Quatre espèces et sept invités

La fête de Souccot, avec tous les rites qui l’accompagnent, est entourée d’un halo de mystère. Quel est le secret de la soucca ? Que représentent les visites des Ouchpizin et pourquoi les inviter spécifiquement à Souccot ? Pourquoi la Torah a-t-elle ordonné de se munir d’un loulav, d’un ethrog, de hadassim et de aravot – les quatre espèces ? Pourquoi célèbre-t-on la fête de Souccot après Roch Hachana et Yom Kippour ? Dans le Midrach (Vayikra Rabba 30:2), un parallèle est établi entre le verset : « Vous prendrez, le premier jour, du fruit de l’arbre hadar (…) » (Vayikra 23:40) et : « Tu me feras connaître le chemin de la vie, la plénitude des joies qu’on goûte en Ta présence, les délices éternelles [dont on se délecte] à Ta droite » (Tehilim 16:11) ; quel est le rapport, demande l’Admour de Satmar dans son Kountrass ?

A cette dernière question, il me semble possible d’avancer que la longévité qui représente le vœu le plus cher de l’homme provient essentiellement d’une source : l’étude de la Torah – « élixir de vie » (Avot deRabbi Nathan 34:10) – au sujet de laquelle il est dit (Michlé 3:18) : « Elle est un arbre de vie pour ceux qui s’y accrochent (…) ». De ce fait, le Saint béni soit-Il demande aux enfants d’Israël de se saisir d’un ethrog – même guematria, plus ou moins un, que Torah – autrement dit, de s’accrocher à la Torah. Le loulav, dont la valeur numérique équivaut à celle de ‘haïm (la vie), lui permet d’avoir une longue vie de Torah. Ainsi, « elle est un arbre de vie… » induit la notion de loulav, « …pour ceux qui s’y accrochent », évoque le ethrog.

En outre, lorsque la Torah ordonne : « Vous prendrez (ouleka’htem), le premier jour, du fruit de l’arbre hadar (…) », la formulation du verset lui-même pointe cette direction, puisque la Torah est appelée léka’h : « Car Je vous ai donné un bon enseignement (léka’h), n’abandonnez pas Ma Torah. » Le lien entre la mitsva du ethrog et le verset : « Tu me feras connaître le chemin de la vie  », s’explique donc.

Plus largement, ce passage du Midrach souligne que l’homme méritera de cheminer sur la voie de la vie par les mitsvot de loulav et du ethrog. Concernant la « plénitude des joies », il faut savoir que la Torah est la plus grande source de joie ; « en Ta présence », car elle permet de toujours se tenir devant D. Enfin, le verset précité conclut en évoquant « les délices éternels [dont on se délecte] à Ta droite ». En d’autres termes, dans ces conditions, D. sera toujours à notre droite, nous évitant de trébucher et nous donnant ainsi tout loisir d’accomplir Ses mitsvot et lois.

Plus avant, les quatre espèces évoquent différents niveaux de Torah et de Service de D. Le ethrog fait allusion à la Torah écrite – les tariag (613) mitsvot –, le loulav fait référence à une vie de Torah, le hadass a une guematria équivalente, plus ou moins un, au terme sod – allusion aux secrets de la Torah et à la Torah orale. Enfin, pour couronner le tout, la arava évoque la douceur (arévout), la suavité de l’étude.

A présent, nous allons éclairer la raison pour laquelle nous invitons les Ouchpizin à Souccot (Zohar III 103a). Pendant tout le moins d’Elloul et la période des Jours Redoutables, nous évoquons la mémoire de nos Pères, éveillant ainsi la Miséricorde divine. Il est donc naturel de ne pas les oublier ensuite, en arrivant à Souccot, et de leur garantir une place de choix dans notre soucca, afin de leur donner l’occasion de constater combien ils ont bien fait de nous défendre, puisque nous tenons parole et nous nous montrons d’humbles serviteurs de D., à l’ombre de la soucca, tandis que nous agitons les quatre espèces et nous attachons à la Torah, profitant de sa douceur. Voilà pourquoi nous invitons les sept Ouchpizin, qui correspondent à la fois aux sept jours de la fête et aux sept jours précédant Yom Kippour – Roch Hachana exclus.

