De l’importance du soutien spirituel à autrui
Il est écrit (Béréshit 6:22): « Et Noah’ exécuta ponctuellement tout ce que D. lui avait ordonné ». Rashi (ad. loc.) explique qu’il s’agit de la construction de l’arche (voir Sanhédrin 108a). Le Rabbin Simh’a Zissel de Klame, dans son livre HaMoussar VéHaDaat, écrit: « la Torah témoigne que Noah’ a construit l’arche dans le seul but d’obéir au commandement de D. et son intention n’était pas de se sauver ainsi que sa famille ».
Ce livre donne une explication de bon goût: « Il faut s’efforcer d’approfondir la piété de Noah’. Pendant cent vingt ans, Noah’ est occupé à construire l’arche (Béréshit Rabba 30:7) et pendant tout ce temps il réprimande ses contemporains et les conjure d’abandonner leur mauvaise conduite afin d’éviter le déluge. Mais ses contemporains, non seulement n’ont pas voulu l’écouter et ont refusé de se repentir, mais ils se sont moqués de lui le menaçant de détruire l’arche qu’il construisait, comme dit le Midrash (Béréshit Rabba 32:8): « Comme Noah’ s’apprêtait à entrer dans l’arche, ils voulurent détruire l’arche et la renverser, mais D. l’a protégé en plaçant tout autour des ours, des lions et des tigres afin de les empêcher de s’approcher, comme il est écrit: « D. ferma sur Noah’ la porte de l’arche » (Béréshit 7:16). Noah’, malgré tout, ne s’est pas laissé décourager et a persévéré dans son entreprise pendant cent vingt ans, afin d’obéir au commandement de D. (voir Kidoushin 33a), bien qu’il fût clair pour lui que tous ses efforts étaient vains et que personne ne prenait à cœur de revenir vers D. ».
« Effectivement, il faut se demander pourquoi les contemporains de Noah’ ne le prenaient pas au sérieux et ne se sont pas repentis, alors qu’ils savaient que Noah’ était un homme pieux et que ce qu’il disait était vrai. C’est parce que ses contemporains n’ont pas vu la nécessité de prendre au sérieux la menace du déluge qui allait peut-être tout anéantir à la surface de la terre, car cela les aurait obligés à tenter quelque chose pour sauver leur vie. De plus, l’idée d’être enfermés dans l’arche avec Noah’ et sa famille, à plus forte raison avec des animaux de toutes sortes, leur déplaisait, car - pensaient-ils - mieux valait perdre une telle planche de salut que de s’entasser dans un refuge aussi étroit. Ces bons vivants ne doutaient pas un seul instant que le monde allait poursuivre son cours habituel et leur procurer les plaisirs qu’ils convoitaient, car sinon, se disaient-ils, pourquoi vivons-nous? » poursuit l’auteur de HaMoussar VéHaDaat.
Cela nous permet de comprendre pourquoi le déluge eut lieu, et quelle fut la différence entre Noah’ le pieux et ses contemporains impies. Noah’ « un homme juste et intègre » comme en témoigne la Torah (ibid. 6:9), ne connaissait et ne reconnaissait que la volonté du Créateur. Il désirait obtenir par la construction de l’arche le bien de tous et le repentir des hommes de son temps. Alors qu’ils ne le prenaient pas au sérieux et se moquaient de lui, il a pris des risques et il a continué la construction de l’arche afin d’obéir à D. Peut-être cela sauverait-il ses contemporains du déluge? Eux, de leur côté, n’avaient qu’une seule idée et un seul but, jouir des plaisirs de ce monde, et ils commettaient sans frein toutes les transgressions les plus graves. Les Sages énumèrent leurs crimes: « ils prétendaient qu’il n’y avait pas de justice divine, que D. avait abandonné le monde » (Avot D’Rabbi Nathan 32:3), « même les bêtes sauvages, les oiseaux, et les animaux domestiques avaient perverti leurs voies » (Pessikta Zouta, Rashi Béréshit 6:12, Sanhédrin 108a), « ils se promenaient nus dans les rues » (Tanna D’Bey Eliyahou Rabba 31, Zouta 10), « ils accouplaient des animaux domestiques avec des animaux sauvages, et l’homme avec toutes les bêtes et toutes les bêtes avec l’homme » (Sanhédrin 108a), « toute chair s’était pervertie, même les bêtes sauvages, les animaux domestiques et les oiseaux s’accouplaient les uns avec les autres » (Pessikta Zouta, Rashi, Sanhédrin 108a), « tous dispersaient leur semence » (Kala 2), « ils connurent toutes les perversions et leur sentence fut scellée lorsqu’ils commirent des larcins » (Sanhédrin 108a), « c’est parce qu’ils étaient débauchés qu’ils furent anéantis par l’eau » (Vayikra 12:4). Ils ont préféré prendre le risque de mourir noyés, plutôt que d’habiter dans l’arche avec Noah’, sa famille et tous les animaux. Ils ne voulaient pas se joindre à lui, car ils savaient qu’il les obligerait à se repentir ce qu’ils refusaient de faire, et ils ont préféré perdre la vie plutôt que de vivre à l’étroit, sous le même toit que Noah’ le Juste.
