La transformation d’un corps physique en spirituel
« Alors D. prononça toutes ces paroles, savoir (…) »
(Chemot 20:1)
Dans la Guemara (Chabbat 88a), nous pouvons lire les lignes suivantes : « Au moment où Moché monta au ciel, les anges de service protestèrent auprès du Saint béni soit-Il en disant : “Maître du monde, que fait donc ce mortel parmi nous ?” Il leur répondit : “Il est venu pour recevoir la Torah.” Ils répliquèrent : “Un trésor que Tu as précieusement gardé auprès de Toi durant 974 générations avant la Création du monde, Tu voudrais à présent le céder à des êtres humains ?” Le Saint béni soit-Il dit à Moché : “Donne-leur une réponse !” Moché prit alors appui sur le trône céleste et répondit : “Qu’est-il donc écrit dans la Torah que D. désire nous donner ? Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas. Eprouvez-vous de la jalousie ? Avez-vous une propension au vol ? Etes-vous animés d’un mauvais penchant ?” Aussitôt, ils reconnurent le bien-fondé de la décision divine et s’exclamèrent : “Eternel, notre Maître, combien Ton Nom est-il redoutable dans toute la terre !” »
Si l’on réfléchit à l’argument des anges, on constatera que leur étonnement ne portait pas sur la possibilité, pour un être humain, de monter dans les sphères supérieures. Nos Sages rapportent en effet (‘Haguiga 14b) que quatre Tannaïm, désirant appréhender le mystère du Char divin, sont parvenus, par la prononciation du Nom ineffable, à monter au ciel. Il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que Moché, qui maîtrisait tous les secrets de la Torah, en ait lui aussi la possibilité. Mais ce qui préoccupait les anges était de savoir la raison pour laquelle il était venu au ciel. Le Saint béni soit-Il leur précisa alors le but de sa visite dans les cieux, en l’occurrence, recevoir la Torah. Loin d’en être satisfaites, les créatures célestes protestèrent : « Répands Ta Majesté sur les cieux. » Autrement dit, elles souhaitèrent que le Saint béni soit-Il maintienne la Torah dans le ciel, pensant qu’il était suffisant qu’elle éclaire et influence la terre depuis les hauteurs, à l’image du soleil qui se trouve dans le ciel, mais dont le rayonnement parvient jusqu’à la terre, qui profite ainsi de ses bienfaits. Les anges ne voyaient pas l’intérêt, pour des êtres de chair et de sang, d’étudier la Torah, aussi demandèrent-ils qu’elle reste en leur possession.
Moché leur répondit que, s’il est certes un être humain contrairement à eux qui sont des créatures spirituelles, il a néanmoins été doté d’une âme, parcelle divine supérieure. Or, c’est justement en acceptant la Torah et en s’investissant dans son étude que l’homme a l’opportunité de renforcer sa partie spirituelle de sorte à lui donner la mainmise sur son corps physique. Il peut ainsi devenir un être spirituel au point de parvenir au niveau des anges. En effet, celui qui met à profit l’étude de la Torah et l’observance des mitsvot pour sanctifier encore davantage son âme pure, sanctifie également son corps qui, épuré de tout vice, acquiert lui aussi une dimension spirituelle. Moché leur démontra donc le besoin vital que représentait la Torah pour l’homme.
La Guemara (Berakhot 10b) précise à cet égard que la Chounamit surnomma le prophète Elicha d’« homme saint » après avoir constaté qu’aucune mouche ne s’approchait jamais de sa table – l’habitude de cet insecte étant de se poser sur des endroits sales, symboles de la matière, alors qu’il n’a pas d’emprise sur le spirituel. Elicha était parvenu à une sainteté telle que même son corps avait acquis une dimension spirituelle, ce qui empêchait la mouche de s’approcher de lui. Tel est le pouvoir de la Torah, qui purge si bien l’homme qu’elle peut transformer cet être de chair et de sang en créature spirituelle. Dès lors, nous comprenons la signification profonde de la réplique de Moché aux anges : grâce à la Torah, l’être humain aura, lui aussi, la possibilité de s’élever au degré pur et saint de ces derniers.
Il en résulte qu’il ne faut jamais sous-estimer la valeur d’un Juif, même s’il semble extérieurement attaché à la matière, plongé dans les vanités de ce monde, et donc éloigné de la voie de la Torah et du respect des mitsvot. Car il n’est pas exclus que des paroles de Torah ou de moussar parviennent un beau jour à ses oreilles et qu’il y soit réceptif, découvrant soudain en son âme la pure étincelle juive qui y est enfouie. C’est ainsi qu’il peut progressivement en venir à éprouver de l’amour pour l’Eternel, puis, s’il entretient la flamme pure allumée en lui, continuer à progresser dans ce sens, se hissant dans les degrés de sainteté et transformant son corps physique en réalité spirituelle.
