants d’Israël, qui languirent la nourriture consommée en Egypte. Comment expliquer qu’après avoir assisté à tant de miracles, ils souhaitèrent substituer la manne à une nourriture matérielle ?

 •Après avoir goûté à toutes les saveurs existant dans le monde à travers la manne, ils eurent accès à tous les secrets dissimulés dans les aliments. Aussi désirèrent-ils manger une nouvelle fois les plats égyptiens afin de corriger, par cette consommation avisée, ce qui devait l’être et de se rapprocher du Créateur.

 •Cependant, D. Se mit en colère contre eux, car leur démarche avait en fait été stimulée par le Satan, qui cherchait à susciter la querelle. Ils auraient dû réaliser leur possibilité de pénétrer les secrets de la création par la seule consommation de la manne, mais durant quarante ans. Ils commirent aussi l’erreur de ne pas se contenter de ce qu’ils avaient, alors que c’est là la condition de base pour acquérir la Torah et ses secrets – la nourriture n’étant qu’un moyen assistant l’homme dans son Service divin.

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