Il est difficile de comprendre comment ils ont pu préférer risquer leur vie sans crainte des eaux du déluge, uniquement pour les jouissances de ce monde. Pourquoi, en fait, refusaient-ils l’influence bénéfique des vertus de Noah’?
Il est certain qu’ils avaient de mauvaises pensées. Ils savaient que parfois « des gens pervers réussissent et des gens honnêtes souffrent » (Brach’ot 7a). Lorsqu’un homme mauvais réussit, il n’imagine pas que le jour viendra où il sera puni de ses fautes et que sa fin sera amère; il pense qu’il pourra échapper à tout et que si un malheur quelconque devait frapper le monde, il sera, lui, épargné. C’est pourquoi le méchant prend des risques et attire à lui le fléau, sans se rendre compte de la réalité de la menace.
Celui qui cherche à jouir de tous les plaisirs de ce monde ne peut pas y renoncer, et même si un homme sage lui explique la gravité de la punition qu’il encourt pour ses fautes et le risque du jugement, cela ne le pousse pas pour autant à changer. Naturellement, tout d’abord il écoute, il entend, il soupire, mais après il oublie toutes les remontrances, car il ne pense pas qu’elles s’adressent à lui et qu’il soit visé par toutes ces menaces de malheur. Dans son cœur, il suscite beaucoup de doutes afin de ne pas prendre les avertissements au sérieux. Bien des gens ne désirent pas entendre les remontrances et les sermons pour ne pas renoncer à leurs jouissances. Ils se justifient en disant: Il vaut mieux ne pas écouter les reproches, ne pas savoir, car « il vaut mieux être de ceux qui transgressent par inadvertance plutôt qu’intentionnellement » (Shabbat 148b). Mais ils commettent une grave erreur car le fait même de savoir qu’écouter les sermons et les remontrances adressés par les Rabbins comporte une obligation et la nier représente une transgression volontaire et non involontaire, puisqu’ils ferment résolument les oreilles à toute leçon.
La génération du déluge s’est rendue coupable d’avoir refusé d’écouter les remontrances de Noah’ et de s’être éloignée de lui, parce qu’elle n’avait nulle intention de se repentir, ni de vivre avec un homme vertueux et de subir ses reproches et ses discours. De plus, ses contemporains pensaient que leur dignité ne leur permettait pas de vivre en compagnie d’animaux de toutes sortes. Ils considéraient Noah’ au même titre que les animaux et ils ne voulaient pas l’aider à construire l’arche. S’ils avaient aidé Noah’ à construire l’arche, il aurait critiqué leurs fautes et leurs agissements pernicieux. C’est pourquoi ils firent en sorte de ne pas savoir, ils évitaient d’approcher l’arche, afin de se faire passer pour des « fauteurs par ignorance ». Ils se moquaient de Noah’, et tentèrent de le tuer pour ne pas entendre ses critiques et pouvoir poursuivre leurs agissements comme s’ils ignoraient leur perversité, pensant ainsi pouvoir éviter la punition.
