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Un acte visant la perfection

« L’Eternel parla ainsi à Moïse : "Phinéas, fils d’Eléazar, fils d’Aaron le pontife, a détourné Ma colère de dessus les enfants d’Israël, en se montrant jaloux de Ma cause au milieu d’eux, en sorte que Je n’ai pas anéanti les enfants d’Israël, dans Mon indignation. C’est pourquoi, tu annonceras que Je lui accorde Mon alliance de paix. » (Nombres 25, 10-12)

Il est intéressant de noter que la Torah a opté pour la transcription complète du nom de Phinéas. Quel message peut-on y déceler ? Par ailleurs, une autre lettre, transcrite de manière singulière, mérite notre attention : le Vav du terme chalom est fendu en deux (Kidouchin, 66b). Comme nous le savons, la présence, dans un rouleau de Torah, d’une seule lettre effacée ou coupée, le rend invalide et nécessite une correction, si cela est possible, et sinon son dépôt parmi les autres documents saints usés ou inutilisables – gueniza. Comment donc expliquer que la lettre Vav ait ici été volontairement scindée, sans que ceci rende invalide le reste du texte saint ?

Les mitsvot que nous accomplissons seront rétribuées dans le monde à venir, car « ce monde ne contient pas de récompense » (Kidouchin, 39b) à leur mesure. D’autre part, ce monde est celui de l’Action, alors que le monde à venir est celui du salaire (cf. Erouvin, 22a) qui, en fonction des actes que nous aurons accomplis, prendra la forme d’une récompense ou d’une punition. Or, les versets cités en préambule soulignent l’alliance de paix, accordée par l’Eternel à Phinéas suite au zèle qu’il témoigna pour venger Son honneur. Pourquoi, contrairement à Son habitude, le récompensa-t-Il d’ores et déjà dans ce monde ?

Répondons à ces interrogations à la lumière de ce célèbre enseignement de nos Maîtres : « Ne crois pas en toi jusqu’au jour de ta mort » (Maximes de nos Pères 2, 4). Autrement dit, l’homme ne doit jamais penser avoir atteint la perfection, car tant qu’il est en vie, il est exposé au risque de trébucher – ce qui compromet sa perfection. En réalité, la perfection est propre au monde à venir, tandis que dans ce monde-ci, on ne peut qu’y aspirer, et tel est notre devoir. Il est important de réaliser ceci, et de vivre avec une aspiration constante vers la perfection, de sorte qu’on puisse l’acquérir dans le monde futur. Car, celui qui ne s’efforce pas, durant son existence terrestre, de se parfaire en accomplissant sa mission, ne pourra prétendre à la complétude même après cent vingt ans.

Par conséquent, chaque fois qu’on s’apprête à agir, on veillera à la pureté d’intentions présidant à l’acte, afin qu’il s’inscrive dans une dynamique d’élévation nous hissant vers la perfection. Il arrive souvent qu’au lieu d’être motivés par une crainte du Ciel authentique, nous agissions mus par une volonté d’être honorés par notre entourage ; le cas échéant, notre acte ne peut, de toute évidence, être qualifié de parfait, puisqu’il est entaché d’une grande imperfection.

Au moment où Phinéas se leva avec zèle pour tuer, d’un coup de lance, Zimri et la Madianite, certains membres du peuple juif prétendirent qu’il agit ainsi, poussé par la folie, ou dans le but de retirer de la gloire, face à un Moïse resté passif et impuissant (cf. Torat ’Haïm, Sanhédrin, 82b). C’est la raison pour laquelle le Saint béni soit-Il lui ajouta une lettre de Son Nom, le Youd, de manière à prouver à tous qu’il avait agi en vertu du souffle divin qui l’animait et qu’il ne visait qu’à rétablir Son honneur bafoué. Ainsi, l’écriture complète du nom de Phinéas n’est autre qu’un témoignage, à travers ce Youd supplémentaire, de la pureté absolue de son acte, fruit d’une intention immaculée et d’une crainte du Ciel authentique.

Cela étant, le terme chalom (litt. : paix) fait lui aussi allusion à la perfection – chelémout – de l’acte accompli par Phinéas. Néanmoins, du fait que l’homme n’a pas la possibilité d’atteindre la perfection de son vivant, la lettre Vav de ce mot a été scindée, de sorte à nous communiquer qu’avec toute la bonne volonté du monde, nous ne sommes pas en mesure d’accéder à cet idéal dans ce monde, possibilité qui ne nous sera donnée que dans le monde à venir, dans la mesure toutefois où nous nous serons escrimés, dans le monde de l’Action, à tendre vers cet idéal, à l’instar de Phinéas.

Nous comprenons, du même coup, pourquoi l’Eternel récompensa ce dernier dans ce monde, afin de démontrer aux enfants d’Israël qu’il avait agi de manière désintéressée, et non dans le but de se glorifier à leurs yeux. En effet, s’il avait été motivé par des mobiles impurs et étrangers, il est clair que le Très-Haut ne l’aurait pas, d’ores et déjà, rétribué.

Une autre raison peut être avancée pour expliquer ce choix divin. Comme nous le savons (cf. Pirkei de Rabbi Eliezer, 46 ; Rabbénou Be’hayei, Nombres 25, 11), Phinéas n’était autre que le prophète Elie, lequel possède deux figures : l’une dans ce monde, et l’autre dans le monde supérieur (cf. Zohar II, 197a). Se distinguant essentiellement du reste de l’humanité, il a donc un statut à part et peut, contrairement à celle-ci, toucher une partie de sa récompense dans ce monde.

