L’humilité, écran contre l’orgueil

« Ainsi parle ton serviteur Ya’akov: J’ai séjourné chez Laban et j’ai tardé jusqu’à présent... les messagers revinrent auprès de Ya’akov en disant: Nous sommes allés trouver ton frère Essav, et lui-même vient à ta rencontre, accompagné de quatre cents hommes. Ya’akov eut très peur et fut rempli d’anxiété » (Béréchith 32:5-8).

Nous avons déjà cité le commentaire de Rachi basé sur le Midrach, mais il nous reste encore quelques questions.

1. Nous nous sommes demandé à plusieurs reprises ce que Ya’akov veut faire comprendre à Essav? Ya’akov attise la colère de son frère, et la haine d’Essav sera d’autant plus vive que son père a béni Ya’akov en disant: « Lorsque la voix de Ya’akov se fait entendre dans les maisons d’étude et de prière, les mains d’Essav sont impuissantes » (Béréchith Rabah 65:16; Zohar I, 171a).

2. Comment est-il possible que Ya’akov ait observé tous les commandements de la Torah chez Laban alors qu’il était en exil où il ne pouvait ni honorer ses parents, ni pratiquer les commandements qui ne s’appliquent qu’en terre d’Israël, ni probablement respecter d’autres obligations?

3. Pourquoi Essav se fait-il accompagner de quatre cents hommes? Qu’est-ce que ce chiffre indique? Et pourquoi Ya’akov a-t-il si peur de lui puisqu’après avoir réussi à vaincre l’ange d’Essav (‘Houlin 92a; Béréchith Rabah 78:2), il aurait sûrement pu le vaincre aussi?

Pour répondre à ces questions, citons tout d’abord le verset (Ochéa 14:3): « Armez-vous de paroles suppliantes et revenez à D. », que Rachi explique ainsi: « Veuille agréer les paroles que nous prononçons en remplacement des sacrifices que nous aurions dû T’offrir ». Et les Sages disent (Mena’hoth 110a): « Celui qui étudie la Torah est considéré comme s’il présentait un sacrifice », ce qui signifie que l’étude des lois qui gèrent un certain commandement de la Torah est considérée comme équivalente à la pratique de ce commandement. Et donc Ya’akov, qui avait étudié toutes les lois de la Torah fit savoir à Essav que cette étude le sauverait sans aucun doute de ses attaques.

Il est possible d’ajouter que Ya’akov avait observé le Chabath dans la maison de Laban (Béréchith Rabah 79:6; Pessikta Rabah 23:9). Le Chabath équivaut à tous les commandements de la Torah (Yérouchalmi Brach’oth 1:5, Chemoth Rabah 25:16), et c’est comme s’il avait observé tous les commandements, sans exception.

Ceci dit, expliquons le sens des paroles de Ya’akov à la lumière du fait qu’Essav vient, accompagné de quatre cents hommes, attaquer Ya’akov.

Le chiffre quatre cents symbolise l’exil, comme il est écrit (Béréchith 15:13): « Et D. dit à Avram, sache avec certitude que tes descendants seront étrangers dans un pays qui ne leur appartient pas, ils y seront asservis et souffriront pendant quatre cents ans ». Nous savons que l’exil a commencé avec Ya’akov (Zohar II, 2b, 5b). Tel est le message que Ya’akov transmet à Essav: j’étais en exil chez Laban, et malgré cela je n’ai pas imité ses méchancetés. Au contraire, j’ai étudié les détails des six cent treize commandements de la Torah et j’ai progressé, au point que même les anges sont à mon service. Mais toi, Essav, tu n’as pas vécu à Haran mais en terre d’Israël « dont l’atmosphère procure la sagesse » (Baba Bathra 158b), tu n’étais pas en exil, tu as habité chez notre père Yits’hak, et malgré cela tu n’as rien appris de sa pieuse conduite (Yoma 38b). Toi, tu aurais pu progresser et t’élever au point d’avoir des anges à ton service. Tu veux m’effrayer avec ces quatre cents hommes, avec l’exil! C’est justement en exil que je suis parvenu au plus haut degré, mais toi tu as perdu, car tu aurais pu te repentir de tes fautes et t’élever dans la Torah et dans la crainte de D.

