Le pouvoir du libre arbitre

« Et Essav dit à Ya’akov : Laisse-moi, je te prie, avaler de ce mets rouge rouge... Ya’akov dit : vends-moi aujourd’hui ton droit d’aînesse. Essav répond : Certes, je vais mourir, à quoi me sert le droit d’aînesse ? Ya’akov dit : Jure-le moi aujourd’hui. Et il lui en fit le serment et vendit à Ya’akov le droit d’aînesse » (Béréchith 25 :30-33).

« Les actes des ancêtres sont un exemple pour leurs enfants » (Sotah 34a). Nous devons donc approfondir le sens du récit de la vente du droit d’aînesse, une vente qui marque le début d’une lutte acharnée entre Ya’akov et Essav qui se poursuit jusqu’à nos jours, et jusqu’à l’arrivée prochaine du Messie. Avant d’en tirer la leçon, il faut se demander :

1. Pourquoi Ya’akov achète-t-il le droit d’aînesse, puisque de toute façon il est appelé le premier-né, comme le disent les Sages (Tan’houma Chmini 2) : « Il est le premier-né aux yeux de D. », et il est écrit (Chemoth 4 :22) : « Mon premier-né Israël » ?

2. On ne peut pas penser que Ya’akov voulait le droit d’aînesse afin de recevoir les bénédictions d’Yits’hak, car nous voyons par la suite qu’Yits’hak l’a béni sans savoir que Ya’akov avait acheté ce droit. Ce n’est que par la suite, lorsque Essav lui dit (Béréchith 27 :36) : « Il m’a supplanté deux fois, il m’a pris mon droit d’aînesse et voici que maintenant il prend ma bénédiction », qu’Yits’hak apprit que Ya’akov était effectivement l’aîné, comme le dit Rachi, rapportant le commentaire des Sages (Tan’houma Yachan 23) : « Il craignait d’avoir béni le plus jeune avant l’aîné, mais en entendant que Ya’akov était l’aîné il se dit : maintenant il est l’aîné et je l’ai béni - « il restera béni » (Béréchith 27 :33). Est-ce donc que les bénédictions sont indépendantes de la vente ?

3. Surtout il faut comprendre pourquoi Essav consentit à conclure ce marché ? Nous savons que l’aîné hérite d’une double part (Brach’oth 51b), et donc, en vendant ce droit il perd volontairement la moitié de son héritage. Pourquoi y renonce-t-il si facilement, alors que nous savons combien il est avide de richesses, au point de satisfaire tous ses appétits par le vol (Béréchith Rabah 65 :13) ?

Ya’akov et Essav sont différents. Ya’akov est un homme intègre, il étudie la Torah (Béréchith 25 :27), il sert D. en tout, avec foi, sans voler, sans tromper, et sans causer aucun dommage. Par contre, Essav vole, brigande et tue. « Il vole les femmes à leur mari » (Béréchith Rabah 65 :1), « il a commis cinq crimes en un seul jour » (Baba Bathra 16b ; Midrach Téhilim 9 :7), « il trompe tout le monde par ses mensonges, il se fait passer pour vertueux, « semblable au cochon qui montre ses sabots fendus comme pour dire : voyez, je suis pur » (Béréchith Rabah 65 :1), apparemment il a beaucoup de respect pour son père (Chemoth Rabah 46 :3 ; Devarim Rabah 1 :14), mais il n’est pas sincère, il le trompe, et il commet toutes les transgressions.

Ya’akov était en train de préparer un plat de lentilles selon la coutume des gens endeuillés car Avraham était mort ce jour-là. Lorsque Essav rentre des champs, fatigué des meurtres commis, il était naturel qu’il demande à son frère de lui accorder la faveur de lui donner quelque chose à manger pour calmer sa faim. Il est évident que Ya’akov (dont le nom a la même valeur numérique que l’expression : baal lev ‘ham, « qui a un cœur chaleureux » et hou igmalekha kol tov, « il te rendra tout le bien ») aurait accédé à sa demande et lui aurait donné ce plat de bon cœur.

Pourtant Essav l’aborde violemment et à grands cris (Béréchith 25 :30) : « Fais-moi avaler je te prie de ce mets rouge rouge », et comme le disent les Sages (Béréchith Rabah 63 :12 ; Bamidbar Rabah 21 :18 ; Tan’houma Pin’has 13) : « Il a ouvert la bouche grande comme celle d’un chameau en disant : moi j’ouvre la bouche, toi tu  verseras comme dans la gorge d’un chameau ». C’est-à-dire que, de gré ou de force, il a exigé non seulement de manger, mais d’être nourri, ce qui montre jusqu’où va sa méchanceté car les méchants exigent de force ce qui ne leur revient pas et qu’ils ne méritent pas, et ils veulent le recevoir sans faire aucun effort.

