L’humilité, fondement de la Torah

Commentant le verset: «Yithro, prêtre de Midian, beau-père de Moïse, apprit tout ce que Dieu avait fait pour Moïse...» (Exode 18:1), la plupart de nos Sages se demandent pourquoi la Torah s’est tellement étendue sur sa venue; au point même qu’on a ajouté une section hebdomadaire qui porte son nom (Chémoth Rabah 27:7). L’auteur de Atéreth Tsvi fait remarquer à cet effet que la Torah tend généralement à la brièveté, et qu’on apprend une très grande partie des mitsvoth à partir du principe de à fortiori (kal va’homer).

Commençons tout d’abord par rapporter l’enseignement du Midrach (Ta’anith 7a; Chir Hachirim Rabah 1:19) selon lequel les paroles de la Torah ressemblent à l’eau qui descend d’un endroit élevé à un endroit inférieur. La Torah fuit l’orgueilleux et ne s’attache qu’à l’homme humble, qui peut plus aisément en arriver à la crainte du Ciel (cf. Dérekh Erets Zouta 8).

Nos Sages ont aussi écrit: «Si les premiers étaient des fils d’anges, nous sommes de fils d’hommes; et si les premiers étaient des fils d’hommes, nous ressemblons à des ânes; pas celui de Rabbi Yossi démine Youkrath ni celui de Rabbi Pin’has ben Yaïr, mais comme les autres ânes» (Chabath 112b; Yérouchalmi, Demaï 1:3; Chékalim 5:1). Nos Sages nous enseignent ainsi que même si on étudie la Torah et qu’on accomplit des mitsvoth, on ne le fait que par obéissance, comme un âne. Et même si on accède au niveau de l’âne qu’on humilie sans cesse, et qui ne réagit pas, cela ne suffit pas; car de cette façon on n’accède même pas à l’âne de Rabbi Yossi... L’homme se compose de matière et d’esprit, et au moment où il étudie la Torah, c’est l’esprit qui prédomine la matière. Mais l’âne de Rabbi Pin’has ben Yaïr qui était dépourvu d’âme et d’esprit, était en mesure de distinguer le bien du mal, en refusant de consommer de la paille dont on n’avait pas prélevé le ma’asser (cf. ’Houline 7a).

L’auteur de Isma’h Moché écrit à cet effet que l’orgueil modifie la physionomie de celui qu’il domine. Ses traits deviennent ceux de l’animal, son orgueil le fait descendre au degré le plus bas qu’on puisse concevoir.

Il faut par conséquent savoir que la Torah n’adhère qu’en l’homme qui fait preuve d’humilité, de modestie (Avoth 6:5). En fait, comment l’homme peut-il s’enorgueillir, et plus particulièrement au moment où il récite ses prières, face à Celui devant Lequel il se présente (Testament de Rabbi Elazar HaGadol 18; cf. aussi Bérakhoth 28b).

Nous pouvons maintenant comprendre l’enseignement des Sages (Chabath 138b; Tana débé Elyahou Zouta 16; Zohar III, 23a) selon lequel dans l’avenir la Torah sera oubliée d’Israël. Comment peut-elle être oubliée, alors que chaque génération abonde en Sages spécialisés dans l’interprétation de la Torah? C’est que, si ces érudits s’enorgueillissent de leurs connaissances la veille de la Rédemption où fleurit l’arrogance (Sotah 49b), leur Torah n’a aucune valeur, puisque, nous l’avons vu, on ne peut l’acquérir que par l’humilité la plus totale.

Le prophète Jérémie (9:11-12) s’écrie: «Pourquoi ce pays est-il ruiné?... C’est parce qu’ils ont abandonné la loi que je leur avais proposée...» S’ils s’étaient sérieusement engagés dans l’étude de la Torah, ils se seraient soumis devant leur Créateur et auraient manifesté ainsi leur modestie.

