Le petit flacon d’huile

Dans le traité Chabbat (21b), nos Sages se penchent sur les tenants et aboutissants de ‘Hanoucca : « Après des recherches, ils ne trouvèrent qu’un flacon d’huile (lo matsou éla pakh é’had). » Cette tournure, traduite ici littéralement, ne manque de surprendre le Tiférèt Chemouel : pourquoi ne pas lui avoir préféré un adverbe à valeur restrictive : « Ils trouvèrent seulement (rak) un flacon » ?

Le récit des faits suscite d’autres interrogations : pourquoi les Grecs se contentèrent-ils de desceller les flacons d’huile trouvés dans le Temple, plutôt que de les briser ? De fait, pourquoi perdirent-ils tellement de temps pour les ouvrir un à un et en verser l’huile ? En quoi cette huile les dérangeait tellement ? Quel secret recelait cette substance, que les Grecs semblaient tant redouter ? Pourquoi ne brisèrent-ils pas plutôt la Menora elle-même ?

On peut également se demander pourquoi le miracle de ‘Hanoucca ne donne pas lieu, d’année en année, à un banquet, comme celui de Pourim et, dans le sillage de cette comparaison, pourquoi ne lit-on pas le récit du miracle de ‘Hanoucca dans une Meguila ?

La bénédiction prononcée lors de l’allumage est elle aussi sujette au questionnement : « Qui a opéré des miracles pour nos pères en ces jours à cette période ». Quel est le rapport entre la formule « en ces jours » – qui évoque le passé – et l’atemporel « à cette période » – qui renvoie à notre époque ?

Au-delà de l’aspect évènementiel, la trame de l’histoire de ‘Hanoucca laisse apparaître la volonté des Grecs de détourner les enfants d’Israël de leur foi et de leur faire oublier les statuts de la Torah. Le miracle se déroula donc essentiellement à ce niveau. Dans ce cas, pourquoi nos Sages insistent-ils tellement sur le rôle de l’huile ? N’auraient-ils pu se contenter d’évoquer la victoire militaire du peuple juif contre les Grecs, qui ne parvinrent pas à leur faire renier leur foi ?

Pour commencer, le prodige essentiel est le fait que la quantité minime d’huile pure découverte ait brûlé huit jours – prodige qui inclut tous les autres. Or, les Grecs savaient que les Juifs sont comparés à l’huile, indissoluble : envers et contre tout, ils gardent leur spécificité et refusent de s’assimiler (Chemot Rabba 36:1). De même que l’huile apparaît toujours clairement à la surface, ainsi le peuple juif est-il toujours reconnaissable et distinct.

L’huile évoque également l’âme, parcelle divine supérieure. De même, le peuple juif vit-il au-delà des contingences naturelles. La Menora, à ce titre, est comparée au corps. Faite d’un seul bloc – exigence qui représenta pour Moché une grande difficulté dans sa conception jusqu’à ce que D. l’assiste (Mena’hot 29a) –, à l’instar du corps humain, qui n’est pas composé, contrairement à ce que l’on pourrait croire, de pièces détachées mais a une unité initiale. En outre, l’enveloppe corporelle est composée de deux cent quarante-huit membres et trois cent soixante-cinq tendons, en parallèle aux six cent treize mitsvot (Maccot 24a), indissociables et interdépendantes. Si l’homme porte atteinte à une seule mitsva, il altère, à D. ne plaise, l’ensemble des commandements. L’inverse est heureusement aussi vrai : « Une mitsva en entraîne une autre. » (Avot 4:2) L’accomplissement d’un seul commandement permet l’amendement et la mise en pratique de tous les autres.

Ainsi, l’âme, dans son parallèle avec l’huile, donne force et vigueur au corps – la Menora – pour éclairer et accomplir tous les commandements de D. Ce concept apparaît clairement dans le verset (Bamidbar 8:2) : « quand tu élèveras les lumières, c’est vers le vis-à-vis de la face de la Menora qu’éclaireront les sept lumières. » En d’autres termes, si l’on veut que l’âme éclaire, elle doit être orientée « vers le vis-à-vis de la face de la Menora » – face au corps, auquel elle doit être liée.

Conscients de ce parallèle, les Grecs ne s’en prirent pas à la Menora, leur but n’étant pas de briser le corps du Juif mais de le perturber, d’« éteindre » son âme, afin de le détourner des statuts de la Torah.

