Le peuple élu de D.

« Faites le relevé de toute la communauté des enfants d’Israël, selon leurs familles et leurs maisons paternelles. »

(Bamidbar 1:2)

Le Midrach (Yalkout Chimoni 684) commente ainsi ce verset : « Au moment où les enfants d’Israël reçurent la Torah, les nations du monde, jalouses, demandèrent : “Qu’est-ce qui leur valut de se rapprocher de D. plus que nous autres ?” Le Saint béni soit-Il les fit taire en leur rétorquant : “Apportez-Moi votre arbre généalogique, comme il est dit : «Célébrez l’Eternel, groupes de nations» (Tehilim 96:7), de la même manière que les enfants d’Israël Me l’ont présenté, comme il est dit : «selon leurs familles et leurs maisons paternelles» (Bamidbar 1:2).” »

L’auteur de l’ouvrage Vaye’hi Yossef s’interroge sur cette plainte des nations et la jalousie qu’elles éprouvèrent vis-à-vis du peuple juif. En effet, comme l’affirment nos Sages (Rachi Devarim 33:2), avant de donner la Torah aux enfants d’Israël, l’Eternel la proposa aux autres peuples qui, tour à tour, déclinèrent cette offre. Il s’adressa alors au peuple juif qui, sans poser la moindre question, s’exclama à l’unisson : « nous ferons et nous comprendrons ». Aussi, sur quoi reposait donc la plainte des nations ? Nous pouvons aussi nous demander que vient faire la notion de généalogie par rapport à la Torah, alors qu’il est écrit : « Corrige-toi pour étudier la Torah, car elle n’est pas ton héritage. » (Avot 2:17)

Avec l’aide de D., je propose l’explication suivante. En réalité, les non-juifs refusèrent la Torah du fait qu’ils ne perçurent pas sa nature et son pouvoir particuliers. Ils firent l’erreur de croire qu’elle se limitait à une simple législation, comme celle définie par chaque état, punissant qui transgresse ses lois et récompensant qui les respecte. Mais l’aspect essentiel de la Torah leur échappa, puisqu’ils ne comprirent pas que celui qui l’étudie se rapproche de la Présence divine, à laquelle il s’attache, conformément à l’enseignement du Zohar : « Le Saint béni soit-Il, la Torah et le peuple juif forment une entité. » (Vayikra 73) Ils ne réalisèrent pas que l’homme qui se soumet au joug de la Torah devient cher aux yeux du Créateur, et c’est justement ce qui les rendit jaloux lorsqu’ils en prirent conscience. Ils envièrent alors la position privilégiée du peuple juif en tant que peuple élu. Telle est bien l’intention de nos Sages dans le Midrach lorsqu’ils expriment la plainte des nations par la possibilité, réservée à l’exclusivité au peuple juif, de se rapprocher de D. et d’être chéri par Lui.

Le Saint béni soit-Il fit taire les non-juifs en leur demandant de Lui apporter leur arbre généalogique, de même que l’ont fait les enfants d’Israël. Il désirait ainsi leur signifier que si ces derniers Lui sont si chers, c’est parce qu’ils respectent leurs traditions, cheminent dans le droit chemin que leur ont tracé leurs ancêtres, en se montrant prêts, à leur instar, à se vouer au respect des mitsvot pour la gloire du Nom divin et de la Torah. Même lors de leur esclavage en Egypte, pays le plus immoral de l’époque, ils luttèrent au maximum pour préserver la pureté de leur âme, en restant fidèles à leur langue, leurs noms et leurs coutumes vestimentaires. Ils se gardèrent de tomber dans la débauche, comme en témoigne le verset : « C’est un jardin clos que ma sœur, ma fiancée » (Chir Hachirim 4:12), aussi méritèrent-ils, au même titre que leurs ancêtres, de jouir de l’amour divin. Quant aux nations, voilà bien longtemps qu’elles ont coupé toute attache spirituelle avec les Patriarches, Avraham et Yits’hak, refusant de suivre leurs pas et préférant opter pour un chemin plus sinueux, empli de ronces et d’épines, celui de la révolte et de la licence des mœurs. C’est ainsi qu’elles perdirent leur droit de se rallier généalogiquement aux Patriarches en même temps que l’aptitude d’être choisies comme peuple de prédilection.