Ya’akov comprit qu’Essav allait transmettre cette tare à ses enfants, et dans ce cas, comment les Enfants d’Israël pourraient-ils faire face à la cruauté d’Essav et de ses descendants qui seraient capables de les avaler vivants ? C’est pourquoi il voulut affaiblir le pouvoir malfaisant d’Essav, et il dit (Béréchith 25 :31) : « Vends-moi aujourd’hui ton droit d’aînesse », pour amoindrir quelque peu l’emprise de sa méchanceté.

Mais Essav savait que même si Ya’akov lui achetait le droit d’aînesse, il ne recevrait pas une double part de l’héritage de son père, puisque déjà dans le ventre de leur mère, ils avaient partagé entre eux les deux mondes, ce monde-ci et le monde à Venir (Tana D’Bey Eliyahou Zouta 19), et donc il n’avait aucune crainte à ce sujet. De plus, pensait-il, qui croirait que Ya’akov avait acheté le droit d’aînesse, est-ce une chose qui peut se vendre ? C’est ainsi qu’il dédaigna le droit d’aînesse et ses devoirs envers D. (voir Béréchith Rabah 63 :13-14), comme il est écrit (Béréchith 24 :34) : « Et Essav dédaigna le droit d’aînesse ».

La sagesse de Ya’akov fut de n’avoir demandé ni argent, ni richesse, ni héritage en échange du plat de lentilles. Son seul but était de vaincre et d’affaiblir la méchanceté d’Essav. Nous savons aujourd’hui de quelle façon les nations ont volé et pillé les Juifs durant tout le temps de leur exil, et nous pouvons imaginer ce qu’ils nous auraient fait si Ya’akov n’avait pas utilisé cette ruse et n’avait pas acheté à Essav le droit d’aînesse.

Tout cela nous enseigne le pouvoir du libre arbitre. Essav savait combien le mal et l’impureté sont puissants car tout compte fait, il est aussi le fils d’Yits’hak. Lorsque Ya’akov proposa de lui acheter le droit d’aînesse, il avait devant lui deux possibilités : il aurait pu refuser de vendre ce droit, ce qui aurait renforcé son pouvoir de faire le mal et lui aurait permis de dominer Israël. Ou bien, il pouvait accepter et, ce faisant, affaiblir sa capacité de nuire à l’avenir. Un bon choix au début aurait pu avoir une suite favorable s’il avait renforcé ce choix en se rappelant qu’Avraham était mort ce jour-là et en regrettant sa propre méchanceté ; cette pensée en elle-même aurait suffi à éveiller en lui le désir de se repentir.

Mais Essav n’a choisi ni la première possibilité, ni la deuxième. Il décida de vendre le droit d’aînesse, non pas pour affaiblir son pouvoir de faire le mal et pour se repentir, mais au contraire, il comptait sur cette part de mal qui restait en lui après la vente pour continuer à nuire à Israël. C’est pourquoi il accepta ce marché et dédaigna le droit d’aînesse.

Cela nous permet de comprendre ce que D. dit d’Essav (Melakhi 1 :2-3) : « J’ai aimé Ya’akov, mais Essav Je le hais, si bien que J’ai livré ses montagnes à la dévastation et son héritage aux chacals du désert ». Essav avait le choix, un choix qui aurait pu faire de lui, en un instant, un homme vertueux, mais il n’a pas agi dans ce sens. Au contraire, il a dédaigné le droit d’aînesse, il ne renonçait pas à sa méchanceté, et c’est pour cette raison que D. le hait, une haine qui s’exprime par la ruine de ses montagnes (c’est-à-dire l’affaiblissement de son pouvoir) et la dévastation.

Cela montre bien qu’Essav a mal choisi. Les Sages disent (Sanhédrin 29a ; Zohar II, 233b) : « Celui qui en fait trop, fait trop peu » et celui qui minimise déplait à D., comme il est dit (Devarim 4 :2) : « N’ajoutez rien à ce que Je vous prescris et n’en retranchez rien », c’est-à-dire qu’il est interdit d’ajouter ou de retrancher quoi que ce soit à ce qui est écrit dans la Torah.