Nous tirons de là une leçon profonde. Combien il est dommage qu’un jeune étudiant de Yéchivah, entouré de maîtres, ne profite pas de cette occasion pour se perfectionner dans la crainte de D. et au lieu de cela, perd un temps précieux. A l’avenir, il se rendra compte qu’il n’a pas tiré profit du potentiel énorme dont il disposait et il regrettera ce qu’il a perdu. Quelle honte, quelle grande peine et combien sa punition sera sévère!

Mais Essav pensait que l’exil rend paresseux et pousse à abandonner l’étude de la Torah, car « celui qui vit hors de la terre d’Israël est comme quelqu’un qui vit sans D. » (Ketouboth 110a, Zohar III, 29b). Essav est venu accompagné de quatre cents hommes, afin de faire savoir à Ya’akov qu’il se trouvait toujours en exil. Car Essav désirait que Ya’akov reste en exil, et du fait qu’il y était comme quelqu’un qui vit sans D., il en serait puni. Essav espérait ainsi le dominer.

Mais Ya’akov lui répond que c’est le contraire qui est vrai: J’ai séjourné chez Laban, et s’il est vrai que vivre hors de la terre d’Israël équivaut à vivre sans D., moi je suis resté proche de D. « Lorsqu’un élève est exilé (dans une ville de refuge), son maître s’exile avec lui » (Makoth 10a), et la Torah est ce qui nous lie à D. La Présence Divine m’accompagnait et m’a sauvé de l’exil. Les mots ˆbl µ[, avec Laban, ont la même valeur numérique que les mots bakol mikol kol (une expression qui indique la plénitude), et que les mots hadda Ya’akov, Je suis Ya’akov (en Araméen). Ce qui indique: j’ai séjourné chez Laban et j’ai tout dominé (bakol mikol kol). J’ai étudié la Torah et j’en ai observé toutes les lois. Au lieu de tomber, je me suis élevé, si bien que j’ai mérité d’avoir des anges à mon service (Béréchith Rabah 75:4) et la révélation de la Parole de D.  Les anges que je t’envoie sont un signe que tu ne peux pas nier.

Les Sages nous disent (Béréchith Rabah 78:11) que les anges ont frappé Essav, ce qui indique la puissance de Ya’akov, car « les messagers sont comme la personne qui les envoie » (Brach’oth 34b; Kidouchin 41b). Si les anges ont cette puissance, c’est aussi le signe que Ya’akov est plus fort qu’Essav, car même en exil, il a continué à progresser. Essav est plus faible que Ya’akov, car il n’a ni tiré parti de son potentiel ni atteint le niveau de Ya’akov. Il n’a pas d’anges à son service, car il a perdu son temps à des choses vaines et il est resté ce qu’il était.

Mais Essav n’est pas impressionné par les propos de son frère, et il décide de l’attaquer en utilisant ses pouvoirs impurs (Zohar III, 163b), et la puissance de quatre cents ans d’exil. Avec leur aide, il pense pouvoir vaincre Ya’akov. C’est ce que les anges rapportent à Ya’akov: « Nous sommes allés trouver ton frère Essav, et lui-même vient à ta rencontre, accompagné de quatre cents hommes » (ibid. 32:7).

Il me semble que nous avons là une indication de la stratégie du Satan. Même lorsqu’un homme vertueux le domine, le mauvais penchant ne se rend pas. Avec les forces qui lui restent, il tente encore de le combattre, si bien que l’homme vertueux a besoin de prier D. de l’aider tous les jours de sa vie, comme disent les Sages (Soucah 52b; Kidouchin 30b): « Sans l’aide de D. il serait impossible de vaincre le mauvais penchant ». Même si l’homme vertueux a réussi à le vaincre une ou plusieurs fois, il n’en est pas débarrassé définitivement car le mauvais penchant ne renonce jamais et l’aide permanente de D. est indispensable.

Ya’akov, en voyant avec quel orgueil Essav vient l’affronter, et quelles forces malfaisantes il met en œuvre, choisit de le vaincre en lui opposant la qualité d’humilité. Il a prié, disant: « Je suis trop petit pour toutes les faveurs... » (Béréchith 32:11), c’est-à-dire: Je ne suis pas digne de tous ces miracles.

