Adhérer à la Torah pour adhérer à D.

« Il y avait à Chouchan, la capitale, un homme juif du nom de Mordekhaï, fils de Yaïr, fils de Chimi, fils de Kich, un homme de la tribu de Binyamin. »

(Esther 2:5)

Le jour sous lequel la Meguila introduit le personnage de Mordekhaï est particulièrement riche en enseignements. « Ich yehoudi (litt. « un homme juif ») : cela laisse entendre qu’il descendait de la tribu de Yehouda. Pourtant, il est écrit ich yemini, ce qui semble plutôt le rattacher à la tribu de Binyamin. Comment concilier les deux ? On en déduit, nous apprend Rabbi Yehochoua ben Lévi, que son père était de Binyamin, et sa mère de Yehouda. “Fils de Yaïr” – un fils qui éclaira (chéhéïr) les yeux d’Israël. “Fils de Kich” – qui frappa (chéhékich) aux portes de la Miséricorde, qui lui furent ouvertes. » (Meguila 12b)

La Torah ayant soixante dix facettes, nous allons pour notre part nous concentrer sur l’explication métaphorique de la célèbre maxime : « Quiconque habite en dehors d’Israël est comparable à un homme privé de D. » (Ketouvot 110b) qui, comme nous allons le voir, s’applique remarquablement bien aux enseignements de la Meguila, à son déroulement des faits. En diaspora, une menace constante plane sur notre Judaïsme lui-même, car il existe un risque majeur de se laisser influencer par les mœurs corrompues de ses voisins non-juifs et de suivre leur voie. Or, par là-même, de spirituel, le danger devient aussi physique, car vivre privé de Présence divine, c’est se trouver exposé sans la moindre protection aux méfaits des goyim.

Le tableau que nous avons dépeint est bien sombre. N’existe-t-il pas néanmoins des Juifs vivant en Gola qui parviennent, contre vents et marées, à maintenir leur Judaïsme comme il convient et restent proches du Créateur ? Quel est donc leur secret ? L’étude de la Torah. Car quiconque s’y adonne a le mérite de se rapprocher de D. et de Sa Présence – « L’Eternel, son D., est avec lui » (Bamidbar 23:21). Quoi de plus logique, lorsque l’on sait que la Torah toute entière est un condensé des Noms divins ? Ainsi, même en terre non-juive, la Présence divine protège et sauvegarde celui qui s’adonne à l’étude de la Torah.

En territoire hostile, les Juifs, à l’époque de Mordekhaï et d’Esther, s’étaient peu à peu éloignés du Créateur en abandonnant la voie de la Torah et en délaissant les mitsvot. Lentement mais sûrement, ils s’assimilaient aux non-juifs et s’inspiraient de leurs mœurs. Le déclin spirituel était constant. Dans ce contexte, l’invitation d’A’hachvéroch à son banquet séduisit les Juifs, qui ne voyaient aucun problème à s’attabler en compagnie de non-juifs et à partager leur repas. C’est ainsi que plus de 18500 Juifs prirent part aux réjouissances orgiaques, et ce, en dépit de la défense formelle décrétée par le Sanhedrin. Loin de tenir compte des avertissements de Mordekhaï, les Juifs se rendirent au festin et s’y dépravèrent en consommant vin et plats interdits. Le rejet du joug divin était total.

En conséquence de cet abandon de la Torah, les paroles de nos Sages s’accomplirent dans tout ce qu’elles supposent de menaçant : « Quiconque habite en dehors d’Israël est comparable à un homme privé de D. » (Ketouvot 110b) Le Créateur prit Ses distances, S’éloigna de son peuple rebelle. Or, ne se trouvant plus sous le couvert de la Présence divine, la punition ne tarda pas à sévir, sous les traits d’un Haman déterminé à exterminer l’ensemble du peuple juif, petits et grands, femmes et enfants, en un seul jour. Cependant, lorsqu’ils apprirent le décret prononcé à leur encontre, telle une épée de Damoclès pendue au-dessus de leurs têtes, les enfants d’Israël se réveillèrent et retournèrent à leur Père céleste. Ils avaient soudain pris conscience qu’ils s’étaient complètement fourvoyés, et leur techouva fut sans précédent. De l’autre coté du miroir, le Saint béni soit-Il leur accorda de nouveau Sa protection, les mettant à l’abri du mal – Haman et ses décrets.

