Tel un serviteur devant son Maître

Un serviteur fait preuve de sa fidélité et de son dévouement à son maître, lorsqu’au moment d’être affranchi, il n’est pas prêt à renoncer à son service, comme cet esclave qui, dans la Torah, protestait : « J’aime mon maître (…), je ne veux pas être affranchi » (Chemot 21:5), et continuait, après s’être fait percer l’oreille, à le servir « indéfiniment » (jusqu’au prochain Jubilé).

De manière similaire, à Chemini Atsérèt, après un mois de proximité extraordinaire, le Saint béni soit-Il peine à Se séparer de Ses enfants et leur déclare : « Arrêtez-vous (atsrou) devant Moi un jour de plus, car il M’est pénible de Me séparer de vous » (Soucca 55b sur Vayikra 23:36) – tel est le sens de Chemini Atsérèt. Or, il va sans dire que cette difficulté est tout à fait réciproque et qu’il n’est pas moins difficile à l’homme de quitter la proximité divine à l’issue de Souccot.

Dans cet esprit, l’homme peut déclarer à D. : « J’aime mon maître, ma femme et mes enfants… » – métaphores de D., la Torah et les mitsvot – « … Je ne veux pas être affranchi ». Son maître – ici D. – lui percera (ratsa, dans le texte) alors l’oreille avec un poinçon, et il lui restera éternellement attaché. Il est à noter que le terme ratsa est l’anagramme de atsar – à rapprocher de atsérèt. Alors, D. Se fait une joie de « percer l’oreille » de l’homme, de le garder à Son service, car il s’agit bien d’un attachement mutuel très fort.

A ce titre, seul l’homme qui « s’arrête », fait halte devant D., méritera de ressentir ce lien effectif et affectif avec le Créateur. C’est un niveau qu’il est possible d’atteindre précisément à Chemini Atsérèt, après un mois d’élévation et de proximité intense vis-à-vis de D. Ainsi, lorsque l’homme arrive au niveau du huitième jour – ce chiffre indiquant un dépassement de la nature –, il s’efface totalement devant son Créateur et montre combien la séparation lui est difficile, au point qu’il L’implore de ne pas l’affranchir, affirmant son désir de Le servir éternellement à travers la Torah et les mitsvot.

Cependant, cela ne doit pas nous faire oublier la vigilance la plus élémentaire, puisque même un personnage de la trempe de Doëg, décrit au départ comme « arrêté (néétsar) en présence du Seigneur » (Chemouel I 21:8), trébucha dans le travers la médisance, ce dont il fut sévèrement puni, et causa le génocide des cohanim de la ville de Nov. Pour atteindre la plus grande proximité avec le Créateur, il faut donc se préserver du péché.

Cependant, à l’issue de la fête de Chemini Atsérèt, nous récitons la prière d’Arvit des jours ouvrables et, pour jouir de nouveau de la sainteté des fêtes, nous devons attendre toute une année. Cette peine, à l’idée de quitter la sainteté des fêtes, se lit alors sur tous les visages. Mais il ne faut pas se décourager, puisque nous restons à jamais les serviteurs de D. A travers la Torah et les mitsvot, nous restons plongés dans la sainteté des fêtes toute l’année, à condition toutefois, pour reprendre l’expression du Texte, de « Le servir indéfiniment ». En effet, lors du sursis de Chemini Atsérèt, ce « huitième » jour au cours duquel Il nous demande de nous attarder à Ses côtés, D. nous perce l’oreille pour que nous continuions à Le servir éternellement.

Toutefois, on ne saurait comparer le serviteur qui prend l’initiative de repousser l’affranchissement, demandant à être l’éternel serviteur de son maître, à cet esclave duquel son maître sollicite un jour de travail supplémentaire. En effet, ce dernier démontre ainsi combien il est satisfait de la besogne de son esclave et veut l’honorer. Cela dit, plus grande encore sera la satisfaction du maître de céans lorsque son subordonné clamera haut et fort que son plus cher désir est de poursuivre sa tâche, non pas seulement encore un jour mais toute son existence !

Tel est le sens de Chemini Atsérèt-Sim’hat Torah. Par la Torah, l’homme-serviteur se fait percer l’oreille (nirtsa) – s’arrête (néétsar) devant le Créateur – et acquiert le statut d’éternel serviteur. Car la Torah permet de parvenir à la véritable sujétion, au sens noble du terme.

Or, déjà avant le huitième jour, nous nous préparons, notamment à Hochana Rabba, jour bien particulier puisqu’à l’époque du Temple, on frappait alors les branches de saule devant l’autel, geste qui recèle, comme nous allons le voir, une symbolique profonde.

