«Va! descends» — Toute chute ne vise qu’une élévation

On peut lire: «Va! descends, car ton peuple que tu as fait sortir du pays d’Egypte, s’est corrompu...» (Exode 32:7). La plupart des commentateurs se demandent pourquoi le verset stipule en même temps «va» et «descends»: un seul commandement n’aurait-il pas suffi à Moïse? A cet effet, comme nous l’avons vu, citant le Talmud (Bérakhoth 32:22), Rachi explique: «Va! descends de ta grandeur! Je ne t’ai élevé que pour leur bien.» Un certain nombre de questions se posent malgré tout:

1) Chef des prophètes (Esther Rabah, Introduction 10), chef incontesté du Peuple d’Israël, dont il connaissait parfaitement la mentalité et l’état d’esprit, Moïse savait bien qu’ils allaient commettre le péché du veau d’or... Pourquoi donc est-il descendu de la montagne tenant en mains les deux Tables de la Loi? Ne savait-il pas qu’ils n’étaient par prêts à les recevoir, le péché du veau d’or les ayant totalement éloignés de Dieu?

2) Pourquoi Dieu fit-Il descendre Moïse de la montagne (et de sa grandeur)? Si les enfants d’Israël ont péché, lui, qu’a-t-il fait?

3) Pourquoi Moïse brisa-t-il les Tables? Il est vrai qu’en fin de compte Dieu lui dit: «Tu as bien fait!» (Chabath 87a), mais Il ne lui en avait pas donné l’ordre.

Le Roi David dit de Moïse: «Tu es monté dans les cieux, tu as emmené des captifs» (Psaumes 68:19): en d’autres termes, par sa sainteté et sa sagesse, il a triomphé de tous les anges (cf. Chémoth Rabah 28:1). Il est même arrivé à étudier la Torah avec le Saint, béni soit-Il (Bérakhoth 63b) et à saisir le Trône Céleste pour répondre aux anges qui s’opposaient au don de la Torah (Chabath 88b)... Par conséquent, lorsque Dieu l’informa que les enfants d’Israël avaient péché, il lui fut difficile de se séparer des délices de ce monde spirituel dans lequel il se trouvait. Dieu eut donc à lui donner expressément l’ordre d’en descendre... «Tu n’appartiens maintenant qu’à ce bas monde; descends donc voir ce qu’ont fait Mes enfants.»

Mais Moïse appréhendait beaucoup cette descente: il craignait l’influence des mécréants qui avaient façonné le veau d’or. Dieu lui ordonna alors de descendre de sa grandeur, car, lui expliqua-t-il, c’est de ton propre gré, toi, et non Moi, qui as fait monter la tourbe d’Egypte, comme il est écrit: «ton peuple (et non, Mon peuple) s’est corrompu.».. Descends donc sauver les enfants d’Israël de cette tourbe... Et tous les honneurs, tu ne les as que grâce aux enfants d’Israël.

C’est que, comme l’enseigne le Talmud (Makoth 7b), toute chute ne vise qu’à élever l’homme. Moïse avait certes accédé à des niveaux spirituels tellement sublimes qu’il n’avait même pas eu conscience du péché des enfants d’Israël, mais Dieu s’opposait à son séjour dans les hauteurs célestes et lui ordonna de descendre (pour pouvoir mieux remonter après).

Dans ce bas monde, l’homme connaît bien des épreuves, des chutes, mais il ne peut s’en relever que par l’étude assidue de la Torah.

Le Tsadik qui disparaît de ce monde, en ignore totalement les futilités. Il jouit de la splendeur de la Chékhinah dans les hauteurs célestes (Bérakhoth 17a). Comment invoquer son mérite auprès de Dieu pour nous aider dans le domaine physique? Allumons d’abord des bougies à sa mémoire; demandons-lui ensuite d’avoir pitié de nous, d’intercéder auprès de Dieu pour nous aider à nous élever dans notre étude de la Torah. Ce n’est qu’à la fin que nous demanderons à Dieu, par le mérite du Tsadik, qu’Il nous aide dans notre subsistance, à élever nos enfants sur le chemin de la vérité et de la droiture, etc... Car le domaine matériel constitue l’aspect de «chute, descente», mais comme il ne vise qu’une élévation dans le domaine spirituel, le Tsadik fera exaucer nos prières en invoquant la miséricorde divine en notre faveur.

