L’impudence et l’orgueil — source de tout péché
Plus on réfléchit au problème du veau d’or, plus on est frappé de stupeur: l’entendement humain n’arrive pas à le concevoir. Comment se peut-il qu’après tous les miracles auxquels ils ont assisté à leur sortie d’Egypte, après la révélation de la Torah sur le Sinaï, les enfants d’Israël soient arrivés à un acte aussi vil. Moins de quarante jours après le don de la Torah, ils se sont promptement écartés de la voie que l’Eternel leur avait prescrite (Exode 32:8). Leur acte ressemble à la mariée qui se pervertit pendant son mariage (Chabath 88b). Connaît-on un acte aussi bas, aussi insensé?
Chacun des commentateurs a essayé de sonder ce péché si complexe, proportionnellement à la part de son âme dans la Torah. Le problème a été examiné sous ses angles les plus divers. Jouons alors aussi notre rôle dans cette entreprise sainte, par le mérite de nos ancêtres et l’aide de Dieu:
1) Commentant le verset: «Voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël... entre Laban, ‘Hatséroth et Di Zahav» (Deutéronome 1:1), le Talmud (Bérakhoth 32a) enseigne: «Rabbi Yanaï dit: «Qu’est-ce que Di Zahav? «Maître de l’Univers, dit Moïse au Saint, béni soit-Il, c’est l’excès (daï) d’or (zahav) et d’argent que tu leur as donné qui a engendré le péché du veau d’or.» Dans le Beth Hamidrach de Rabbi Yanaï on enseignait: «Le lion ne rugit pas lorsqu’il a de la paille, mais quand il a de la viande.» La révolte des enfants d’Israël contre Dieu ne vient que de pléthore de plaisirs de ce monde.
Un autre Midrach (Tan’houma, Ki Tissa 19) enseigne: «Par suite du retard de six heures mis par Moïse pour descendre du ciel, quarante mille (membres de la tourbe) qui étaient montés avec les enfants d’Israël, et deux magiciens égyptiens de Pharaon du nom de Yonous et Yombrous se réunirent autour d’Aharon et lui dirent: «Allons! fais-nous un dieu...» Les initiateurs du péché étaient donc cette tourbe, comme l’explique Rachi en commentant un grand nombre de versets (Exode 32:4, notamment). Ils ont dit: «Voici tes dieux, ô Israël», et non nos dieux. Le verset (id. 7) stipule bien d’autre part: «ton peuple (celui de Moïse, et non le peuple) s’est corrompu»: C’est ce ’erev rav que tu as converti de ton propre gré pour se rattacher à la Chékhinah, qui est fautif... Pourquoi alors les enfants d’Israël ont-ils été punis? D’ailleurs, citant le Midrach (Tan’houma, Ki Tissa 19), Rachi explique que c’est Mikha qui a façonné le veau avec un plateau d’or où étaient inscrits ces mots : «monte, ô bœuf...» «Un seul homme a péché et Tu T’irrites contre toute l’assemblée?» (Nombres 16:22).
2) Le décret de mort a été prononcé contre Yérova’am, fils de Névat, (sa famille et tous ceux qui l’ont suivi) qui était un pécheur et a poussé le peuple au péché (Avoth 5:21). Quant aux enfants d’Israël, le prophète n’a rien prononcé contre eux. Pourquoi?
3) Les deux Midrachim semblent se contredire: d’après le premier, c’est la richesse des enfants d’Israël qui engendra leur péché, le second enseigne que c’est la tourbe qui l’a engendré. Qu’en est-il enfin de la version de Rachi, selon laquelle c’est Mikha qui a façonné le veau d’or avec le plateau d’or?
C’est que le Talmud enseigne: «Rav Papa dit: «L’anéantissement des impudents d’Israël engendre celui des magiciens qui nuisent à Israël» (Sanhédrine 98a; Rachi), comme il est écrit: «Je fondrai tes scories comme de la potasse, et j’enlèverai toutes tes parcelles de plomb» (Isaïe 1:25).
