La Torah, un cadeau de valeur

« L’Eternel parla en ces termes à Moïse, dans le désert de Sinaï, dans la Tente d’assignation, le premier jour du second mois de la deuxième année après leur sortie d’Egypte. » (Nombres 1, 1)

Nos Sages, de mémoire bénie, affirment (Chabbat, 10b) que celui qui donne un cadeau à son prochain doit l’en prévenir. Or, la Torah fut donnée en cadeau aux enfants d’Israël (cf. Genèse Rabba 6, 5 ; Beit Halévi sur Proverbes 2, 1), aussi semble-t-il évident qu’avant de la leur confier, le Saint béni soit-Il les avait informés de sa valeur et de sa sainteté. La multiplication des prodiges dont ils furent l’objet en Egypte et à l’heure de leur délivrance en constitue la preuve, puisqu’ils visaient essentiellement à leur prouver la suprématie de Dieu, et partant, de la Torah dont Il est l’auteur. En outre, ces démonstrations de force dont ils bénéficièrent avaient pour but de rehausser l’honneur de la Torah et de la faire apparaître comme le pilier du monde. C’est en effet elle qui assure la pérennité de l’univers, comme il est dit : « Si Mon pacte avec le jour et la nuit pouvait ne plus subsister, si Je cessais de fixer des lois au ciel et à la terre » (Jérémie 33, 25). Autrement dit, c’est pour le pacte de l’Eternel, la Torah, que le monde a vu le jour aux temps immémoriaux de la Création (Nedarim, 32a). Enfin, comme le précise le Zohar (II, 161a), l’Eternel a regardé la Torah puis a créé le monde, la Torah n’étant donc autre que le plan à partir duquel le monde a été conçu.

Le Tout-Puissant désirait signifier à Ses enfants qu’une étude assidue de la Torah constitue l’unique moyen de percevoir la Réalité divine. Car la Torah prouve l’existence de Dieu dans le monde (« Avodat Hakodech » 3, 65 ; Chla, Chavouot, Torah Or, 7). L’homme qui s’attelle avec ardeur à la tâche de l’étude ne peut manquer d’arriver à la conclusion que c’est le Saint béni soit-Il qui a créé le monde et qui continue à le diriger. A l’inverse, celui qui se relâche dans l’étude risque très rapidement de connaître une déchéance et de devenir orgueilleux (cf. Sanhédrin, 24a), car dès l’instant où les paroles de Torah ne sont plus sa préoccupation principale, il se trouve exposé à un grand danger.

Le choix des mots composant l’incipit de notre section, « L’Eternel parla en ces termes à Moïse dans le désert de Sinaï (…) », nous permet de lire en filigrane le fait que le Très-Haut informa Ses enfants de la nature et de la valeur du cadeau qu’Il s’apprêtait à leur remettre, ainsi que des exigences qui en découlaient. Le terme bamidbar (dans le désert) peut en effet être décomposé en bam daber (parle d’eux), à mettre en parallèle avec le célèbre verset : « Tu les inculqueras à tes enfants et tu t’en entretiendras, soit dans ta maison, soit en voyage, en te couchant et en te levant. » (Deutéronome 6, 7) De plus, sémantiquement parlant, le mot bamidbar renvoie à notre devoir de nous rendre semblables à un désert (cf. Erouvin, 54a), c’est-à-dire de courber l’échine et d’effacer notre volonté devant celle du Créateur.

Une autre précision du verset conforte notre interprétation. Bien qu’il soit évident que c’est dans le désert de Sinaï que Dieu s’adressa à Moïse, puisque le peuple juif s’y trouvait alors, cette indication est soulignée. De fait, la mention de ce lieu vise à rappeler le mérite qui valut à cette montagne d’être choisie, de préférence à toutes les autres, comme théâtre du don de la Torah, à savoir sa modestie exemplaire (cf. Meguila, 29a ; Sota, 5a), et à nous tracer ainsi la ligne de conduite à suivre dans notre étude. Enfin, un dernier élément de notre verset est lui aussi très révélateur : la Tente d’assignation, d’où surgirent les paroles divines adressées à Moïse, est une allusion à la maison d’étude – comparée symboliquement à une tente – qui doit être notre principale demeure, car, seulement alors, nous serons en mesure d’apprécier le cadeau de l’Eternel à sa juste valeur.

D’un autre côté, il appartient à l’homme de savoir qu’un laisser-aller dans l’étude de la Torah le place, sans défense, face au mauvais penchant, qui en profite pour l’inciter à commettre une transgression (cf. Kidouchin, 30b). L’offensive d’Amalec subie par nos ancêtres en constitue la preuve, puisque, à peine se furent-ils relâchés dans ce domaine que ce « peuple faible » – am kal, mêmes lettres qu’Amalec – les attaqua (cf. Sanhédrin, 106a ; Rachi ad loc.). Leur négligence dans les quelques mitsvot qu’ils avaient reçues – cet événement se situant avant le don de la Torah – était telle qu’elle suscita en eux une peur redoutable de cet ennemi, pourtant vulnérable, sous le glaive duquel ils faillirent périr. Nous en déduisons, a fortiori, le terrible danger qui nous menacerait de nos jours, où la totalité de la Torah nous a été donnée, si, à Dieu ne plaise, nous la délaissions.

Par conséquent, le Saint béni soit-Il informa Ses enfants à la fois de la valeur du cadeau qu’Il allait leur confier et de la récompense ou de la punition qui leur serait dévolue en cas de fidélité à la voie de la Torah ou, au contraire, de relâchement dans son étude et l’observance de ses lois.