Ainsi, s’il est vrai que celui qui vit en dehors d’Israël est considéré comme privé de D., de Sa proximité et de Sa protection constante, se trouvant physiquement comme spirituellement en grand danger, il existe néanmoins une planche de salut, à travers l’étude de la Torah. S’il se plonge dans cette étude, il adhère indirectement à la Présence divine, la proximité du Créateur lui permettant d’être à l’abri de tout mal.

D’après cet éclairage, on peut comprendre le sens de l’identité multiple de Mordekhaï : « ich yehoudi – ich yemini ». Le message sous-jacent : tout celui qui veut mériter les lettres de noblesse du « ich yehoudi » – du Juif, même s’il habite en Gola, doit s’accrocher de toutes ses forces à la Torah, appelée « yemin – droite ». C’est ce qu’explique la Guemara au sujet du verset : « L’Eternel a juré par Sa droite » (Yechayahou 62:8) – « La droite désigne la Torah, comme il est dit (Devarim 33:2) : « dans Sa droite une loi de feu pour eux » (Berakhot 6a). Ainsi, celui qui se fixe des moments d’étude en dépit d’un environnement non-juif et s’efforce d’accomplir les mitsvot – de la plus légère à la plus importante – avec minutie, en dépit de toutes les épreuves qui le guettent, a la promesse de jouir de la Présence du Créateur et de Son secours dans toutes ses entreprises. Une telle personne n’est certainement pas concernée par la maxime de nos Sages sur le Juif de diaspora, privé de D., car son lien à la Torah lui garantit la proximité divine et une protection constante contre tout dommage, matériel comme spirituel.

En dépit de sa position géographique, un tel homme aura le mérite d’être simultanément « fils de Yaïr » – le Saint béni soit-Il éclairera ses yeux en Torah – et « fils de Chimi » – D. écoutera (yichma) ses prières et y répondra. Il sera « fils de Kich » – lorsqu’il tambourinera (yakich) aux portes célestes de Miséricorde, celles-ci s’ouvriront en grand devant lui, et ce, par le mérite primordial de sa parenté à « Yemini » – à la Torah.

La figure de la reine Esther est également emblématique. D’elle, nous apprenons que quiconque suit la voie-voix du Créateur et de la Torah, est certain de bénéficier du secours divin et de ne jamais trébucher ou causer de tort. Choisie pour être l’épouse du tyran en lieu et place de Vachti – assassinée pour s’être montrée indocile en refusant de se présenter lors du festin, causant le courroux de son royal époux –, il semblerait qu’Esther suive d’une certaine manière les traces de son tragique prédécesseur, par son insoumission au roi. En effet, lorsque celui-ci la presse de révéler ses origines, sur ordre de Mordekhaï, elle refuse fermement de s’exécuter (Esther 2:20). À priori, il aurait été logique que cette insubordination provoque le courroux du despote au même titre qu’il avait été irrité et heurté par l’attitude hautaine et désinvolte de sa première épouse. Il aurait pu aller jusqu’à tuer Esther elle aussi, mais « lorsque D. agrée les voies d’un homme, Il lui concilie même la faveur de ses ennemis » (Michlé 16:7). Il est vraiment remarquable que, non seulement il ne se soit pas mis en colère mais l’en ait même aimée davantage, comme en témoigne le texte (Esther 2:17) : « Le roi aima Esther plus que toutes les autres femmes ; elle trouva grâce à ses yeux plus que toutes les jeunes filles, et il orna sa tête de la couronne royale. » Cela nous démontre que si l’on se conforme à la volonté du Créateur et à l’optique de la Torah, on n’en subira jamais de préjudice.