Mais en fait, D. qui examine les pensées et les cœurs, savait bien que leurs fautes étaient préméditées et Il les condamna à mourir noyés dans l’eau bouillante (Zevah’im 113b), sans bénéfice de circonstances atténuantes. Ils avaient joui d’un temps de sursis pendant lequel ils avaient eu la possibilité de se repentir s’ils l’avaient voulu (Bamidbar Rabba 14:17). Comme ils ne l’ont pas fait, D. les a punis pour leurs crimes, dans le sens où les Sages disent (Avot IV:13): « Une faute involontaire [due à une compréhension erronée] de la loi est considérée comme une faute volontaire ». Ils pensaient pouvoir prétexter qu’ils ignoraient la loi, mais leur crimes étaient conscients et ils furent jugés par D. en conséquence.
La grandeur de la piété de Noah’, d’après ce que dit le Rabbin Simh’a Zissel, est d’avoir construit l’arche uniquement pour obéir à l’ordre de D. et non pas pour se sauver, ainsi que sa famille, et pourtant, les Sages étaient divisés quant à ses qualités réelles (Béréshit Rabba 30:9). Selon l’opinion de ceux qui vantent les vertus de Noah’, nous comprenons que s’il était vertueux à son époque, il va sans dire qu’il l’aurait été s’il avait vécu parmi des gens vertueux, et nous comprenons qu’il n’obéissait en toute chose qu’aux ordres de D. Mais comment peut-on dire que Noah’ n’obéissait dans tout ce qu’il faisait qu’aux ordres de D. selon l’opinion de ceux qui jugent Noah’ défavorablement, alléguant qu’au temps d‘Avraham il ne se serait en rien distingué des autres? Ne s’est-il pas mis en danger et n’a-t-il pas pris des risques réels pour accomplir ce que D. lui a ordonné? Pourquoi ne se serait-il pas distingué au temps d’Avraham, puisque Avraham n’a risqué que sa propre vie dans la fournaise (Béréshit Rabba 38:13), tandis que Noah’ a risqué sa vie et la vie des siens. Est-ce vraiment peu de chose?
De plus, ses contemporains refusaient d’entrer avec lui dans l’arche car ils ne voulaient pas vivre sous le même toit que lui, en compagnie de tous ces animaux, et ils considéraient Noah’ comme une sorte de bête des champs ou d’oiseau sauvage. Mais nous qui connaissons ses qualités et ses vertus, pouvons-nous dire que s’il avait vécu au temps d’Avraham il ne se serait en rien distingué? Pourquoi ce jugement défavorable?
Celui qui juge Noah’ défavorablement connaît ses qualités et n’ignore certainement pas ses vertus. Mais il pense qu’il y avait en Noah’ une faille. D. dit à Noah’: « J’ai décrété la fin de toutes les créatures... je vais les éliminer de la terre... fais-toi une arche de bois de gôfer... » (Béréshit 6:13-14) et: « Voici, Je vais amener sur la terre un déluge d’eau qui va détruire toute chair... tout ce qui est sur terre périra... tu entreras dans l’arche, toi et tes fils, ta femme et les femmes de tes fils... » (ibid. 17-18), et c’est alors que Noah’ construisit l’arche afin d’obéir à la volonté de D. Peut-être aurait-il dû prendre l’initiative de construire une arche pour ses contemporains, lorsque D. lui fit entendre qu’ils étaient coupables de grands péchés. Peut-être aurait-il dû construire une arche pour eux dans le cas où ils se repentiraient à la dernière minute. Non seulement l’arche qu’il construisit n’eut aucune influence bénéfique sur ses contemporains, mais elle n’avait pas pour but de les sauver dans le cas où ils s’amenderaient et reviendraient à D. En fait, Noah’ l’avait construite pour se sauver lui et sa famille, et non pour sauver les autres.
Bien que Noah’ ait fait l’arche afin d’obéir à l’ordre de D. comme il est écrit (Béréshit 6:22): « Et Noah’ exécuta ponctuellement tout ce que D. lui ordonna de faire », il ne l’a pas construite dans le but de sauver ceux qui se seraient repentis, et c’est ce qui lui est reproché. A l’époque d’Avraham il existait des hommes de bien, et c’est à eux qu’Avraham montrait le droit chemin. Si Noah’ avait vécu au temps d’Avraham, il ne se serait en rien distingué des autres car il n’a agi en rien pour ses contemporains, mais seulement pour lui-même et sa famille.