L’homme fut créé le sixième jour et, le soir même de sa création, Dieu lui donna en cadeau le Chabbat, jour saint consacré au repos, qui marquerait un arrêt dans sa course effrénée des six jours de la semaine. De même, Il remit la Torah aux enfants d’Israël le six Sivan qui, selon nos Maîtres (Chabbat, 86b), correspondait à un Chabbat, afin de leur signifier qu’Il leur avait octroyé deux cadeaux de valeur : la Torah et le Chabbat. Nous trouvons par ailleurs que le jour du don de la Torah est aussi surnommé « jour de la Torah », allusion à notre devoir de prolonger l’effet purificateur du don de celle-ci sur notre personne, tous les jours de notre existence, et ce, en veillant quotidiennement à progresser en Torah et en crainte du Ciel – y compris lorsque nous nous occupons de tâches matérielles.

Sur le mode allusif, il est intéressant de noter que les initiales de l’expression yom haTorah (jour de la Torah) forment le Nom divin Ya, tandis que ses dernières lettres, Mèm et Hé, ont une valeur numérique équivalente à celle d’adam (homme). A partir de cette expression, nous pouvons aussi composer le terme torem (donateur), laissant entendre le devoir de l’homme de donner de lui-même, de se sacrifier pour la seule cause de son Créateur. Nous en déduisons qu’uniquement une vie à l’aune de la Torah – comme il est dit : « il vivra par eux [les commandements] » (Lévitique 18, 5) – permet à l’homme de se vouer au Très-Haut, dans l’esprit du verset : « vous offrirez à l’Eternel une oblation nouvelle » (ibid. 23, 16), qui exprime l’idée d’un renouveau constant dans notre service. Or, dès lors que l’homme se sacrifie pour Dieu, en se vouant à la tâche de l’étude et en renonçant à ses désirs matériels, il mérite que le Nom divin réside sur lui.

La Torah est le cadeau le plus précieux que nous puissions posséder (Rachi, Lévitique 26, 3 ; 26, 13). Par son biais, nous avons la possibilité de nous élever spirituellement, échelon par échelon, pour tendre vers la pureté originelle qui caractérisait Adam le jour de sa création, avant qu’il n’ait fauté (cf. Baba Batra 75a). Néanmoins, celui qui ne met pas à profit ce cadeau exceptionnel que l’Eternel lui a remis, risque bien vite de le considérer comme une charge dont il ne cherchera qu’à se dégager. Malheur à lui ! Par son comportement aveugle, il perd aussi bien ce monde que le monde à venir (Safra, Be’houkotaï 2, 3).

A présent, le lien entre la section de Bamidbar et celle qui la précède, Be’houkotaï, apparaît clairement. Cette dernière s’ouvre par le verset : « Si vous vous conduisez selon Mes lois » (Lévitique 26, 3), expression qui, selon Rachi, se réfère à la peine que nous devons nous donner dans l’étude de la Torah. Ainsi, la section de Bamidbar la suit pour nous indiquer que l’essentiel du travail exigé de nous dans ce domaine consiste à nous rendre semblables à un désert, en annulant notre optique personnelle devant celle de la Torah. En outre, il convient également d’adopter une telle attitude à l’égard de notre prochain, en s’habituant à considérer et à valoriser son point de vue plus que le nôtre, en particulier lorsque nous avons tort. Le cas échéant, il nous incombe de reconnaître notre erreur sans tenir compte de la honte que nous pourrions en ressentir.

Malheureusement, il existe des personnes qui étudient la Torah, mais n’en éprouvent aucun plaisir, ne parviennent pas à savourer ce précieux cadeau divin. Je pense qu’un homme peut en arriver à une telle situation lorsqu’il s’attelle à la tâche de l’étude sans annuler son ego devant autrui, car l’opinion de l’autre, si enrichissante, lui faisant défaut, il n’est pas en mesure de jouir du délice subtil de l’étude. Même s’il peut arriver à cet individu de se distinguer par son assiduité ou sa compréhension aiguisée de la Torah, il n’en éprouvera toutefois pas de jouissance, en vertu du verset : « Car J’honore qui M’honore, et qui M’outrage sera livré au mépris. » (Samuel I 2, 30)

Au sujet du don de la Torah, nous pouvons nous demander pourquoi le Saint béni soit-Il choisit de faire monter Moïse dans les cieux, alors que cela mettait sa vie en danger (cf. Chabbat, 88b ; Pessikta Rabba 20), plutôt que de la lui transmettre sur terre. C’est que, pour acquérir la Torah, il faut être prêt à s’élever dans les hauteurs, à se sacrifier, et ce, tout en restant humble et en se gardant bien de tomber dans le travers de l’orgueil. Par sa modestie exemplaire, Moïse incarne cet idéal, idéal qui fut mis à l’épreuve lors de son séjour au ciel. En effet, bien qu’il ne mangeât ni ne bût durant quarante jours et quarante nuits – faisant abstraction de son enveloppe corporelle – et qu’il parvînt à prendre le dessus sur les anges qui désiraient au départ le brûler (ibid.), il ne s’enorgueillit nullement, modestie remarquable ainsi soulignée par nos Maîtres : « Moïse reçut la Torah du Sinaï » (Maximes de nos Pères 1, 1) – tous deux ayant adopté la même attitude.

Par conséquent, l’étude de la Torah dans la modestie représente le niveau le plus sublime que l’homme puisse atteindre. Ceci lui permet non seulement de retirer le maximum de jouissance de cet inestimable cadeau de l’Eternel, mais aussi de raffermir le lien entre ces trois protagonistes que sont le Saint béni soit-Il, la Torah et le peuple juif, qui, selon l’axiome du Zohar (II, 90b ; III, 4b), ne forment qu’une entité.

Résumé

 

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