La connaissance des mitsvot : une préparation indispensable à leur observance

Il est écrit dans la Guemara (Chabbat 89a) : « Rabbi Yehochoua ben Lévi affirme que lorsque Moché redescendit du ciel, le Satan demanda au Saint béni soit-Il où se trouvait la Torah. Il lui répondit : “Je l’ai donnée à la terre.” Il se rendit alors chez la terre pour lui poser la même question, et elle lui répondit : “C’est Dieu qui en sait le chemin” (Iyov 28:23). Il alla chez la mer pour la questionner à ce sujet et elle répondit qu’elle ne la détenait pas, puis jusqu’à l’abîme, qui lui répondit aussi par la négative, comme il est dit : « L’abîme dit : elle n’est pas dans mon sein ! Et la mer dit : elle n’est pas chez moi ! » (ibid. 28:14) Il retourna chez D. et lui dit : “Maître du monde, je l’ai cherchée dans toute la terre et ne l’ai pas trouvée !” Il lui dit : “Rends-toi chez le fils d’Amram.” Il alla chez Moché et lui dit : “La Torah que le Saint béni soit-Il t’a donnée, où est-elle ?” Il répondit : “Qui suis-je donc pour que l’Eternel me donne la Torah ?” »

Ce passage ne manque de nous interpeller : le don de la Torah au peuple juif fut un événement historique vécu par l’humanité entière, donc comment expliquer que le Satan ait pu passer à côté d’une telle manifestation ? En effet, nos Sages insistent d’une part sur le silence absolu qui régna lors de cette révélation, d’une autre sur le retentissement mondial qu’elle suscita. Ainsi, ils interprètent (Chemot Rabba 29:9) le verset : « Le lion a rugi : qui n’aurait peur ? » (Amos 3:8) en expliquant qu’au moment où le Saint béni soit-Il donna la Torah, Il réduisit au silence l’ensemble de la création : pas un oiseau ne gazouilla, pas une vache ne meugla, pas une volaille ne vola, pas un ange ne prononça la sanctification, les vagues cessèrent de remuer la mer et les hommes se turent. La voix divine, puissante et infinie, retentit alors : « Je suis l’Eternel » (Chemot 20:2).

D’un autre côté, ils soulignent (Sifri) que lorsque D. Se révéla pour donner la Torah à Ses enfants, Il causa une grande agitation parmi les habitants du monde. Ceux-ci, effrayés par le puissant retentissement de la voix divine, mêlée aux tonnerres, se rassemblèrent chez Bilam pour lui communiquer leur crainte d’une destruction imminente du monde. Il les rassura à l’appui du verset : « nul déluge, désormais, ne désolera la terre » (Beréchit 9:11). Ils rétorquèrent alors : « Quelle est donc cette voix ? », et leur prophète d’expliquer : « L’Eternel donne la force à Son peuple » (Tehilim 29:10), c’est-à-dire la Torah, désignée par « force » (Tan’houma Tsav 12). Il ne Se révéla pas à Ses enfants que dans une langue, mais dans quatre – l’hébreu, le latin, l’arabe et l’araméen –, tandis qu’Il descendit sur terre accompagné de vingt-deux mille chars (Zohar II 226b).

Par conséquent, l’humanité entière fut informée et touchée par cet événement, dont l’agitation fut perceptible même par les aveugles. Aussi, comment expliquer, demande le Or ‘Hadach, que le Satan y soit resté insensible ? Où se trouvait-il donc à ce moment-là au point qu’il a pu ignorer ce qui se passait puis devoir interroger l’Eternel sur la localisation de la Torah ?

Les Tossefot (Chabbat 89a) posent eux aussi cette question, et ils répondent, au nom du Midrach, que le Saint béni soit-Il a perturbé et repoussé l’ange de la Mort – c’est-à-dire le Satan (Baba Batra 16a) – lors du don de la Torah, afin d’éviter qu’il accuse le peuple juif en arguant qu’il ne mérite pas de la recevoir du fait que, seulement quarante jours plus tard, il commettrait une faute en construisant le veau d’or.