C’est dans ce sens que nous pouvons comprendre un autre Midrach (Bamidbar Rabba 1:9) sur le verset précité de Bamidbar : « Faites le relevé », dont la traduction littérale est « Comptez les têtes » : « Le Saint béni soit-Il dit aux enfants d’Israël : “Il n’existe pas une créature que Je chéris plus que vous et, de même que Je suis le Chef de toute l’humanité, de même Je vous placerai à leur tête.” C’est pourquoi il est dit : “Comptez les têtes”, afin d’accomplir la promesse du verset : “Il a grandi la force de Son peuple” (Tehilim 148:14). »

Il est intéressant de noter que les initiales de cette dernière expression, en hébreu, forment le mot kol, la voix, en allusion à celle de la Torah, comme dans le verset : « la voix est celle de Yaakov » (Beréchit 27:22). Autrement dit, c’est la fidélité du peuple juif à la voie de ses pères, qui étaient prêts à se dévouer pour le respect et l’étude de la Torah, qui lui donna le mérite d’être surnommé « tête » et d’être, plus que tous, chéri par le Très-Haut. Tel est le sens de l’enseignement du Tanna (Avot 3:14) : « Les enfants d’Israël sont privilégiés car il leur a été donné un objet convoité. Un plus grand privilège encore consiste à les avoir informés qu’ils reçurent cet objet convoité (…) ». Par conséquent, l’amour de l’Eternel pour Son peuple est essentiellement le fruit de sa soumission au joug de la Torah et des mitsvot.

Il va sans dire que lorsque l’on parle d’acceptation de la Torah, cela inclut le travail sur soi, puisque « s’il n’y a pas de savoir-vivre, il n’y a pas de Torah » (Avot 3:17). Il convient donc de travailler ses traits de caractère, car les vices de l’homme, et en particulier l’orgueil qui en est la mère, empêchent la Torah de se fixer en lui. Dans la section de Bamidbar, nous pouvons trouver une allusion à cette idée, à travers le verset : « Tu adjoindras donc les Lévites à Aharon et à ses fils : ils lui seront donnés comme adjoints, entre les enfants d’Israël. » (Bamidbar 3:9) Mon élève, Rav Ye’hiel ben Moché, m’a demandé pourquoi ce verset est redondant, qui devait adjoindre les Lévites et pourquoi ?

Je lui ai répondu que, comme nous le savons, les Lévites ont été choisis pour servir au Temple à la place des premiers-nés, comme il est dit : « Moi-même, en effet, J’ai pris les Lévites entre les enfants d’Israël, en échange de tous les premiers-nés, prémices de la maternité, des enfants d’Israël » (ibid. 3:12). Et Rachi de commenter : « Car c’est au premiers-nés qu’incombait le service, mais ils sont devenus inaptes lorsqu’ils ont péché avec le veau d’or ; les Lévites, qui n’ont pas adoré d’idole, ont alors été choisis à leur place. » Or, cette préférence témoignée par D. pour les Lévites, ce privilège détenu par eux seuls de servir au Temple, contenait le risque d’introduire en leur cœur un sentiment de fierté, de supériorité par rapport au reste des tribus. C’est pourquoi le verset qui évoque ce choix divin se veut redondant, afin de bien insister sur le fait que les Lévites n’ont été désignés pour remplir ce rôle que pour remplacer les premiers-nés, auxquels il revenait en réalité, et n’ont donc pas lieu de s’enorgueillir.

En outre, ce sont justement les Lévites qu’il fallait mettre en garde contre les sentiments d’orgueil, du fait que ce sont eux qui, plus que les autres tribus, représentent la Torah et la leur transmettent, leur indiquant le droit chemin qu’il convient de suivre et la conduite qu’il sied d’adopter, comme le souligne le verset : « Ils enseignent Tes lois à Jacob et Ta doctrine à Israël » (Devarim 33:10). Or, comme nous l’avons maintes fois expliqué, la Torah ne peut s’ancrer dans le cœur d’une personne arrogante, conformément à l’interprétation de nos Maîtres (Taanit 7a) du verset : « Ah ! Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau ! » (Yechaya 55:1) : « Pourquoi les paroles de Torah sont-elles comparées à de l’eau ? Car, de même que les eaux quittent les hauteurs pour se loger dans un endroit bas, de même, la Torah ne se maintient qu’en celui qui se rabaisse devant elle. » C’est pourquoi le Saint béni soit-Il a insisté auprès des Lévites sur le fait qu’ils ne sont que les remplaçants des premiers-nés, afin qu’ils ne tombent pas dans l’écueil de l’orgueil de par leur droit particulier de servir au Temple – ce qui aurait causé préjudice à la Torah qu’ils représentent.

La section de Bamidbar est lue aux alentours de Chavouot, fête célébrant le don de la Torah. Comme nous le savons, chaque homme mérite une certaine part dans la Torah en fonction de sa préparation personnelle à l’approche de cette fête. Les justes des anciennes générations avaient l’habitude de se préparer avec crainte au don de la Torah, exactement comme ils se préparaient au jour de Kippour. Il est écrit dans les Ecrits Saints que chaque année, le jour de Chavouot, les mêmes lumières et révélations qui éclairèrent le monde à l’heure du don de la Torah sur le mont Sinaï l’éclairent à nouveau, déversant sur nous un courant de sainteté céleste ; c’est donc le moment propice pour renouveler son acceptation de la Torah et se repentir sincèrement.

