Chemini Atsérèt : un sursis auprès d’Hachem

Dans la Torah, on peut lire : « Le huitième jour aura lieu pour vous une fête de clôture ; vous ne ferez aucune œuvre servile. Et vous offrirez en holocauste, comme sacrifice d’odeur agréable à l’Eternel, un taureau (…) » (Bamidbar 29:35-36).

Et Rachi d’expliquer : « “Restez encore un peu chez Moi !” C’est là une expression d’affection, à l’image d’enfants prenant congé de leur père, lequel leur dit : “Il m’est pénible de me séparer de vous. Restez encore un jour !” Le traité de Soucca (55b) illustre cette idée d’une autre manière : cela ressemble à un roi qui, après avoir demandé à ses serviteurs d’organiser un grand banquet en son honneur, demande à celui qu’il apprécie le plus d’en organiser un petit pour profiter encore de sa présence, comme il est expliqué dans le traité Soucca (55b). »

Ces commentaires du maître de Troyes se prêtent à plusieurs questions : à priori, qu’est-ce qu’un jour de répit supplémentaire auprès du Saint béni soit-Il ajoutera à l’amour des enfants d’Israël pour D. ? En outre, s’Il peine à Se séparer de nous, l’ajout d’une simple journée suffira-t-il à alléger cette difficulté ?

Précisons que l’amour divin à notre égard est infini et illimité. Dès lors, même si nous restions avec Lui tous les jours de notre existence sur terre, Son amour n’en serait pas le moins du monde diminué, sentiment qui ne cesse pas même à la mort, comme on le voit concernant Moché Rabbénou. Nos Maîtres affirment ainsi (Devarim Rabba 11:10) que D. était pour ainsi dire presque inconsolable après sa disparition, au point qu’Il Se serait lamenté (Tehilim 94:16) : « Qui M’assistera pour faire front aux malfaiteurs ? Qui M’aidera à tenir tête aux artisans d’iniquité ? » Cela ne fait que renforcer notre question ! En quoi un seul jour peut-il faire la différence ?

Autre point difficile à comprendre : pourquoi la Torah divise-t-elle la fête de Souccot en deux parties – d’une part, sept jours dans la soucca, et de l’autre ce « huitième jour », qui est aussi une fête à part (Soucca 47a, 48a). S’agit-il de prolonger Souccot par une journée supplémentaire, ou bien d’une autre fête à part entière ?

De plus, pourquoi, au sujet de cette fête n’est-il pas écrit, comme pour les autres fêtes, « vous vous réjouirez devant l’Eternel votre D. » ? Pourquoi la notion de joie est-elle éludée ?

Pour répondre, nous allons rapporter un passage du Midrach (Chemot Rabba 33:1) : « Le Saint béni soit-Il déclara à Israël : Je vous ai livré Ma Torah ; Je Me suis en quelque sorte livré avec ! Comme il est dit : “ils prendront pour Moi une offrande [litt. ils Me prendront en offrande]” (Chemot 25:2).

Un roi avait une fille unique, qu’il aimait tendrement, jusqu’au jour où un prince survint et l’épousa. Peu après, ce dernier se rendit auprès du souverain pour prendre congé, désireux de regagner son royaume en compagnie de la princesse. “Je te confie ma fille, lui avoua le monarque, mon enfant unique. Me séparer d’elle, je n’en suis pas capable. T’interdire de l’emmener, je ne le peux davantage : elle est ta femme. Aussi accepte de me rendre le service suivant : partout où vous vous vivrez, aménagez-moi une petite chambre pour que je puisse y vivre à vos côtés.”

De même, le Saint béni soit-Il nous déclare : Je vous ai donné la Torah, mais je ne peux m’en défaire, pas plus que de vous défendre de la prendre ! Aussi, de grâce, à chaque endroit où vous vous rendrez, construisez-Moi une demeure pour que Je puisse y vivre, comme il est dit : “Ils Me feront un sanctuaire ; Je résiderai au milieu d’eux.” (Chemot 25:8) »

Cela reste de mise dans notre exil amer. Depuis que le Temple a été détruit et que toute gloire l’a quitté, la Présence divine y demeure néanmoins attachée dans une certaine mesure, comme l’expliquent nos Sages (Meguila 29a) au sujet du verset (Ye’hezkel 11:16) : « J’ai été pour eux un petit sanctuaire » – « Il s’agit des synagogues et maisons d’étude ». Notre Créateur ne nous a pas totalement abandonnés et nous assiste dans l’adversité, dans l’esprit du verset (Yechayahou 63:9) : « Dans toutes leurs souffrances, Il a souffert avec eux ; Sa Présence tutélaire les a délivrés (…) ».