Néanmoins, cette réponse ne résout pas toutes les difficultés. Nous pouvons en effet nous demander pourquoi le Satan, constatant que la Torah n’était plus dans le ciel, n’a pas déduit par lui-même qu’elle se trouvait désormais sur terre. En outre, même si on admet que le jour du don de la Torah l’Eternel a éloigné le Satan pour qu’il ne puisse pas accuser, pourquoi celui-ci n’est-il pas ensuite parvenu à localiser la Torah sur terre, alors qu’en ces jours consécutifs à son don, le son de son étude résonnait sans nul doute avec force depuis les demeures des enfants d’Israël ? Enfin, quel est le sens de cette réponse divine : « Rends-toi chez le fils d’Amram », alors que la Torah ne lui a pas été donnée à l’exclusivité, mais à l’ensemble du peuple juif ?

Pour répondre à ces questions, penchons-nous tout d’abord sur cet enseignement de nos Sages, rapporté par la Guemara (Chabbat 88a) : « Le Saint béni soit-Il a retourné la montagne au-dessus d’eux comme un baquet, les menaçant en ces termes : “Si vous acceptez la Torah, tant mieux, et sinon, que vous soyez enterrés ici.” Rav A’ha bar Yaakov dit : d’ici nous déduisons l’importance considérable du respect de la Torah. » Rachi explique (ad loc.) que le fait que l’Eternel ait ainsi forcé les enfants d’Israël à recevoir la Torah, leur a fourni un élément d’autodéfense : s’il leur arrivait à l’avenir de ne pas être fidèles à l’ensemble de la Torah, ils pourraient répondre qu’ils ne l’avaient pas acceptée de leur plein gré, mais y avaient été contraints. La Guemara poursuit : « Rabba dit : malgré cela, les Juifs acceptèrent à nouveau la Torah à l’époque d’A’hachvéroch », et Rachi de commenter : « Par amour, suite au miracle dont ils furent l’objet. »

Pourtant, les enfants d’Israël avaient eux-mêmes déclaré : « Nous ferons et nous comprendrons » (Chemot 24:7), donc comment pourraient-ils rétorquer, en cas d’infidélité à la Torah, qu’ils l’avaient acceptée sous la contrainte ?

Nous en déduisons un principe de base : il est impossible d’accepter quelque chose de tout cœur sans savoir exactement de quoi il s’agit. Par conséquent, bien que le peuple juif ait prononcé son engagement et exprimé sa volonté de recevoir la Torah, du fait qu’il ne connaissait pas son contenu ni le détail de ses lois, son acceptation ne peut être qualifiée de volontaire et recèle une dimension de contrainte. Une mitsva nécessite une préparation, qui passe par une étude nous menant à sa connaissance ; puis, une fois qu’on connaît la valeur et les conditions d’application de la mitsva, on est en mesure de l’observer.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Moché a institué aux enfants d’Israël l’étude et l’approfondissement de chaque traité en son temps : les lois relatives à Pessa’h avant Pessa’h, celles de Chavouot avant Chavouot et celles de Souccot avant Souccot (Meguila 32a), afin qu’ils puissent accomplir les mitsvot s’appliquant respectivement à ces fêtes dans la perfection.

D’où l’importance et le pouvoir considérable de la préparation. L’ignorance par nos ancêtres du contenu de la Torah entraîna en effet un manquement dans leur préparation – leur célèbre déclaration –, qui les empêcha de l’accepter de plein gré. Néanmoins, suite à une modeste préparation de leur part, en l’occurrence le compte de sept semaines et l’élévation spirituelle qui l’accompagna, le Saint béni soit-Il annula le Satan (Zohar I 52b) si bien qu’il demeura incapable de percevoir le don de la Torah aux enfants d’Israël, aussi fracassant que cet événement ait pu être.

