Une joie spirituelle

« Lorsqu’arrive le mois d’Adar, on multiplie la joie », énoncent nos Maîtres (Taanit 29a). S’ils associent ce sentiment au mois d’Adar dans son ensemble, à plus forte raison le ressentons-nous avec une acuité redoublée lors du Chabbat Chekalim, et plus particulièrement encore lorsqu’il tombe à Roch ‘Hodech Adar, puisque c’est à la fois Chabbat, Roch ‘Hodech et le jour où on lit la paracha de Chekalim. On peut alors atteindre une joie infinie.

Cependant, pour reprendre à notre compte ce célèbre principe mis à jour par Rabbi Sim’ha Bunim de Pchiss’ha zatsal, la préparation à une mitsva est supérieure à la mitsva elle-même. Aussi, si nous redoublons de zèle pour nous préparer dûment à ce Chabbat, nous mériterons vraiment d’atteindre une grande joie, qui s’étendra sur l’ensemble du mois.

En outre, la récitation du Hallel que nous faisons au cours de ce Chabbat est à même d’éveiller un tel sentiment, en cela qu’elle nous permet de ressentir la différence entre ce Chabbat, si particulier, et tous les autres de l’année.

Une difficulté subsiste néanmoins : comment pouvons-nous être sûrs d’avoir ressenti en ce jour un surcroît de joie, lié au mois d’Adar, alors que nous sommes toujours joyeux le Chabbat ? De plus, quelle est notre mission spécifique du moment, qu’il ne faudrait pas rater ?

Autre question : on connaît l’enseignement de nos Sages selon lequel « le premier Adar, on récite (litt. « fait écouter ») [la section des] Chekalim » (Chekalim, début du premier chapitre ; Pessikta Rabbati 11:1). Pourquoi est-il ici question d’écoute ? Pourquoi n’avoir pas dit, plus simplement, « le premier Adar, on proclame d’apporter le demi-sicle » ?

Enfin, quel est le rapport entre Pourim et Yom Kippour, parallèle établi par nos Maîtres qui soulignent que Yom Hakippourim est « le jour comme Pourim » ? Un fossé semble pourtant séparer les deux célébrations – la solennelle de l’exubérante ! A Kippour, on prie, on jeûne et on se répand en pleurs et supplications, tandis qu’à Pourim, on se réjouit et laisse libre court à sa joie, au point d’en venir à confondre « Maudit soit Haman ! » et « Béni soit Mordekhaï ! » (Meguila 7b) On peine à trouver un fil conducteur entre les deux.

Comme nous l’avons déjà expliqué à plusieurs reprises, l’or et l’argent sont l’un des principaux éléments perturbateurs dans le Service divin. Car la cupidité peut nous détourner des vraies priorités et du Créateur. Il faut donc sans cesse se rappeler que toute la fortune du monde n’appartient qu’à D., comme le clame le prophète (‘Haggaï 2:8) : « A Moi l’argent, à Moi l’or, dit l’Eternel-Tsebakot. »

Pour le même motif, il n’est pas dit : « ils Me donneront une offrande » mais : « ils prendront pour Moi une offrande ». Car, en vérité, l’homme ne se défait pas de ses biens propres mais ne fait qu’« emprunter » au Créateur pour accomplir des mitsvot. Si nous gardons cette réalité présente à l’esprit, il nous sera très facile de n’employer notre argent qu’à des fins de mitsvot et non pour des futilités. Le cas échéant, la fortune ne pourra nous aveugler.

C’est aussi pourquoi nos Sages ont affirmé que, le premier Adar, « on doit faire entendre le sujet des chekalim » et n’ont pas dit qu’il faut proclamer l’obligation de donner un demi-chékel. Car de fait, on ne donne rien à D., puisque tout ce que l’on croit donner provient de Lui, outre le fait que l’argent est loin de représenter l’essentiel. Aussi, en ce jour, les collecteurs de tsedaka faisaient la tournée des synagogues en faisant retentir le bruit des pièces de la boîte destinée à cet usage, afin de rappeler à chacun, à travers ce don, son devoir de donner de l’argent à la tsedaka. Tous réalisaient alors que l’argent n’est pas l’essentiel, mais n’est qu’un moyen pour servir D. Au mois d’Adar, un accent particulier est mis sur cette mitsva, notamment à travers les matanot laévyonim, visant à ce que tous – y compris les pauvres – puissent ressentir la joie de la fête.

Lorsque l’homme suit cette voie, il met du baume au cœur des malheureux et des déshérités, tandis qu’il jouit lui-même d’une joie suprême. Il peut alors percevoir si ce sentiment de joie intense, supérieur à tout autre moment de l’année, est lié à l’arrivée du mois d’Adar.

En outre, il montre par ce comportement que c’est bien l’Eternel Qui a créé et dirige le monde et qu’il n’est rien en dehors de Lui, comme le prouve l’identité numérique (480) entre le mot Chekalim et l’expression « boré haolam oumanhigo – créateur du monde et Son dirigeant ». Cette paracha nous rappelle donc que tout appartient à D. et que tout vient du Ciel.