Rappelons, pour commencer, que l’invité d’Hochana Rabba n’est autre que David Hamelekh (Zohar III 103b), le doux chantre d’Israël, auteur du livre des Psaumes, qui se conçoit comme un panégyrique de la Torah et de tous ceux qui s’y consacrent corps et âme.

Or, pour acquérir la Torah, l’humilité est indispensable (Taanit 7a ; Avot 6:5), l’homme ne pouvant se comparer à un autel devant D. que lorsqu’il se comporte avec modestie, notamment dans l’étude. Par ailleurs, soulignent nos Sages (Vayikra Rabba 30:14), la arava est comparable à la bouche, les feuilles de saule pouvant être assimilées à la forme des lèvres.

Aussi, lorsque l’homme battait les branches de saule devant l’autel, il prouvait son effacement devant D. et s’engageait à ce que sa bouche ne se consacre qu’à la Torah, loin des futilités (cf. Yoma 19b). Or, l’homme ne peut atteindre un tel niveau qu’à partir du septième jour de Souccot, pour se faire « percer l’oreille » au huitième jour et devenir l’éternel serviteur de D.

L’analyse des valeurs numériques de ces différents éléments confirme cette idée, puisque les initiales des termes : « beyom chemini ‘hag atsérèt hazé – au huitième jour cette fête de clôture » ont la même valeur que le mot safa – la langue. C’est dire combien l’essentiel de ce jour s’exprime à ce niveau, l’organe de la parole devant être consacré à l’étude de la Torah.

Le terme de safa évoque plus largement l’idiome, ici la langue sainte à laquelle nous devons nous attacher, en cela qu’elle est d’une sainteté intrinsèque phénoménale. Elle valut d’ailleurs en son temps aux Hébreux le mérite, pour être restée leur langue maternelle tout au long de l’esclavage, d’être libérés d’Egypte (Vayikra Rabba 32:5 ; Pirké deRabbi Eliezer 48). Car c’est par excellence la langue de la Torah, laquelle est tissée des Noms divins (Zohar II 124a) et doit constituer notre principale source d’expression dans la vie.

Plus même, il faut savoir que si l’homme a le mérite de s’adonner à l’étude de la Torah de son vivant, cette faculté ne cesse pas avec sa mort : comme l’expliquent nos Sages (Sanhedrin 90b), lorsqu’un vivant cite leurs enseignements dans ce monde, les lèvres des tsaddikim remuent dans la tombe. Cela nous démontre la force de la Torah, autour de laquelle est centrée la fête de Sim’hat Torah.

Résumé

 •Un esclave prouve sa fidélité et son attachement à son Maître lorsque, quand celui-ci l’affranchit, il refuse de reprendre sa liberté et se déclare au contraire disposé à continuer son service chez lui. Cette situation est celle qui prévaut à Chemini Atsérèt : lorsqu’arrive le moment de se quitter après les fêtes, D. déclare à Ses enfants : « Il M’est pénible de Me séparer de vous », difficulté partagée par ceux-ci, qui déclarent, à l’instar de cet esclave : « J’aime ma femme (la Torah), mon maître (D.) et mes enfants (les mitsvot) ». Alors, le Saint béni soit-Il perce (ratsa) l’oreille de Ses serviteurs, qui le restent à vie. Les lettres des mots ratsa et atsar – même racine qu’atsérèt – peuvent être interverties, comme pour souligner que c’est là le sens de Chemini Atsérèt – cette halte devant D.

 •L’homme qui prend ainsi la peine de « s’arrêter » devant D. – en se consacrant à la Torah et aux mitsvot – a le mérite de se sentir proche de Lui. Il ne suffit toutefois pas d’adopter cette attitude positive ; il faut également se garder des fautes, domaine dans lequel Doëg trébucha. Une fois passées les fêtes, il ne faut pas se décourager, car lorsque nous avons marqué cet arrêt devant D., Il nous a « percé l’oreille » avec joie, ce privilège prouvant la réciprocité de notre attachement.

 •A Hochana Rabba, nous nous préparons à l’approche de ce sommet spirituel. En ce jour, nous frappons en effet les aravot au sol, en souvenir du même geste effectué dans le Temple devant l’autel. En outre, David Hamelekh, qui célèbre la Torah dans ses Psaumes, est l’invité du jour. Nous avons par ailleurs remarqué l’analogie entre la arava et la bouche. Cela nous enseigne l’importance de consacrer notre discours à D. et à la Torah. Les enfants d’Israël ont été délivrés d’Egypte par le mérite de la langue sainte, dans tous les sens du terme, langue de rédaction de la Torah. Celle-ci s’acquiert par l’humilité. Quand l’homme frappe la arava à Hochana Rabba, il exprime cet effacement devant D.

 

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