L’essentiel n’est pas d’étudier, mais d’agir

« Et Ya’akov quitta Béer Cheva et se rendit à ‘Haran » (Béréchith 28:10). Il convient d’approfondir le sens de ce verset, car la Torah a déjà dit, à la fin de la section précédente, que Ya’akov avait quitté Béer Cheva pour ‘Haran. Pourquoi cette répétition ? Et de plus, pourquoi la Torah ne dit-elle pas plus brièvement « Ya’akov quitta Béer Cheva pour ‘Haran ?

Selon les Sages (Avoth I:17): « L’essentiel n’est pas l’étude, mais l’action ». Qu’est-ce à dire ? Celui qui étudie la Torah dans la réclusion de la maison d’étude est imprégné, par la force des choses, de l’influence spirituelle de la Yéchivah. Il est soumis à l’influence de la Torah et des maîtres qui le dirigent, lui enseignent la crainte et le respect de D. et veillent à ce qu’il ne dévie ni à droite ni à gauche. Il peut progresser en sagesse et en vertus, loin de tout souci, et surmonter facilement ses mauvaises tendances. La vraie lutte commence lorsque cet étudiant quitte la Yéchivah pour aller son chemin, loin de l’influence de ses maîtres, de leur surveillance, et de la crainte qu’ils lui inspirent. C’est alors que commence la guerre contre le mauvais penchant, comme le disent les Sages (Chemoth Rabah 27:9): « Celui qui pénètre dans l’arène, est soit vaincu, soit vainqueur » – ou il surmonte son mauvais penchant et l’anéantit, ou le mauvais penchant l’attrape dans les filets qu’il tend et l’entraîne à commettre toutes les transgressions, et c’est ainsi que les jours passent: une fois celui-ci frappe celui-là, une autre fois, il est frappé.

« L’essentiel n’est pas l’étude, mais l’action » disent les Sages. Lorsque quelqu’un se trouve dans la Yéchivah, discipliné dans son cadre et sous l’influence de ses maîtres, il est certain qu’il est capable de surmonter ses mauvaises tendances, et même s’il peut avoir « des hauts et des bas », le fait d’être dans un milieu religieux lui garantit la possibilité de surmonter tous les obstacles et de progresser dans la Torah et la crainte de D. Mais tel n’est pas le but essentiel de l’homme! L’essentiel est la mise en pratique de l’enseignement reçu, à l’heure où l’on quitte la Yéchivah pour se rendre ailleurs, dans un lieu où il n’y a ni Torah ni personne pour veiller sur nous. C’est alors que l’épreuve commence, nous devons faire nos preuves, par nos actes, la pratique de notre foi, notre comportement.

A la lumière de ces considérations, nous pouvons comprendre le cas de Ya’akov. Tant qu’il se trouvait dans la maison de ses parents et qu’il étudiait la Torah, il était soumis à leur influence et avait en exemple leurs bonnes actions. Mais la Torah nous fait comprendre que ce n’est pas seulement chez ses parents que Ya’akov étudiait la Torah. Lorsqu’il se rendit à ‘Haran, lieu habité par des gens malfaisants (voir Béréchith Rabah 63:4), il n’imita pas leur comportement et il resta intègre et vertueux comme il est dit plus tard: « J’ai vécu avec Lavan » (Béréchith 32:5) c’est-à-dire: « J’ai observé toute la Torah et je n’ai pas imité ses mauvaises actions » (Midrach Hagadah, ad. Loc.). Son départ et son voyage sont mis en parallèle: de même qu’en sortant de la maison de son père il était vertueux, de même à ‘Haran, en ce lieu dépravé, il est resté vertueux. C’est pourquoi la Torah répète : « Il quitta... et il alla ».

Nous pouvons ajouter que Ya’akov désirait enseigner à ses enfants et à tous ses descendants que « l’essentiel n’est pas l’étude, mais l’action », c’est pourquoi dès qu’il reçut l’ordre de son père: « Ne prends pas de femme parmi les filles de Canaan, lève-toi, va en terre d’Haran, chez Béthouel, le père de ta mère, et là prends une femme… » (Béréchith 28:1-2), « Ya’akov obéit à son père et à sa mère et il se rendit en terre de Aram » (verset 7), ce qui montre qu’il leur obéit sans tarder. Il savait que cela lui permettrait d’engendrer « les tribus de l’Eternel, selon la charte d’Israël » (Téhilim 124:4), il avait su par la prophétie qu’il allait épouser quatre femmes et donner naissance aux douze tribus. C’est à eux qu’il désirait transmettre le principe que « l’essentiel n’est pas l’étude, mais l’action », et dans ce but, il quitta Béer Cheva immédiatement.

