Le mérite des Matriarches
Par la suite, nous trouvons encore une fois un exemple de la bonté de Ra’hel envers autrui. Lorsqu’elle vit qu’elle ne donnait pas d’enfants à Ya’akov, et que justement sa sœur rivale, qui avait dès le début pris sa place et son bonheur, donnait naissance aux tribus d’Israël, elle ne déplora pas la sévérité de son sort. Au contraire, elle comprit rétrospectivement qu’elle avait cédé sa place à sa sœur Léah parce que – ce qui est maintenant prouvé – Léah était plus méritante qu’elle, sinon c’est elle qui aurait enfanté les chefs des tribus d’Israël, des hommes vertueux et vaillants comme Réouven, Chimon, Lévi etc. Ra’hel se sentit dorénavant superflue dans la maison de Ya’akov. Si elle ne remplissait pas son rôle de maîtresse de maison, elle ne méritait pas de vivre aux côtés de Ya’akov. Ra’hel jalousa sa sœur Léah, elle jalousait ses bonnes actions, « elle se disait que si sa sœur n’était pas plus vertueuse qu’elle, elle n’aurait pas mérité d’avoir des enfants » (Rachi ad. loc.). Elle reconnaissait que Léah avait le mérite de fonder le peuple d’Israël, et elle comprit qu’elle avait bien fait de lui confier les signes de reconnaissance.
Mais Ra’hel désirait le bien de son mari Ya’akov. Elle lui dit: « Donne-moi des enfants », autrement dit: prie pour que je mérite d’avoir des enfants, afin d’avoir une part dans les douze tribus d’Israël, « sinon je suis morte », c’est-à-dire: je suis considérée comme morte, comme superflue, puisque je ne remplis pas mon rôle et ma raison d’être, qui est d’enfanter les saintes tribus d’Israël, selon la Torah et ses commandements, et donc que vaut ma vie et que valent tous mes efforts?
De plus, Ra’hel pensait que si elle n’avait pas d’enfants, Ya’akov allait la renvoyer, et elle acceptait et justifiait cette sentence puisqu’elle ne remplissait pas son rôle. Mais alors, elle serait comme morte, car Essav allait l’épouser et, épouser un tel homme c’était comme mourir, puisque « les hommes méchants sont considérés comme morts même de leur vivant » (Brach’oth 18b; Béréchih Rabah 39:7), et dans ce cas elle aussi serait considérée comme morte.
Nous pouvons ajouter que Ra’hel savait combien Ya’akov était saint, donc elle savait certainement que chaque jour passé en compagnie d’un tel homme représente un jour où le monde est amélioré. Si elle ne pouvait pas participer avec Ya’akov à la construction et la correction du monde (du fait qu’elle n’avait pas d’enfants), c’est comme si elle ne vivait pas, comme si elle ne méritait pas de vivre avec cet homme vertueux qui était lui-même la vie, comme il est dit (Avoth DéRabbi Nathan 34:10): « Les Justes sont éternellement vivants ». Elle craint, à juste titre, que Ya’akov ne la renvoie et qu’Essav l’épouse. Mais pourquoi Essav épouserait-il une femme stérile qui ne peut pas lui donner d’enfants? Justement Essav savait combien Ra’hel était vertueuse, qu’elle était source de sainteté, il aurait été très heureux de l’épouser. Cela lui aurait permis de puiser la sainteté qui était en elle pour réduire l’impureté qui était en lui, acte pour lui bien plus profitable que d’avoir des enfants. C’est justement de cela que Ra’hel eut très peur.
Ra’hel, voyant que son mariage avec Ya’akov n’avait pas de but et qu’il n’y avait aucune raison pour qu’elle continue d’être son épouse si elle ne lui donnait pas d’enfants, lui demanda de prier pour elle pour qu’elle ait des enfants, sinon elle serait comme morte.
Mais Ya’akov n’avait nulle intention de renvoyer Ra’hel de chez lui. Surtout pas après avoir constaté combien elle était noble, vertueuse, et avait bon cœur. C’est pourquoi il se fâcha et dit: « Suis-je à la place de D.? » Une telle chose ne dépend pas de moi, mais de la volonté divine, et il n’y pas à chercher les raisons de D. Il lui fit comprendre que c’est D. qui l’avait privée d’enfants – Il t’a privée certes, mais Il ne m’a pas privé, et si j’ai des enfants, tu n’en es pas moins importante dans ma maison.
La réponse de Ya’akov nous montre qu’il ne partage pas l’opinion de Ra’hel et qu’il ne la considère pas inutile parce qu’elle n’enfante pas. Au contraire, il la console du fond du cœur, lui disant qu’elle n’a pas à craindre d’être renvoyée, d’autant plus qu’Essav risquait alors de l’épouser et de profiter de sa sainteté. Ya’akov lui promet qu’elle sera toujours la maîtresse de maison, comme disent les Sages (Béréchith Rabah 71:3): « Ra’hel était la femme préférée de Ya’akov ».