Cela nous permet également de comprendre l’adage : « Lorsqu’arrive le mois d’Adar, on multiplie la joie. » (Taanit 26b) Concrètement, comment multiplie-t-on la joie ? Comment s’assurer qu’on l’a vraiment amplifiée ? Comme nous le savons, en ce mois, Amalek vint attaquer les enfants d’Israël à Refidim (Chemot 17:8). Mais comment osa-t-il s’en prendre à eux après avoir entendu tous les miracles opérés en leur faveur en Egypte et sur la mer Rouge ?

La réponse se trouve sous la plume de nos Sages (Mekhilta Bechala’h 17:8 ; Tanna debé Elyahou Rabba 23) : « Refidim – car ils s’étaient relâchés (litt. rafou yédéhem – affaiblis) dans l’étude ». De quelle nature était ce relâchement ? Amalek a la même guematria que le mot safek (le doute), terme dont les lettres peuvent être interverties avec celles du mot kessef (argent). En d’autres termes, dès qu’Amalek apprit que les enfants d’Israël étaient sortis d’Egypte avec de grandes richesses, il sentit que le moment était propice pour lancer son attaque ; c’était le moment d’instiller des doutes dans leur cœur, sentit-il, de les pousser à préférer l’or et l’argent et à se relâcher dans le Service divin. Amalek comprit qu’ainsi, il pourrait les vaincre.

Notons d’ailleurs que nos Sages n’affirment pas qu’ils avaient totalement délaissé l’étude, mais qu’ils s’étaient mis à porter sur la fortune un regard « dévoyé », en venant à la considérer comme une fin et non comme un moyen, et c’est ce qui permit à Amalek de s’infiltrer dans la brèche, de venir les combattre et de refroidir leur cœur. Le point de départ de cette attaque : le léger relâchement des enfants d’Israël dans l’étude, du fait de leur soudain attrait pour l’argent. Or, la Torah est de feu et a été donnée dans le feu (Taanit 7a ; Pessikta Yitro 20:2). A sa flamme, l’homme se réchauffe. Aussi, s’il la délaisse, Amalek peut venir le refroidir. D’ailleurs, le fait que si l’on additionne le mot Amalek et la lettre samekh du mot safek, on obtient la guematria du mot kar (froid) est éloquent. La lumière est ainsi faite sur les machinations d’Amalek.

Lorsque nos Sages énoncent : « Lorsque le mois d’Adar arrive, on multiplie la joie », ils évoquent le fait qu’en ce mois, les méfaits d’Amalek, venu combattre le peuple juif et en refroidir l’ardeur, se « réveillent ». Mais si l’on s’efforce alors de multiplier la joie, propre de la Torah, en s’attelant à son étude, on peut le vaincre et ressentir une joie vraiment intense et véritable.

A cet égard, nos Maîtres témoignent (Chabbat 88a) qu’une nouvelle acceptation de la Torah a eu lieu à l’époque de la Meguila, outre le fait que le mot Adar a la même valeur numérique que le mot har (montagne), allusion au mauvais penchant (Soucca 52a). En d’autres termes, lorsqu’arrive le mois d’Adar – le Satan –, on doit multiplier la joie de la Torah, ce qui permet de se débarrasser de lui.

Le mot har peut par ailleurs être compris comme une allusion au mont Sinaï, théâtre du don de la Torah, du « mariage » avec D. qu’il représentait. Il faut donc se rappeler le jour du don de la Torah, où la joie de l’Un comme des autres était à son apogée. Car en ce jour, D. leur avait fait goûter à Sa bonté infinie et leur avait donné 50 niveaux de sainteté. A ce moment-là, Il avait pénétré les cœurs des enfants d’Israël.

A la lumière de ces explications, proposons une interprétation inédite du fait que les Juifs se déguisent à Pourim, le changement de vêtements les rendant méconnaissables. Ceci nous permettra également de comprendre le parallèle déroutant entre Yom Kippour et Pourim, mentionné au début de notre développement.

Nos Sages affirment (Maccot 23b) que les 248 mitsvot positives sont comparables aux 248 membres du corps humain. De ce fait, si l’homme ne se montre pas à la hauteur d’une de ces mitsvot, il porte atteinte au membre correspondant et, s’il commet beaucoup de fautes, il en vient jusqu’à perdre l’image divine gravée en lui.

Or, nos Sages affirment, quant à la génération de Mordekhaï, qu’elle s’était rendue coupable pour avoir participé au banquet d’A’hachvéroch (Meguila 12b) ; leur « forme » s’était donc dégradée.

Toutefois, par un effet de la Bonté divine, ils se repentirent et méritèrent de retrouver cette image divine, cet éclat du visage, au point que la situation se renversa de façon positive, comme le souligne le verset : « ce fut le contraire qui eut lieu » (Esther 9:1). On comprend dès lors cette coutume de se travestir en ce jour, souvenir du changement d’orientation pris par les enfants d’Israël, qui reprirent de nouveau « bonne figure ». En outre, du fait de ce changement positif, il est évident que leur joie atteint des sommets incommensurables, au point qu’elle fut partagée dans les mondes supérieurs.