Mais, après qu’ils fautèrent en construisant le veau d’or, le Satan retrouva tout son pouvoir et son champ d’action (Zohar ibid.). A ce moment, constatant l’absence de la Torah du ciel, il se mit à sa recherche, mais ne sut la localiser. Se rendant sur terre, il n’y perçut pas sa présence, ni la lumière qu’elle était censée diffuser. Car, lorsqu’un homme contrevient à la Torah et en transgresse les mitsvot, il s’obscurcit non seulement lui-même (Zohar III 28b), mais également l’ensemble de son entourage, auquel il porte gravement atteinte, au point que la présence et l’observance de la Torah peut devenir imperceptible (ibid. III 122a).

Cette réalité est si percutante que la Torah étudiée par une personne dont la crainte de D. est déficiente, ne pourra diffuser de lumière et n’aura pas de valeur. Ceci corrobore l’enseignement de nos Maîtres (Berakhot 6b) selon lequel « tout homme animé de crainte du Ciel, ses paroles sont écoutées, comme il est dit : “La conclusion de tout le discours, écoutons-la : crains D.” (Kohélet 12:13) » Nous en déduisons que même si un homme parle de Torah, s’il ne craint pas D., on n’accordera pas de crédit à ses propos.

C’est ce qui advint aux enfants d’Israël, suite au péché du veau d’or : ils causèrent ainsi l’extinction des lumières de la Torah, ce qui alla jusqu’à empêcher le Satan de déceler sa présence sur terre.

Aussi nous incombe-t-il, de nos jours, de prendre conscience de la grande responsabilité qui repose sur nos épaules, puisque, s’il arrive que de graves décrets pèsent sur notre peuple ou sur les érudits – que D. nous en préserve –, ce n’est que le symptôme d’une déficience dans les lumières de la Torah, le droit de nous accuser étant alors accordé au Satan. Par contre, lorsque notre étude de la Torah est couplée à une fervente crainte du Ciel, elle nous protège de toutes les calamités (Sota 21a).

La grandeur de Moché lors du don de la Torah

Si l’on comprend à présent pourquoi le Satan n’a pas perçu la présence de la Torah sur terre, il est cependant étonnant qu’il n’ait pas discerné ses lumières à travers la sainteté de la Torah émanant de Moché, dirigeant spirituel du peuple juif qui n’était en rien lié au péché du veau d’or commis par celui-ci. Cette difficulté est d’autant plus ardue si l’on tient compte de ce qui est écrit dans le Zohar (II 236a) : « Au moment où les enfants d’Israël construisirent le veau d’or, Moché, constatant que le mauvais penchant parcourait leur camp, alla planter sa tente en-dehors de celui-ci, disant : “La sainteté ne peut coexister avec l’impureté.” » Aussi il semble évident que le Satan avait la possibilité de percevoir la sainteté qui émanait de la tente de Moché !

S’il en fut néanmoins incapable, cela prouve l’extrême humilité de ce dernier, qui parvint à dissimuler sa grandeur en Torah au point de ne pas en laisser échapper de lumière, imperceptible de l’extérieur par le Satan. Moché réussit non seulement à cacher aux hommes sa grandeur, mais aussi aux créatures des sphères supérieures. Seul le Saint béni soit-Il en était conscient et savait l’apprécier.

Ainsi, nous trouvons (Chabbat 88b) que lorsque Moché monta au ciel pour recevoir la Torah, les anges de service se plaignirent auprès de l’Eternel en disant : « Maître du monde, que (ma) fait donc ce mortel parmi nous ? » Le terme ma a la même valeur numérique que le terme adam (homme) et équivaut aussi à la valeur numérique complète du Nom divin (Zohar I 4a). Autrement dit, ignorant la grandeur hors pair de Moché, les anges s’interrogèrent sur la possibilité, pour un être humain, de séjourner dans leurs sphères, domaine des créatures supérieures. Ils se demandèrent également comment il pouvait posséder simultanément ces trois dimensions que sont l’humain, l’angélique et le Divin – son nom étant étroitement lié à celui de D.

C’est pourquoi l’Eternel ne dit pas au Satan qu’Il avait donné la Torah aux enfants d’Israël, mais l’envoya auprès de Moché qui, de fait, équivalait à lui seul à tous ceux-ci réunis (Chir Hachirim Rabba 1:64).

