Le miracle de la délivrance, par le mérite de la foi et de l’abnégation

 « Ce mois est pour vous le commencement des mois ; il sera pour vous le premier des mois de l’année. » (Chemot 12:2)

Il s’agit de la première mitsva que reçut le peuple juif (Yalkout Chimoni Chemot 187), mitsva qui n’est pas sans nous poser plusieurs problèmes. Tout d’abord, comment peut-il être question de « commencement des mois » ? Cette datation ne fait-elle pas l’objet d’une controverse, du reste célèbre, entre Rabbi Yehochoua et Rabbi Eliezer (Roch Hachana 11a) – l’un avançant que le monde fut créé en Tichri, tandis que son pair penchait plutôt pour le mois de Nissan ?

En outre, que signifie ce « pour vous », si insistant, et qui semble indiquer une notion de relativité ? En quoi le mois de Nissan est-il supérieur à celui de Tichri ?

Nos Sages affirment (Chemot Rabba 15:12) que le Très-Haut détermina le mois de Nissan comme mois de délivrance pour les enfants d’Israël, si bien que tout malheur qui y surviendrait marquerait immanquablement le début de la délivrance. En effet, c’est le mois au cours duquel Yits’hak fut ligoté sur l’autel. Or, s’il avait été réellement immolé, c’est le peuple juif tout entier qui aurait été anéanti et on voit bien qu’au contraire, cela constitua le début de la délivrance et du développement de ce dernier.

C’est également au cours de ce mois que Yaakov reçut les bénédictions de son père (Pirké deRabbi Eliezer 32), lesquelles, au premier abord, auraient pu passer pour des malédictions, comme le laissent entendre ces paroles de Yaakov : « et, au lieu d’une bénédiction, c’est une malédiction que j’aurai attirée sur moi » (Beréchit 27:12). Mais, au contraire, tout bienfait dont bénéficierait celui-ci et, par la suite, le peuple juif jusqu’à la fin des générations, était appelé à découler de cette bénédiction du Patriarche. Enfin, rappelons cette promesse de nos Sages (Roch Hachana 11a ; Chemot Rabba 15:12 ; Zohar II 120a) : « C’est en Nissan qu’ils furent délivrés et qu’ils le seront de nouveau à l’avenir. »

Nous comprenons à présent pourquoi D. ordonna de compter les mois à partir de celui-ci, si fondamental. En effet, la notion d’année (chana) évoque celle de hityachnout, de « vieillissement », de répétition incessante, tandis que celle de mois (‘hodech) renvoie à celle de nouveauté (‘hidouch). Car toutes les lois de la nature se renouvellent grâce aux enfants d’Israël, par leur mérite, et tout concourt à rapprocher la délivrance et à permettre miracles et prodiges. C’est là ce qui nous distingue des autres peuples, qui fonctionnent « à l’année », loin de toute notion de renouveau, tandis que nous-mêmes comptons les mois, autrement dit, nous nous renouvelons sans cesse en même temps qu’eux se renouvellent.

A cet égard, le mois de Nissan, mois de la délivrance, est le plus propice à ce renouveau, et à chaque fois, la lumière de la délivrance y rayonne justement. Dès lors, nous comprenons cette notion de « commencement des mois » : du point de vue des miracles et de la délivrance du peuple juif, il est à la première place, « pour vous » – pour le peuple juif et non pour les autres nations.

Ce n’est pas un hasard si l’Eternel désigna ce mois comme placé en pôle position pour la délivrance, car c’est à partir de celui-ci que l’on établit un compte (celui de l’Omer) jusqu’à la réception de la Torah. Or, comme nous le savons, la Torah a précédé toute création (Beréchit Rabba 8:2), qu’elle dépasse. S’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, pour reprendre ce mot du plus sage des hommes, au-dessus de celui-ci, au niveau de la Torah, ce n’est pas le cas. Le peuple juif eut ce mérite grâce à sa foi pure en D., et c’est ce qui lui permet de se renouveler constamment.

