Hanoucca - Des progrès constants
La mitsva de l’allumage des bougies de ‘Hanoucca fait l’objet d’une controverse entre Hillel et Chammaï. Ce dernier préconise, le premier jour, l’allumage de huit bougies, pour aller ensuite en décroissant de jour en jour, tandis que le premier exige l’opposé.
Face à ces deux conceptions si divergentes, on peut en venir à se demander pourquoi il ne serait pas envisageable d’allumer huit bougies chaque jour de ‘Hanoucca, en souvenir du miracle. Une autre question porte sur le nom de cette fête, que l’on pourrait traduire par « inauguration » : n’aurait-on pas dû la nommer d’après la Menora, objet du miracle ?
Le Beth Yossef pose une autre question de fond sur la durée de la fête : le miracle de l’huile n’a vraiment démarré qu’après le premier jour, dans la mesure où ils disposaient de la quantité nécessaire pour un jour. ‘Hanoucca ne devrait-elle pas, de ce fait, être célébrée pendant sept jours, au lieu de huit ?
Avant de répondre, rappelons le commentaire du Midrach sur le verset (Beréchit 1:2) : « des ténèbres couvraient la face de l’abîme ». « Des ténèbres – il s’agit de la puissance grecque, qui obscurcit les yeux d’Israël par ses décrets », notent nos Sages (Beréchit Rabba 2:5). Ils interdirent ainsi l’observance du Chabbat, de la brit mila et de Roch ‘Hodech (la sanctification du nouveau mois). Pourquoi s’en être pris précisément à ces trois points ? Car tous sont des symboles de renouveau, de vitalité et d’attachement sans cesse réitéré de l’homme à la Torah et aux mitsvot, en vertu du principe (Pessikta Zoutra Vaet’hanann 6:6) : « Qu’ils soient chaque jour à tes yeux comme neufs ! »
Ce renouvellement constant responsabilise l’homme, qui réalise alors que « le monde a été créé pour [lui] » (Sanhédrin 37a). Or, c’est justement la Torah et les mitsvot susmentionnées qui lui permettent de vivre cette dimension : la mila, qui fait de l’homme un Juif, le Chabbat, qui le revivifie pour toute la semaine, la sanctification du nouveau mois, éclosion d’un nouveau cycle… autant de points qui permettent à l’homme de se remotiver et de réaliser l’ampleur de sa responsabilité.
En outre, comme le répètent nos Maîtres, le nom ‘Hanoucca provient du mot ‘hinoukh (l’éducation). Pour le jeune enfant, tout est nouveau, chaque expérience, inédite. De même, doit-on vivre notre Service divin avec ce sentiment de fraîcheur et d’innovation à chaque instant, en cherchant sans cesse à se renouveler, en fuyant la routine, les gestes mécaniques, les automatismes (cf. Yechayahou 29:13).
A cet égard, les huit jours de ‘Hanoucca font pendant aux quatre-vingts années moyennes de la vie d’un homme – d’après le verset (Tehilim 90:10) : « La durée de notre vie est de soixante-dix ans, et, à la rigueur, de quatre-vingts ans ». La première bougie de ‘Hanoucca correspond donc aux dix premières années de l’homme.
Dès lors, nous comprenons pourquoi la Halakha fut tranchée d’après Hillel, qui préconise, chaque jour, d’allumer un nombre croissant de lumières. Cela vient nous enseigner l’importance, tout au long d’une vie, de sans cesse avancer et progresser dans le Service divin, sans songer au passé ni s’arrêter un seul instant.
Nous devons en outre nous rappeler qu’au-delà des soixante-dix années de vie imparties à l’homme, toutes les autres sont un don supplémentaire de la part de l’Eternel et, de même que l’homme doit remercier le Créateur pour la trouvaille, à l’époque des ‘Hachmonaïm, du flacon d’huile – qui contenait une quantité nécessaire pour brûler un jour et brûla par miracle huit jours –, il doit Le remercier pour la vie qu’Il lui accorde et Lui demander de lui ajouter dix années aux soixante-dix, afin de pouvoir continuer à progresser. Le but étant que toutes les années de vie d’un homme forment un faisceau fait d’ardeur et d’enthousiasme au service de D.
Nous pouvons à présent répondre à toutes les questions posées en introduction. Plutôt que d’allumer chaque jour huit bougies, on en ajoute une par soir, pour représenter cette notion de renouvellement et de progrès potentiellement infinis dans le Service divin. Si l’on allumait chaque jour huit lumières, cela donnerait à l’homme l’impression qu’il a déjà tout fait et n’a plus rien à ajouter, ce qui représenterait donc l’inverse d’une bénédiction. Au contraire, on veut lui montrer qu’il faut chaque jour progresser, quitte à demander dix nouvelles années pour pouvoir continuer dans ce sens.
L’école de pensée de Chammaï, qui préconise un allumage dans l’ordre décroissant, ne contredit pas ce point, mais fait simplement, à travers ce « compte à rebours », le constat du vieillissement de l’homme qui, chaque jour, se rapproche un peu plus de la mort, pensée qui doit le pousser à redoubler d’ardeur dans sa mission.
