L’amour du prochain

[Explication du lien entre les parachioth Kedochim, Emor et Béhar]

Il est écrit : « Dis aux cohanim fils d’Aaron et tu leur diras » (Lévitique 21, 1). Les Sages ont mis ce : « Dis aux cohanim » en rapport avec le verset : « les paroles de l’Eternel sont pures » (Psaumes 12, 7). La mise en garde de Dieu à l’égard de la sainteté et de la pureté d’Israël relève donc de l’idée que « les paroles de l’Eternel sont pures » (Tan'houma Emor 1). De plus, au début de la parachah, Ba’al Hatourim écrit que Véamarta (« et tu diras ») est fait des mêmes lettres que Amarot, les « paroles » de l’Eternel dans le verset cité.

L’intention de la Torah paraît donc être ici d’enjoindre à l’homme de veiller à sa bouche et à sa langue, et d’utiliser un langage pur. On trouve confirmation de l’importance de ce sujet dans une anecdote concernant Rabbi Israël Salanter. Un jour, il était sorti pendant la période des seli’hot pour aller à la synagogue prier cha’harit. En chemin, il a rencontré un juif de belle et noble allure qui revenait de la synagogue après une nuit entière de seli’hot et de tikounim, et sur qui la crainte du jour du jugement se faisait sentir. Rabbi Israël s’approcha de lui, et lui dit bonjour avec un sourire, mais l’autre était si plongé dans ses réflexions sur la gravité de cette période qu’il ne parut pas s’apercevoir de sa présence, ne répondit rien et poursuivit son chemin. Rabbi Israël s’adressa à lui en ces termes : « Monsieur le juif, sachez que pour le Saint béni soit-Il, l’essentiel n’est pas le mitsvoth entre l’homme et Dieu, mais celles qui concernent les rapports avec le prochain ; même quand on se repent des fautes commises envers Dieu, le jour de Kippour n’accorde pas pour autant le pardon sur les rapports avec autrui (Yoma 85b). Pourquoi donc ne m’avez-vous pas répondu quand je vous ai dit bonjour ? Qu’est-ce que vous avez à perdre à répondre poliment, cela va-t-il déranger vos préparatifs pour le jour du jugement ? C’est exactement le contraire : vous auriez pu annuler tous les mauvais décrets vous concernant si vous m’aviez répondu « bonjour » avec un sourire ! »

C’est stupéfiant ! Il arrive souvent que quelqu’un fasse des efforts suprêmes pour observer les mitsvoth, mais qu’il échoue au moment où sa ferveur est mise à l’épreuve de la réalité. Il y a beaucoup de gens qui prient avec une grande concentration, mais ne font aucune attention au prochain une fois qu’ils sont sortis de la synagogue. Cette terrible histoire nous enseigne que ce n’est pas la bonne façon de se conduire, car il ne manque pas de gens qui prient comme Rabbi Israël Salanter, mais il nous apprend que cette prière est absolument sans valeur si elle ne s’accompagne pas d’attention envers le prochain, fût-ce un bonjour amical.

C’est cela le rapport entre la parachat Kedochim, la parachat Emor et la parachat Béhar. Sur le verset « soyez saints » (Lévitique 19, 2), Rachi explique au nom des Sages (Vayikra Rabah 24, 4) : « Ecartez-vous de l’impudicité et du péché ». Or on sait que pour éviter l’impudicité, il faut garder sa langue, car l’alliance de la langue correspond à l’alliance de la circoncision (voir Beith Israël du Admor de Gour, qui traite longuement de ce sujet en plusieurs endroits). Au moment du Veau d’Or, sur le verset : « ils se levèrent pour s’amuser » (Exode 32, 6), les Sages ont expliqué (Tan'houma Tissa 20, Rachi) qu’il s’agissait des relations interdites et du meurtre, c’est-à-dire que si l’on rit avec la bouche, on s'égare aussi dans le domaine des mœurs. C’est pourquoi immédiatement après, dans la parachat Emor, la Torah met en garde sur la parole : « Dis et tu diras », « des paroles pures », et le Midrach ci-dessus, précise qu’il faut garder sa bouche et sa langue (Tan'houma Emor, 1), ce qui inclut le fait de dire bonjour aimablement, avec une bouche propre et des paroles pures, et à ce moment-là seulement on peut se sanctifier et se purifier totalement.