De plus, ceux qui le critiquent pensent qu’en fait Noah’ ne désirait pas que les hommes reviennent à D. S’il l’avait voulu, il aurait demandé à D. la permission de construire de nombreuses arches afin de sauver beaucoup de gens qu’il aurait ramenés à D. Peut-être que s’il l’avait fait, certains l’auraient écouté et se seraient repentis, mais du fait qu’il n’a construit qu’une seule arche, pour lui-même, ils l’ont pris pour un fou qui leur adressait des propos insensés. Car en fait, comment tout le monde aurait-il pu entrer dans une arche aussi petite? C’est pourquoi ils ne l’ont pas cru et ne se sont pas repentis. Et c’est pourquoi il est jugé sévèrement.
De là, nous apprenons que la réprimande exprimée de tout cœur, avec des arguments acceptables, pénètre les cœurs. Il est possible que Noah’ ait pensé que si tous se repentaient, il n’y aurait pas de déluge et donc pas besoin d’arches...
Quelle est la différence entre Noah’ et Avraham, et entre la génération de Noah’ et celle d’Avraham? En quoi s’exprime la différence entre ceux qui jugent Noah’ favorablement, et ceux qui le jugent sévèrement?
Les Sages disent (Béréshit Rabba 30:11): « Noah marchait dans les voies de D. » (Béréshit 6:9) mais à propos d’Avraham il est écrit (ibid.24:40) « L’Eternel, dont j’ai toujours suivi les voies ». Noah’ avait besoin d’aide, de soutien, alors qu’Avraham persévérait et progressait de lui-même dans la voie de la vertu. Ceux qui critiquent Noah’ considèrent qu’Avraham est plus grand que lui, car il fut le seul au monde a avoir reconnu D. dès l’âge de trois ans (Béréshit Rabba 30:8). Il était le seul à avoir foi en D. et à Le servir de sa propre initiative, sans encouragement ni de la part de D. ni de la part d’un maître. Mais Noah’ n’a pas servi D. de lui-même. Il vivait à une époque pervertie et il risquait de fauter comme ses contemporains. Il avait besoin de l’aide de D. Tel est le sens de « Noah’ marchait dans les voies de D. » Le nom Elokim se réfère à l’attribut de Justice (tandis que pour Avraham, il est dit « HaShem », « L’Eternel », nom qui représente l’attribut de Miséricorde). Mais ceux qui jugent Noah’ favorablement pourraient rétorquer: il est vrai que Noah’ avait besoin de soutien, mais il a servi D. en surmontant tous les obstacles qui se trouvaient sur son chemin. Ses contemporains étaient plus pervers que les gens de l’époque d’Avraham, qui lui aussi était seul contre tous. Il est donc certain que la Torah le loue en disant de lui qu’il marchait dans les voies de D. Il a surmonté tous les dangers et il a persévéré dans sa piété et ses vertus. Si, parmi des gens pervers, il s’est comporté vertueusement, à plus forte raison, en d’autres temps, il aurait été encore plus grand.
Nous tirons de là une leçon qui s’adresse à tout le monde. Il faut aider moralement son prochain, propager la connaissance de D., et il va sans dire qu’il ne faut pas imiter les mauvaises actions de nos contemporains. En dépit des souffrances, des décrets et des douleurs, « il faut suivre les voies de D. » (Dvarim 13:5), « Le servir avec amour, Le servir avec crainte » (Sifri Vaeth’anan 6:5), c’est-à-dire accepter toutes les souffrances avec amour. Comme Noah’, de qui les commentateurs écrivent (voir Mey Noah’ sur la Torah): « A son époque » (littéralement: « dans ses générations » au pluriel) signifie: durant beaucoup de générations, car Noah’ a vécu longtemps et toutes les générations qu’il a vues passer étaient constituées de gens méchants et pervertis, mais il ne s’est pas laissé influencer par leurs mœurs, parce qu’il marchait dans les voies de D. ».