Et Ya’akov poursuit sa prière (Béréchith 32:12): « Sauve-moi, de grâce, de la main de mon frère, de la main d’Essav », c’est-à-dire, sauve-moi de son orgueil, que je ne m’enorgueillisse pas en le voyant, car « il est interdit de regarder le visage d’une personne méchante » (Méguilah 28a), et je ne veux que rester « petit ». La main d’Essav, c’est son orgueil, et les Sages disent (Béréchith Rabah 75:7; Rachi ad. loc.): « Sauve-moi de la main d’Essav qui ne se conduit pas envers moi comme un frère mais comme un ennemi ». Un frère ressent de la sympathie, mais Essav n’exprime aucune sympathie, même pas extérieurement. C’est pourquoi Ya’akov prie D. de le sauver du mal que, dans son orgueil, son frère veut lui causer disant: sauve-moi de la main de mon frère, de l’orgueil qu’il cache dans son cœur de frère et qui transparaît sur son visage et dans ses paroles.

L’orgueil et la méchanceté d’Essav lui font perdre l’esprit, et même après avoir vendu son droit d’aînesse, il poursuit ses méchancetés, sachant pourtant que Ya’akov est l’aîné et l’héritier légitime. Nous trouvons une situation parallèle, lors de la mort d’Avraham. Il est écrit (Béréchith 25:9): « Il fut inhumé par Yits’hak et Ichmaël, ses fils », et les Sages disent (Baba Bathra 16b; Béréchith Rabah 38:12): « Cela nous enseigne qu’Ichmaël s’est repenti ». Au moment de l’enterrement, il a laissé Yits’hak, l’héritier de leur père, marcher devant lui. Mais à la mort d’Yits’hak, il est écrit (ibid. 35:29): « Essav et Ya’akov ses fils, l’ensevelirent », ce qui montre que même à la mort d’Yits’hak, Essav ne s’est pas repenti et n’a pas permis à Ya’akov de le précéder. Non seulement il n’avait pas changé, mais il a causé jusque dans la tombe une grande peine à son père lorsqu’il s’est précipité devant Ya’akov ce jour-là. Peu lui importait la vente du droit d’aînesse et le fait que Ya’akov succède à son père, il est resté tout aussi méchant qu’avant et ne s’est pas repenti comme Ichmaël.

C’est pourquoi D. aussi le hait, comme le dit le prophète (Malakhi 1:3). Le grand orgueil qui l’habite est détestable. Il refuse de reconnaître la vérité et de se rendre à l’évidence. Il avait pourtant une occasion exceptionnelle de se corriger: son père si pieux et qu’il servait avec tant de respect, venait tout juste de mourir. La mort donne à réfléchir et il n’y a pas de moment plus propice au repentir. C’est ce que disent les Sages (Avoth III:1): « Considère trois choses, et tu ne fauteras jamais... » ou encore: « Repens-toi un jour avant ta mort » (Avoth II:10; Chabath 153a, Zohar III, 33a). Mais non! Essav non seulement ne change pas, mais il s’enorgueillit et précède Ya’akov au moment de l’enterrement de son père, au mépris du respect dû à son père en cette heure solennelle.

Les Sages disent (Avoth IV:21; Pirkey D’Rabbi Eliézer 13): « La recherche des honneurs exclut l’homme du monde », c’est-à-dire que l’homme orgueilleux ne pense qu’à lui même, et il ne fait déjà plus partie du monde parce que le monde entier et tout ce qu’il contient ne compte pas à ses yeux, tant son orgueil est grand. Nous avons l’exemple d’un tel orgueil chez H’iram, roi de Tyr (Yalkout Chimoni Yé’hezkel 367), qui se prenait pour un dieu, créateur de tout. Il fit construire un modèle géant des sept firmaments afin de pouvoir y habiter, car habiter en ce monde était pour lui un déshonneur. Pharaon aussi se faisait passer pour un dieu, comme il est écrit: « Le fleuve est à moi, c’est moi qui me le suis fait! » (Yé’hzekel 29:3). De même Bilaam pensait que tout lui appartenait et il en fut puni (Bamidbar Rabah 20:8); Yérouvam ben Navat aussi s’est enorgueilli et il fut condamné à l’enfer perpétuel (Roch HaChanah 17a); Nabuchodonosor se faisait passer pour un dieu, disant (Ichaya 14:14): « Je monterai sur les hauteurs des nuées, je serai l’égal du Très-Haut ». Ils se sont tous exclus du monde (Chemoth Rabah 8:3), car ils se sont révoltés contre D. qui les a créés, et ont refusé d’entendre Sa voix.