Au mois de Nissan, un nouveau chapitre de foi et de renouveau dans la vie des enfants d’Israël débuta. Une nouvelle vie sous la tutelle du Créateur et non des Egyptiens. Une vie axée sur la Torah, la crainte du Ciel, la foi et l’accomplissement des mitsvot.

De ce fait, il est fondamental de se rappeler tous les jours la sortie d’Egypte (Devarim 16:3), car c’est ainsi que notre foi peut s’amplifier. En outre, le souvenir mène à l’acte (Mena’hot 43b), et c’est ainsi que nous mériterons de fait les prodiges du Créateur. C’est ce que le nom du mois lui-même nous rappelle : nissan, du mot nissim (miracles). En outre, l’essentiel du miracle était le fait de quitter les quarante-neuf degrés d’impureté (Zohar ‘Hadach Yitro 39a) in extremis, sans tomber dans le point de non-retour du cinquantième, qui aurait définitivement compromis tout espoir de sortir d’Egypte.

De plus, suite à la sortie d’Egypte, les enfants d’Israël eurent le mérite de recevoir les dix commandements, comme le révèle le nom de ce mois, formé de trois parties : le mot ness (« miracle »), la lettre youd (qui vaut dix), et la lettre noun (de valeur numérique cinquante). Mais, du fait qu’avant le don de la Torah, les enfants d’Israël n’avaient pas encore reçu les mitsvot, D. leur en donna deux : le sang du korban Pessa’h et celui de la brit mila (Mekhilta Bo ; Pirké deRabbi Eliezer 29), et ce, pour mettre un frein aux accusations des anges : « Ceux-ci sont idolâtres au même titre que ceux-là. »

De fait, le respect de ces commandements témoignait de la foi inébranlable des enfants d’Israël, ainsi que d’une remarquable abnégation dans l’accomplissement des mitsvot, et c’est ce qui leur permit d’émerger de l’impureté et de se hisser dans les différents paliers de pureté.

Néanmoins, les enfants d’Israël devaient à tout prix arriver au don de la Torah et ne pouvaient en aucun cas se contenter de ces deux commandements. Car, comme le précisent nos Sages (Sota 21a), « une mitsva ne protège que temporairement (…) tandis que la Torah protège éternellement ». Ils n’auraient donc pu indéfiniment résister aux accusations des accusateurs et destructeurs de tout poil, et c’est pourquoi au final, D. leur donna la Torah. Le fait d’avoir délivré les enfants d’Israël d’Egypte, en dépit de leur dénuement en mitsvot, est donc l’une des plus grandes bontés du Créateur vis-à-vis de ces derniers, bonté s’appuyant sur le mérite de leur foi pure et infinie en Lui et en Moché Son serviteur.

Une question se pose cependant : D. est tant omniscient qu’omnipotent. Pourquoi, dans ce cas, les enfants d’Israël durent-ils, en Egypte, enduire leurs linteaux et leurs montants de sang. Sans cet acte concret, peut-on envisager que D. n’aurait pas pu sauter, épargner les demeures juives lors de la dernière plaie ?

Cependant, en amont, on pourrait se demander pourquoi D. donna à Israël deux mitsvot : Pessa’h et la mila. L’une ou l’autre, seule, ne suffisait-elle pas ? Cette question prend encore davantage d’acuité à la lumière de ce qui est écrit dans le Drach Moché (page 268), concernant la mila des enfants d’Israël, effectuée de manière incomplète, détail rapporté également dans le Zohar (II 36a, 40a).

En outre, le nom de la fête de Pessa’h évoque le saut (pessi’ha) que fit le Saint béni soit-Il au-dessus des maisons des enfants d’Israël, à la fin de les épargner. Ce saut était-il réellement indispensable pour frapper les premiers-nés égyptiens ?