Il est interdit au Tsadik de s’enfermer chez lui, sans veiller à son prochain. Il est indispensable que les autres profitent de sa Torah et de sa conduite exemplaire... S’il n’agit pas de la sorte, il engendre la détérioration de sa génération, comme ce fut le cas du Roi Chaoul (cf. Samuel I, 10:22). «Sors de ta cachette, dit l’Eternel à un tel Juste, et enseigne la Torah aux enfants d’Israël.»

Le verset: «Il est temps que l’Eternel agisse. Ils transgressent Ta loi» (Psaumes 119:126) peut ainsi s’interpréter: le Tsadik/Moïse veut agir au nom du ciel, c’est-à-dire étudier la Torah; il en résulte que ses frères ne trouvent personne qui la leur enseigne et transgressent la Loi. «Va! descends» dit alors l’Eternel à Moïse, il est temps que tu fasses des âmes au Saint, béni soit-Il. Cesse d’étudier seul, et fais profiter ton prochain de tes connaissances. Sois rassuré: tu ne t’es pas abstenu d’étudier la Torah. Sache que ce n’est pas seulement l’étude de la Torah qui t’élève, mais surtout la collectivité du Peuple d’Israël. La Michnah (Avoth 2:12) enseigne à cet effet: «Applique-toi à étudier la Torah, car on n’en acquiert pas la connaissance par héritage» (Voir aussi Avoth deRabbi Nathan 17:3), elle n’est pas un héritage seulement pour toi, mais pour tout le peuple d’Israël. Il est écrit ensuite: «Moïse nous a donné la Torah, héritage de l’assemblée de Jacob» (Deutéronome 33:4), et «Si tu t’es beaucoup appliqué à l’étude de la Loi, ne t’en fais pas un mérite» (Avoth 2:8), enseigne-la aux enfants d’Israël. «Va! descends maintenant, car ton peuple s’est corrompu»: ils s’éloignent de la Torah, rapproche-les donc...

Cette descente de Moïse ne visait donc qu’à élever l’âme des enfants d’Israël, à les rapprocher de Dieu... Si Moïse est descendu de la montagne tenant deux Tables de la Loi en mains, c’est pour leur montrer ce qu’ils ont perdu: «les deux tables du témoignage, tables de pierre, écrites du doigt de Dieu» (Exode 31:18). Bien que brisées, elles gardaient toute leur sainteté. Le Talmud (Bava Bathra 14b) enseigne à cet effet: «les Tables et leurs débris sont placés dans l’Arche Sainte», et si les enfants d’Israël n’avaient pas commis le péché du veau d’or, elles ne se seraient pas cassées et la force d’Israël aurait été plus grande.

Malgré leur brisure, les Tables étaient ainsi «entières» car elles servaient à une élévation: ici aussi on voit un concept de «chute en vue d’élévation!» D’après le Talmud (Bérakhoth 5a), les souffrances purgent les péchés de l’homme, elles lui permettent de s’élever spirituellement. N’agissons pas comme ces gens qui piétinent de leurs talons (Tan’houma, ‘Ekev 1) les préceptes divins «faciles», et ne veillent particulièrement qu’aux grandes mitsvoth, qui négligent les débris des Tables pour s’emparer des Tables entières. Commentant le verset: «pessol lékha, Taille deux Tables de pierre comme les premières...» (Exode 34:1), nos Sages expliquent: «prends possession de leurs détritus» (Nédarim 38a). Que veulent-ils dire exactement par là? Que même à partir de «détritus» de mitsvoth minimes, on peut s’élever. Cette descente peut t’élever et t’aider à élever autrui. N’est-ce pas là, en fin de compte la mission qui incombe à tout Juif?

Il est écrit: «Moïse prit la tente et la dressa hors du camp, à quelque distance... et tous ceux qui voulaient consulter l’Eternel allaient vers la tente d’assignation qui était hors du camp» (id. 33:7). Comment peut-on concevoir que Moïse, qui était le plus humble des hommes sur la face de la terre, ne se soit pas donné la peine d’aller enseigner la Torah aux enfants d’Israël? Pourquoi attendait-il qu’ils se présentent devant lui? Pourquoi n’a-t-il pas suivi l’exemple de notre Patriarche Avraham qui fit le tour de tout le pays pour enseigner la voie de Dieu à tous? (cf. Rambam, Hilkhoth Akoum 1:3).