Par ailleurs, si l’on additionne les neuf jours de techouva existant mis à part Yom Kippour (Roch Hachana inclus) et la guematria du mot Elloul, on obtient 76. De même, les initiales des noms des sept Ouchpizin ont au total une valeur numérique identique, et c’est pourquoi nous les convions dans notre soucca pour qu’ils trouvent des arguments en notre faveur et acceptent d’assurer notre défense.

Dans cet esprit, le ‘Hidouché Harim écrit que lorsque l’homme pénètre dans sa soucca, il est considéré comme accomplissant toutes les mitsvot de la Torah. Rien de moins étonnant, quand on sait que la soucca est le symbole de l’humilité devant le Créateur et que la Torah s’acquiert par cette vertu (Avot 6:4 ; Taanit 7a). En outre, à Souccot, nous nous saisissons des quatre espèces : le ethrog – qui évoque les 613 mitsvot –, le loulav – la vie –, le hadass – les secrets de la Torah –, et la arava – la douceur de celle-ci. Cette mitsva hautement symbolique représente donc notre acceptation de toutes les mitsvot de la Torah. En outre, on se saisit du ethrog du côté gauche, brisant ainsi les forces impures qui se trouvent de ce côté tout en se renforçant dans la Torah et les 613 mitsvot.

Aussi, si l’Admour de Satmar s’interroge sur la concordance entre la mitsva de loulav et la fête de Souccot, il nous semble tout aussi pertinent de demander pourquoi la fête de Souccot est spécialement fêtée après Roch Hachana et Yom Kippour. La réponse : notre principale prière, notre principale demande pendant les Jours Redoutables est que D. nous pardonne toutes nos fautes et nous accorde une longue et bonne vie. En retour, Il nous demande, après Roch Hachana et Yom Kippour, d’accomplir un geste rituel qui éveille Sa miséricorde en notre faveur ; il s’agit de la soucca, symbole de soumission et d’humilité face à Lui.

A cet égard, le fauteur invétéré pèche principalement par fierté, et D. déclare ne pouvoir coexister avec lui, comme le prouvent les affirmations suivantes : « Tout cœur hautain est en horreur à l’Eternel » (Michlé 16:5) et : « Des yeux hautains et un cœur gonflé d’orgueil, Je ne puis les supporter » (Tehilim 101:5). Le pécheur ne peut, de ce fait, se contenter de déclaration d’intentions ou de pensées, mais il doit traduire son repentir par des actes manifestant l’humilité. Or, en construisant la soucca et en y pénétrant, il annule son ego et témoigne de son effacement devant le Créateur.

En quittant sa demeure pour la soucca, il matérialise ce passage de l’orgueil à la modestie, modestie qui permet l’effacement de ses fautes. En outre, l’homme aspire à la longévité, et c’est pourquoi D. lui a ordonné de se consacrer à la mitsva de loulav, qui évoque, à travers sa valeur numérique, ce thème, et plus généralement aux quatre espèces, symbole des quatre types de Juifs qui, tous, ont la possibilité de faire techouva. Se munir du loulav et le secouer dans la soucca, c’est « secouer » et mettre en fuite tous les accusateurs, jusqu’à Hochana Rabba, date à laquelle la sentence, que nous espérons bonne, est scellée.

En y réfléchissant de plus près, un autre parallèle peut être établi entre Yom Kippour et Hochana Rabba. Lors de la première des deux fêtes, nous nous mortifions à travers le jeûne, tandis qu’à la seconde, cette démarche passe par la veillée d’étude, la privation de repos. Or, le boire, le manger et le sommeil constituent, outre des besoins vitaux de l’homme, des sources de plaisir. Lorsque l’homme s’en prive volontairement, il annule en quelque sorte la matérialité au profit de la spiritualité et s’attire le mérite de la vie éternelle.

 

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