Un accomplissement parfait des mitsvot ou ignorer les tentatives de détournement du mauvais penchant

« L’homme a l’obligation de s’enivrer à Pourim au point d’en venir à confondre “Maudit soit Haman !” et “Béni soit Mordekhaï !” » (Meguila 7b). Cette célèbre affirmation de nos Sages éveille plusieurs questions, entre autres celle de déterminer pourquoi « l’indicateur » d’ivresse qu’ils y donnent est la confusion entre les deux principaux antagonistes de la Meguila.

Précisons, pour répondre, que le Satan tente à chaque instant de gagner la confiance de l’homme, au point qu’il peut en venir à lui conseiller de ne pas commettre telle faute pour mieux développer son emprise sur lui et pouvoir, par la suite, le faire trébucher dans un autre domaine, processus longuement décrit dans la Guemara (Chabbat 105b) : « Aujourd’hui, il suggère à l’homme : “Fais ceci !”, demain : “Fais cela !”, jusqu’à l’amener, de fil en aiguille, à servir l’idolâtrie. »

Nous savons par ailleurs que, dans tout ce qui a trait à la sainteté, le Satan se présente en perturbateur afin d’entraver l’élévation de l’homme, comme en firent l’expérience un Iyov (Job) – « Et le Satan se présenta parmi eux (Iyov 1:6) – ou un cohen gadol de la stature de Yehochoua – « le Satan se tenait à sa droite pour l’accuser [pour le perturber dans son service] » (Zekharya 3:1).

A propos de cette dernière citation, le ‘Hafets ‘Haïm pose une question devenue célèbre : pourquoi le Satan choisit-il de se tenir à la droite du grand prêtre, lui qui, par nature, se trouve « à la gauche » – le côté du mal – de l’homme. Et de répondre que, parfois, il se présente précisément à sa droite, pour l’aider à surmonter… le mauvais penchant, autrement dit lui-même ! Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il encourage l’homme à accomplir des mitsvot qui, par la suite, deviendront des embûches sur sa voie. Il faut donc se tenir sur ses gardes pour éviter de tomber sous sa coupe, car il dispose d’une large marge d’activité.

En conséquence, on réfléchira avant d’agir pour déterminer si notre aspiration à accomplir telle ou telle mitsva provient du bon penchant – auquel cas on devra se dévouer pour l’accomplir avec minutie, dans ses moindres détails – ou du mauvais – le cas échéant, il sera préférable d’en repousser l’exécution. En d’autres termes, on devra réaliser qui se tient à notre droite à ce moment donné – est-ce le bon ou le mauvais penchant ?

Or, d’après les indications de nos Maîtres (Avot 4:2 ; Avot deRabbi Nathan 25:4), « une mitsva en entraîne une autre, et une faute en entraîne une autre ». Aussi, en observant les conséquences de nos actes, il deviendra possible de déterminer quel était leur moteur.

De même, si une mitsva se présente à l’homme au moment où il en accomplit une autre et, pour accomplir celle-ci, il doit interrompre la précédente, il ne doit pas perdre de vue le principe : « Quiconque accomplit une mitsva est dispensé de toute autre » (Soucca 25a), et prendre conscience que c’est l’une des ruses du mauvais penchant. Car lors de la réalisation d’une mitsva, l’homme crée des mondes et suscite un contentement divin incommensurable. Dans cette optique, il est inconcevable qu’il s’interrompe brusquement.

Dans le même ordre d’idées, nos Sages affirment (Avot 3:7 ; Zohar III 80a) : « Celui qui, tandis qu’il chemine, étudie la Torah mais s’interrompt pour dire : “Comme cet arbre est beau ! Comme ce champ est bien labouré !” se rend, d’après le texte, passible de mort. » Pourquoi ont-ils recours spécifiquement au vocable d’arbre, et non de fruit ou de toute autre belle création ? Quel est le message sous-jacent à ce choix sémantique ? Pourquoi, en outre, est-il question de celui qui étudie au cours de son déplacement et pas, plus simplement, de l’homme plongé dans l’étude, qui fait une brusque pause ? Enfin, pourquoi une punition aussi lourde ? N’est-ce pas disproportionné, quand pour d’autres fautes d’une telle gravité, il n’est pas question d’un châtiment identique ?!

Comme point de départ à notre réponse, nous allons nous baser sur l’introduction du Ilan Hakadoch, où il est indiqué que, lors de l’accomplissement d’une mitsva, quelle qu’elle soit, l’homme doit avoir l’intention d’unifier les deux Noms divins – Tétragramme et Nom de Souveraineté –, dont la somme des guematriot est identique à celle du mot ilan (« arbre »). Dès lors, il devient évident que si l’homme interrompt son étude, il porte atteinte à cet « arbre » – aux Noms divins. C’est là le sens des propos de nos Sages : « Celui qui interrompt en cours de route son étude – ou, en l’occurrence l’accomplissement d’une mitsva – se rend passible de mort, pour avoir porté atteinte aux Noms divins.