Pourtant, Esther aurait pu s’insurger contre cette « ingérence » de Mordekhaï, qui la mettait en péril, faisant d’elle une « rebelle à sa majesté ». Mais jamais Esther ne mit en cause le point de vue de la Torah, exprimé par Mordekhaï, intimement convaincue qu’elle devait dans tous les cas se conformer à ses ordres, aussi illogiques et insensés pussent-ils paraître. Son mot d’ordre était celui du verset (Devarim 17:11) : « ne t’écarte pas de ce qu’ils te diront, ni à droite ni à gauche », ainsi commenté (Yerouchalmi Horayot 1:1) : « même s’ils te disent que la droite est la gauche et que la gauche est la droite, écoute-les ». Elle était donc persuadée qu’il ne pouvait en aucun cas découler de mal de cette soumission au Juste, se conformant à l’esprit de la Torah.

Nous allons rapporter ici la discussion de Rabbi Chimon bar Yo’haï et de ses élèves sur l’histoire de la Meguila. « “Pourquoi les ennemis d’Israël de cette génération purent-ils en décréter l’anéantissement ?” interrogèrent-ils leur Maître. “Répondez par vous-même”, leur dit-il. “C’est parce qu’ils jouirent du festin de cet impie”, conclurent-ils. » (Meguila 12b) Voilà qui est on ne peut plus étonnant ! On n’a jamais mentionné que la punition pour avoir mangé des mets défendus était la mort. La transgression d’un interdit est théoriquement passible de flagellation, non de mort.

La réponse est, me semble-t-il, que le décret de mort ne vient pas sanctionner la consommation de plats non cachère mais la profanation du Nom divin qui résultait de leur attitude. Car, comme l’enseignent nos Maîtres (Meguila 12a), revêtu des atours du grand prêtre, A’hachvéroch fit servir son festin dans les ustensiles du Temple. Face au spectacle paradoxal de cette participation des Juifs à un festin dans lequel on profanait publiquement leurs ustensiles saints, que pouvaient penser les goyim ? Combien cela pouvait-il prêter à la moquerie et au mépris de leur part ! « Comment les Juifs peuvent-ils rester de marbre face à ce sacrilège ? », ne pouvaient-ils manquer de se dire.

Or, la profanation du Nom divin est considérée comme une faute d’une gravité incommensurable, que seule la mort peut expier. Suivons en cela la démarche de Rabbénou Yona, dans son ouvrage de référence Chaaré Techouva (« Les portes du repentir », quatrième porte, 4) : « Il est une faute dont l’âme ne peut être lavée ; elle est impure et hautement indésirable, jusqu’à ce que la mort vienne la séparer du corps qui s’en est rendu coupable – il s’agit de la profanation du Nom divin. C’est ce que révèle le prophète (Yechayahou 22:14) : “Ce péché ne vous sera pas pardonné jusqu’à votre mort”. »

Du fait qu’en prenant part au banquet d’A’hachvéroch, les Juifs se rendirent coupables d’une telle faute, en toute logique, c’est une sentence de mort qui s’ensuivit. Néanmoins, dès l’instant où les enfants d’Israël se repentirent, et suite à l’élan d’amour généré par le miracle de leur sauvetage, ils acceptèrent de nouveau la Torah, cette fois avec joie. Leur péché fut alors expié, comme s’ils avaient été réellement exterminés et étaient revenus à la vie. Car si, jusqu’à présent, ils avaient été des impies, considérés d’un certain point de vue comme des morts, ils se transformaient en justes, devenant d’une certaine manière des nouvelles créatures.