A cet égard, le mois de Tichri, ponctué de nombreuses fêtes, est caractérisé par une proximité encore plus intense vis-à-vis du Créateur. C’est le moment où le peuple juif se purifie de toutes ses fautes et péchés, de la souillure du mauvais penchant. L’esprit d’impureté quitte alors le monde. C’est donc l’occasion d’une purification profonde, jusqu’à l’âme, dans l’esprit du verset (Yechayahou 1:18) : «  Vos péchés fussent-ils comme le cramoisi, ils peuvent devenir blancs comme neige. » Cette extraordinaire opportunité nous est donnée à Roch Hachana et Yom Kippour, opportunité ainsi décrite dans la Torah (Vayikra 16:30) : « il fera propitiation sur vous pour vous purifier, vous vous purifierez de tous vos péchés ».

Ensuite, à Souccot, nous avons le mérite de « faire le plein » de foi, bien à l’abri dans la soucca. Nous jouissons alors de la lumière directe (or yachar), de la lumière enveloppante (or makif) qui nous entoure, ainsi que de la lumière intérieure de la soucca.

De plus, les quatre espèces que nous manipulons à Souccot témoignent de ce rapprochement avec D. Le ethrog représente la Torah écrite (la valeur de ce mot plus trois – pour les trois autres espèces – équivaut à la guematria de tariag – les 613 mitsvot) ; le hadass renvoie au Sod (la partie ésotérique de la Torah), dont il a, à un près, la même valeur numérique ; la arava symbolise la arevout (la solidarité), telle que l’idéalisent nos Maîtres (Chevouot 39a) : « Tous les enfants d’Israël sont garants l’un de l’autre. » Enfin, le loulav nous enseigne l’importance de servir D. dans la joie, signe de pureté, et d’un cœur pur (lev – deux dernières lettres du nom de cette espèce), en s’inspirant du verset (Tehilim 5:12) : « Ô D., crée en moi un cœur pur, et fais renaître dans mon sein un esprit droit. » Ainsi, les quatre espèces évoquent-elles la Torah et ses 613 mitsvot.

De fait, par le biais de tous ces éléments, l’homme en viendra donc à ressentir une grande complétude et parviendra à un très haut niveau d’attachement au Créateur. In fine, il sera scellé pour une bonne et longue vie, et jouira de la paix.

Combien est grande la joie du Créateur et de toutes les légions célestes, dans les mondes supérieurs, face au travail entrepris en Tichri par les enfants d’Israël, qui parviennent à un niveau d’élévation supérieur à celui des anges, au point qu’Il S’écrie : « Il M’est pénible de Me séparer de vous ! »

Poursuivre l’ascension après les fêtes

Cependant, lorsque les derniers jours de fête prendront fin, nous retournons à la routine du quotidien. Il existe alors un risque de tomber dans les mailles du Satan, « qui cherche chaque jour à tuer l’homme » (Kiddouchin 30b) et ne lui laisse pas de répit. Aussi risque-t-on de perdre tout le bénéfice de ce travail spirituel accompli en Tichri.

De ce fait, à la fin de Souccot, D. nous convie à un jour supplémentaire, celui de Chemini Atsérèt, afin que nous nous attardions à Ses côtés un jour de plus pour y atteindre l’objectif désiré ; ceci ne pourra se faire que lorsqu’on aura abandonné et rejeté toute recherche de satisfaction et de plaisir personnel au profit du Créateur, sans quoi on passerait complètement à côté de l’essence de ce jour.

Expliquons-nous : pendant presque tout le mois de Tichri, à Roch Hachana, Yom Kippour et Souccot, nous prions pour nous-mêmes, pour notre bien-être personnel, implorant le Ciel d’effacer nos fautes et de nous accorder la vie. Notre techouva est donc mue par la crainte de la punition, et non par l’amour de D. Dans le fond, cette démarche n’est pas désintéressée, loin s’en faut.

C’est pourquoi le Très-Haut nous demande de rester avec Lui un jour de plus, qui Lui sera cette fois-ci entièrement consacré. Cette fois-ci, le seul objectif, ô combien honorable, sera de cultiver la proximité avec le Créateur, dans l’esprit du verset (Tehilim 73:28) : « Pour moi, la proximité de D. fait mon bonheur. »

On comprend à présent pourquoi cette fête est distincte des autres célébrations de Tichri. Car, contrairement à celles-ci, elle est vouée à D. et non à l’homme. En ce jour, nous devons nous dévouer totalement au Service de D., car c’est le seul moyen pour intégrer totalement les acquis du mois de Tichri et échapper au mauvais penchant, qui guette un relâchement de notre part, autrement dit, pour ne pas déchoir, après la fête de Souccot. C’est donc la plus sûre garantie de vivre l’accomplissement du verset (Devarim 4:4) : « Et vous qui êtes restés attachés à l’Eternel, votre D., vous êtes tous vivants aujourd’hui ! »

Comme nous l’avons expliqué précédemment, le nom de la fête lui-même est à ce titre éloquent. Atsérèt fait allusion à atsira, une « halte », un arrêt. C’est dire combien il est important que nous cessions alors de servir D. dans notre intérêt, pour nous-mêmes, pour nous dévouer à Sa cause dans un objectif pur. Ainsi, ce jour que le Saint béni soit-Il nous a ajouté sous prétexte qu’« il Lui [était] pénible de [Se] séparer de [nous] », Lui est entièrement voué. Consacré au seul Service de D., il permet à l’homme de continuer ensuite son travail spirituel dans ce sens, tout au long de l’année.