Chacun d’entre nous peut témoigner qu’il connaît, parmi les membres de sa famille ou de son entourage proche, des baalé techouva, personnes qui, au départ, menaient une existence tout à fait matérialiste, leur unique ambition étant de faire prospérer au maximum leurs biens, puis qui connurent un grand tournant dans leur vie. Cette mutation soudaine se fit lorsqu’un jour, ils entendirent certaines paroles de Torah auxquelles ils furent sensibles ; ils éprouvèrent alors le désir de se rapprocher de leur Créateur, décidant, pour ce faire, de modifier leur mode de vie. Petit à petit, ils parvinrent à se détacher de leur passé, pour finalement adopter une conduite tout à fait conforme à la Torah et devenir de vrais justes, animés d’une authentique crainte de D. Même leur corps qui, jusqu’à ce moment, était purement physique, acquit ainsi une dimension spirituelle, grâce à la Torah dans laquelle ils se sont investis. C’est pourquoi il ne faut jamais désespérer au sujet de l’un de nos frères, éloigné de nos traditions, car la voie du retour est toujours ouverte, la possibilité d’opérer une transmutation par le biais de la Torah constamment à sa portée. Si seulement il désire éveiller la flamme qui brûle en lui et continuer à l’entretenir, il pourra se hisser aux plus hauts sommets.
Au mois de Chevat 5771, nous avons, grâce à D., eu le mérite d’organiser à Marseille un grand rassemblement visant à encourager l’observance de la Torah et des mitsvot. On compta plus de sept mille participants, malheureusement non pratiquants pour la plupart. Pourtant, on pouvait reconnaître là l’image de notre peuple. Il s’agissait principalement de Juifs se disant traditionnalistes, c’est-à-dire qui croient en D. mais n’ont pas encore eu le mérite de goûter à l’étude d’une page de Guemara. Chaque fois que je me remémore l’immense sanctification du Nom divin par laquelle se conclut ce rassemblement, une puissante émotion s’empare de moi. Après que j’eus terminé de donner mon cours de Torah en présence de cette impressionnante assemblée, les milliers de personnes qu’elle composait se levèrent pour répéter, après moi, avec une grande ferveur, les versets : « Ecoute, Israël, l’Eternel est notre D., l’Eternel est un », et : « L’Eternel est D., l’Eternel est D. » Les voix retentirent au loin, tandis que les yeux ne purent retenir leurs larmes. Je n’ai aucun doute qu’en cet instant magique, des pensées de contrition animèrent les cœurs de tous les participants, sans exception. Car c’est ainsi qu’est conçue l’âme du Juif : dès l’instant où elle se lie à la sainteté par le biais de paroles de Torah, elle aspire à retourner vers son Père céleste. Puis, le corps, jusque là plongé dans la mer des désirs, est lui aussi attiré par cette lumière spirituelle. Si l’homme continue à attiser sa soif spirituelle, à entretenir la flamme juive allumée en son sein, il méritera non seulement de purifier son âme, mais aussi de rendre son corps saint, s’élevant au niveau de l’ange.
Lors de ce rassemblement émouvant, un homme riche, propriétaire d’une importante station-radio à Marseille, monta sur l’estrade pour faire partager au public son impressionnante histoire. Parmi toute cette foule, pas un œil ne resta sec. Son jeune fils était malheureusement atteint de la grave maladie et, de jour en jour, son état se détériorait, au point que les médecins avaient fini par perdre tout espoir et le déclarer condamné. Un ami proche du père de l’enfant, Mickhaël Bensoussan – que l’Eternel le protège –, lui suggéra de se rendre auprès de Rabbi David, petit-fils du juste Rabbi ‘Haïm et descendant d’une lignée de saints, afin de solliciter sa bénédiction. L’homme ne connaissait pas Rabbi David, pas plus qu’il n’avait entendu parler de la grandeur et de la sainteté de son ancêtre ; néanmoins, il décida de suivre ce conseil. Arrivé chez le Rav, il lui fit part de la situation très critique dans laquelle se trouvait son enfant. Il lui répondit : « Malgré les sombres prévisions des médecins, sache que rien n’empêche le Saint béni soit-Il de guérir ton fils. Adressons-Lui alors des prières du fond de notre cœur, et Lui, qui écoute toutes les suppliques, nous prendra en pitié et nous enverra le salut. » Après avoir prononcé ces mots, Rabbi David bénit avec une grande ferveur l’enfant malade, en lui souhaitant de guérir rapidement par le mérite de ses saints ancêtres. Or voilà que le miracle se produisit : le juste avait décrété et D. avait ordonné l’exécution de sa requête. De manière tout à fait incroyable, l’état de l’enfant s’améliora progressivement pour finalement se stabiliser alors que ce dernier avait retrouvé une parfaite santé ! Inutile de préciser l’immense sanctification du Nom divin qui résulta de cette histoire et de son récit. Tous virent de façon flagrante qu’il existe un Maître tout-puissant au monde, dont Lui seul dirige les événements. Le message était percutant : l’âme de tout vivant est dans les mains de l’Eternel, en Qui nous devons placer toute notre confiance. Car celui qui croit en D. d’une foi absolue mérite de bénéficier de Son secours, comme l’affirme David Hamelekh : « Quiconque a confiance en l’Eternel se trouve environné de Sa grâce. » (Tehilim 32:10)
La réponse que Moché donna aux anges à l’heure où ils s’objectèrent au don de la Torah aux hommes, peut être expliquée sous un autre angle. La Torah tient lieu, pour l’homme, de vêtement spirituel que l’on peut désigner sous le nom de « tunique de maître ». L’observance des six cent treize mitsvot lui donne en effet le mérite d’être recouvert de six cent treize vêtements saints, qui le protègent des flèches du mauvais penchant. Chaque mitsva ou heure supplémentaire consacrée à l’étude de la Torah renforce la solidité de cette tunique, véritable bouclier qui fait barrière au mauvais penchant et l’empêche de s’attaquer à lui.