Rabbi Yo’hanan demande (id. 67b): «Pourquoi portent-ils le nom de mékhachefim (magiciens)? Parce qu’ils renient (makh’hichim) la Cour Céleste.» Citant Rabbi Chimon bar Yo’haï (Sotah 4b), il enseigne que celui qui fait preuve d’impudence agit comme s’il adorait des idoles, alors que selon Rabbi Yo’hanan, c’est comme s’il reniait Dieu (id.). Or, nous avons appris (Makoth 10b; Bamidbar Rabah 20:11), qu’on ne fait emprunter à l’homme que la voie qu’il veut emprunter. Conformément à la loi de «mesure pour mesure», il est normal que ces sorciers, qui renient l’existence divine, s’attaquent aux impudents et les fassent dévier du bon chemin.
En Egypte, les enfants d’Israël étaient des esclaves dévoués, commandés aussi bien par la tourbe que par ces grands sorciers. Leur statut s’est brusquement renversé, et ces esclaves humiliés et méprisés se transforment en maîtres de leurs oppresseurs. Sensiblement enrichis par le butin d’Egypte et celui de la Mer, les enfants d’Israël ont sans doute commencé à manifester des signes d’orgueil à l’égard de leurs anciens maîtres. Dans sa sagesse, le roi Salomon a enseigné à ce sujet: «L’arrogance précède la ruine, et l’orgueil précède la chute» (Proverbes 16:18). Les mages et la tourbe qui se sentaient complexés par le traitement qu’on leur infligeait (le Yalkout haRouvéni, Béchala’h rapporte à cet effet que les sorciers égyptiens ne recevaient la manne que fondue), se réveillèrent soudain, et voulurent prendre leur revanche en faisant pécher les enfants d’Israël. L’idolâtrie étant leur spécialité, ils les aidèrent à façonner la veau d’or. Ils humiliaient ainsi les enfants d’Israël et les dépouillaient de toutes les vertus qu’ils avaient acquises sur le Sinaï, tout en recouvrant leur honneur perdu. Moïse vocifère: «Méfiez-vous! Prenez garde que votre cœur ne s’enfle et que vous oubliez l’Eternel, votre Dieu» (cf. Deutéronome 8:14). Car, comme l’enseigne le Talmud (Sotah 5a), Rabbi Alexandri dit: «Celui qui fait preuve d’impudence fléchit au moindre coup de vent.» Citant Rabbi Yonathan, Rabbi Chémouel fils de Na’hmani demande: «D’où savons-nous que le Saint, béni soit-Il, a confirmé les craintes et les doutes de Moïse? A partir du verset: «On a consacré au Ba’al, l’argent et l’or que Je lui (autre version: leur) prodiguais» (Osée 2:10). En fin de compte, le péché du veau d’or a donc été engendré par l’orgueil et l’impudence des enfants d’Israël, défauts consécutifs à leur enrichissement.
C’est pourquoi le décret d’anéantissement a été prononcé contre eux. Car, dit Rabbi ‘Hisda (ou bien Mar ‘Oukba): «Celui qui fait preuve d’impudence ne peut pas cohabiter avec le Saint, béni soit-Il, et il repousse pour ainsi dire les pieds de la Chékhinah... On peut donc dire que le péché du veau d’or a été engendré, et par l’impudence des enfants d’Israël, et par l’influence que la tourbe avait sur eux. Ils ont alors perdu la Torah qui leur a été donnée en (mem) quarante jours (Ména’hoth 99b) (d’où les deux versions LaH (à elle - le peuple) et LaHeM (à eux - les enfants d’Israël) différenciées par mem).
Quant à la troisième version selon laquelle c’est Mikha qui façonna le veau d’or, on peut concevoir qu’influencé par la conduite des Egyptiens et humilié, il se serait vengé en jetant le plateau d’or, d’où sortit une forme de veau d’or.
