Sim’hat Torah – un nouveau départ

Le jour de Sim’hat Torah, où tout Juif est censé se réjouir avec la Torah, représente en fait une épreuve de taille. En effet, l’accomplissement de la Torah implique souffrances et abnégation. Dans cet esprit, nos Sages avertissent (Nedarim 81a) : « Prenez garde aux fils des indigents, car d’eux émanera la Torah. » Est-ce à dire qu’il faut être soi-même pauvre pour devenir un homme de Torah ?

C’est du moins ce que laissent entendre les célèbres directives (Avot 6:4 ; Calla 8) : « Telle est la voie de la Torah : tu mangeras du pain avec du sel, boiras de l’eau au compte-gouttes, coucheras sur le sol. Tu vivras une vie de souffrances et peineras dans l’étude de la Torah. » Comment, dans ces conditions, peut-on tirer de la joie de la Torah ?

Il nous faut par ailleurs comprendre pourquoi l’achèvement d’un cycle de lecture du Livre saint est suivi de son recommencement immédiat, pour le moins déroutant, quand on réalise qu’il se clôt par le passage traitant de la mort de Moché Rabbénou, évènement qui eut lieu en Adar (cf. Kiddouchin 38b). N’eût-il pas été plus logique, dès lors, de clôturer la lecture de la Torah à l’anniversaire de sa mort, plutôt qu’à Sim’hat Torah ?

En outre, n’est-il pas étonnant, voire hors de propos, de se réjouir alors que l’on lit l’épisode de la Torah relatant la mort de Moché Rabbénou ? Le deuil n’aurait-il pas été plus approprié ?

Rappelons, pour commencer, que Sim’hat Torah fait immédiatement suite aux fêtes de Tichri, avec toute la préparation que cela implique, d’un point de vue spirituel. Si cette période est marquée par un travail de fond dans les domaines de l’humilité, de la joie, de la crainte de D., si la techouva en constitue la ligne directrice, l’auteur de ces efforts mérite amplement, pour avoir triomphé du mauvais penchant, de s’orner d’une tiare, celle de la Torah. Ainsi, en dépit de toutes les mortifications et de l’abnégation dont il aura fait preuve, il pourra être un véritable homme de Torah et se réjouir avec celle-ci, après ce considérable travail d’élévation.

Dès lors, nous pouvons comprendre le lien entre Sim’hat Torah et la lecture de la paracha traitant de la mort de Moché. Le but est de rappeler à l’homme le terme inéluctable que représente le jour de la mort. Même Moché Rabbénou, le plus humble de tous les hommes (Bamidbar 12:3), le plus tsaddik de tous, père de tous les prophètes (Vayikra Rabba 1:15), a quitté ce monde pour le Monde futur, après avoir mené à bien sa mission sur terre.

On touche là au lien entre la fin de la Torah et son début. En effet, ce que Moché Rabbénou laissa derrière lui « aux yeux de tout Israël » (Devarim 34:12), c’est « vezot haberakha » (« et voici la bénédiction » – nom de la dernière paracha ), autrement dit, la Torah, appelée « zot » (cf. Mena’hot 53b), comme le prouvent les références suivantes : « Voici la loi (zot hatorah) pour l’holocauste (…) » (Vayikra 7:37) et  : « Voici la Torah (vezot hatorah) que Moché exposa aux enfants d’Israël » (Devarim 4:44), source de bénédiction pour tous ceux qui l’étudient.

La Torah, c’est aussi, d’autre part, réchit (cf. Pessikta Zoutra Beréchit), comme le prouve le verset (Michlé 8:22) : « L’Eternel me créa au début de Son action (réchit darco) », relatif à celle-ci, d’où le lien avec la paracha de Beréchit, dont l’on entame une nouvelle lecture le jour de Sim’hat Torah. Or, le monde ayant été créé pour la Torah, nous évoquons, le jour de Sim’hat Torah, ces deux aspects : la Création et la mort de Moché Rabbénou – ainsi que son testament pour toutes les générations, le message qu’il nous lègue : l’importance de se consacrer à la Torah. C’est aussi la raison pour laquelle la Torah ne commence par aucune mitsva, car avant tout, il était fondamental d’informer l’homme de sa finalité sur terre et de sa destinée.

Cette allusion au sens de la Création se retrouve à travers les termes : « léeyné col Israël » (« aux yeux de tout Israël ») et Beréchit, dont la valeur numérique des lettres finales équivaut à celle du Tétragramme, en incluant tous les youd et autres lettres « sous-entendues » dans chaque lettre de ce Nom. Car ce monde a été créé par le hé, et le Monde futur par le youd (Mena’hot 29 b ; Beréchit Rabba 12:9), deux des lettres du Nom divin, et notre mission sur terre consiste à appréhender les moindres subtilités de la Torah – ou, allégoriquement parlant, la « pointe du youd ».