C’est ce qu’avait fait également le prophète Samuel, comme il est écrit: «Il allait chaque année faire le tour de Beth-El, de Guilgal et de Mitspa... et là il jugeait Israël» (Samuel I, 7:16). «Considère la différence entre Moïse et Samuel, fait remarquer le Midrach (Chémoth Rabah 16:4), Moïse entrait librement chez le Saint, béni soit-Il, tandis que c’est le Saint, béni soit-Il, qui apparut à Samuel, comme il est écrit: «L’Eternel vint et se présenta...» (id. 3:10). Pourquoi? Parce que, expliquent nos Sages, Moïse attendait que les enfants d’Israël viennent se faire juger chez lui, comme il est écrit: «Moïse s’assit pour juger le peuple» (Exode 18:13), alors que Samuel faisait le tour du pays pour le juger. «Moïse se présentera donc normalement devant Moi, dit l’Eternel, mais J’irai Moi-même chez Samuel» comme il est écrit: «Le poids et la balance justes, sont à l’Eternel...» (Proverbes 16:11)... Pourquoi donc Moïse n’agit-il pas comme Samuel?

C’est que là où on voit l’humilité de Moïse, on voit sa grandeur. Ce n’est pas, à Dieu ne plaise, par paresse, qu’il s’abstint de se déplacer vers le peuple, mais parce qu’il savait que la Chékhinah se trouvait avec les enfants d’Israël dans le désert, et qu’il ne leur manquait rien, qu’aucun ennemi ne les poursuivrait, et qu’ils étaient entourés de nuées de gloire. Soudain, suite au péché du veau d’or, la souillure du serpent est revenue les habiter et les a fait spirituellement chuter. Leur étude de la Torah s’affaiblit considérablement... Si dans le désert où ils n’avaient aucun souci, ils agissaient de la sorte et en arrivèrent à faire un veau d’or, que deviendraient-ils alors quand ils descendront en exil, et connaîtront des difficultés de toutes sortes?

Par conséquent, si Moïse a placé la tente hors du camp, c’est pour apprendre aux enfants d’Israël qu’il faut chercher la voie divine, et non pas attendre qu’on vienne la leur montrer. Ils apprendront ainsi la Torah avec goût, et ce sont leurs efforts dans ce sens qui les aideront, comme il est écrit: «c’est ma sagesse qui m’a soutenu» (Ecclésiaste 2:9); c’est la Torah que j’ai apprise avec peine qui m’a soutenu (Kohéleth Rabah 2:12).

Cependant, dans la génération de Samuel, la situation était tout à fait différente; les enfants d’Israël manquaient de foi. La destruction du sanctuaire de Chilo équivalait à celle du saint Temple. Les Philistins capturèrent l’Arche de Dieu (Samuel I, 5:1)... Samuel n’attendit donc pas que les enfants d’Israël viennent vers lui, mais il se rendit dans les villages les plus reculés pour les faire revenir à leur père au Ciel. S’il n’avait pas agi de la sorte, le Peuple d’Israël ne se serait par relevé (Yalkout Mé’am Lo’ez, id.) C’est ce qu’avait fait avant lui notre ancêtre Avraham. Il s’était rendu chez tous ceux qui reniaient l’existence de Dieu pour leur montrer la voie divine et faire régner sur eux Son saint nom.

Les gens de la génération de la connaissance, qui avaient assisté à tant de miracles et cependant péché, devaient se rendre chez Moïse, qui était descendu de sa grandeur à leur rencontre. S’il a placé la tente hors du camp, c’est pour leur inculquer l’amour de la Torah, sa Torah pour laquelle il s’est dévoué entièrement, comme il est écrit: «Souvenez-vous de la Loi de Moïse, Mon serviteur» (Malachie 3:22; voir aussi Chémoth Rabah 30:4; Yalkout Chimoni, id. 391); c’est pour leur prodiguer des conseils extrêmement judicieux. Le Talmud (Chabath 89a) enseigne à cet effet que le Saint, béni soit-Il, dit à Moïse: «Du fait que tu es descendu de ta grandeur, la Torah portera ton nom.» Si Moïse a placé sa tente hors du camp, c’est pour nous apprendre qu’il convient de chercher un endroit, même lointain, où l’on enseigne la loi divine (Avoth 4:18; Chabath 147b) et de fonder des Yéchivoth hors de la ville et de son vacarme, pour mieux se concentrer dans l’étude de la Torah et se rapprocher davantage de Dieu.

Puissions-nous avoir le mérite d’étudier la Torah dans la sérénité, et nous élever à des niveaux sublimes. C’est ce que cherche notre père au Ciel. C’est le but même du Juif sur terre. Amen.

 

 

Le péché du veau d’or et la routine
TABLE DE MATIERE
La perfection de l’homme

 

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