Une séparation difficile – continuité et renouveau

Nos Sages expliquent que Chemini Atsérèt, qui va de pair avec Sim’hat Torah – comme c’est le cas en Israël –, indique une notion d’arrêt : « Arrêtez-vous devant Moi un jour supplémentaire, nous invite le Créateur, car Il M’est pénible de Me séparer de vous ! » (cf. Soucca 54a ; Rachi in Bamidbar 29:36) Nous allons tenter d’approfondir cette notion de séparation difficile.

Dans un même ordre d’idées, nos Sages mentionnent que « la disparition des justes est pénible » (Ekha Rabba 1:39). En effet, tant qu’ils vivent parmi nous, le monde jouit de leur sainteté et de leurs prières, apprenant d’eux comment servir D. Aussi leur disparition laisse-t-elle un vide béant dans le cœur et dans le monde. Lorsque l’on ressent cette perte dans toute son intensité et que l’on s’en désole, on éveille d’une certaine manière leur âme, lui conférant un regain de vitalité, et leur mérite intercède alors en notre faveur. Mais il ne suffit pas de se désoler de leur disparition ; l’essentiel est de suivre leur voie, pavée de sainteté. Le cas échéant, leur influence n’en est que plus grande.

Cela nous permet de comprendre la sentence de nos Sages (‘Houlin 7b) : « Plus grands encore sont les tsaddikim après leur mort que de leur vivant. » Leur influence peut s’accroître en fonction de l’intensité avec laquelle on vit leur perte et on s’attache à leurs enseignements. Ce phénomène s’explique par le fait que, de leur vivant, lorsqu’ils priaient pour la collectivité, leur prière n’était pas agréée à coup sûr – ce qui n’était possible qu’en l’absence d’accusateur. S’il y avait des détracteurs dans le Ciel, il leur fallait multiplier les efforts pour faire accepter leurs demandes.

Cependant, après leur disparition, ils siègent dans le Monde de Vérité, profitant à chaque instant de l’éclat de la Présence divine (Berakhot 17a). D’un autre côté, lorsque les hommes évoquent leur mémoire et étudient leurs enseignements, leurs lèvres remuent dans la tombe (Yevamot 97a). Aussi, de là où ils sont, lorsqu’ils voient que les hommes suivent la juste voie, à leur instar, ils entreprennent immédiatement d’intercéder en leur faveur, surmontant haut la main tous les accusateurs, et déversent immédiatement leur influence bénéfique sur terre.

La situation à Sim’hat Torah et Chemini Atsérèt est quelque peu semblable. A Roch Hachana, nous atteignons une grande proximité du Créateur, situation qui se poursuit tout au long du mois de Tichri, pendant les fêtes de Yom Kippour, Souccot et Hochana Rabba. Nous avons accompli d’innombrables mitsvot, écouté des paroles de Torah, nous nous sommes repentis, nous nous sommes réjouis à Souccot, nous avons fait de nombreuses dépenses pour les fêtes et des dons aux pauvres et avons dansé avec la Torah – tous ces éléments contribuant à renforcer cette grande proximité.

Cependant, quand cette période prend fin, nous ressentons en nous un vide spirituel et nous languissons ces fêtes ; il nous est très difficile de nous en séparer. Que ferons-nous jusqu’à ‘Hanoucca, Pourim et Pessa’h ? Comment nous rapprocherons-nous de nouveau de D. ? D’où puiserons-nous cette sainteté inhérente aux fêtes, pour purifier nos âmes ? Combien notre âme désire-t-elle, une fois passé ce cap, revenir à cette période où nous servions notre Père et Roi dans une grande intimité, et combien Lui-même doit-Il aspirer à cette relation privilégiée ! Que faire ?

C’est là le thème de la continuité, qui rejoint celui de la séparation, si difficile. Comme nous l’avons cité à plusieurs reprises, lorsque Souccot touche à son terme, le Très-Haut déclare à Ses enfants : « Restez un jour de plus, car il M’est pénible de Me séparer de vous ! » Il aspire ainsi à nous maintenir dans la sainteté des fêtes un jour de plus. Cependant, lorsque les fêtes sont de fait révolues, il ne faut pas croire que leur sainteté a disparu. Il est en fait possible de prolonger l’atmosphère des fêtes bien au-delà, de continuer à profiter de cette sainteté et à servir D. tout au long de l’année.