Comment l’homme peut-il s’assurer que son langage est propre et ses paroles pures ? En se rappelant de la Torah qui a été donnée Béhar, au mont Sinaï. Cela signifie qu’il doit se souvenir de l’humilité du mont Sinaï, sur qui la Torah a été donnée parce qu’il s’était abaissé (Sotah 5a, Yalkout Chimoni Ytro), et dont il faut apprendre à s’incliner devant Dieu et le prochain pour que la Torah vive en nous (Ta’anith 7a, Sotah 21a, Dérekh Erets Zoutah 8), à l’instar de Moïse dont il est dit : « L’homme Moïse était très humble » (Nombres 12, 3). De cette façon, il est assuré que ses paroles seront pures, car l’homme humble ne se met jamais en colère, si bien qu’il ne fait jamais sortir de sa bouche des paroles indécentes, et il est également dépourvu d’orgueil, tout cela étant à l’opposé de l’humilité.

On peut affirmer avec certitude que la répétition « Dis et tu diras » porte sur les rapports des hommes entre eux. En effet, si on parle à l’autre et qu’il n’écoute pas, on doit répéter ce qu’on a dit, avec des paroles pures et humbles, des paroles qui sortent du cœur et rentrent dans le cœur de l’interlocuteur. Or la Guemara affirme que quiconque possède la crainte du ciel, ses paroles sont écoutées (Bérakhoth 6b). De plus, les Sages ont expliqué que : « Dis et tu diras » vient mettre en garde les grands à propos des petits (Yébamoth 114a), ce qui relève de la même intention : l’homme ne doit pas s’imaginer que le fait d’être un grand ou un Rav lui permette de regarder ses élèves de haut, mais au contraire « Dis et tu diras », il faut se conduire humblement avec eux, et leur parler de façon douce (« amirah »), comme la Guemara l’explique à propos du verset : « Ainsi tu parleras (« Tomar ») à la maison de Jacob » (Exode 19, 3), de façon douce (Chabath 87a), et aussi en murmurant (Zohar I, 16a), légèrement et humblement. Les Sages affirment : « A chaque fois que le terme amirah est utilisé, il s’agit de supplications, ainsi qu’il est écrit : « Et il dit (« Vayomer ») : je vous en prie mes frères, ne faites pas ce mal » (Genèse 19, 7) » (Tan'houma Tsav 13).

C’est donc cela le rapport entre Kedochim, Emor et Béhar : l’humilité et l’amour du prochain sont ce qui relie le tout. Nous avons déjà cité ailleurs les paroles du Midrach : « Quel rapport y a-t-il entre la chemittah et le mont Sinaï » (Torath Cohanim 25, 1, Rachi au début de Béhar). La chemittah nous enseigne la grandeur de l’humilité et de l’amour du prochain, car tout se trouve à la disposition de tout le monde et n’importe qui a le droit d’aller dans les champs de tous ; par amour pour tous, le propriétaire leur permet de prendre ce qu’ils veulent (une allusion en est que les paroles de Torah ne se réalisent que chez celui qui se rend lui-même aussi ouvert à tous qu’un désert (Midrach Agadah ‘Houkat 21, 19), ce qui évoque la chemittah pendant laquelle tout est livré au public, signe d’humilité et d’amour du prochain). Ce n’est donc pas pour rien que sur le verset : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19, 18) Rabbi Aquiba dit que c’est un grand principe de la Torah (Yérouchalmi Nédarim ch. 9, 4), car l’amour du prochain est à la base de tout. Et c’est le lien entre les parachioth : la sainteté (« kedouchah ») vient au moyen de paroles (« amirah ») pures, et uniquement dans un contexte d’humilité (Béhar).

La Guemara (Erouvin 54b) raconte une merveilleuse histoire sur Rabbi Preida qui enseignait chaque chose à un élève quatre cents fois. Un jour, quelque chose a fait qu’au bout de quatre cents fois, il n’avait toujours pas compris, à la suite de quoi il a recommencé quatre cents fois supplémentaires, mérite qui lui a valu une longévité de quatre cents ans, ainsi que le monde à venir pour lui-même et sa génération. Rabbi Preida accomplissait « Dis et tu diras », sans jamais se fâcher, et il a eu l’humilité d’étudier avec son élève quatre cents fois supplémentaires.

Nous voyons là un grand principe, à savoir que celui qui se met en colère ne peut pas être humble. Il est écrit que Moïse était le plus humble de tous les hommes (Nombres 12, 3), et pourtant les Sages ont dit qu’en trois endroits il s’est fâché et a immédiatement oublié la loi, à cause de la colère (Vayikra Rabah 13, 1, Sifri Matoth 31, 21). On sait par ailleurs que : « Celui qui se met en colère oublie son étude et s’ajoute de la sottise » (Nédarim 22b), car on ne peut acquérir la Torah que dans le calme total et l’humilité.