A la lumière de cette idée, nous pouvons comprendre le passage suivant de la Guemara (Baba Metsia 114b) : « Rabbi Chimon bar Yo’haï affirme : “Les tombes des non-juifs ne rendent pas impur, comme il est dit : «Et vous, Mes brebis, brebis que Je fais paître, vous êtes des hommes» (Ye’hezkel 34:31) : vous êtes des hommes, et non les non-juifs.” » Que signifie le fait que les non-juifs ne sont pas appelés « hommes » ? Pourtant, ils ne sont pas des animaux !

C’est que, seul un être humain qui possède en lui le Nom divin peut être désigné par le qualificatif d’homme, l’homme étant une parcelle divine supérieure. Car « Celui qui souffle, souffle de l’intérieur de Son être » (Tania, au nom du Zohar), l’âme humaine étant donc à l’image de l’essence divine. En outre, bien que les enfants d’Israël s’attellent avec ardeur à la tâche de l’étude – comme le laisse entendre le verset : « lorsqu’il se trouve un mort dans une tente » (Bamidbar 19:14) –, ils ne s’en enorgueillissent point et gardent le profil bas, à l’instar de la terre, adama, mot pouvant être rapproché de adam. C’est leur maître Moché, défini par le verset comme « le plus humble des hommes » (Bamidbar 12:3), qui leur transmit cette remarquable vertu de modestie, alors même que sa grandeur était telle qu’il équivalait à tout le peuple juif. Aussi les enfants d’Israël méritèrent-ils de se lier à l’Eternel et à la Torah, comme il est écrit : « Le Saint béni soit-Il, la Torah et le peuple juif forment une seule entité. » (Zohar A’harei Mot 73a).

Par contre, les nations du monde ne peuvent être appelées « hommes », parce que, en agissant toujours avec fierté (Beréchit Rabba 83:4), elles ont elles-mêmes perdu ce qualificatif, outre le fait qu’elles ne possèdent pas la Torah pour les orienter sur le droit chemin.

Cette étude nous a démontré combien une transgression commise par l’homme obscurcit les lumières de la Torah, comparables à la rosée du matin (cf. Yechaya 26:19), et transmet aux puissances impures les forces d’agrandir leur emprise sur lui et de l’accuser. A l’inverse, la préparation à la mitsva éloigne de nous le mauvais penchant, l’empêchant de nous perturber au cours de son accomplissement.

Résumé

 •Lors du don de la Torah au peuple juif, le monde entier était en tumulte. Dès lors, comment comprendre que le Satan n’ait pas réalisé ce qui se passait et ait ensuite demandé à D. où était la Torah ? Par ailleurs, comment dire que les enfants d’Israël reçurent la Torah sous la contrainte, menacés par la montagne retournée au-dessus d’eux, alors qu’ils déclarèrent à l’unisson : « nous ferons et nous comprendrons » ?

 •On ne peut accepter de tout cœur quelque chose dont on ne connaît pas la nature, aussi, en dépit de leur déclaration, on considéra qu’ils acceptèrent la Torah contre leur gré. Malgré cet aspect de contrainte et le manquement dans leur préparation au don de la Torah, ils parvinrent, grâce à elle, à faire fuir le Satan, qui demeura insensible à cet événement.

 •C’est uniquement après le péché du veau d’or que le mauvais penchant revint au sein des enfants d’Israël et que le Satan retrouva son pouvoir, se mettant alors à la recherche de la Torah. Il ne la trouva pas sur terre, car la faute de l’homme obscurcit tout son entourage et dissipe même les lumières de la Torah, qui deviennent imperceptibles. Il ne la perçut pas non plus chez Moché qui, par extrême humilité, la contenait en lui, seul D. en étant conscient.

 •La modestie exemplaire de Moché explique aussi l’erreur des anges à son égard, qui, bien que conscients qu’il détenait en lui le Nom divin, le considèrent comme un simple mortel. Seuls les Juifs, qui possèdent cette étincelle divine, peuvent être qualifiés d’hommes.

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