D’où l’enseignement de nos Sages, de mémoire bénie (Chabbat 114a) : « Tout érudit qui a une tache sur son habit est passible de mort. » En d’autres termes, si le vêtement spirituel d’un homme s’est sali suite à une faute commise, ou si sa tunique de maître est souillée par une petite saleté, résultant par exemple d’un léger relâchement dans l’étude de la Torah, elle perd son pouvoir protecteur, exposant l’homme aux dangers menaçants du mauvais penchant. Or, celui qui se place ainsi dans un danger spirituel est passible de mort. Nos Maîtres affirment par ailleurs (Kiddouchin 30b) : « J’ai créé le mauvais penchant, et Je lui ai créé la Torah comme antidote ». Car l’étude de la Torah enveloppe l’homme d’un vêtement protecteur, le mettant à l’abri des ruses de son ennemi spirituel.
Aussi, à la complainte des anges : « Que fait ce mortel parmi nous ? », Moché répondit-il : « Avez-vous donc un mauvais penchant parmi vous ? » Il désirait ainsi leur signifier que, n’ayant pas de mauvais penchant, ils n’avaient nul besoin de la Torah, contrairement aux hommes, parmi lesquels ce redoutable adversaire circule constamment, tentant par tous les moyens de les détourner du droit chemin et de les faire tomber dans ses filets. Comment donc des êtres de chair et de sang pourraient-ils résister aux assauts de cet ange de feu, si ce n’est en se couvrant de ce vêtement spirituel, de cette armure que représente la Torah ? La Torah revient donc bien aux hommes, auxquels elle est vitale, et non aux créatures célestes, qui peuvent s’en passer.
Nos Sages interprètent (Yevamot 61a) le verset : « Vous êtes des hommes » (Ye’hezkel 34:31) en expliquant : « Vous êtes appelés “hommes”, alors que les nations du monde ne sont pas appelées “hommes”. » Avec l’aide de D., je propose d’interpréter ainsi ces mots de nos Maîtres : le terme atem (vous) est composé des mêmes lettres que le mot émet (vérité), allusion à la Torah qui est la Vérité absolue. Quant au terme adam (homme), il équivaut à la valeur numérique complète du Nom divin. Autrement dit, par le biais de la vérité, c’est-à-dire de la Torah, que nous étudions, nous avons le mérite d’être enveloppés d’un vêtement spirituel entièrement tissé des Noms divins et de nous voir octroyer le titre d’« homme ». Par contre, les autres peuples, qui ne possèdent pas la Torah, ne sont pas recouverts par cette parure spirituelle et ne bénéficient pas du rayonnement des Noms saints ; ils ne peuvent donc être appelés « hommes ».
Au début de la section de Yitro, il est écrit : « Yitro entendit » (Chemot 18:1), et Rachi de commenter : « Quelle nouvelle a-t-il entendue pour qu’il soit venu ? La séparation de la mer des Joncs et la guerre contre Amalek. » Yitro éprouva un manque, ressentit qu’un vêtement spirituel lui faisait défaut pour mériter le titre d’« homme ». Par ailleurs, il entendit parler de la miraculeuse séparation de la mer Rouge, révélation divine qui suscita un grand éveil, un élan de rapprochement de D. des enfants d’Israël, qui s’exclamèrent : « voici mon D., je vais Lui rendre hommage ». Ce moment élévateur, cette expérience spirituelle qui s’ancra au plus profond de leur être, leur servit, à l’avenir, de vêtement spirituel, formidable protection contre le mauvais penchant. Yitro entendit également qu’Amalek était venu combattre le peuple juif après que celui-ci eut connu un relâchement dans l’étude de la Torah ; il en déduisit qu’un laisser-aller dans ce domaine entache le vêtement spirituel de l’homme, qui n’est alors plus en mesure de lui servir de protection contre le mauvais penchant, allias Amalek. Il est comparable à quelqu’un qui porterait un vêtement de marque froissé et taché, loin de lui rendre honneur. C’est pourquoi Yitro décida de suivre son aspiration de se confectionner lui aussi une « tunique de maître », un vêtement spirituel respectable qui le protégerait des agressions et subterfuges du mauvais penchant.
Puissions-nous tous mériter d’être recouverts d’une reluisante et somptueuse « tunique de maître » ! Amen.