Dans la suite de notre section, nous est rapportée l’histoire des cinq filles de Celofhad, qui revendiquèrent auprès de Moïse l’héritage de leur père. Celui-ci, mort lors de la traversée du désert, n’avait pas laissé après lui de fils, et elles demandèrent donc que leur soit léguée sa part en Terre Sainte, afin que son nom soit perpétué. Il est écrit : « Alors s’approchèrent les filles de Celofhad (…) Mahla, Noa, Hogla, Milka et Tirça » (Nombres 27, 1), et  Rachi de commenter : « alors qu’il est écrit plus loin : "Mahla, Tirça (…)" (ibid. 36, 11), d’où nous déduisons qu’elles se valaient toutes, ce que sous-entend cette inversion dans l’ordre de leur énumération ». Dans le même ordre d’idées, le Baal Hatourim affirme qu’elles étaient intelligentes, ingénieuses et animées de l’esprit divin, ce qui leur a insufflé le courage de présenter leur requête à Moïse.

Ce sujet soulève toutefois la question suivante : si la loi est effectivement telle qu’un père n’ayant pas eu de garçon lègue son héritage à ses filles et que la revendication de celles de Celofhad était donc tout à fait justifiée, pourquoi l’Eternel a-t-Il attendu qu’elles viennent réclamer leurs droits, plutôt que d’énoncer dès le départ cette loi ?

Il désirait ainsi leur donner le mérite d’être les initiatrices de cette loi (Sanhédrin, 8a), conformément au principe selon lequel « Dieu se sert d’une personne méritante pour exécuter une action louable » (ibid.). Aussi, le fait qu’elles se virent assigner ce rôle, atteste-t-il leur piété et leur pureté d’intentions. Loin d’être motivées par la cupidité et une soif de célébrité, elles ne cherchaient qu’à pérenniser le souvenir de leur père. En leur permettant d’être à l’origine d’une nouvelle loi, le Créateur les récompensa, en quelque sorte, dans ce monde, récompense qui, de surcroît, souligne incontestablement la pureté de leurs mobiles et leur aspiration à la perfection.

Dans le même chapitre, nous est donné un autre exemple d’acte mû par une recherche d’absolu. Ainsi, nous pouvons lire : « Et l’Eternel dit à Moïse : "Fais approcher de toi Josué, fils de Noun, homme animé de Mon esprit, et impose ta main sur lui" » (Nombres 27, 18), puis nous trouvons qu’il « lui imposa les mains » (ibid. 27, 23), glissement que Rachi ne manque d’interpréter : « de bon cœur, et faisant beaucoup plus que ce qui lui avait été demandé. Car le Saint béni soit-Il lui avait dit : "impose ta main sur lui", tandis que lui l’a fait de ses deux mains, le remplissant généreusement de sa sagesse, comme on remplit un récipient à ras bord ». Moïse désirait se plier à l’ordre divin à la perfection, ce pour quoi il imposa ses deux mains sur celui qui était appelé à lui succéder à la tête du peuple, de sorte qu’il puisse remplir cette mission de manière optimale.

De même qu’il ne fait nul doute que Moïse accomplit cet acte de manière totalement désintéressée, nous pouvons déduire qu’aussi bien Phinéas que les filles de Celofhad ont, eux aussi, agi sous l’effet d’une exceptionnelle pureté d’intentions, ce qui leur a valu une récompense immédiate dans ce monde – celle-ci venant confirmer leur grandeur d’âme.

En dernière analyse, nous pouvons remarquer l’absence de complément d’objet au verbe annoncer dans le verset : « tu annonceras que Je lui accorde Mon alliance de paix » (Nombres 25, 12). Le fait qu’il n’est pas écrit : « tu lui annonceras » peut être porteur d’enseignement : l’Eternel ne s’adresse pas uniquement à Phinéas, mais à l’ensemble du peuple juif, qu’Il désire informer de la piété hors pair de celui-ci, piété que vient attester son acte sublime, auquel n’avait pas présidé le moindre soupçon de motivations personnelles, et qui lui valut une alliance de paix avec le Très-Haut.

Résumé

Pourquoi la Torah a-t-elle écrit le nom de Phinéas avec un Youd superfétatoire ? Que signifie la coupure du Vav dans le terme chalom ? Pour quelle raison l’Eternel a-t-Il, contrairement à Son habitude, récompensé Phinéas pour son acte zélé dans ce monde ?

L’ajout du Youd, lettre du Nom divin, atteste la volonté de Phinéas de sanctifier celui-ci, tandis qu’aucun mobile étranger, tel que le désir de se glorifier, ne l’animait. Le terme chalom confirme son aspiration à la perfection (chelémout), la coupure du Vav rappelant toutefois l’inaccessibilité de cet idéal lors de notre vie terrestre. Cependant, quiconque s’escrime à tendre vers cet absolu, aura le mérite d’y accéder dans le monde futur. Le Créateur accorda une récompense à Phinéas dès ce monde, afin de prouver sa piété.

Les filles de Celofhad furent les initiatrices d’une nouvelle loi, ce qui démontre qu’elles revendiquèrent leurs droits, non pas par cupidité, mais afin d’honorer leur père. Alors que le Saint béni soit-Il avait ordonné à Moïse d’imposer une main sur Josué, il imposa les deux, mû par une volonté de se plier à la perfection à l’ordre divin. De même que ce geste de Moïse était incontestablement pur, de même l’étaient ceux de Phinéas et des filles de Celofhad.

L’omission du complément d’objet à la parole divine « tu annonceras » lui octroie une dimension universelle, l’intention étant de divulguer le désintéressement total à la source de l’acte de Phinéas.

 

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