De Beréchit à Israël
« (…) ainsi qu’à cette main puissante, et à toutes ces imposantes merveilles que Moïse accomplit aux yeux de tout Israël. » (Deutéronome 34, 12)
La sainte Torah s’ouvre par le mot beréchit, qui veut dire « commencement », comme il est dit : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre », et se termine par le mot Israël, comme il est dit : « aux yeux de tout Israël ». Cela nous enseigne, comme le soulignent les commentateurs (cf. Rachi sur Beréchit 1, 1), que le cosmos fut essentiellement mis en place pour le peuple d’Israël. D’après le maître de Troyes, le mot beréchit peut être compris de deux manières, soit comme référence à Israël, qui est appelé « le "commencement" de sa moisson » (Jérémie 2, 3), soit à la Torah, qui est appelée « le "commencement" de sa voie » (Proverbes 8, 22). Ces deux explications semblent se compléter, en cela que si le monde a certes été créé pour les enfants d’Israël, quand ceux-ci ont-ils le mérite d’y vivre dans la sérénité ? Lorsqu’ils se consacrent aux paroles de la Torah, grâce auxquelles ils stabilisent et consolident l’univers. Plus, le Zohar nous indique que « le Saint béni soit-Il consulta la Torah et créa le monde », celle-ci constituant le plan que l’Architecte suprême utilisa pour la mise en œuvre de Son projet (cf. Genèse Rabba 1, 1), en se basant sur les Noms saints qui y sont inscrits.
Afin que le monde subsiste et que les enfants d’Israël puissent s’y maintenir, ils doivent étudier la sainte Torah et agir selon ses directives. C’est ainsi qu’ils auront le mérite de justifier la Création du monde de manière générale et la leur en particulier. C’est là le lien qui unit le dernier au premier mot de la Torah (respectivement « Israël » et « beréchit »), lu juste après, le monde ayant essentiellement été créé pour Israël et Sa Torah.
Nos Sages (Zohar III, 152a) comparent le peuple juif à un rouleau de Torah, parallèle renforcé par le fait que la Torah comporte 613 mitsvot, et l’homme le même nombre de membres et tendons. Or, de même qu’un rouleau de Torah auquel il manque une lettre n’est pas valide (cf. Rambam, Tefillin 1, 2) – il convient de le corriger ou de le déposer dans une gueniza –, celui qui néglige une mitsva empêche le membre qui lui fait pendant de parvenir à la complétude, il l’"atrophie", portant ainsi atteinte à son corps.
Pourtant, s’agissant de notre vie spirituelle et par là-même de notre enveloppe matérielle, le laisser-aller et la négligence sont au rendez-vous. A cet égard, on devrait faire aussi attention à accomplir scrupuleusement les moindres mitsvot que l’on entoure de précautions le rouleau de la Torah, qui, une fois invalidé, est soigneusement mis de côté, avec le plus grand respect. On méritera ainsi pleinement le titre d’« homme ».
On notera par ailleurs que la dernière lettre du mot beréchit, qui ouvre les cinq livres de la Torah, est un Taf, de valeur numérique 400, tandis que la dernière du dernier mot, Israël, est un Lamed, d’une valeur numérique de 30 – le total des deux faisant 430. Or, c’est la durée de l’exil des enfants d’Israël en Egypte (cf. Exode 12, 40 ; Rachi ad loc.). On y décèlera une allusion au fait que les enfants d’Israël étaient dignes d’être délivrés d’Egypte, de devenir un peuple et de recevoir la Torah, qui commence par beréchit et se termine par Israël, seulement au bout de 430 ans d’exil et d’esclavage.
Le fait que la dernière lettre du mot Israël soit un Lamed, évoquant le limoud, l’étude de la Torah, nous enseigne par ailleurs l’importance prépondérante de celle-ci, dont le don imminent était en fait la finalité de leur libération d’Egypte, à travers l’étude et l’accomplissement qui suivraient. Or, nombreux sont ceux d’entre nous qui, à Sim’hat Torah et lorsque l’on inaugure un nouveau rouleau de Torah, dansent et se livrent à de grandes manifestations de liesse jusqu’à leurs dernières forces. Ils sont même prêts à faire d’importants dons pour l’écriture d’un tel parchemin et son ornement. Cependant, dès que l’on touche à l’étude de la Torah et à son accomplissement dans la pratique, soudain, on ne les entend plus et en un clin d’œil, toute trace d’exaltation a disparu. Sans vouloir diminuer le mérite et même la mitsva que représentent leurs manifestations d’enthousiasme autour de la Torah ou leur générosité dans ce domaine, il faut savoir que cela ne dispense nullement l’homme de son obligation essentielle : l’étude de la Torah. Aussi, ces personnes qui se contentent de gestes superficiels ne réclamant pas de sacrifices de leur part tentent d’apaiser leur conscience en se disant que même s’ils n’étudient pas la Torah, ils l’honorent. Mais c’est une erreur. Car après cent-vingt ans, lorsque l’homme sera appelé à comparaître devant la cour céleste, il devra rendre compte de ces actes et se verra reprocher le fait de ne pas avoir étudié la Torah quand il en avait la possibilité et les moyens.