Par le terme de mehalekh – « celui qui chemine » –, le texte laisse entendre, ou bien cette idée d’une mitsva qui s’est soudain présentée à lui, ou bien nous livre symboliquement, au-delà d’un voyage pédestre ou d’une simple promenade au sens propre, une allusion au cheminement intellectuel de l’étude – le fameux « si dans Mes statuts vous cheminez » –, qui exige un profond investissement. Ainsi, celui qui interrompt l’accomplissement d’une mitsva ou l’étude de la Torah, porte atteinte à « l’arbre » – aux deux Noms – et sa punition n’en est que plus lourde.

Cependant, si nous avons explicité le concept d’arbre, il reste à comprendre ce que vient faire ici celui de champ (nir), et pourquoi la punition de la faute est évoquée en lieu et place de ses conséquences (l’atteinte portée aux Noms divins). En outre, la notion de cheminement semblerait signifier que celui qui interrompt son étude alors qu’il étudiait assis n’est pas coupable d’une telle faute. Est-ce concevable ?

En vérité, la situation que nous décrivent nos Sages vise, me semble-t-il, à mettre en lumière les ruses du mauvais penchant qui, parfois, se présente à l’homme en lui suggérant d’accomplir les mitsvot, allant même jusqu’à lui rappeler qu’il réparera ainsi de nombreux mondes ainsi que les deux Noms divins, et ce, afin que l’homme l’écoute et agisse selon ses suggestions. Mais soudain, il lui dit : « Comme ce champ est beau ! », le détournant complètement du droit chemin.

A ce sujet, j’ai déjà entendu un Rav faire remarquer que le mot nir a la même valeur que l’expression « zéhou Amalek – c’est Amalek » (en prenant en compte les deux notions elles-mêmes). Autrement dit, le mauvais penchant susurre ensuite à l’homme de s’arrêter en cours de mitsva pour mieux se concentrer sur l’arbre – les Noms divins. Il s’agit en fait de manœuvres visant à attirer l’attention de l’homme sur les subtilités du paysage afin de le détourner du droit chemin.

Par conséquent, l’homme doit s’efforcer de se concentrer sur la démarche d’unification du Nom divin qu’impliquent ses mitsvot avant leur accomplissement, et non au cours de celui-ci, car c’est là l’une des ruses du mauvais penchant. S’interrompre « en cours de route » selon les conseils du mauvais penchant, c’est se remettre totalement entre ses mains, lui « vendre son âme » et par conséquent, se rendre passible de mort.

On conçoit à présent qu’il n’existe pas de véritable différence de fond entre le fait de cheminer ou de rester assis, car le simple fait de s’arrêter pour prêter attention aux suggestions du mauvais penchant le rend condamnable. C’est pourquoi, plutôt que de mettre l’accent sur le tort qu’il cause, l’accent est mis sur la peine encourue.

D’après l’explication allégorique, soulignons qu’un cheminement interrompu justifie une telle sévérité, puisque cela va à l’encontre de la nécessité d’avancer « de force en force – mé’hayil el ‘hayil » (Tehilim 84:8). A noter d’ailleurs que les initiales de cette expression emblématique ont une valeur numérique de quarante-neuf. De ce fait, celui qui s’interrompt dans sa progression spirituelle risque fort de tomber dans les quarante-neuf portiques d’impureté. Il convient au contraire de progresser sans cesse pour parcourir le chemin inverse en sainteté, jusqu’à atteindre le cinquantième palier de pureté, la plus grande proximité par rapport à D.

Prenons donc compte de l’indication de nos Maîtres (Pessa’him 7b ; Yerouchalmi Berakhot 7:1) : « L’homme devra toujours réciter la bénédiction afférente avant l’accomplissement d’une mitsva. » En d’autres termes, il faut unifier le Nom divin avant l’accomplissement et non au cours de celle-ci – ce qui constitue, comme nous l’avons dit, l’une des ruses du Satan. Pour lui échapper, il faut donc s’efforcer, d’une part, d’avoir les intentions adéquates avant d’accomplir les mitsvot, mais aussi de ne pas s’interrompre au milieu, même dans ce but, sans quoi on risque d’en arriver à commettre, dans le sillage, une faute, l’impulsion provenant, à la base, du mauvais penchant. En outre, il n’est pas certain que la mitsva pourra par la suite être reprise là où on l’aura laissée, car il sera peut-être trop tard. En tout état de cause, pour s’être arrêté au milieu de sa mission, cette interruption à la source d’une atteinte portée aux Noms divins, vaut à l’homme une sentence très lourde.