La conduite licencieuse d’Essav illustre cet interdit, car il cherchait toujours à ajouter des choses à la loi, comme lorsqu’il demanda comment prélever la dîme sur le sel et le foin. Il honorait grandement son père (Chemoth Rabah 46 :3), et pour le servir, il portait les vêtements précieux d’Adam qu’il s’était approprié du butin de Nimrod (Béréchith Rabah 65 :12, Pirkey d’Rabbi Eliézer 24), mais tous les raffinements qu’il ajoutait étaient en fait un amoindrissement, car c’est en honorant son droit d’aînesse qu’il aurait fait honneur à son père Yits’hak et voilà que soudain, Essav méprise ce droit et le vend pour un plat de lentilles. En outre, il pensait servir à son père des nourritures volées, comme le disent les Sages à propos du verset (Béréchith 27 :5) « Il mettait du gibier dans sa bouche » - il trompait son père en lui disant qu’il était l’aîné, sans lui dire qu’il avait vendu ce droit à Ya’akov. De plus, il a méprisé les bénédictions et ne les a pas prises au sérieux. Comment pouvait-il penser que ces bénédictions se réaliseraient pour lui s’il donnait à manger à son père de la viande volée et même impure, comme il est dit dans la traduction de Yonathan ben Ouziel : « Il a tué un chien et l’a apporté à son père ».

C’est qu’il dédaignait les bénédictions tout autant que le droit d’aînesse (Bérakha, la bénédiction, a les mêmes lettres que Békhora, l’aînesse...) si bien que lorsque Rivka entendit ce que Yits’hak disait à Essav son fils - et Yonathan ben Ouziel précise qu’elle l’entendit par révélation divine (Béréchith 27 :5) - elle conseilla à Ya’akov de préparer pour Yits’hak des mets à son goût, de porter les vêtements précieux d’Essav, car il convient à l’aîné de servir son père vêtu de tels habits.

A vrai dire, lorsque Essav sut, en rentrant des champs, qu’Yits’hak avait béni Ya’akov, il prit conscience de son erreur et il comprit combien il avait perdu de son pouvoir. Il regretta le libre arbitre qu’il avait mal utilisé « et il poussa de grands cris pleins d’amertume » (Béréchith 27 :34).

L’occasion lui était donnée de tirer la conclusion qui s’impose et de se repentir d’avoir choisi, au moment de la vente de son droit d’aînesse, de poursuivre son mauvais chemin. S’il avait compris son erreur en constatant tout ce qu’il avait perdu, il aurait su qu’il recevait la juste revanche de ses actes car, de même qu’il avait utilisé les vêtements précieux pour tromper les gens, de même Ya’akov les avait utilisés pour prouver à son père que ce n’est pas le vêtement qui est essentiel mais l’intention, car il faut « que nos paroles reflètent ce qu’on a dans le cœur » (Pessa’him 63a) et soient sincères. Essav avait encore la possibilité de choisir la bonne voie et de donner un sens à sa vie.

Mais tel un chien revenant sur ses traces, Essav répète son erreur et au lieu d’utiliser son libre arbitre pour se repentir en cette occasion exceptionnelle qui lui était donnée de le faire, il persiste dans sa méchanceté et manigance le meurtre de Ya’akov, comme il est écrit (Béréchith 27 :41) : « Le temps du deuil de mon père approche et je tuerai Ya’akov mon frère ». Bien qu’il ait su que son père et sa mère étaient habités par l’inspiration divine et connaissaient ses intentions de tuer son frère innocent, il se rebella contre eux en connaissance de cause.

La honte d’Essav est mise à jour car nous voyons qu’il n’avait pas l’intention d’honorer ses parents, mais de les tromper, et nous savons que telle est, de tout temps, la façon d’agir des gens méchants qui « prononcent des paroles de paix envers leur prochain mais dans leur cœur lui tendent des pièges » (Yérémia 9 :7), « Ils le bénissent en paroles, mais au fond de leur cœur ils le maudissent » (Téhilim 62 :5), et « ...son cœur est plein de tromperies » (Michley 26 :24) - ils se montrent extérieurement pleins d’amitié mais ils n’ont dans leur cœur que tromperie, rancune, haine et jalousie. Celui qui fait partie du peuple juif ne se conduit pas de la sorte, il est droit et sincère, il « n’ajoute rien » et « ne retranche rien », il affaiblit le pouvoir du mal et renforce celui de la sainteté en utilisant son libre arbitre pour choisir la vraie vie, la vie éternelle.

 

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