Le secret du rôle de la rancune

« Et Moché dit à D. : qui suis-je pour aller trouver Par’o et faire sortir les bnei Israël d’Egypte ? » (3, 11)

Rachi explique qu’il proteste sur deux points : quelle importance ai-je pour parler avec les rois, et même si j’étais important, en quoi les bnei Israël ont-ils mérité que leur soit fait un miracle et que je les fasse sortir d’Egypte ?

La deuxième protestation de Moché est extraordinairement étonnante. Hachem s’adresse à lui et lui annonce que le moment est venu de délivrer le peuple d’Israël de l’Egypte, comme Il l’avait promis à Avraham dans l’alliance entre les morceaux, et Il lui ordonne de le faire sortir d’Egypte. Et Moché s’étonne et demande : mais ils n’en sont pas dignes, alors comment un tel miracle va-t-il se produire ? Est-ce qu’après des paroles claires provenant de Hachem, selon lesquelles la fin de l’exil est arrivé et avec lui le moment de la délivrance, il y a lieu de poser une pareille question ?

Et il y a quelque chose d’encore plus difficile : pourquoi est-ce que Moché s’esquive avec des excuses diverses et refuse de prendre sur lui le rôle de sauveur d’Israël ? Lorsqu’il était encore en Egypte, quand il grandissait dans la maison de Par’o, il avait rejeté le palais royal et tous ses plaisirs pour partager la souffrance de ses frères écrasés par les Egyptiens, et il les encourageait de son mieux. Il souffrait de toutes leurs souffrances, vivait leur douleur et les aidait dans les durs travaux qui leur étaient imposés. Et lorsqu’il a vu un Egyptien frapper un Hébreu de ses frères, il s’est immédiatement porté à son secours en se mettant lui-même en danger, comme on le sait. Par conséquent, maintenant que Hachem lui donne une occasion d’alléger le fardeau du peuple d’Israël et de le délivrer de la servitude, il semble qu’il aurait dû s’en réjouir, accepter ce rôle volontiers et avec joie et réaliser cette mission le plus rapidement possible. Alors pourquoi se cache-t-il à présent derrière divers prétextes, par exemple « je ne suis pas assez important pour parler avec des rois », ou « quels mérites ont-ils » ou « peut-être ne me croiront-ils pas » ?

Nous allons tenter de l’expliquer. Commençons par citer le Midrach (Tan’houma Chemot 21) sur le verset « D. vous visitera certainement et vous fera partir d’ici. » C’était un signe pour Israël que tout sauveur qui viendrait avec ce signe, « pakod pakadeti » (Je vous ai certainement visités), serait le véritable sauveur. En effet, Yossef leur avait dit « D. vous visitera certainement » (pakod yifkod). Le Midrach Rabba (Chemot 73, 11) rapporte également sur le verset « Va rassembler les anciens d’Israël (…) Je vous ai certainement visités », que D. a dit à Moché : « Ils ont une tradition depuis Yossef que Je les délivrerai en utilisant ces termes, donne-leur donc ce signe.

Il faut réfléchir en quoi ces mots du sauveur représentent un signe véritable, puisque c’est un secret connu de tout le monde, et que peut-être un faux sauveur va se lever et proclamer « pakod pakadeti », et alors comment les bnei Israël pourront-ils savoir s’il a vraiment été envoyé par Hachem pour les sauver ?

Il faut expliquer que l’expression « pakadeti » signifie que Hachem se souvient pour le bien et pour la délivrance, ainsi qu’il est écrit « Hachem visita (pakad) Sarah », et aussi plus loin « Je vous ai visités et J’ai vu ce qui vous a été fait. » Et il est dit à propos de Chimchon (Choftim 15, 1) : « Chimchon rendit visite (vayifkod) à sa femme en apportant un jeune chevreau ». Dans tous ces cas, bien qu’il y ait eu une raison à une réalité désagréable, la « visite » vient faire du bien et transformer la réalité de mauvaise en bonne. Pour ainsi dire, on fait abstraction de la raison du mal et on procède à faire le bien.

Et c’est cela le signe que possédait le peuple d’Israël. Quand seraient-ils délivrés ? Quand le sauveur viendrait avec le signe « pakod pakadeti », c’est-à-dire qu’il y aurait « pakod » de la part du peuple d’Israël, et « pakadeti » de la part de Hachem. Cela signifie que lorsque le peuple serait uni et que les bnei Israël s’intéresseraient les uns aux autres pour le bien, en faisant abstraction du mal qu’il y a chez le prochain, en se concentrant uniquement sur le bien et en louant Hachem, alors Lui aussi, mesure pour mesure, ferait abstraction des fautes et des manques du peuple d’Israël et le visiterait avec miséricorde pour le délivrer de l’esclavage de l’Egypte.

On peut dire que c’est la raison pour laquelle Ya’akov a donné ce signe à ses enfants justement par Yossef, pour l’encourager à pardonner ses frères de l’avoir vendu et lui ôter du cœur toute trace de rancune envers eux. En effet, toute leur délivrance d’Egypte dépendait du « pakod », de l’unité et de l’amour réciproque à l’intérieur du peuple, en faisant abstraction du mal, qui est une cause de dispersion.

Nous comprenons à présent en quoi cela constitue un signe. Lorsque le peuple d’Israël se perfectionnera dans l’amour du prochain, en regardant les qualités des autres et en les mettant en valeur, alors il sera prêt à être délivré, et le sauveur qui viendra à ce moment-là sera le véritable sauveur. Ce qui explique le doublet « pakod yifkod ».

Or quand Hachem S’est révélé à Moché, lui a dit que le moment de la délivrance était arrivé et lui a ordonné de l’annoncer aux anciens d’Israël et à Par’o, Moché s’en est étonné et a demandé : le peuple d’Israël n’est pas encore arrivé au niveau de « pakod ». Quand Moché était en Egypte, il était sorti voir la souffrance de ses frères pour les aider, et il avait vu deux Hébreux qui se disputaient. Lorsqu’il avait réprimandé le méchant en lui disant « pourquoi frappes-tu ton ami », celui-ci avait répondu « est-ce que tu voudrais me tuer comme tu as tué l’Egyptien », alors Moché avait eu peur et s’était dit « la chose est connue ». Rachi explique qu’il était soucieux d’avoir vu des juifs méchants et délateurs. Il s’était dit : ils ne sont donc peut-être pas encore dignes d’être délivrés. « La chose est connue », la chose sur laquelle je m’étonnais, quelle est la faute d’Israël entre les soixante-dix nations pour qu’ils soient persécutés et asservis, mais maintenant je vois qu’ils l’ont mérité.

C’est pourquoi quand il a entendu de Hachem qu’Il avait l’intention de délivrer les bnei Israël, il a demandé quel mérite ils avaient pour être sauvés. Il y avait parmi eux des méchants, des délateurs et des calomniateurs, qui étaient allés raconter à Par’o que Moché avait sauvé un juif des mains d’un Egyptien, qu’il avait tué. Et quand il n’y a pas de « pakod », il n’y a pas non plus de « pakadeti », car le signe à leur donner pour une véritable délivrance n’est pas encore arrivé.

Là-dessus, Hachem lui a répondu que le peuple d’Israël avait délaissé ses mauvaises voies et qu’il était digne de la délivrance et prêt à la recevoir. Il le lui a insinué en lui ordonnant de jeter son bâton, qui s’est transformé en serpent, pour montrer à Moché qu’on pouvait modifier la nature et les habitudes, et que de même qu’un objet inanimé pouvait se transformer en serpent, le peuple d’Israël pouvait se repentir et s’améliorer.

 

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