Le prolongement des fêtes

En vérité, tout homme a le potentiel de rester imprégné de la sainteté des fêtes et des Jours Redoutables. Comment ? A Roch Hachana, nous avons opéré une démarche de techouva totale, promettant au Maître du monde de ne plus pécher, nous L’avons couronné comme Roi suprême (Roch Hachana 16a) et Lui avons déclaré : « Je suis à mon Bien-aimé et mon Bien-aimé est à moi. » (Chir Hachirim 6:3) En d’autres termes, nous avons affirmé que nous Lui étions voués corps et âme, sans demi-mesure. Il convient donc de continuer en ce sens même après les fêtes. Le sentiment de vide que l’on ressent n’est, à cet égard, qu’une ruse du Satan, qu’il faut dépasser pour se rapprocher du Créateur.

En outre, les autres mitsvot du mois de Tichri continuent de résonner à nos oreilles ; le son du Chofar se fait encore entendre, écho qui fait vibrer et trembler les fibres de notre âme pendant très longtemps. De même, la soucca, qui évoque de par sa guematria deux Noms du Créateur, peut continuer à nous entourer et nous ombrager virtuellement tout au long de l’année.

C’est aussi le cas de la veillée d’Hochana Rabba, consacrée à la techouva, qui peut marquer de son sceau si particulier toute l’année. Au cours de cette nuit, nous démontrons notre amour pour le Créateur, un amour désintéressé, à l’image de celui de David et Yonathan (Avot 5:16) – et c’est pourquoi cette nuit est placée sous l’égide de ce roi d’Israël. Elle est l’occasion d’une authentique techouva, dont les effets peuvent se prolonger toute l’année.

C’est d’autant plus vrai en ce qui concerne Sim’hat Torah-Chemini Atsérèt, qui est le point d’orgue des fêtes. Le nom de la fête lui-même est éloquent puisqu’atsérèt évoque une idée d’arrêt, comme dans le verset (Chemouel I 21:6) : « nulle femme n’était à notre portée (atsoura lanou) depuis environ deux ou trois jours ». En d’autres termes, il faut alors s’arrêter et emmagasiner cette sainteté pour toute l’année. Si nous élargissons l’interprétation que fait Rachi de ce terme (in Kiddouchin 6a) : « atsoura – qu’elle soit réunie sous un même toit avec moi », il s’agit bien de s’attacher, de se lier à D. et de s’arrêter devant Lui, à Chemini Atsérèt, fête dont l’esprit doit être maintenu tout au long de l’année.

Cependant, comment est-il possible de retenir cette sainteté et de la prolonger tout au long de l’année ? Précisément par l’étude de la Torah, et c’est pourquoi cette double-fête, célébration à part entière (Soucca 47a), nous a été donnée à la fin des Jours Redoutables – « Le huitième jour, aura lieu pour vous une fête de clôture » (Bamidbar 29:35) –, afin d’y atteindre un sommet spirituel. Il s’agit en outre de chemini, du huitième jour, quasi-anagramme du terme nechama (âme), jour qui traduit le dépassement, dans l’esprit du verset : « Donnes-en une part à sept, même à huit » (Kohélet 11:2). C’est un jour où l’on étudie la Torah et, de ce fait, où l’on se lie à D. avec force.

Nous tenons ici la solution : seul un renouveau dans l’étude de la Torah peut permettre d’éveiller et de maintenir intacte la sainteté des fêtes. C’est la raison pour laquelle D. nous a donné ce jour supplémentaire de Chemini Atsérèt-Sim’hat Torah, afin d’échapper au risque de vacuité après les fêtes et, au contraire, de continuer à s’attacher à Lui, à Sa Torah et Ses mitsvot.

Voilà aussi pourquoi, aussitôt après avoir terminé un cycle de lecture de la Torah, nous recommençons à partir de Beréchit. En effet, la Torah n’est pas un simple récit qui, une fois clos, en marquerait la fin. Bien plus que cela, elle est un guide de vie s’appliquant à chaque heure, chaque jour et chaque Juif. La lecture hebdomadaire d’une nouvelle paracha est ainsi, à chaque fois, l’analyse d’une voie supplémentaire dans le Service divin. De fait, la Torah se renouvelle même chaque jour (Pessikta Zoutra Vaet’hannan 6:6), nous apprenant à surmonter toutes les épreuves et à aller de l’avant au quotidien.