La lutte des Grecs, une lutte contre l’âme

De même, les Grecs ne brisèrent pas les flacons d’huile, lesquels évoquent aussi le corps. Plutôt que de briser ce dernier, ils s’attaquèrent à l’huile, allusion à l’âme, qu’ils voulaient retirer du corps, et c’est ce qui permet de comprendre pourquoi les occupants s’attaquèrent avec un acharnement aussi méthodique aux flacons d’huile. Ils visaient ainsi une « ablation » spirituelle – faire oublier aux enfants d’Israël leur lien avec la Torah : « leur faire oublier la Torah et les détourner des statuts de Ta volonté ». Nos Sages ont donc choisi de souligner le rôle prépondérant de l’huile dans le miracle, puisque c’est l’âme – flambeau qui éclaire la voie de l’homme – qui était en danger, que les Grecs voulaient souiller.

Comment les Grecs comptaient-ils mettre à exécution leurs desseins ? Comment pensaient-ils supprimer l’âme ? Ils savaient que les enseignements de Torah s’oublient lors d’un moment de flottement, de dispersion (Taanit 7b). Pour détourner l’esprit du Juif de la Torah, il faut donc y introduire des mauvaises pensées. C’est pourquoi les Grecs soumirent les enfants d’Israël à l’influence délétère de leur civilisation, afin de leur faire oublier la Torah.

Toutefois, même si la Menora – le corps – fut éteinte, même si l’huile – l’âme – fut profanée, la sainteté ne disparut pas et son étendard fut levé par Matityahou et ses fils – incarnation du petit flacon d’huile – qui permirent la réédification du peuple juif. Au prix d’un dévouement hors pair, ils s’élevèrent pour la sainteté du Nom divin et luttèrent de toutes leurs forces contre les Grecs, certains que quelque part dans le Temple, il restait un flacon intact, certitude qui guida d’ailleurs leurs fouilles. Animés de la conviction qu’« Israël n’est pas veuf » (Yirmyahou 51:5) et qu’« Il ne dort ni ne sommeille le Gardien d’Israël » (Tehilim 121:4), ils finirent par dénicher une petite quantité d’huile pure. Le fait qu’ils ne trouvèrent qu’un seul flacon est aussi édifiant : est-on conscient de la valeur suprême d’une seule âme ?

Cette trouvaille était donc une allusion céleste au fait que dorénavant, il leur faudrait fournir encore plus d’efforts pour répandre et développer la Torah et les mitsvot. Or, si Rabbi Akiva, exemple ô combien révélateur, qui n’avait pas étudié jusqu’à l’âge de quarante ans (Beréchit Rabba 100:11) et ne s’était impliqué qu’à partir de cet âge dans la Torah pour bientôt devenir un géant, avait pris plus tôt conscience de la valeur incommensurable de l’âme, il se serait attelé à la tâche bien avant !

Le choix des termes de la Guemara, qui a sciemment voulu éviter le terme « seulement » (rak), est, à cet égard, révélateur. Les enfants d’Israël ne trouvèrent qu’un flacon d’huile mais se gardèrent de déclarer en avoir trouvé seulement (rak) un. Car sous la domination grecque, les enfants d’Israël furent dans une large mesure influencés par cette culture délétère – on pouvait alors trouver toute une frange de Juifs « hellénisants ». Aussi, dès que les ‘Hachmonaïm trouvèrent ce flacon, ils comprirent qu’il s’agissait d’un grand miracle, qui permettrait de purifier de nouveau les âmes. Pour décrire ce phénomène, ils se gardèrent donc d’employer un terme à connotation péjorative, tel que rak – à rapprocher de rèk (vide). En effet, ils voulaient fuir tout ce qui pouvait évoquer la vacuité et, au contraire, ouvrir le petit flacon – autrement dit, se consacrer à la Torah et aux mitsvot – afin de constituer une entité monolithique au Service de D., à l’instar de la Menora (Chemot 25:31). Car l’absence d’efforts dans l’étude attire le vide ; seule la Torah emplit le cœur de sainteté, de pureté, et permet de se lier à D.

A la lumière de ces explications, nous pouvons comprendre le texte que l’on a l’habitude de lire après l’allumage : « Ces lumières sont sacrées, et nous n’avons pas le droit de les utiliser [dans un autre but] mais uniquement de les contempler. » Du fait que l’huile fait référence à l’âme, il est interdit de s’en servir à des fins séculières, ce qui reviendrait à la dégrader, un peu à la manière dont il est interdit d’utiliser une bougie ayant permis l’accomplissement d’une mitsva dans un but profane, pour en tirer un profit matériel (Chabbat 22a). Les bougies renvoient par ailleurs aux mitsvot, parallèle établi dans le verset (Michlé 6:23) : « Car la mitsva est un flambeau, et la Torah une lumière. » L’homme n’a donc pas le droit d’utiliser les mitsvot dans un intérêt personnel, pour en tirer un profit quelconque, mais seulement pour accomplir la Volonté divine.