Tout cela va nous permettre de répondre à ce que m’a demandé une fois le Rav Rothschild : Comment se fait-il que dans les générations précédentes, les Achkénazim et les Sépharadim vivaient en bonne entente, puisqu'au Maroc il y avait des ouvrages des anciens auteurs achkénazes et du Roch, alors qu’en Allemagne on trouvait des ouvrages des Sépharadim, comme des talmidei ‘hakhamim réunis en groupes pour étudier une Torah dont toutes les paroles ont été données par un seul berger (‘Haguigah 3b), accroissant ainsi la paix dans le monde (Bérakhoth 64a, Zohar III, 301b). Alors qu’aujourd’hui, à cause de nos nombreuses fautes, les dirigeants sont divisés dans des proportions inimaginables, et au lieu de se rappeler que la division et la haine ont mené à la destruction du Temple (Yoma 9b), chacun essaie de surenchérir dans la controverse.

Le fait même de cette division est un signe qu’on n’étudie pas assez la Torah, parce que celui qui se consacre à l’étude sait ce que signifie « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » et ne lutte pas contre ses compagnons. Par dessus tout, cela montre que nous nous trouvons dans l’époque qui précède la venue du Machia’h (voir Sotah 49b), or le Satan sait que si l’amour envers le prochain augmente, le Machia’h peut venir à chaque instant, car la faute de la haine gratuite sera réparée (Yoma 9b), c’est pourquoi il utilise sa dernière arme qui est de diviser tout le monde, et il est aujourd’hui plus puissant que jamais.

Mais précisément, nous devons savoir que c’est dans ces périodes-là que nous devons nous tenir sur nos gardes, aimer le prochain et nous garder de dire du mal de lui, car après notre vie, au Tribunal céleste Dieu nous demandera si nous avons contribué à la construction du Temple. En effet, les Sages ont dit : « Toute génération pendant laquelle le Temple n’a pas été construit, c’est comme s’il avait été détruit » (Yérouchalmi Yoma 1, 1), et nous, chez qui la haine gratuite est monnaie courante, que répondrons-nous au jour du jugement et des réprimandes ? Dans la génération de l’époque précédant la venue du Machia’h (IKVata Dimechi’ha), chacun doit justement se comparer à un talon (AKeV), et se conduire avec humilité, effacement et douceur de caractère. C’est ainsi que nous pourrons véritablement aider à la venue du Machia’h et à la révélation de la gloire du Royaume, que ce soit rapidement et de nos jours.

De plus, nous disons dans la prière : « Reviens par Ta miséricorde dans Jérusalem Ta ville », et aussi : « Rassemble-nous ». Mais est-ce que nous désirons effectivement ce que nous demandons, ou est-ce seulement notre bouche qui crie : « Machia’h, Machia’h », comme dans le verset « Mais leur cœur n’était pas de bonne foi avec Lui » (Psaumes 78, 37) ? Il faut le vouloir vraiment, mettre en accord notre bouche et notre cœur (Teroumoth 3, 8, Nazir 2b). Comment ? En faisant un effort considérable pour éliminer toute haine gratuite. Même si le Temple n’est pas encore construit, nous devons tout au moins nous efforcer de ne pas être la cause du retard de la Rédemption, car « Toute génération pendant laquelle il n’a pas été construit, c’est comme s’il avait été détruit » (Yérouchalmi Yoma 1, 1, Cho’her Tov 137, 10). A ce moment-là nous pourrons dire à Dieu : Nous avons fait tout ce que Tu nous a ordonné, et de notre part il n’y avait aucun obstacle, tout est venu des autres et spécialement du mauvais penchant qui nous fait succomber. C’est pourquoi les Sages ont dit que dans l’avenir, le Saint béni soit-Il amène le mauvais penchant et l’égorge, car c’est lui qui est coupable de tout : en réalité, l’amour règne chez le peuple d’Israël (Soukah 52a, Zohar I, 190b).

Puissions-nous mériter que le Saint béni soit-Il nous aide à observer « Aime ton prochain comme toi-même », ce qui nous vaudra la Torah et la venue du Machia’h, rapidement et de nos jours, Amen qu’il en soit ainsi.

Comment faut-il se conduire ?

L’essentiel de la sainteté se trouve dans la bouche : un langage pur, des paroles douces, avec humilité et amour du prochain. En effet, celui qui se met en colère ne peut pas être humble et ne mérite pas la Torah. Quand on se conduit humblement, on peut arriver à la Torah et à l’unité, ce qui est l’essentiel de la Torah. C’est elle qui rapproche la Rédemption, rapidement et de nos jours, Amen.

 

Son cœur s’enorgueillit dans les voies de l’Eternel... (la Torah à travers l’humilité)
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