Malgré ses paroles consolantes, Ya’akov fut puni pour n’avoir pas prié en faveur de Ra’hel. Elle ne fut pas enterrée à ses côtés (Béréchith Rabah 72:3), parce qu’il l’a consolée mais n’a pas prié en sa faveur comme elle le lui avait demandé. Mais D. Se souvint de tout le bien qu’elle avait fait et Il lui donna la fécondité.
Nous devons essayer de comprendre, au mieux de notre entendement, pourquoi Ya’akov n’a pas prié pour elle. C’est qu’il n’avait aucune intention de la renvoyer, et encore moins de la donner en mariage à Essav. C’est elle qui souleva le problème et la question en premier lieu. Ya’akov avait du mal à comprendre ses craintes, il se fâcha et en oublia de prier pour elle, tant il était soucieux de lui faire oublier ses craintes.
Il faut se demander pourquoi Ya’akov doit être puni du fait que Ra’hel ne sera pas enterrée à ses côtés, car en fin de compte, de quoi est-il coupable?
Nous voyons ici combien la justice de D. est rigoureuse. « Si D. avait réprimandé les Patriarches, ils n’auraient pas pu résister à Ses reproches » (Chohar Tov Téhilim 26:1; Yalkout ibid. 703). D’une part, il est écrit: « Rends-moi justice, Seigneur, car j’ai marché dans mon intégrité… » et d’autre part: « Ne porte pas jugement sur Ton serviteur car nul vivant ne peut se trouver juste à Tes yeux » (Téhilim 143:2). David HaMélé’h dit devant D.: « Maître du monde! Lorsque Tu portes un jugement sur les coupables, juge-moi (car par rapport à eux je suis vertueux), mais lorsque Tu juges les Justes, ne portes pas de jugement sur Ton serviteur ». Et donc ici aussi, D. a jugé Ya’akov pour n’avoir pas prié en faveur de Ra’hel comme elle lui demandait de le faire, ce qui donnait à Essav la possibilité de penser, ne serait-ce qu’une fraction de seconde, qu’il profiterait de cette occasion et épouserait peut-être Ra’hel. Dans ces cas là il est dit: « nul vivant ne peut s’estimer juste à Tes yeux » et c’est pourquoi Ya’akov fut jugé sévèrement et n’a pas mérité que Ra’hel soit enterrée auprès de lui.
Malgré la distance qui les séparait, Essav savait que Ya’akov pensait épouser Ra’hel. De même, de nos jours, les nations savent ce qui se passe chez nous et ils savent quand nous ne suivons pas le droit chemin, même en privé. Cela leur donne la possibilité de tramer contre nous leurs projets haineux. Mais lorsque nous, les Enfants d’Israël, suivons la voie que D. nous a tracée, aucun peuple et aucune nation ne peuvent rien contre nous (Ketouboth 66b) car nous sommes les proches de D. S’Il nous renvoie de Sa maison, c’est avec l’intention de nous faire revenir, car nous sommes pour toujours les Siens.
Nous avons vu combien Ra’hel était vertueuse, et combien elle eut de compassion envers sa sœur, et nous avons vu la vertu de Léah, qui elle aussi ne prenait en considération que ce qui était bon pour l’autre.
Il est dit que les yeux de Léah étaient faibles tant elle avait pleuré parce qu’elle ne voulait pas épouser Essav. Tout autant que sa sœur Ra’hel, elle voulait vivre avec un homme vertueux.
Le mot ra’hot, qui décrit la faiblesse de ses yeux, vient du mot ra’h, doux, ce qui indique que Léah n’avait pas d’ambitions, mais qu’elle était humble, elle baissait les yeux, elle ne se plaignait pas et n’accusait personne. En fait elle n’avait aucune raison de pleurer en entendant les commérages puisque Essav avait vendu son droit d’aînesse à Ya’akov (Béréchith 25:33), dorénavant c’était lui l’aîné et c’était donc lui qui devait l’épouser, contrairement au bruit qui courait « Ra’hel pour Ya’akov et Léah pour Essav ».
Mais Léah, parce qu’elle était si vertueuse, se soumit à la sentence et s’effaça devant sa jeune sœur. Elle accepta son destin, mais elle en pleurait, et c’est le sens de « les yeux de Léah était faibles », elle baissait les yeux devant sa sœur et déplorait que le sort veuille l’unir à Essav. Mais elle n’a pas porté grief contre sa sœur ou contre son père Lavan, tant elle était humble.
Combien les qualités de Léah sont étonnantes et sa conduite exceptionnelle. Elle savait qu’elle avait raison, en dépit des rumeurs. Elle aurait pu revendiquer ses droits auprès de Ya’akov, mais elle se tut, et elle accepta la honte et les moqueries sans se plaindre, comme le disent les Sages (Chabath 88b; Yoma 23a): « Les gens vertueux sont offensés mais n’offensent pas, ils entendent les insultes mais ils ne rétorquent pas ».