Ainsi, pour en revenir à l’époque de ‘Hanoucca, lorsque les enfants d’Israël goûtèrent aux « lumières » de la civilisation grecque, ils perdirent leur étincelle divine supérieure. Par la suite, à travers la miraculeuse trouvaille d’un petit flacon d’huile hermétiquement scellé, ils comprirent que c’était cela le prodige : rester imperméable aux influences extérieures, « uniquement consacré à l’Eternel ». Cependant, il leur fallait encore ouvrir le flacon : être ouverts, réceptifs à la Torah et aux mitsvot, sans quoi ils resteraient soumis à l’influence hellénistique. Ce n’est qu’en rejetant cette culture délétère que l’âme pourrait retrouver sa place.

Nous comprenons à présent l’absence de banquet à ‘Hanoucca, comme pour mettre un bémol au miracle : la culture grecque n’est pas morte, le miracle n’est pas tout à fait complet, et nous n’avons pas atteint la perfection. C’est pourquoi nous louons et glorifions le Tout-Puissant, « Qui a opéré pour nous – et nos pères – des miracles en ces jours », miracles dont l’influence se fait ressentir jusqu’à « à cette période », jusqu’à notre époque, nous permettant de surmonter encore aujourd’hui les influences étrangères toujours persistantes.

Pour la même raison, nous ne lisons pas de Meguila à ‘Hanoucca comme nous le faisons à Pourim, sur l’ordre d’Esther (Meguila 7a), désireuse de marquer la fin des miracles. Le miracle de ‘Hanoucca n’est pas clos, et chaque Juif doit se fermer et rester étanche aux influences et cultures étrangères, condition sine qua non pour que son âme s’embrase pour D.

Résumé

 •Dans le récit du miracle de la fiole d’huile, pourquoi nos Sages ont-ils évité l’emploi du terme rak (seulement) pour évoquer cette trouvaille providentielle ? Quel est le secret de cette substance ? Pourquoi les Grecs ne brisèrent-ils ni les flacons d’huile, ni la Menora ? Pourquoi, à la différence de Pourim, ne célèbre-t-on pas ‘Hanoucca par un banquet ou par la lecture d’une Meguila ? Que signifie l’expression : « en ces jours, à cette période » ? Pourquoi l’huile est-elle considérée comme le principal vecteur du miracle ?

 •Les Grecs ne voulaient pas détruire le corps mais l’âme du Juif, symbolisée par l’huile, tandis que la Menora rappelle l’enveloppe charnelle. L’ensemble des mitsvot – lesquelles font pendant aux deux cent quarante-huit membres et trois cent soixante-cinq tendons du corps humain – est monolithique. La trouvaille d’un unique flacon d’huile pure prouvait qu’« Israël n’est pas veuf », et combien D. protège Son peuple et désire son bien. Cette trouvaille portait en elle l’espoir de se débarrasser des Grecs et de toutes les cultures étrangères. Ce flacon était scellé, pour leur signifier qu’il leur appartenait de l’ouvrir – d’ouvrir leur âme à la spiritualité – et d’être riches en Torah, mitsvot, et non pas vides (rèk, à rapprocher du terme rak).

 •« Ces lumières sont sacrées et nous l’avons pas le droit de les utiliser [dans d’autres buts]. » Ces flammes représentent les mitsvot et l’âme, qui ne doivent pas être détournées de leur but sacré, du Service divin, au profit du domaine profane. Nous n’organisons pas de banquet à ‘Hanoucca ni ne lisons de Meguila car le miracle n’est pas entier, étant donné que la culture grecque a des résurgences jusqu’à notre époque. A ‘Hanoucca, nous attendons que se dévoile la lumière divine et louons D. pour Ses miracles. Pour rester dans cet esprit, nous devons être semblables à ce flacon scellé, hermétiques à toutes les influences pernicieuses, afin que l’âme puisse éclairer notre intériorité.

 

Hevrat Pinto • 32, rue du Plateau 75019 Paris - FRANCE • Tél. : +331 42 08 25 40 • Fax : +331 42 06 00 33 • © 2015 • Webmaster : Hanania Soussan