Aussi, dès que l’on termine, on recommence depuis Beréchit, afin de se renouveler encore, à l’aune de la Torah, « début de Son action » (Michlé 8:22) et premier jalon dans la vie de tout homme. A Sim’hat Torah, on entame un nouveau cycle de lecture depuis le commencement de la Création, tel un nouveau-né, une nouvelle créature. Cette extraordinaire possibilité de renouveau nous est offerte par le pouvoir de Chemini Atsérèt – le fait de s’être arrêté devant D.

A cet égard, ce jour où l’on commence à lire Beréchit est un jour d’élévation mentale et spirituelle pour toute l’année. D’ailleurs, le Baal Hatanya écrit, dans ses Likouté Si’hot, au nom du Baal Chem Tov, que tous les jours de l’année reçoivent une part de bénédiction du Chabbat Beréchit qui les éclaire.

De ce fait, lorsque les fêtes passent, l’homme doit ressentir qu’il s’élève davantage et ne pas se sentir comme l’année précédente. Car il a pour mission de progresser chaque jour davantage, ce qui le met à l’abri du découragement. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle, dès ce premier Chabbat, nous évoquons la faute d’Adam Harichon, afin de réaliser combien on peut déchoir si l’on rate son départ. Il est donc très important de bien démarrer la nouvelle année, contrairement au premier homme, d’autant que cette paracha nous éclaire pour toute l’année. Dans ce cas, c’est la Torah elle-même qui nous protège et nous met à l’abri de toute faute (Sota 21a). Ce commencement est donc déterminant.

Lorsque l’homme aspire à démarrer du bon pied, il doit s’efforcer de rester dans sa lancée. Tel est le secret pour éviter les pièges du Satan, « qui t’a surpris chemin faisant » (Devarim 25:18) et essaie à tort de nous faire croire que tout l’éclat des fêtes disparaît une fois celles-ci passées. Ne nous laissons pas égarer : la paracha de Beréchit représente tant la fin des fêtes que le début d’une nouvelle année, d’où nous pouvons tirer lumière et bénédiction pour toute l’année.

Résumé

 •En ce qui concerne le sens de la déclaration divine : « Il M’est pénible de Me séparer de vous », qui implique une halte d’un jour supplémentaire auprès du Créateur, nous avons établi une comparaison avec la disparition des tsaddikim. De leur vivant, le monde entier bénéficie de leur présence, notamment à travers leurs prières, et lorsqu’ils meurent, leur perte se fait cruellement ressentir. Cependant, la peine ressentie et l’attachement à leurs enseignements permettent d’éveiller leur âme en notre faveur afin qu’ils continuent à nous protéger. C’est pourquoi « les justes sont plus grands après leur mort que de leur vivant » – leur prière s’élevant alors sans entrave.

 •Il en va de même concernant Sim’hat Torah et Chemini Atsérèt. Pendant tout le mois de Tichri – Roch Hachana, Yom Kippour, Souccot, Hochana Rabba –, nous sommes proches de D. Aussi, lorsque cette période prend fin, nous pourrions ressentir un vide intérieur. Mais il ne faut pas se laisser troubler par ce sentiment et emmagasiner cette sainteté pour toute l’année, notamment au cours du jour supplémentaire dont le Créateur nous gratifie. En effet, ce jour de fête démontre que cette difficulté à se séparer, à se couper du Créateur est en fait réciproque. La nuit d’Hochana Rabba, consacrée à la techouva, continue alors de nous influencer, l’écho du Chofar y résonne encore tandis que l’ombre de la soucca nous entoure. Il est possible et souhaitable de prolonger l’impact de cette période toute l’année.

 •Comment se maintenir dans cette sainteté ? En se consacrant à la Torah, qui est la bénédiction suprême. Elle n’est pas un simple livre d’histoire(s) mais un véritable guide de vie, qui nous permet de nous renouveler, et c’est pourquoi, à Sim’hat Torah, on en recommence la lecture depuis Beréchit. La Torah elle-même est en continuel renouveau, esprit qui doit inspirer l’homme dans sa vie. De plus, la paracha de Beréchit nous apporte de la lumière pour toute l’année, outre le fait qu’à travers le récit de la faute d’Adam, elle nous enseigne l’importance d’éviter la faute et les pièges tendus par le Satan. Celle lecture doit donc nous encourager à nous élever et nous renouveler, force que nous tirons de Chemini Atsérèt, cette « pause » destinée à emmagasiner un maximum de sainteté pour toute l’année.

 

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