Le Roi A’hav s’est littéralement dévoué à la Torah. Il n’en demeure pas moins qu’il commit par la suite de nombreux péchés (Sanhédrine 102a, 103a). Pourquoi? Parce qu’il ne l’avait pas étudiée avec la modestie voulue. Mais lorsqu’il se soumit à l’Eternel, la sentence prononcée contre lui fut annulée, comme il est écrit: «La parole de l’Eternel fut adressée à Elyahou... puisqu’il s’est humilié devant Moi... Pour prix de cette humilité, Je ne susciterai pas de malheur sous son règne» (Rois I, 21:28-29). Quant à Yérovo’am, fils de Névat, son orgueil lui fit oublier la halakhah (Yoma 25a; Sanhédrine 101b): il refusa de se tenir debout dans le Temple devant Ré’hova’am qui lui, pouvait rester assis (parce qu’il descendait du Roi David). Lui aussi commit par la suite de nombreux péchés.

Commentant le verset: «Le Seigneur se souvint de Ra’hel, Il l’exauça» (Genèse 30:22), nos Sages (Midrach Hagadah) font remarquer que c’est grâce à sa grande modestie que l’Eternel entendit sa voix, et non celle de notre patriarche Jacob. Lorsqu’elle vit sa sœur Léah en pleurs, parce qu’elle craignait de devenir l’épouse d’Esaü (Bava Bathra 123a; Béréchith Rabah 70:16), elle se dit: «Elle est certainement plus intègre que moi» et se cachant sous le lit conjugal, elle donna tous les signes à Léah pour qu’elle s’unisse à Jacob (Méguilah 13b; Eikhah Rabah 24). Ra’hel était prête à renoncer à tout son avenir, car elle pouvait craindre que Jacob ne la répudie, et qu’elle ne devienne la femme d’Esaü dans ce monde (Béréchith Rabah 73:4; Rachi, sur Genèse 30:22), sans espoir d’être enterrée à côté de Jacob pour l’éternité.

Certains de nos Sages expliquent que Ra’hel n’eut pas le mérite d’être enterrée dans le même caveau parce qu’elle était prête à échanger la couche du Tsadik contre du jasmin (même si ce dernier pouvait lui permettre de procréer) (Béréchith Rabah 72:3; Rachi, sur Genèse 30:15). Comment peut-on tenir de tels propos pour une femme aussi vertueuse?

C’est que Ra’hel se dit: «Si Réouven a reçu une éducation si parfaite, qu’il refuse de manger du guézel (Sanhédrine 99b), et défend avec véhémence la cause de sa mère (Chabath 55b) et qu’elle, de son côté, n’en tient pas compte, c’est que Léah est une excellente éducatrice, et qu’il serait bon qu’elle engendre encore un enfant, bien qu’elle, Ra’hel, n’en ait pas encore.» Admirons donc son humilité grâce à laquelle sa voix fut entendue de l’Eternel.

Si Yithro portait ce nom, c’est parce qu’il viter (ne tint nullement en considération) son honneur personnel, se débarrassa de toutes les idoles et de toute la gloire que lui donna son poste de grand prêtre idolâtre, et vint recevoir la Torah. Cette humilité, il la tenait de Moïse qu’il reçut chez lui, (et qui devint son gendre), et qui était le plus humble des hommes. C’est lui qui dit: «Mais nous, que sommes-nous?» (Exode 16:7) et qui devint le dirigeant spirituel incontesté d’Israël (voir Chémoth Rabah 2:2). Se soumettant docilement à Moïse, il se repentit et voulut fuir les honneurs, mais les honneurs le poursuivirent (Tan’houma Lévitique 3). Grâce à son humilité, Moïse alla au devant de son beau-père et lui accorda les plus grands honneurs (Exode 18:7; Mekhilta id.; Tan’houma id. 6).