Cela nous permet également de répondre à la dernière question que nous avions posée, concernant l’omission dans le texte de la joie habituellement liée aux fêtes. En effet, d’après nos explications, Chemini Atsérèt est exclusivement destinée à un travail intérieur au Service du Créateur ; c’est une fête dédiée à la jouissance suprême que constitue la proximité de D., de Son éclat et de Sa gloire, un moment visant à cultiver l’intimité entre l’homme et son Créateur, phénomène ainsi décrit (Devarim 4:7) : « qui est le peuple assez grand pour avoir un D. proche de lui, comme l’Eternel, notre D. (…) ? ».

Comment, dès lors, ne s’enthousiasmerait-on pas de cette proximité extraordinaire ? La joie profonde qui résulte de cette prise de conscience ne peut donc manquer d’éclore, sans qu’il soit nécessaire d’imposer ce sentiment par un ordre explicite. C’est une émotion qui vient de l’intérieur, à la différence des autres fêtes où la réjouissance est vécue d’une manière physique, par notre propre plaisir, et peut donc être ordonnée.

Un dernier point reste à éclaircir, concernant la manière dont la Torah présente Chemini Atsérèt : « Le huitième jour, aura lieu pour vous une fête de clôture » (Bamidbar 29:35). Si cette fête est distincte de Souccot, comme nous l’avons prouvé, pourquoi la présenter ici comme son « huitième jour », ce qui implique une continuité avec les jours précédents ?

En vérité, loin de contredire nos explications précédentes, ce point ne fait que les renforcer. En effet, le chiffre huit est toujours lié à la notion de dépassement, de séparation. Ainsi, la semaine est composée de sept jours ; évoquer un huitième jour, c’est s’inscrire dans une dimension extra temporelle, dépassant le cadre de la nature, représenté par le chiffre sept.

Prenons par exemple la mitsva de brit mila. Pendant ses sept premiers jours, l’homme est incirconcis, et ce n’est qu’« au huitième jour [qu’]on circoncira la chair de l’excroissance de l’enfant » (Vayikra 12:3). Ainsi marqué par le sceau de la brit mila, il devient sanctifié, con-sacré à D. En outre, par le retrait du prépuce, l’empreinte divine se révèle.

Chemini Atsérèt est un jour du même ordre. Il n’est pas la continuité de la fête de Souccot mais le « huitième jour », au-delà de la nature, totalement séparé et distinct de la fête qui le précède. Jour totalement consacré à D., de joie intérieure intense et d’extraordinaire élévation, il nous donne l’impulsion nécessaire pour continuer toute l’année sur la lancée des fêtes de Tichri.

Résumé

 •Le jour de Chemini Atsérèt constitue un jour supplémentaire où l’homme s’attarde auprès du Créateur. Qu’est-ce que ce jour vient ajouter à Souccot, et pourquoi partager cette fête en sept jours d’une part et, de l’autre, ce huitième jour, qui est une fête en soi ? Pourquoi, en outre, la joie ne constitue-t-elle pas une obligation à Chemini Atsérèt, comme pour toutes les autres fêtes ?

 •Cette fête se confond avec celle de Sim’hat Torah. Or, on ne peut se rapprocher du Créateur qu’à travers la Torah, D. S’étant, pour reprendre les termes du Midrach, « livré avec celle-ci ». Ainsi, même après la destruction du Temple, la Présence divine continue de résider dans les synagogues et maisons d’étude. A Roch Hachana et Yom Kippour, nous nous purifions et nous rapprochons de D. A Souccot, une étape supplémentaire est franchie, notamment par le biais des quatre espèces, qui impliquent un Service divin entier et sincère, et un rapprochement de D.

 •Cependant, une fois passés ces sept jours, les enfants d’Israël risquaient de retomber dans les rets du mauvais penchant, et c’est pourquoi un jour supplémentaire nous a été donné pour nous « attarder » auprès de D. et nous dépasser, ce fameux « huitième jour », au-delà de la nature, jour indépendant de Souccot, totalement voué au Créateur. La joie ressentie est alors totalement intérieure et c’est pourquoi il n’était pas nécessaire de la souligner. Ce jour est appelé atsérèt – une pause, destinée à faire le plein de forces et à intégrer tous les acquis des fêtes, afin de pouvoir continuer toute l’année à nous rapprocher du Créateur.

 

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