Mais « L’Eternel éprouve les cœurs » (Michlei 17:3). Il connaît le fond des cœurs et des pensées. Il sait la noblesse de Léah, Il sait qu’elle ne fait grief ni à sa sœur Ra’hel ni à son mari Ya’akov, mais qu’elle pleure en silence au point d’en perdre les cils et d’affaiblir sa vue. Elle prie D. de lui épargner de tomber entre les mains d’Essav. La justice est de son côté, puisque contrairement à l’opinion publique, c’est Ya’akov qui est l’aîné.
Et donc, D. dirigea les événements de telle sorte que l’aînée épouse l’aîné (Ya’akov), en poussant Ra’hel à renoncer à son bonheur en faveur de Léah qui est son aînée, et à la laisser épouser Ya’akov qui est l’aîné, comme dit Lavan (Béréchith 29:26): « Ce n’est pas l’usage dans notre pays de marier la cadette avant l’aînée ». Les paroles de nos Sages (Tan’houma Vayikra 3) se sont réalisées en Léah: « Celui qui fuit les honneurs se voit poursuivi par les honneurs », et c’est justement parce qu’elle eut la modestie de ne pas revendiquer le droit d’aînesse que ce droit lui revint et qu’elle épousa Ya’akov.
Nous voyons ici combien les Matriarches avaient de respect l’une envers l’autre. Chacune s’effaçait devant l’autre, chacune désirait le bonheur et la joie de l’autre, au détriment de son propre bonheur. D., qui dirige les événements et connaît le fond des cœurs, savait que toutes deux méritaient d’édifier les douze tribus de la Maison d’Israël, les tribus de l’Eternel, et Il a organisé la suite des événements de telle sorte que Ya’akov épouse les deux femmes. Bien qu’il ait aimé Ra’hel, il épousa tout d’abord Léah, et ensuite il travailla sept ans de plus pour Ra’hel.
Léah, qui était modeste et baissait les yeux, fut rétribuée mesure pour mesure, elle épousa Ya’akov la première, car les honneurs la poursuivaient, et l’enchaînement des événements fut dirigé par le Ciel.
C’est une leçon pour chacun de nous. Les Matriarches, qui se sont toujours sacrifiées pour le bien de l’autre sans penser à leur propre intérêt et sans mettre en avant leurs droits, sont pour nous un exemple.
Nous retrouvons cette même vertu des Matriarches justement à la sortie d’Egypte, chez les femmes de cette génération, comme le disent les Sages (Sotah 11b; Bamidbar Rabah 3:4): « C’est grâce au mérite des femmes vertueuses que les Enfants d’Israël furent sauvés d’Egypte», car elles se sont sacrifiées pour le bien du peuple. De même, lors de la faute du veau d’or, les femmes refusèrent de donner leurs boucles d’oreilles en or pour ne pas participer à sa fabrication (voir Rachi Chemoth 32:2; Zohar I, 172a). Il est écrit: « Détachez les pendants d’or qui sont aux oreilles de vos femmes… » ce qui montre qu’il fallut les prendre contre leur gré, de force, car elles ne voulaient pas les donner. Leur refus de participer à la fabrication du veau d’or représente une sanctification du Nom de D., par contre, lorsqu’il fallut faire des offrandes pour la construction du sanctuaire, ce sont les femmes qui furent les premières à offrir leurs bijoux pour édifier le sanctuaire et ses ustensiles (voir Zohar II, 196b, 224a).
Les vertus des femmes étaient telles, qu’avant le don de la Torah, D. S’adressa à elles en particulier (séparément des hommes), comme il est écrit (Chemoth 19:3): « Ainsi tu diras à la Maison de Ya’akov, tu parleras aux Enfants d’Israël » et les Sages expliquent (Yalkout Chimoni Yithro 276): « La Maison de Ya’akov, ce sont les femmes ». De plus, Rachi souligne (ad. loc.): « tout d’abord, il est écrit: « tu diras » ce qui indique envers les femmes un langage doux, et ensuite « tu parleras » aux hommes, sévèrement, et cela parce que les femmes sont l’essentiel de la Maison d’Israël ». Les Sages ont demandé (Brach’oth 17a): « Par quoi les femmes gagnent-elles du mérite? » puisque l’obligation d’étudier la Torah ne s’applique qu’aux fils, et pas aux filles (Kidouchin 29b). Il est dit aussi (Sotah 20a): « Celui qui enseigne la Torah à sa fille, c’est comme s’il lui enseignait des futilités ». Mais elles envoient leurs fils à l’école, elles veillent aux lois de pureté familiale, elles attendent le retour de leur mari, et elles veillent aux commandements qui gèrent les relations sociales, et c’est pourquoi les femmes aussi se lèveront et chanteront la Gloire de D. lors de la résurrection des morts, bien qu’elles n’étudient pas la Torah. Parce que leur dévouement et leur empressement dans la pratique des commandements sont grands, elles reçoivent leur récompense dans ce monde et dans l’autre.