« Ya’akov quitta Béer Cheva », afin d’obéir à son père et fonder une génération d’hommes droits et bénis, pour lesquels la pratique de leur foi est essentielle. Dans ce but, il s’arrêta en route pendant quatorze ans dans la maison d’étude de Chem et Ever pour apprendre la Loi (Méguilah 17a) non seulement dans la sainteté du foyer de son père et de sa mère, mais dans un lieu clos, où il pouvait étudier en toute tranquillité, sans les soucis et les tracas qu’ Essav lui causait. Ensuite, il alla épouser quatre femmes et donner naissance aux douze tribus de l’Eternel. Les premières lettres du mots « Vayetsé Ya’akov », Ya’akov quitta, ont comme valeur numérique seize; ces lettres indiquent les quatre femmes et douze tribus auxquelles Ya’akov a transmis le principe que « l’essentiel n’est pas l’étude, mais l’action ».

Citons en passant l’histoire merveilleuse du Gaon Rabbi Meir Shapira, dirigeant de la Yéchivah Hachmey Loublin, en Pologne. Il avait gravé sur le fronton de sa Yéchivah le verset: « Venez mes fils, écoutez-moi, je vais vous enseigner la crainte de l’Eternel ». Lorsqu’on lui demandait pourquoi il avait choisi ce verset, il répondait: « Ce n’est pas une preuve de sagesse de rester étudier entre les quatre murs de la Yéchivah, car la Yéchivah a une bonne influence sur les gens. Je veux faire comprendre à mes élèves qu’en quittant la Yéchivah, la Torah et la crainte de D. doivent rester gravées dans leur cœur ».

Nous pouvons maintenant comprendre un autre fait extraordinaire, lié au départ de Ya’akov.

Les Sages nous racontent (Séfer Hayachar Vayetsé; Yalkout Méam Loez Vayetsé 28:10 page 54) que lorsque Ya’akov sortit de Béer Cheva, Essav envoya son fils Eliphaz à sa poursuite pour le rattraper et le tuer, faire disparaître le corps, prendre tous ses biens et revenir. Eliphaz obéit à son père. Lorsqu’il rattrapa Ya’akov, celui-ci lui demanda: « Pour quelle raison viens-tu? » Eliphaz lui rapporta les paroles de son père. Alors Ya’akov lui dit: « Voici, prends tous mes biens. Maintenant c’est comme si j’étais mort, car celui qui est pauvre est comme mort » (Nédarim 7b; Zohar II, 119a), ainsi tu as accompli la volonté de ton père ». Eliphaz se laissa convaincre, prit tous les biens de Ya’akov, l’abandonna dénué de tout, et retourna chez son père.

Il se pose un certain nombre de questions:

Nous savons qu’ Eliphaz affectionnait Ya’akov et avait étudié la Torah avec lui. Comment a-t-il pu songer à obéir à son père et tuer Ya’akov, car lui obéir, c’était commettre un crime? Comment a-t-il pu penser faire une chose pareille?

Pourquoi Ya’akov, « le plus parfait des Patriarches » (Béréchith Rabah 76:1), était-il sur la défensive et supplia-t-il Eliphaz de ne pas le tuer mais de prendre plutôt ses biens, car il était un homme vaillant et il aurait facilement pu lutter contre Eliphaz et l’écraser d’un coup puissant? Pourquoi lui a-t-il donné toute sa fortune? Il est difficile aussi de comprendre comment Eliphaz eut le courage de pourchasser Ya’akov, car en réalité il savait que Ya’akov était fort et capable de la vaincre facilement.

Surtout, pourquoi Essav envoie-t-il Eliphaz à la poursuite de Ya’akov son frère, plutôt qu’un bataillon de soldats? Il savait que Ya’akov était ingénieux et capable de vaincre Eliphaz par ses stratagèmes, comme il le fit effectivement. Essav avait déjà expérimenté de façon cuisante la ruse de Ya’akov.

Pour répondre à toutes ces questions, citons tout d’abord les paroles des Sages (Sanhédrin 26b): « La Torah amoindrit les forces de l’homme », c’est-à-dire que celui qui étudie la Torah devient faible et fragile. Nous comprenons donc pourquoi Eliphaz n’a pas craint de poursuivre Ya’akov pour le tuer. Il savait que Ya’akov étudiait la Torah jour et nuit. Il était certain qu’il avait perdu de ses forces, qu’il était trop faible pour lui opposer une guerre défensive. Et donc, sans aucun doute, Eliphaz pensait pouvoir le vaincre et le tuer. C’est pour cette même raison, qu’Essav pensait suffisant d’envoyer Eliphaz à la poursuite de Ya’akov, et qu’il n’était pas nécessaire de recruter un bataillon de soldats. Et donc, il envoya justement Eliphaz qui le connaissait et qui ne se laisserait pas prendre à ses ruses.