Le second veau d’or construit par Yérova’am, fils de Névat, fut également engendré par l’impudence dont il faisait preuve. C’est cette arrogance, enseigne le Talmud (Sanhédrine 101b), qui le retrancha de ce monde, comme il est écrit: Yérova’am dit en son cœur: «Le royaume pourrait bien maintenant retourner à la maison de David. Si ce peuple monte à Jérusalem, pour faire des sacrifices dans la maison de l’Eternel, le cœur de ce peuple retournera à son Seigneur à Ré’havaam, roi de Juda, et ils me tueront...» (Rois I, 12:26-27). Alors, «après avoir été consulté, le roi fit deux veaux d’or et il dit au peuple: «Assez longtemps vous êtes montés à Jérusalem. Israël! voici ton Dieu qui t’a fait sortir du Pays d’Egypte...» (id. 28). C’est que «tout cœur hautain est en abomination à l’Eternel» (Proverbes 16:5). «Voici pourquoi, dit l’Eternel, Je vais faire venir le malheur sur la maison de Yérova’am; J’exterminerai quiconque appartient à Yérova’am... et Je balaierai sa maison comme on balaie des ordures, jusqu’à ce qu’elle ait disparu» (Rois I, 14:10). Funestes conséquences de l’impudence! Les dix tribus d’Israël, qui forment l’immense majorité d’Israël, furent perdues... que Dieu prenne en pitié les exilés de son peuple.
Après le péché du veau d’or, Dieu dit à Moïse: «Et maintenant, laisse moi; Ma colère va s’enflammer contre eux, et Je les consumerai, mais Je ferai de toi une grande nation» (Exode 32:10). Peut-on concevoir que Moïse consente à ce que Dieu anéantisse le Peuple d’Israël? Dieu lui répondit alors: «véé ‘ésséh othkha legoy gadol (Je ferai de toi une grande nation).» Si on prend les dernières lettres de ce verset, on obtient kélayah: en d’autres termes, «Je ne l’exterminerai pas à proprement parler, car Je ferai de toi une grande nation, et ta descendance engendrera de nouveau le Peuple d’Israël. Car Mes enfants sont trop impudents, alors que toi, tu incarnes l’humilité même. Je veillerai bien au peuple que tu engendreras.»
«Et maintenant, pardonne leur péché. Sinon efface-moi du livre que Tu as écrit» (id. 32:22) réponds Moïse sur le même ton. Or, comme nous l’avons vu, vé’atah (et maintenant) dénote toujours l’idée de repentir: «les enfants d’Israël peuvent faire téchouvah devant Toi, et leur faute sera expiée. Sinon (selon l’interprétation de Rachi), efface-moi de toute la Torah, pour qu’on ne prétende pas que je n’en étais pas digne [du fait que] je n’ai pas invoqué la miséricorde divine en leur faveur. Je ne veux pas que Tu les anéantisses et que Tu fasses de moi une grande nation. Tu m’as choisi pour mon humilité, mais je m’y oppose, car si ma descendance engendre un peuple, on dira que je n’en étais pas digne. Tu ne les as pas anéantis et tu n’as fait de moi une grande nation que parce que je n’ai pas invoqué Ta miséricorde pour eux. Il n’y a par conséquent aucune raison que mon nom soit mentionné dans la Torah, car la Torah, le Saint, béni soit-Il, et Israël sont un seul et même concept... (Zohar Aharé Moth 73a). S’il n’y a pas d’Israël, il n’y a pas de Torah.
Comment la sentence qui a été prononcée sera-t-elle exécutée? «EiN mé’hénI nA (sinon efface-moi)»: répond Moïse. Les trois dernières lettres forment AyIN et celles de «misifréKha acheR katavTa (de Ton livre que Tu as écrit)», kéter (une couronne). En d’autres termes, ein kéter, il n’y a plus de couronne: dépouille les enfants d’Israël de leurs «ornements» qu’ils ont acquis en proclamant «Nous ferons, puis nous entendrons.» Ce sont eux qui, nous l’avons vu, ont engendré leur impudence qui a conduit à son tour au péché du veau d’or... Ils feront alors preuve d’humilité. «Vé’atah, et maintenant dépose tes ornements, et Je verrai ce que Je te ferai» (Exode 33:5): les enfants d’Israël sont revenus vers Moi; leur impudence a cessé, leur péché sera donc expié et leur faute effacée.
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