Contre ce danger, nos Sages nous proposent de recourir à l’expédient suivant (Soucca 52b ; Kiddouchin 30b) : « Si ce misérable t’attaque, entraîne-le à la maison d’étude. » En quoi cela l’aiderait-il ? Le Satan ne pourrait-il librement continuer son manège perturbateur, une fois installé dans la maison d’étude ? De fait, il ne faut pas comprendre cette solution dans son acception littérale, mais lui attribuer, me semble-t-il, le sens suivant : si le mauvais penchant t’attaque au cours de l’accomplissement d’une mitsva, cherchant à te faire trébucher, ne te laisse pas interrompre mais tire-le au contraire immédiatement à la maison d’étude – autrement dit, continue à accomplir la mitsva avec l’intention appropriée et, prenant conscience de son échec, le mauvais penchant fuira aussitôt.

Une fois tous ces points éclaircis, on comprendra aisément l’indication de Rabba, citée en ouverture : « L’homme a l’obligation de s’enivrer à Pourim au point d’en venir à confondre “Maudit soit Haman !” et “Béni soit Mordekhaï !” » (Meguila 7b) L’homme doit se montrer extrêmement prudent face au mauvais penchant, dont Haman l’impie est la parfaite incarnation. En effet, il arrive qu’il se place à sa droite et le pousse à accomplir une mitsva, tandis qu’il aspire en fait à le détourner de sa mission, à savoir un accomplissement parfait des mitsvot.

Aussi, si l’homme veut lui échapper et le vaincre, il doit se griser à Pourim. Ce verbe, en araméen dans le texte, est à rapprocher de la notion de parfum : il s’agit donc de s’imprégner de l’odeur des fruits, allusion aux mitsvot à accomplir, dans l’esprit de ce passage de la Guemara (Yoma 39a) : « Celui qui pénètre dans une parfumerie, il lui dit : “Viens, moi et toi allons nous parfumer !” » Il faut donc se parfumer du parfum des mitsvot, sans s’interrompre au milieu. C’est la condition pour parvenir à distinguer Haman de Mordekhaï – le bon du mauvais penchant.

D’ailleurs, le nom de cet avatar du mal a la même guematria que la somme des deux Noms divins, en leur ajoutant quatre, ce qui correspond à leur nombre de lettres respectif. C’est dire combien le mauvais penchant – Haman – aspire à faire trébucher l’homme dans l’accomplissement des mitsvot et l’unification des deux Noms divins. Notre mission : le vaincre et accomplir les commandements à la perfection.

Résumé

 •Pourquoi l’homme doit-il s’enivrer à Pourim, au point d’en confondre les noms d’Haman et de Mordekhaï ? Qu’est-ce à dire ? Parfois, le mauvais penchant se place « à la droite » de l’homme, le poussant à accomplir les mitsvot, pour mieux le faire trébucher par la suite. Selon la mitsva ou la faute qui s’ensuit, l’homme peut savoir s’il agit poussé par le bien ou par le mal. Il ne faut en aucun cas s’interrompre au milieu de l’accomplissement d’une mitsva, qui permet de créer des mondes et d’unifier le Nom divin. S’arrêter, même sous les meilleurs prétextes du monde, c’est suivre le mauvais penchant et porter atteinte aux Noms divins.

 •Tel est le sens de la condamnation que portent nos Maîtres sur celui qui interrompt son étude « en cours de route » pour admirer les charmes du paysage, et notamment les beaux arbres et les champs qui l’agrémentent. Le mot ilan (« arbre ») a la même guematria que les deux Noms divins, car en détournant ainsi l’attention de l’homme, le mauvais penchant veut l’empêcher d’unifier le Nom divin. De même, le mot nir a la même guematria que l’expression « zéhou Amalek – c’est Amalek ». Le message qui se dégage des propos de nos Maîtres est donc clair : celui qui chemine dans son étude ou dans l’accomplissement d’une mitsva et s’interrompt, sous l’influence du mauvais penchant, se rend passible de mort. Il faut donc se garder à tout prix de telles interruptions, car qui peut garantir, outre l’atteinte portée au Nom divin, que, plus tard, on pourra reprendre là où on s’est arrêté ? La solution : repousser le Satan en l’entraînant à la maison d’étude ou en continuant d’accomplir sa mitsva, imperturbable.

 •Pour ne pas tomber sous la coupe du Satan, il faut développer les intentions spécifiques à une mitsva avant de l’accomplir et non en cours d’exécution. C’est là le sens de la maxime concernant Pourim : si Haman – alias le mauvais penchant – vient perturber l’homme, celui-ci devra aussitôt « se griser » de Torah et de mitsvot, sans interruption, sans quoi il ne saura distinguer Haman de Mordekhaï – le bon du mauvais penchant. Ce n’est que s’il prend garde de ne pas s’interrompre qu’il pourra poursuivre son étude et un accomplissement parfait des mitsvot.

 

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