Mais D. en avait décidé autrement et Ya’akov trouva grâce aux yeux d’Eliphaz qui s’est laissé convaincre. Il s’est contenté de s’emparer de tous ses biens, et lui a laissé la vie sauve.

De son côté, Ya’akov était resté un vaillant homme de guerre, car au contraire, la Torah lui avait ajouté vitalité et puissance, et il puisait en elle autant de forces spirituelles que physiques. Il avait assez de vigueur, avec l’aide de D., pour mater Eliphaz sans devoir lui remettre ses biens. Mais Ya’akov, chaque fois qu’il se trouvait en difficulté, se préparait à présenter des cadeaux, à prier, ou à faire la guerre, comme ce fut le cas lors de sa rencontre avec Essav et ses quatre cents hommes (Tan’houma Vayichla’h 6). Tout d’abord, il se prépara à l’amadouer par des cadeaux et des prières, et ce n’est que lorsqu’il ne lui resta pas d’autre choix, qu’il se prépara à la guerre. De même, il pria D. de sauver son âme des attaques d’Eliphaz et effectivement, se voyant sauvé, il lui donna en cadeau tous ses biens sans avoir besoin de lui faire la guerre.

Nous pouvons ajouter que Ya’akov n’a pas fait la guerre contre Eliphaz, probablement parce qu’il ne voulait pas peiner son père Yits’hak par le meurtre d’Eliphaz, qui était son petit-fils, ou parce qu’il ne voulait pas attiser et augmenter la haine de son frère Essav envers lui et ses descendants en tuant son fils, ou encore afin de ne pas annuler la prophétie de Chem et Ever. Nous savons que lorsque Rivka était enceinte, elle se rendit à la Yéchivah de Chem et Ever (Béréchith Rabah 63:6) pour savoir ce qu’il adviendrait d’elle (Béréchith 25:22). Ils lui répondirent : « Deux nations sont dans ton sein, deux peuples sortiront de tes entrailles (Béréchith 25:23), c’est-à-dire Ya’akov et Essav/Edom. Si Ya’akov avait tué Eliphaz, Essav n’aurait pas eu d’avenir et Edom n’aurait pas existé… Pour toutes ces raisons, Ya’akov ne l’a pas tué, il l’a seulement soudoyé avec ses biens, et il a réussi.

Eliphaz n’a pas considéré le fait qu’obéir à son père serait commettre un crime, car Yits’hak avait béni Essav « tu vivras à la pointe de ton épée » (ibid. 27:40) et Essav pensait que tant que « la voix est la voix de Ya’akov » (ibid. 22), « les mains d’Essav ne dominent pas » et ne peuvent lui faire aucun mal (Béréchith Rabah 65:20). A présent que Ya’akov est en route, sa voix ne se fait pas entendre, et Eliphaz pensait qu’il lui était permis de le tuer conformément à la bénédiction reçue d’Yits’hak « tu vivras à la pointe de ton épée ». Essav se méfiait grandement de Ya’akov. Il ne pouvait pas vivre tranquille et en paix tant que Ya’akov était vivant, et c’est pourquoi il voulait se débarrasser de lui en le tuant. Essav n’avait-il pas dit: « les jours de deuil de mon père approchent et je vais tuer mon frère Ya’akov » (Béréchith 27:41)? Il faut donc se demander pourquoi il veut le tuer dès maintenant? Peut-être avait-il changé d’avis, car telle est la caractéristique des ennemis d’Israël de changer tout le temps d’avis. Il lança Eliphaz à la poursuite de Ya’akov pensant que Ya’akov avait abandonné la Torah à cause des tribulations du voyage, et qu’il pourrait le vaincre. Malgré le respect d’Essav pour son père (Béréchith Rabah 65:12; 82:15; Chemoth Rabah 46:3; Devarim Rabah 1:14), il n’a pas tenu compte de la peine qu’il lui causerait par la mort de Ya’akov; son frère – apparemment en cela, il ne le respectait pas.

Il est possible d’interpréter ce verset: « les jours de deuil de mon père approchent et je tuerai Ya’akov, mon frère », bien que cela puisse causer la mort de mon père prématurément, car il va sûrement mourir de chagrin, malgré tout, je veux tuer mon frère Ya’akov maintenant.

Ya’akov savait que « l’essentiel n’est pas l’étude mais l’action », en effet il se préparait à la guerre, la guerre de la Torah. Même en route, il continuait à méditer la Loi, et donc c’est la voix de Ya’akov qui eut le dessus, et les mains d’Essav restèrent impuissantes. De tout temps, pour chaque Juif, lorsque la voix de Ya’akov domine et que la voix de la Torah « se fait entendre sur les hauteurs », les mains d’Essav sont impuissantes, et il est possible de vaincre facilement la haine de nos ennemis ainsi que le mauvais penchant et ses cohortes, et rester en vie, une vie vraie et éternelle, pour continuer à progresser dans la Torah.

 

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