Nous savons d’un autre côté que la figure énigmatique d’Esther renvoie au voilement de la Face divine, comme le précisent nos Sages (‘Houlin 139b) : « Où trouve-t-on allusion à Esther dans la Torah ? Dans la tournure : “Moi-même, Je leur voilerai (aster astir) Ma face” (Devarim 31:18). » Mais, par la techouva, le miracle apparut de nouveau aux yeux de tous. A ce titre, lorsque les tsaddikim se déguisent, ils dissimulent leur grandeur. Sous le masque, il devient impossible de les distinguer du commun des mortels, et même des impies.

De ce fait, on a pris l’habitude de se déguiser à Pourim, afin que D. pardonne « indistinctement » à tous, justes comme impies, car à un moment, tous ont le même aspect… Ainsi, si les accusateurs viennent pour remplir leur rôle diffamateur, D. blanchit aussitôt les pécheurs et les travestit à l’instar des justes. Le terme ta’hposset (« déguisement ») a d’ailleurs la même valeur numérique que les mots mo’hel vesoléa’h (« pardonne et excuse »). Le Tout-Puissant passe ainsi l’éponge pour tous et sur tout, dans l’esprit du verset (Yechayahou 1:18) : « Vos péchés fussent-ils comme le cramoisi, ils peuvent devenir blancs comme neige. »

A présent, on comprend le parallèle entre Pourim et Yom Kippour. De même qu’à Yom Kippour, tous font techouva et D. accorde à tous – justes et impies – pardon et absolution, à Pourim, D. change l’aspect de tous et pardonne leurs fautes à tous. Dès lors, on comprend la nature de la joie spirituelle d’Adar et de Pourim.

Résumé

 •Lorsqu’Adar arrive, on multiplie la joie. Ce sentiment est d’autant plus intense lors du Chabbat Chekalim, et davantage encore lorsque celui-ci tombe à Roch ‘Hodech. C’est une préparation à l’ensemble du mois. Mais comment pouvons-nous savoir si nous avons réellement marqué un surplus de joie en ce mois ? Et pourquoi insiste-t-on sur le fait qu’on devait entendre la parachat Chekalim ? Qu’est-ce que la notion d’écoute vient faire ici ? En outre, comment nos Sages ont-ils pu comparer Yom Kippour à Pourim, alors que le premier est un jour de recueillement, de jeûne et de prière, et le second un jour de joie, où on fait bombance ?

 •L’or et l’argent perturbent le Service divin dans la mesure où l’homme risque de transformer l’accessoire en essentiel. Au contraire, s’il réalise que tout provient de D., il utilisera l’argent pour pratiquer la tsedaka et les mitsvot, notamment en ce mois d’Adar, où on donne la charité aux pauvres (matanot laévyonim). Si l’on aborde la paracha de Chekalim sous l’angle de l’écoute, c’est pour souligner combien il est important de rappeler au peuple que l’argent n’est pas l’essentiel et qu’il n’est qu’un moyen pour servir le Créateur. L’homme qui garde ainsi à l’esprit que D. dirige le monde méritera toutes les bénédictions.

 •Nos Sages nous enjoignent d’augmenter la joie en Adar, car Amalek s’était attaqué à notre peuple lorsqu’il s’était relâché dans l’étude, suite à l’importance excessive donnée à l’argent – notamment le butin égyptien – peu après leur sortie d’Egypte. Amalek en avait profité pour refroidir leur ardeur. Le terme Adar a la même valeur numérique que le mot har, allusion au mauvais penchant, soit Amalek, qui cherche à attaquer au mois d’Adar. Pour le contrer, il faut multiplier la joie – celle de la Torah – et se renforcer dans la Torah écrite et orale. Tel est le secret pour vaincre le mauvais penchant, se rapprocher de D. et mériter la joie véritable, celle de la Torah, que les enfants d’Israël acceptèrent de nouveau à l’époque de la Meguila.

 •Les 248 mitsvot positives font pendant aux 248 membres du corps humain et, si l’homme faute, il porte atteinte à l’image divine gravée en lui, au point que toute son apparence en est modifiée. Lorsque les enfants d’Israël firent la faute de participer au banquet d’A’hachvéroch, leur aspect en fut changé. Par la suite, lorsqu’ils se repentirent, leur visage retrouva son éclat divin. C’est pourquoi se déguise à Pourim, en souvenir de ce changement de forme. En outre, le déguisement masque les différences apparentes entre impies et justes. Si tous font techouva dans un seul élan, D. leur pardonne à tous au même titre. Dès lors, la similarité entre Yom Kippour et Pourim devient évidente : l’un comme l’autre sont marqués par la techouva, d’où découle justement la joie spirituelle propre au mois d’Adar et à Pourim.

 

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