Cette estime était d’ailleurs réciproque, comme le fait remarquer le Talmud (Mekhilta, Yithro 18): Yithro était fier de Moïse son gendre (Exode 18:1) alors que Moïse considérait que sa grandeur provenait essentiellement du fait qu’il était le gendre de Yeter [autre nom de Yithro] (id. 4:18). Moïse apprit aux enfants d’Israël que le grand doit toujours aller au devant du petit pour le réconforter, le fortifier, et lui prodiguer morale et crainte de Dieu.

Nous apprenons à la lumière de tout cela, que porter le joug du Ciel, c’est se soumettre au Saint, béni soit-Il, comme Yithro qui oublia tout son passé pour venir entendre dans le désert les paroles du Dieu vivant... Il préférait ainsi porter le nom de beau-père de Moïse, que celui de prêtre de Midian. Quand l’homme prête attention à la voix de Dieu, et se dépouille de tout orgueil, l’Eternel l’élève au rang de Cohen, comme c’était le cas pour Yithro (Exode 18:1).

Yithro était doué d’une vertu supplémentaire: dès qu’il entendit ce que l’Eternel avait fait en faveur des enfants d’Israël, il se soumit et vint immédiatement partager son sort avec eux. S’il avait tardé à faire téchouvah, le Satan aurait sans doute placé de nombreux obstacles devant lui, comme il l’avait fait pour tant d’autres.

Par conséquent, si on entend de bonnes choses, on doit y prêter une attention particulière, car si Yithro ne l’avait pas fait, il serait resté à Midian et ne serait pas du tout venu à la montagne de Dieu, et chez son gendre Moïse.

On peut ainsi expliquer le terme Va’yichma’, «lorsqu’il entendit» parler des plaies que l’Eternel infligea aux Egyptiens, ainsi que de la bataille d’Amalek, Yithro s’écria: «Vay! Vay! Malheur au roi d’Egypte qui ne s’est pas soumis à l’Eternel malgré tout ce qui lui est arrivé! se dit-il. Malheur à Amalek qui n’a tiré aucune leçon pratique de la chute de Pharaon!» Yithro, quant à lui, a tiré la conclusion nécessaire. Nos Sages (Chémoth Rabah 27:5) enseignent qu’Amalek et Yithro partageaient l’avis de Pharaon. Quand Yithro vit que le Saint, béni soit-Il, projetait de faire disparaître Amalek de ce monde-ci comme du futur, il revint sur le bon chemin et se repentit. Lorsqu’il entendit que l’Eternel «veut effacer la trace d’Amalek de dessous les cieux» (Exode 17:14), il se dit: «Je ne dois me rendre que chez le Dieu d’Israël!»

Tout homme doit donc se soumettre à l’Eternel; le début de la soumission étant de Le remercier à son lever de lui avoir restitué son âme. Une mitsvah en entraîne une autre (Pirké Avoth 4:2), et plus on prend conscience de son insignifiance par rapport à Dieu, plus on est apte à recevoir la Torah (cf. Rambam, Hilkhoth Yéssodé HaTorah 2:2).

En achevant l’étude d’un traité de la Michnah, on doit réciter le passage: Hadran... Hadran...(on reviendra encore sur cette étude) pour montrer qu’on n’a pas fini de l’étudier et que de nombreuses questions restent encore en suspens, de nombreux éclaircissements sont encore nécessaires. Et dès qu’on finit la Torah, on doit immédiatement la reprendre au début, comme si on ne l’avait pas du tout lue, comme si on ne savait rien et qu’on n’a pas de quoi se vanter. Il est enfin à noter qu’il y a une page vide au début et à la fin de chaque traité du Talmud, pour montrer qu’à la fin de l’étude, on n’en sait pas plus qu’au début (voir ’Irouvine 53a et Tossafoth). Ce qui prime, c’est l’humilité.

 

PARACHAT BECHALAH
TABLE DE MATIERE
L’éducation, base de l’humilité

 

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