Ainsi, la lettre Lamed, sur laquelle les cinq livres de la Torah se concluent, nous rappelle le but essentiel de l’homme en ce monde, et ce, du fait que l’étude amène l’homme à l’acte et à l’accomplissement des mitsvot.
Par ailleurs, si l’on prend cette lettre et qu’on la découpe verticalement en trois parties, on peut déceler les lettres Youd, Vav et Rech. La première d’entre elles évoque le fait que la Torah ne se réalise qu’en celui qui s’abaisse pour elle (cf. Dérekh Erets Zouta, 8) : de même que cette lettre est plus petite que toutes les autres, l’homme doit se rabaisser face à la Torah, et il méritera ainsi que les paroles de celle-ci s’accomplissent en sa faveur et l’élèvent spirituellement parlant. Dans ce cadre, même si la lettre Lamed est la plus grande de toutes, sous-entendant que l’étude élève l’homme, celui-ci doit se sentir petit, à l’instar du Youd, et s’attacher à la vertu de l’humilité.
Concernant l’importance de celle-ci, dans le livre de Samuel (I 9, 3-10), on nous relate que Kich, père de Saül, avait perdu ses ânesses, et ordonna à son fils de les lui retrouver. Après de vaines recherches, il alla consulter le prophète Samuel, comme il est dit : « Saül, abordant Samuel à la porte de la ville, lui dit : Enseigne-moi, je te prie, où est la maison du voyant." Samuel répondit à Saül : "Le voyant, c’est moi." » Au vu du niveau élevé du prophète, cette dernière déclaration était, d’après nos Sages (Yalkout Chimoni, Samuel, 108), une marque d’orgueil, dans la mesure où le Saint béni soit-Il est « strict avec Ses fidèles [même] pour un écart de l’épaisseur d’un cheveu » (Yalkout Chimoni, Psaumes, 760). En conséquence, lorsqu’il se rendit chez Jessé pour oindre celui de ses fils qui méritait le trône, Samuel perdit la prophétie et ne fut pas capable de l’identifier. Cela nous démontre combien la modestie doit faire partie de la personnalité d’un homme de Torah, car c’est elle qui élève les érudits.
La lettre Vav, de valeur numérique 6, fait allusion au vendredi, sixième jour de la semaine d’après notre calendrier, où fut créé l’homme (Genèse 1, 26-31). Lorsque celui-ci étudie la Torah, pilier du monde, il a le mérite de devenir l’associé de Dieu dans la Création. Enfin, la lettre Rech évoque la tête (roch), siège de la pensée et de l’intelligence. Car pour que l’homme puisse effectivement devenir un associé de Dieu dans la Création, il doit constamment garder en tête la Volonté divine et réfléchir au meilleur moyen de la satisfaire.
La première lettre de la Torah est un Beth, tandis que la dernière est un Lamed, toutes deux formant, associées, le mot lev, désignant le cœur. Cela nous enseigne que l’homme doit inféoder son cœur comme ses pensées à Dieu. Le Ben Ich ’Haï explique par ailleurs (« Chana Richona », Bo) que les tefillin de la tête sont placés face au cerveau, tandis que ceux du bras, mis du côté gauche, se trouvent en face du cœur. Au moment où l’homme met ses tefillin, il doit avoir l’intention de servir Dieu avec sa tête et son cœur, avec réflexion et ardeur.
Le cœur fait par ailleurs allusion à l’unité, dans l’esprit du verset « Israël y campa en face de la montagne », écrit au singulier. Cela nous enseigne qu’ils acceptèrent la Torah dans l’union, comme un seul homme doté d’un seul cœur. Il en ressort que l’unité est la condition et la base de l’étude de la Torah et l’accomplissement des mitsvot. Sans elle, la Torah ne peut résider en nous.
Batia, fille de Pharaon, renonça au faste du palais royal, à la richesse et aux honneurs, pour lier son destin au peuple juif. Comment comprendre que, se trouvant à la tête de l’élite égyptienne, elle ait voulu s’attacher à un peuple persécuté et asservi ? En fait, en constatant la remarquable unité qui prévalait parmi les Hébreux, lesquels avaient préservé leur identité, leurs coutumes vestimentaires et leur langue propre (cf. Pessikta Zoutrati, Exode 6, 6 ; Cantique des Cantiques Rabba 4, 25), elle comprit aussitôt qu’il s’agissait d’un peuple unique en son genre, que nulle difficulté ni persécution ne feraient plier – s’attaquerait-on à eux physiquement, ils resteraient inébranlables sur le plan spirituel. Pour ce faire, le Créateur nous a ordonné d’être unis, du fait que l’union renforce les cœurs et insuffle à notre peuple la vie, lui donne la force d’accroître l’étude de la Torah et l’accomplissement des mitsvot.