On peut également traiter cette question sous un autre angle. Le très grave péché de profanation du Nom divin n’est certes expiable que par la mort, mais il existe une autre forme de réparation : remplacer cette profanation par son antithèse et s’efforcer dorénavant de sanctifier le Nom divin dans le monde. Le Chaaré Techouva (ibid. 5) indique cette possibilité lorsqu’il écrit : « Mais même pour cette “maladie”, qui ne dispose pas de remède comme toutes les autres fautes, il trouvera un contrepoison si le Saint béni soit-Il l’aide à sanctifier Sa Torah aux yeux des hommes et à leur faire connaître la puissance divine et la gloire de Son empire. Sous le puissant impact de cette action, à l’antipode de son malencontreux péché, celui-ci sera effacé. »

Ainsi, à l’époque de Mordekhaï et d’Esther, le peuple juif connut un puissant élan de techouva et eut le mérite de sanctifier le Nom divin en public à travers les multiples prodiges et miracles qu’ils vécurent, D. les ayant délivrés du malheur. Les enfants d’Israël furent ainsi à la source d’une grande amplification de la gloire divine aux yeux des goyim et leur éclat s’en trouva rehaussé, au point qu’« un grand nombre parmi les gens du pays se firent Juifs, tant la crainte des Juifs s’était emparée d’eux » (Esther 8:17). Cette sanctification du Nom divin – en lieu et place de la profanation qu’elle permit d’expier – atteignit une telle ampleur qu’elle donna lieu à un vaste mouvement de conversion.

Lors d’un séjour en Chine, où je m’étais rendu en Adar II de l’année 5771, afin de renforcer le travail effectué dans les communautés locales, j’eus l’occasion de rencontrer le Gaon Rav Yona Metzger chelita, grand-rabbin d’Israël. Dans l’une de ses conférences, il souleva la question suivante : pourquoi, à Jérusalem, fête-t-on Pourim le 15 Adar, contrairement à toutes les autres villes où cette célébration a lieu la veille ? Pourtant, l’argument d’Haman, lorsqu’il cherche à dénigrer les Juifs n’est-il pas celui de la dispersion, du manque d’unité, et, le cas échéant, n’aurait-il pas été préférable d’uniformiser la date de célébration de Pourim, afin de la fêter à l’unisson et de prouver ainsi le caractère infondé de ses attaques ?

Pour répondre, il me semble nécessaire de rappeler la place centrale de Jérusalem au cœur de toute réjouissance. Lors des fêtes de pèlerinage – Pessa’h, Chavouot et Souccot –, toutes les mitsvot de la fête étaient réalisées dans la Ville sainte, dans l’enceinte du Temple, qu’il s’agisse des sacrifices, des libations d’eau ou de l’offrande des prémices. Il en va de même concernant ‘Hanoucca, puisque la miraculeuse trouvaille du flacon d’huile pure eut lieu dans le Temple. A cet égard, Pourim occupe une place à part, puisqu’elle est la seule fête dont le miracle central eut lieu en dehors d’Israël. C’est d’ailleurs pour cette raison, nous explique le Rav Amram Gaon, que nous ne récitons pas le Hallel à Pourim. Néanmoins, là aussi, il était nécessaire que la grandeur spécifique de Jérusalem apparaisse, d’une manière ou d’une autre, et c’est pourquoi nos sages demandèrent que la célébration de Pourim à Jérusalem se différencie de celle des autres localités. La différence de date permet ainsi de souligner la place à part qu’occupe la ville sainte, sa grandeur et sa spécificité.

Nous savons par ailleurs qu’aux Temps futurs, le miracle de la Meguila continuera d’être évoqué d’année en année, tandis que tous les autres écrits des prophètes seront annulés, de même que les sacrifices, excepté celui de reconnaissance. A cet égard, toute notre gratitude va au Saint béni soit-Il pour avoir permis l’échec des velléités exterminatrices d’Essav et de son descendant, Amalek, à l’encontre de notre peuple. De ce fait, si l’offrande de reconnaissance restera la seule à avoir cours aux Temps futurs, quoi de plus logique que de lier d’un lien particulier la fête de Pourim, fête de la joie, à Jérusalem, en octroyant à la célébration dans la ville sainte une place à part.

Puissions-nous avoir le mérite, à notre époque, de bénéficier une fois de plus de tels miracles et de vivre prochainement la Délivrance finale ! Amen !