Le Chla, que son mérite nous protège, écrit que, si à Roch Hachana le jugement divin fixe, pour l’homme, ces trois aspects essentiels de son existence physique que sont ses enfants, sa vie et sa subsistance, à Chavouot, il est jugé pour tout ce qui a trait au spirituel, puisque l’Eternel détermine alors combien il jouira de la lumière de la Torah. Celui qui se prépare comme il se doit en corrigeant ses traits de caractère et améliorant ses actes, se transformera en réceptacle digne d’accueillir l’influx de Torah et de crainte du Ciel.

Précisons ici que n’importe quel Juif est à la hauteur de mettre à profit la sainteté propre à ces jours. Même celui qui se serait très éloigné de son Créateur, s’il permet à son cœur de se ressourcer en se reconnectant à l’étincelle pure enfouie dans les profondeurs de son âme et fait un petit pas vers le don de la Torah, bénéficiera sans nul doute de l’assistance divine et méritera lui aussi de jouir des grandes lumières qui nous éclairent en ces jours.

En l’année 5771, j’étais de passage en Argentine quelques jours avant Chavouot. Je fus reçu par une communauté que j’ai, grâce à D., eu le mérite de rapprocher considérablement de nos sources et qui, depuis, est en pleine expansion, ses membres progressant de manière impressionnante en Torah et en crainte du Ciel. L’un d’entre eux se présenta alors à moi, accompagné d’un associé avec lequel il entretenait des liens commerciaux ; cet homme, qui avait une fille gravement malade, venait solliciter ma bénédiction en sa faveur.

Généralement, j’ai l’habitude d’écrire ma bénédiction sur une feuille de nos institutions, sur laquelle figure le portrait de mon grand-père, le saint Rabbi ‘Haïm Pinto, de mémoire bénie, ainsi que, sur le côté, le verset : « De grâce, D., veuille la guérir ». Mais, lorsque c’est un non-juif qui vient la solliciter, je l’écris plutôt sur une feuille vierge, conscient qu’il ne saurait respecter la sainteté d’un papier contenant des mots saints. Or, cette fois-ci, je me mis, très curieusement, à écrire ma bénédiction sur une feuille de nos institutions. Connaissant cette habitude, le Juif qui avait introduit son ami auprès de moi, me souligna aussitôt mon erreur, suite à quoi je m’arrêtai net.

Son associé, témoin de la scène et de mon hésitation, demanda à son ami pourquoi je n’avais pas terminé d’écrire ma bénédiction. Il lui expliqua alors que lorsque je remettais ma bénédiction à des non-juifs, je l’écrivais généralement sur une feuille vierge afin d’éviter tout risque de profanation de versets saints. Pour nous rassurer, il s’empressa de s’exclamer : « Mais ma mère est juive ! » A la fois ému et sidéré, je lui dis : « Si c’est ainsi, tu l’es toi aussi ! Ce n’est pas pour rien que D. a voulu que je t’écrive ma bénédiction sur cette feuille-là ! »

L’homme, ébranlé par mes paroles, en éprouva un immense bonheur, qui pouvait se lire sur son visage. Voilà qu’il faisait lui aussi partie du peuple élu ! Néanmoins, lorsqu’il prit conscience de la complexité de sa situation personnelle du fait que, étant marié avec une non-juive, ses enfants l’étaient également, sa joie eut vite fait de se ternir. En théorie, il devait couper tout lien avec son épouse et garder ses distances vis-à-vis de ses enfants, à moins qu’il ne les convertisse, en bonne et due forme, au judaïsme.

Moi-même touché par sa douleur, je lui dis : « Dans quelques jours, c’est la fête de Chavouot, où nous célébrons le don de la Torah. Ces jours saints diffusent une atmosphère spirituelle particulière, propre à purifier notre âme. Néanmoins, celui qui veut en profiter et pouvoir y être réceptif, doit apprêter son cœur et se travailler. » Après avoir béni sa fille d’une prompte guérison, je le quittai non sans lui témoigner des marques de chaleur. J’espère que mes paroles pures sont parvenues à pénétrer son cœur et ont suscité son repentir, l’aidant à tourner la page et à entamer une nouvelle existence de Juif pratiquant.

Puissions-nous avoir tous le mérite de raffermir notre amour et notre crainte de l’Eternel et d’observer, toute notre vie durant, Ses commandements ! Amen.

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