L’évocation, à Sim’hat Torah, de la mort du père de tous les prophètes est donc de circonstance, afin de nous rappeler que nous n’avons pas de quoi nous enorgueillir, que nous ne sommes rien. Nous devons au contraire toujours garder à l’esprit le verset (Yechayahou 40:26) : « Levez les regards vers les cieux et voyez ! Qui les a créés ? », outre la pensée de la mort. En ce qui concerne celle de Moché Rabbénou, le Très-Haut Lui-même Se chargea de l’enterrement (Sota 14a), du fait que cet homme incarnait la Vérité, comme il est dit : « Moché est vérité, et sa Torah est vérité. » (Baba Batra 74a ; Bamidbar Rabba 18:16)

Dans le même esprit, le jour de son mariage, bien qu’il lui soit interdit de s’endeuiller, on rappelle au ‘hatan <*29>29@G la destruction du Temple par le bris du verre (Berakhot 31a, Tossefot ad loc.) et la cendre que l’on répand sur sa tête (Baba Batra 60b), afin qu’il commence sa nouvelle vie à l’aune de la Torah et de la foi. Une fois passée cette étape, il peut vraiment danser avec la calla <*30>30@G – autrement dit, la Torah, qui a été donnée à Moché aussi resplendissante qu’une mariée ornée de vingt-quatre parures (Tan’houma Ki Tissa 16:18) –, commençant à zéro cette nouvelle vie, à partir de « beréchit ».

De même, en tant que Juifs, notre vie est basée sur cette conscience que tout homme est destiné à mourir (Berakhot 17a) et sur la foi en la venue du Machia’h – qui viendra nous délivrer et opèrera pour nous des miracles « aux yeux de tout Israël », à l’instar de Moché –, entravée par nos grandes fautes.

Ainsi, à Sim’hat Torah, envers et contre tout, nous redémarrons la lecture de la Torah depuis le début – beréchit –, renouvelant notre foi en D. et dans la venue du Machia’h, confiants que, « même s’il tarde à venir, [nous devons] l’attendre chaque jour ».

Les nuées, la manne et le puits

Cela va nous permettre de répondre à la question que pose le Bené Yissakhar au nom du ‘Hida : pourquoi construisons-nous spécialement une soucca en souvenir des nuées de gloire (Soucca 11b), dues au mérite d’Aharon Hacohen, alors que rien ne vient rappeler la manne, qui tombait grâce à Moché, ou le puits de Miriam (Taanit 9a) ?

La réponse réside dans la fête de Sim’hat Torah, célébrée juste après Souccot. En effet, si l’on y regarde de plus près, elle évoque la manne – ce « pain quotidien » qui tombait du ciel par le mérite de Moché – à travers la Torah, comparée au pain (Zohar III 33b), comme il est dit (Michlé 9:5) : « Venez, mangez de mon pain (litt. Combattez par mon pain) ». L’allusion au puits de Miriam est tout aussi évidente si l’on réalise que la Torah est comparée à l’eau (Baba Kama 17a).

« Souvenez-vous de la Torah de Moché, Mon serviteur » (Malakhi 3:22), nous engage le Très-Haut. Nous accomplissons cette injonction à Sim’hat Torah, fête qui évoque la manne. Or, de même que cette nourriture providentielle pouvait prendre tous les parfums que l’on désirait (Yoma 75a), la Torah permet d’avoir accès à tous les délices spirituels possibles et imaginables. Comme le dit le roi David (Tehilim 34:9) : « Goûtez et voyez comme l’Eternel est bon ! » Outre le plaisir qu’elle procure, la Torah nous permet de vaincre le mauvais penchant – le fameux : « combattez par mon pain » – et de mériter la vie éternelle dans le Monde futur.

Cette comparaison avec le pain nous indique la voie à suivre : s’adonner à l’étude avec joie, sans gaspiller son temps à boire et manger – réaliser que la Torah est vraiment notre pain spirituel. L’essentiel est donc d’accomplir Torah et mitsvot dans la joie, ce qui nous permettra assurément d’échapper aux flèches du mauvais penchant.

Pour en revenir à la seconde métaphore – celle de l’eau –, cet élément apparaît dès la genèse du monde (Beréchit 1:7) : « D. sépara entre les eaux qui sont au-dessous du firmament et les eaux qui sont au-dessus ». Ce verset évoque également la Torah, présente dès le début de la Création, et même avant, puisqu’en attendant de créer le monde, « D. Se divertissait avec la Torah » (Beréchit Rabba 1:1). Ensuite, le Tout-Puissant distingua les « eaux d’en Haut » – autrement dit, les secrets et mystères de la Torah – de celles « d’en bas » – le sens simple, littéral de l’Ecriture. « Et le souffle de D. planait sur la face des eaux » (Beréchit 1:2) – sur les secrets de la Torah, par le mérite de Miriam.