Mais Ya’akov, lui, est insulté par Essav, déshonoré, et pourtant il ne dit rien, car il est de ceux « qui sont insultés et n’insultent pas » (Chabath 88b; Yoma 23a). Il est possible que le verset « Tes amis rayonneront comme le soleil dans sa gloire » (Choftim 5:31) se réfère à ces gens qui sont insultés et ne répliquent pas, car Ya’akov est comparé au soleil (Béréchith Rabah 84:10). Cela nous montre encore une fois la grandeur de Ya’akov et la méchanceté d’Essav.

Maintenant nous pouvons expliquer pourquoi Ya’akov craint Essav, bien qu’il ait vaincu l’ange et reçu sa bénédiction. Il ne craint pas l’ange ou les blessures qu’Essav peut lui causer, mais il craint d’affronter l’orgueil d’Essav... Il a besoin d’une aide toute spéciale du Ciel afin qu’aucun des membres de sa famille ne subisse l’influence d’Essav comme il est écrit: « Je crains qu’il ne m’attaque et ne me frappe, joignant la mère aux enfants » (Béréchith 32:12), c’est-à-dire qu’il craint sa mauvaise influence sur les membres de sa famille.

Les Sages remarquent au sujet du verset (ibid. v. 7): « Léah aussi s’approcha avec ses enfants, et ils se prosternèrent; puis Yossef s’approcha avec Ra’hel, et ils se prosternèrent », que « Les mères s’avancèrent au-devant des enfants, mais Yossef précéda Ra’hel. Il s’est dit: Ma mère est belle, peut-être ce vilain va-t-il la désirer. Je vais me placer devant elle et l’empêcher de la voir » (Béréchith Rabah 78:13; Zohar III, 202b). Pour avoir agi de la sorte, Yossef fut béni d’être « comme un rameau fertile au bord d’une fontaine, il dépasse les autres rameaux qui grimpent la muraille » (Béréchith 49:22). Est-ce à dire que Léah, Bilah et Zilpa n’avaient pas besoin d’être protégées? Seule Ra’hel avait-elle besoin d’être cachée aux regards d’Essav?

C’est que les autres épouses de Ya’akov n’étaient pas destinées à Essav et donc elles ne craignaient pas ses regards, mais ce n’était pas le cas de Ra’hel qui avait donné à sa sœur Léah sa place auprès de Ya’akov, et la rumeur courait: « l’aînée pour l’aîné et la cadette pour le cadet » (Béréchith Rabah 70:15), Ya’akov ayant acquis précédemment le droit d’aînesse, Yossef craint qu’Essav ne la remarque car le regard des méchants et des orgueilleux laisse des traces qui auraient porté préjudice à Ra’hel. Yossef se tient devant sa mère pour la cacher à Essav. Lui-même ne craint pas Essav car il est son principal adversaire (Pessikta Zouta Vayetsé 30:25; Zohar I,158a), il est « le feu qui va consumer Essav » (Ovadia 1:18), mais il veut l’empêcher de voir sa mère.

La prière de Ya’akov a protégé ses enfants de l’orgueil et de l’influence néfaste d’Essav. Ce que Ya’akov n’a pas fait, Yossef l’a fait, lui qui ressemblait à son père en tout (Bamidbar Rabah 14:16), afin d’empêcher Essav de désirer Ra’hel et de s’enorgueillir d’avoir joui de la vue de cette femme vertueuse.

Grâce à la prière de Ya’akov, Ra’hel fut capable de prier pour les enfants de Ya’akov, comme il est écrit (Yérémia 31:14): « Ra’hel pleure pour ses enfants... » Essav n’a pas jeté son regard sur elle, et elle peut venir en aide à Ya’akov et Yossef pour le vaincre. Face à eux, Essav a failli: les quatre cents hommes qui l’accompagnaient se sont enfuis, comme le disent les Sages (Béréchith Rabah 78:16) à propos du verset (Béréchith 33:16): « Et Essav reprit en ce jour le chemin de Séir - Essav est reparti tout seul ». Essav n’a bénéficié en rien de sa rencontre avec Ya’akov et ses gens, car la sainteté et l’humilité de Ya’akov et de Yossef ont réussi à annuler ses prétentions orgueilleuses, et les Enfants d’Israël ont préservé leur sainteté.

 

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