Haman et le peuple juif – sainteté contre impureté

Le Gaon Rabbi Israël Melloul chelita, enseignant dans la Yechivat Pinto de Manchester, m’a posé la question suivante : existe-t-il un lien entre la manne (haman, en hébreu) que les enfants d’Israël consommèrent dans le désert durant quarante ans (Chemot 16:35) et Haman, cet impie qui avait résolu d’exterminer le peuple juif, les deux termes ayant, en langue sainte, une orthographe identique ?

Par ailleurs, pourquoi Paro regretta-t-il sa décision, après avoir renvoyé les enfants d’Israël, au point qu’il s’écria amèrement : « Qu’avons-nous fait là, d’affranchir les enfants d’Israël de notre sujétion ! » (ibid. 17:5) Pourtant, il les avait renvoyés de son plein gré, à la suite de toutes les plaies qui s’étaient abattues sur l’Egypte. Existe-il un lien entre ces deux forces – Paro et Amalek ?

Ce lien existe, ce me semble, à travers un épisode connu, qui précède l’attaque sournoise d’Amalek : les doutes émis par certains des Hébreux, concernant la parole divine  : « Six jours vous la ramasserez, mais le septième jour, Chabbat, il n’y en aura point » (Chemot 16:26). Une frange de la population sortit donc le Chabbat pour chercher de la manne. Peut-être, après tout, était-elle également tombée en ce jour ? « Or, le septième jour, quelques-uns du peuple allèrent à la récolte, mais ils ne trouvèrent rien » (ibid. 16:27), nous relate ainsi la Torah.

Ce manque de confiance et de foi en D. qui les poussa à aller rechercher de la manne le Chabbat, causant la profanation de Son Nom, constituait une grave transgression. C’était d’autant plus grave qu’ils n’étaient pas censés recevoir de manne le jour saint, ayant reçu double part la veille. Pour avoir remis en question la parole et l’omniscience divine en se disant : « S’Il sait ce que nous projetons, nous Le servirons, et sinon, nous ne Le servirons pas » (Tan’houma Yitro 3), doute également exprimé dans le verset : « Nous verrons si l’Eternel est au milieu de nous ou non » (Chemot 17:7), ils furent donc punis, mesure pour mesure, par la morsure du chien – Amalek.

Par leurs agissements torves, ils provoquèrent donc la survenue d’Amalek, l’ancêtre d’Haman, qui les priva de leur virilité et se mit à blasphémer contre le Ciel (Bamidbar Rabba 13:5 ; Pessikta Rabbati 7:3 ; Zohar II 65b) d’une manière sans précédent. En outre, il fut le premier des peuples qui osa se risquer à attaquer le peuple juif à sa sortie d’Egypte, et c’est pourquoi le Texte le qualifie de « premier des peuples » (Bamidbar 24:20), peuple dont l’influence délétère a perduré. A ce titre, nos Maîtres comparent les agissements d’Amalek à l’initiative de celui qui se jetterait le premier dans une baignoire bouillante qu’il refroidit pour les autres (Tan’houma Tetsé 9). Car, avant son intervention, toutes les nations redoutaient le peuple juif mais, avec la tentative d’Amalek, notre peuple perdit son aura, et d’autres s’engouffrèrent dans la brèche ainsi percée.

Nos Sages (Chabbat 118b) rapportent une autre explication concernant l’attaque impromptue d’Amalek, notamment sous la plume de Rav Yehouda qui cite Rav : «  Si Israël avait gardé le premier Chabbat, aucun peuple ni nation n’aurait pu le dominer, comme il est dit : “Or, le septième jour, quelques-uns du peuple allèrent à la récolte, mais ils ne trouvèrent rien” (ibid. 16:27), passage auquel est juxtaposé, dans le chapitre suivant, l’attaque d’Amalek. »

Amalek put provoquer un refroidissement du monde entier à cause des doutes émis par les enfants d’Israël au sujet de la manne, ce cadeau céleste qui descendait quotidiennement afin qu’ils se renforcent dans l’étude de la Torah sans souci matériel – cette génération dite « de la connaissance » pouvant ainsi étudier en toute sérénité. Depuis cet instant fatidique où ils conçurent des doutes concernant la manne, il fut décrété qu’à chaque fois que leur foi en D. serait chancelante, un descendant d’Amalek leur serait envoyé afin de les ramener dans le droit chemin et à une foi pure.

