Danger et remise en question

« S’il est un homme qui ait peur et dont le cœur soit lâche, qu’il se retire et retourne chez lui (…) » (Devarim 20, 8)

La paracha décrit le déroulement des opérations à partir du moment où les Hébreux arrivaient sur le champ de bataille : le Cohen oint pour la guerre ainsi que les officiers s’assuraient qu’ils ne comptaient pas dans leur rang de soldat apeuré – le cas échéant, il était renvoyé chez lui pour éviter la « contagion », pour empêcher que ce sentiment gagne les autres. « Un homme qui ait peur et dont le cœur soit lâche », explique la Guémara, c’est celui qui a peur du fait des fautes qu’il a sur la conscience.

La succession des évènements peut nous sembler étonnante : pourquoi fallait-il amener jusque sur le champ de bataille l’ensemble des soldats et seulement alors renvoyer les plus peureux ? Ne pouvait-on faire ce tri avant même la formation du bataillon ? En outre, les soldats n’étaient-ils pas tous au fait de cette exigence de la Torah qui veut qu’ils soient passés au crible sur le champ de bataille ? S’ils savaient d’avance qu’ils se feraient refouler, pourquoi s’y présenter ? N’est-il pas préférable d’entrée de jeu de rester chez soi que d’essuyer la honte de revenir bredouilles du champ des opérations, celle de s’être fait refuser en tant que soldats dans l’armée d’Hachem ?

Ce qui paraît être une démarche illogique s’explique en fait par les manœuvres du mauvais penchant, qui fait toujours miroiter à l’homme une image de lui parfaite et idéale, si bien qu’il ne voit pas en quoi il a besoin de s’améliorer et de se corriger. Et qu’en est-il de la nécessité de faire téchouva ? Le soldat lambda, bien inspiré par son – mauvais – penchant, vous répondra, étonné, qu’il n’a pas de quoi se repentir. Mais cette impression d’être irréprochable ne subsiste que tant qu’il est chez lui, car « l’homme voit toutes les taches sauf les siennes ». Cependant, au moment où il se retrouve en un lieu plein de périls et qu’il voit l’ennemi armé jusqu’aux dents se dresser face à lui, la crainte s’insinue dans son cœur et il se remet réellement en question. C’est seulement alors, en y réfléchissant bien, que les fautes qu’il a commises lui reviennent à l’esprit et que la peur commence à l’envahir.

Les soldats, avant de partir en guerre, connaissent certes l’avertissement de la Torah et savent que celui qui n’est pas irréprochable devra faire demi-tour, mais ils ne sont pas capables de s’apercevoir par eux-mêmes qu’ils sont éventuellement concernés. Ce n’est qu’une fois arrivés sur le champ de bataille, alors que la menace de l’armée adverse plane sur eux, qu’ils se souviennent de leurs fautes et, le cas échéant, désirent retourner se mettre à l’abri chez eux. Et pour leur éviter une situation des plus embarrassantes, la Torah prend la peine d’évoquer auparavant les cas de la maison, du champ ou de la vigne dont la mise en place vient d’être achevée, sans que son propriétaire en profite, afin de « couvrir » en quelque sorte ceux dont le retour serait dû à des péchés commis. Ne s’en souvenant qu’en dernière minute, ils auraient honte de les avouer à ce moment-là. Par contre, ils peuvent ainsi prétexter une autre raison : les motifs possibles évoqués par les officiers pour les quitter ne manquent pas.

À notre niveau, ce passage de la Torah souligne cette tendance humaine de se croire parfait et irréprochable, tendance qu’ébranle la peur, en induisant une profonde remise en question, ainsi qu’une démarche de retour dans le droit chemin. Il me semble que c’est la raison pour laquelle cette paracha est lue pendant le mois d’Eloul, période de miséricorde et de séli’hot au sujet de laquelle les maîtres du Moussar évoquent le verset : « Le lion a rugi, qui n’aurait pas peur ? » Les lettres du mot arié (le lion) sont en effet, en hébreu, les initiales des mots Eloul, Roch Hachana, Yom Kippour, Hochana Rabba, marqués par le jugement et la crainte, propices à la remise en question. Et même si, tout le reste de l’année, l’homme ne voit pas ce qu’il pourrait se reprocher, en Eloul et au début du mois de Tichri, il va se réveiller sous l’effet de la peur du jugement et se reprendre.

Puissions-nous tous faire notre examen de conscience et entreprendre une authentique téchouva en cette période qui lui est dédiée !

 

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