Cela nous renvoie également aux nuées, attribuées au mérite d’Aharon, les nuages – composés d’eau – évoquant la modestie, condition sine qua non à l’acquisition de la Torah (cf. Avot 6:5 ; Taanit 7a). Pour cette raison, nos Maîtres disaient que le Temple était constamment « sous les nuages », afin de nous rappeler l’importance de l’humilité, de l’effacement face à D., dont « La gloire remplit tout l’univers » (Yechayahou 6:3).

Ce thème est récurrent tout au long de la Torah. Ainsi, on peut lire dans le Midrach (Beréchit Rabba 60:15) qu’un nuage était rivé au-dessus de la tente de Sarah, caractérisée par cette modestie et cette pudeur, qui la poussait à rester confinée à l’intérieur, dans l’esprit du verset (Tehilim 45:14) : « Toute resplendissante est la fille du roi dans son intérieur ». Ainsi, lorsque les anges demandent après elle, Avraham répond (Beréchit 18:9) : « Elle est dans la tente ». Rachi souligne alors sa discrétion, sa réserve (cf. Beréchit Rabba 48:18), qui lui valut le miracle de cette nuée omniprésente.

Ainsi, Sim’hat Torah évoque les trois bienfaits dont bénéficièrent les enfants d’Israël dans le désert : les nuées de gloire, la manne et l’eau du puits, par les mérites respectifs d’Aharon, de Moché et de Miriam – tous ces éléments évoquant la Torah et l’investissement dans celle-ci pour contrer le mauvais penchant.

Lorsque les fêtes prennent fin, l’homme doit amorcer un nouveau départ – recommencer depuis « beréchit », avec un regain d’énergie – combattre le mal, étudier et accroître sa crainte du Ciel. Ainsi, il pourra surmonter tous les obstacles, s’élever et se rapprocher du Créateur.

Résumé

 •À priori, la fête de Sim’hat Torah représente un défi de taille. En effet, si l’on considère que la Torah est l’apanage du pauvre, de celui qui se prive, comment se réjouir avec celle-ci ? En outre, quel est le rapport entre la fin et le début de la Torah, dont on enchaîne la lecture en ce jour ? Comment comprendre que l’on lise la mort de Moché en un jour de joie ? Le deuil ne serait-il pas plus approprié ? A cet égard, ne conviendrait-il pas davantage de clôturer la lecture de la Torah le sept Adar ? De fait, Sim’hat Torah suit la période des Jours Redoutables. Si l’homme optimise cette période, il peut vraiment se réjouir à Sim’hat Torah, même en dépit d’épreuves telles que la pauvreté. La mort de Moché est évoquée à dessein, afin de rappeler à l’homme que sa vie est limitée ; il doit donc se repentir et se renforcer en Torah.

 •C’est aussi le lien entre la clôture de la Torah et son recommencement. Moché laissa « aux yeux de tout Israël » une bénédiction : sa Torah, Torah de Vérité. On rappelle la mort du père de tous les prophètes à Sim’hat Torah afin de souligner que c’est la fin de toute chair et que l’homme n’ait garde de s’enorgueillir. De même, le jour de son mariage, on remémore au ‘hatan la destruction du Temple, afin qu’il prenne un bon départ dans sa nouvelle vie.

 •La soucca rappelle les nuées de gloire, créditées à Aharon, tandis que la manne et le puits sont respectivement associés à Moché et Miriam. Tous ces éléments apparaissent à Sim’hat Torah : la Torah s’acquiert par la modestie, symbolisée par le nuage, qui ombrageait la tente de Sarah, caractérisée par cette vertu. La manne – autrement dit, le pain – fait allusion au Livre saint, de même que l’eau. La Torah peut nous permettre de surmonter toutes les difficultés, et c’est là le message de Sim’hat Torah, qui nous donne un nouvel élan pour combattre le mauvais penchant, s’élever et se rapprocher de D.

La voie à suivre

La Torah est qualifiée de pain, mais c’est bien d’un aliment spirituel qu’il s’agit, à privilégier sur la nourriture, la boisson, et autres plaisirs corporels. Il faut s’élever en Torah, notamment en profitant du tremplin que nous offre Sim’hat Torah, et se libérer de l’emprise du penchant pour les richesses matérielles. Ainsi, le pouvoir de la Torah nous permettra d’éradiquer le mal.

 

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