Ainsi, à l’époque d’A’hachvéroch, où les enfants d’Israël jouirent du banquet de cet impie en dépit des avertissements de Mordekhaï, leur anéantissement fut décrété, que D. préserve (cf. Meguila 12b). Le roi avait d’ailleurs agi ainsi à dessein, sur les indications d’Haman, qui savait pertinemment que « leur D. a la débauche en horreur » (Esther Rabba 7:18). Le but était de les faire trébucher pour pouvoir ensuite les vaincre haut la main. Mais, Mordekhaï, qui voyait clair dans ces machinations, avait tenté d’avertir les Juifs, afin qu’ils ne se placent pas sous le coup d’une accusation divine, mais ils refusèrent de l’écouter, mettant en cause les paroles du tsaddik.

A présent, toutes les pièces du « puzzle » s’assemblent. De même qu’au moment où les enfants d’Israël avaient émis des doutes sur les paroles de D. au sujet de la descente de la manne le Chabbat et Lui avaient désobéi en y sortant pour en ramasser, Amalek avait surgi pour les combattre, à l’époque de Mordekhaï, lorsque leur émouna montra des signes de défaillance et qu’ils refusèrent d’écouter le plus grand tsaddik de leur génération (cf. Esther Rabba 6:7), membre du Sanhedrin (Meguila 13b), leur participation au banquet entraîna d’innombrables fautes et augmenta leurs lacunes en foi, et Haman, descendant d’Amalek, entreprit alors de les exterminer.

Voilà que le lien entre Haman – Amalek – et la manne, ce pain providentiel, devient clair. Cela posé, nous pouvons également comprendre les agissements de Paro, pour le moins contradictoires. Pourquoi celui-ci avait-il regretté son geste de renvoyer ses esclaves hébreux ? avions-nous demandé. Car en vérité, au moment où il avait chassé les enfants d’Israël de son pays, il ne s’imaginait nullement que les forces impures avaient totalement capitulé devant ces derniers.

Or, lorsque nos ancêtres quittèrent l’Egypte, « ils dépouillèrent l’Egypte » (Chemot 12:36), vidant ce pays au point qu’il devint comparable à un aquarium vide (Berakhot 9b), preuve que les forces impures avaient été neutralisées. Les Egyptiens ressentirent, suite à ce départ, que leur idolâtrie avait été considérablement affaiblie. Leur chef, Paro, prit quant à lui conscience que tout cela était arrivé suite au départ précipité des Hébreux – en Egypte, l’impureté tirait sa substance des enfants d’Israël. A présent, suite à leur fuite, toute l’impureté et l’idolâtrie se trouvaient affaiblies, tout avait basculé du côté de la sainteté et le rapport des forces se trouvait radicalement bouleversé.

C’est cette prise de conscience qui poussa Paro à regretter son geste et à faire machine arrière, s’écriant : « Qu’avons-nous fait là (ma zot assinou), d’affranchir les enfants d’Israël de notre sujétion ! » (Chemot 17:5) Or, il est bien connu que le terme zot évoque allusivement la Présence divine (cf. Zohar III 56b, 62a) et la Torah (cf. Mena’hot 53b). L’impie exprime ainsi sa prise de conscience des enjeux de ce départ. « Comment avons-nous pu donner à la Présence divine et à la Torah le pouvoir de surmonter les forces impures ? » s’écria-t-il, pris de remords.