La question du Beth Yossef se trouve également résolue, puisque, comme nous l’avons expliqué, les jours de ‘Hanoucca correspondent à la vie de l’homme, et c’est pourquoi on ne se contentera pas d’allumer sept jours, mais huit, en parallèle aux quatre-vingts ans que l’homme souhaite obtenir et optimiser.
Le fait que le rôle de la Menora ne soit pas mis en avant dans le nom de cette fête s’explique aussi. Les Grecs souhaitaient avant tout s’attaquer à la spiritualité du peuple juif et non à leur corps, et c’est pourquoi ils ne s’en prirent qu’à l’huile et non à la Menora elle-même.
Au-delà, leur but était de faire régner dans le monde les ténèbres spirituelles de leur civilisation, de promouvoir l’idéal de l’esthétisme (le noï, terme composé des mêmes lettres que Yavan – la Grèce) et de la satisfaction des envies matérielles. S’ils avaient réussi, le monde entier aurait été détruit, en vertu du principe : « Si ce n’était [de par] Mon alliance avec le jour et la nuit, Je n’aurais pas fixé des lois au ciel et à la terre. » (Yirmyahou 33:25)
C’est là la culture d’Essav, plein de désirs physiques, comme le laisse entendre le verset (Beréchit 25:27) : « Essav devint un habile chasseur, un homme des champs ». Ses activités le laissaient épuisé – comme il le dit lui-même (ibid. 25:30) : « car je suis fatigué ». En vérité, il réservait sa fatigue et sa lassitude au Service divin, tandis qu’il courait pour faire le mal, plein d’énergie.
Le mot ‘Hanoucca, quelle que soit la manière dont on l’envisage, évoque cette problématique. On peut le décomposer en kehou-na’h ou kehou-‘hen. Autrement dit, les Grecs voulaient que les enfants d’Israël se reposent (na’h), se relâchent dans l’étude de la Torah, qu’ils soient assujettis au règne des ténèbres – kehou indique cette notion d’obscurité, comme dans le verset (Beréchit 27:1) : « Il arriva, comme Yits’hak était devenu vieux, que sa vue s’obscurcit » – et à l’empire des sens – la prépondérance de l’esthétique, de la grâce corporelle (le ‘hen). Mais, comme nous l’avons vu, par un renversement… des lettres et de la situation, les enfants d’Israël transformèrent cette période en ‘Hanoucca – ‘hanou et caf-hé : camper autour de D. (les lettres caf-hé, plus un, équivalent au Tétragramme). Ce faisant, c’est aux yeux du Créateur que l’homme trouve grâce, au sens noble du terme.
De notre côté, si nous voulons progresser dans le Service de D. et nous distancier de cette culture, nous devons ajouter et aller de l’avant, en préservant notre spiritualité, à laquelle fait allusion l’huile.
Pour cela, il faut s’auto-éduquer (notion de ‘hinoukh), ajouter chaque jour à l’étincelle divine et faire vibrer en nous la flamme des mitsvot, source de vitalité de notre âme. Tels sont l’essence et le message de ‘Hanoucca : l’importance du renouvellement, de progrès constants tout au long de sa vie et de l’ardeur dans le Service de D.
Résumé
•Nous avons pris pour point de départ la controverse entre Hillel et Chammaï, concernant l’allumage des bougies de ‘Hanoucca. Pourquoi n’allume-t-on pas huit bougies tous les jours de cette fête ? Pourquoi, en outre, porte-t-elle ce nom ambigu, plutôt que d’être qualifiée de « fête de la Menora » ? Nous nous sommes également fait l’écho de la question du Beth Yossef, lequel s’interroge sur le nombre de jours de la fête – huit –, alors que le miracle n’eut lieu, semble-t-il, qu’après le premier jour.
•Les Grecs voulaient lutter contre le renouveau dans le Service divin – phénomène qu’évoque le nom de la fête, dérivé du mot ‘hinoukh (éducation), puisque le jeune enfant vit dans un sentiment de nouveauté incessant, dont nous devons nous inspirer. A ce titre, les huit jours de ‘Hanoucca font pendant aux quatre-vingts années de la vie de l’homme – passés les soixante-dix ans, on prie pour pouvoir continuer notre œuvre –, qui doivent être placées sous le signe du progrès constant. La Halakha fut tranchée d’après l’opinion d’Hillel, qui rappelle cette nécessité d’avancer sans cesse, toute sa vie, dans le Service divin. Par ailleurs, si l’on allumait chaque jour huit bougies, on risquerait de se fourvoyer, de penser qu’on est déjà arrivé à la perfection et qu’on n’a plus rien à ajouter.
•Tel est le message de ‘Hanoucca : face aux Grecs qui cherchèrent à placer les Juifs dans une atmosphère de kehou-na’h ou de kehou-‘hen – d’obscurité, de relâchement et d’esthétisme –, face à ces persécuteurs qui s’attaquaient à la spiritualité (à l’huile et non à la Menora), les enfants d’Israël réagirent en campant autour de D. (‘hanou-ca), prenant conscience de la nécessité de progresser sans relâche et de consacrer toutes ses aspirations à D.