« Nous ne pouvons pas rester privés de ces forces et devons séance tenante nous lancer à la poursuite des enfants d’Israël. Lorsqu’ils verront que nous les talonnons sans crainte, sous les auspices de notre ange tutélaire, ils en concevront immanquablement des doutes au niveau de leur émouna, ce qui nous permettra de l’emporter sur eux, pensait-il. Ils imagineront certainement que leur D. ne pouvait les protéger qu’en Egypte et non pas dans le désert, terre aride et désolée. Cela devrait certainement nous permettre de restaurer le pouvoir des forces impures ! »

Mais il se fourvoyait. Si les enfants d’Israël récriminèrent auprès de leur leader, en s’exclamant : « N’y a-t-il pas de tombeaux en Egypte pour que tu nous aies emmenés mourir dans le désert ? » (Chemot 14:11), ils ne perdirent cependant pas courage. Ils éprouvèrent certes des craintes, mais qui n’entamèrent en rien leur émouna. Non seulement ils n’hésitèrent pas à élever de ferventes prières au Créateur, mais ces évènements ne firent qu’accroître leur foi, comme le prouve le verset (ibid. v.31) : « et ils eurent foi en l’Eternel et en Moché Son serviteur ».

De ce fait, tout homme a l’obligation de se souvenir « du jour de la sortie d’Egypte tous les jours de [sa] vie » (Devarim 16:3), en plus de l’impératif de se souvenir des méfaits d’Amalek à cette période de l’Histoire. En vérité, la démarche de Paro peut tout à fait être rapprochée de celle du second. La seule différence notable tient à la réaction du peuple juif face à ces dangers, ces tentatives d’instiller dans son cœur des doutes pour pouvoir le tiédir et le vaincre.

Aussitôt après leur sortie d’Egypte, les enfants d’Israël étaient dotés d’une foi forte et inébranlable, qui les poussa à « se jeter à l’eau » sans crainte. Néanmoins, ils connurent ensuite un relâchement dans leur attache à la Torah, et leur foi montra des failles, à travers la malheureuse initiative d’une fraction du peuple qui alla ramasser de la manne le Chabbat, en lançant le défi suivant : « Nous verrons si l’Eternel est au milieu de nous ou non » (Chemot 17:7). Aussitôt, Amalek exploita cette faiblesse pour venir les mettre en péril. S’il est vrai que, finalement, ce dernier fut écarté, c’était, dans une certaine mesure, trop tard : il avait réussi à provoquer un refroidissement de la foi à un niveau planétaire. Qui en était responsable ? Les enfants d’Israël, qui avaient remis en cause les attributs divins, à travers la faiblesse dont ils avaient fait preuve.

Cet épisode met en lumière les manœuvres du mauvais penchant, qui n’a de cesse d’introduire des doutes dans l’esprit de chaque Juif. Je vais vous donner comme exemple celui de ce Juif que je vis arriver au mikvé, par un vendredi, pour se purifier… la tête découverte ! Lorsque je lui demandai où était sa kippa, il me répondit, sans se laisser démonter : « Je l’ai oubliée à la maison. »

Tout homme a deux penchants : le bon et le mauvais ; il oscille sans cesse entre ces deux pôles. En dépit des fautes qu’il commet, le bon penchant tente de le ramener dans le droit chemin, de le pousser à accomplir des mitsvot et à se repentir. C’est le cas lorsque ses péchés étaient involontaires. Mais dans le cas contraire, les forces impures tirent leur substance de sa techouva, faible et branlante.

Ainsi, on peut voir un homme se rendre au mikvé, montrant ainsi son désir de repentir, pour être aussitôt attaqué par le mauvais penchant qui veut l’en empêcher. S’il voit qu’il ne parvient pas à le détourner complètement de la bonne voie, il le pousse, en désespoir de cause, à s’y rendre nu-tête, comme cet homme « qui s’immerge [dans un bain rituel] tenant en main un animal impur » (Taanit 17a), afin de l’empêcher de procéder à un repentir total.

L’homme se trouve constamment à la croisée des chemins : ceux du bon et du mauvais penchants et, à chaque fois, il lui faut opter pour la bonne voie, dans l’esprit du verset : « Tu choisiras la vie » (Devarim 30:19). D’un autre côté, rappelons que le mauvais penchant accomplit lui aussi la Volonté divine – il est même qualifié de « très bon » (Beréchit Rabba 9:8) –, en poussant l’homme à commettre des fautes mais aussi des mitsvot. C’est là une grande source de confusion pour l’homme, qui en vient à penser que « les deux sont les paroles du D. vivant » (cf. Erouvin 13b), autrement dit, que tous deux ont raison, ce qui le pousse bien souvent à opter pour le mauvais penchant.

Comment donc éviter de tomber dans le piège ? En cultivant une émouna pure et en menant une lutte sans merci contre le Satan, dont toute l’ambition n’est que de pousser l’homme à la faute, de le « tuer », au point que « si le Saint béni soit-Il ne l’aidait, il ne pourrait avoir raison de lui » (Kiddouchin 30b).

Celui qui fournit ces efforts sera donc aidé dans sa lutte, et le Saint béni soit-Il Se chargera Lui-même de « prendre Sa revanche », telle que la décrivent nos Sages : « Aux Temps futurs, le Saint béni soit-Il abattra le mauvais penchant. » (Soucca 52a ; Zohar I 190b) L’homme pourra alors s’élever en foi et dans son Service divin.

Ainsi, pour en revenir à cet homme venu se tremper au mikvé et qui m’avait naïvement affirmé avoir oublié sa kippa à la maison, comme s’il était tout à fait normal et acceptable de venir au mikvé la tête nue, son immersion fut certainement agréée en cela qu’il avait agi en toute bonne foi. Toutefois, il y manquait un « ingrédient », ce petit « plus » qui fait toute la différence et permet d’intégrer la sainteté du Chabbat à un niveau supérieur.

Résumé

 •Notre réflexion portait à la base sur la probable existence d’un lien entre la manne consommée par nos ancêtres dans le désert et Haman, ce descendant d’Amalek qui voulut nous exterminer. La Torah nous précise que les enfants d’Israël éprouvèrent des doutes concernant le fait que la manne ne tomberait pas le Chabbat, et nombre d’entre eux allèrent vérifier en dehors du camp. C’est le moment qu’Amalek mit à profit pour les attaquer. De même, à l’époque d’Haman, la foi des enfants d’Israël était défaillante, et c’est pourquoi ils prirent part au banquet d’A’hachvéroch, en dépit des mises en garde de Mordekhaï, faille que leur ennemi exploita pour s’en prendre à eux. Le rapport est donc clair : lorsque la foi du peuple juif est défaillante, les non-juifs peuvent l’attaquer.

 •C’est aussi la démarche d’un Paro qui, après avoir renvoyé le peuple juif, regretta son geste, face au constat de l’affaiblissement des forces impures. Il comprit alors que celles-ci tiraient leur substance de ses anciens esclaves, dont le départ marquait le triomphe de la sainteté. Il prit donc le parti de se lancer à leur poursuite dans le but de leur insuffler des doutes, ce qui lui permettrait, ainsi qu’aux forces impures, de reprendre le dessus. Mais les enfants d’Israël s’accrochèrent fermement à leur foi en D. et en Moché, Son serviteur ; ils eurent raison de lui et la mer se fendit devant eux.

 •De ce fait, il faut toujours garder en mémoire la sortie d’Egypte et les machinations d’Amalek, car celui-ci comme Paro procédèrent de la même manière en tentant d’instiller des doutes dans le cœur des Hébreux. Le mauvais penchant, ne l’oublions pas, tente sans cesse de faire trébucher l’homme. S’il n’y parvient pas de manière directe, il essaye à tout le moins d’affaiblir sa émouna. En parallèle, le bon penchant cherche à encourager l’homme à se repentir et à accomplir des mitsvot. Il faut donc choisir le bon chemin, être conscient des manœuvres du mauvais penchant et le combattre. Agir ainsi, c’est se garantir le secours divin, qui nous permettra de nous rapprocher de D. avec une foi pure et authentique.

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