Une autre question surgit concernant cette plaie. Nos Sages précisent en effet (Choul’han Aroukh Ora’h ‘Haïm 470:1) que les premiers-nés ont l’habitude de jeûner la veille de Pessa’h en souvenir du miracle qui leur valut d’être épargnés de cette plaie. N’aurait-il pas été plus logique de commémorer le prodige par une fête, à grand renfort de nourriture ?

Enfin, cette commémoration n’aurait-elle pas dû prendre place le jour exact du miracle – 15 Nissan, puisque celui-ci eut lieu au cours de la nuit du quinze – plutôt qu’un jour avant ?

La réponse est que toutes ces nuances viennent souligner d’une part, le dévouement des enfants d’Israël et de l’autre, l’affection que leur porte le Créateur. Car, en se soumettant à l’ordre de badigeonner le sang sur les linteaux et les montants, après ce sacrifice de l’agneau qui leur en coûtait certainement tant, ils démontrèrent leur abnégation et leur obéissance absolue au Créateur. Ils firent ainsi la preuve de leur distinction vis-à-vis des autres peuples, démontrant qu’eux seuls sont soumis à la direction du Très-Haut.

Voilà pourquoi D. « sauta » et passa par-dessus leurs maisons, en signe de miracle, et c’est aussi pourquoi Il leur donna les mitsvot du sacrifice pascal et de la mila – le sang du premier témoignant d’un dévouement d’ordre financier, et celui du second, d’ordre physique, corporel. Dès lors, leur accomplissement des mitsvot – et notamment de celle de la mila, effectuée seulement « à moitié » – fût-il imparfait, ils devenaient dignes de l’Intervention divine miraculeuse. En effet, n’ayant pas encore reçu la Torah et goûté à sa saveur unique, si douce (Zohar III 271b), on peut comprendre que leur pratique ait quelque peu laissé à désirer, ce qui ne fut plus le cas aussitôt après, lorsqu’ils effectuèrent le second acte de la circoncision, qui la valida complètement.

Ainsi, le scénario du sang à répandre sur les contours des portes visait à montrer la différence du peuple juif par rapport aux autres nations. Notre peuple se distingue par sa soumission et son effacement face au Créateur, ainsi qu’une foi pure et forte en D. et en Ses mitsvot. Ces preuves de dévouement exigées au moment de la dernière plaie leur permettraient de pouvoir prétendre à une Délivrance surnaturelle, bien qu’ils fussent dénués de mitsvot.

A présent, la raison du jeûne des premiers-nés, la veille de Pessa’h, s’éclaire. Car en vérité, le véritable miracle débuta bien avant la nuit du 15 Nissan. En versant le sang de l’agneau du sacrifice et en le badigeonnant selon l’ordre divin, ils faisaient montre d’un extraordinaire dévouement à D. et d’une foi illimitée, qualités qui leur valurent ce miracle.

De ce point de vue, le jeûne des premiers-nés est un souvenir de la soumission des enfants d’Israël, démontrée le 14 Nissan. Or, nous apprennent nos Maîtres, « tout celui qui se prive de boire et de manger, son cœur se plie devant le Créateur, ce qui lui est considéré comme l’apport d’un sacrifice » (Zohar II 119b), et c’est ce qui explique la forme de la commémoration du miraculeux sauvetage des premiers-nés juifs.

A présent, nous pouvons répondre à l’une des questions que nous avions posée en début de chapitre, concernant la supériorité du mois de Nissan sur celui de Tichri. Si le second est également un mois marqué par des miracles et par la émouna (Roch Hachana 11a), il correspond aussi à la notion de repentir par crainte, expliquait le Beth Israël zatsal, tandis que celui de Nissan renvoie au concept de techouva par amour.

Ainsi, tout était une question de foi, de soumission et d’abnégation vis-à-vis de D. Comme le précise par ailleurs le ‘Hida, que son mérite nous protège, par le mérite de la préparation préliminaire aux mitsvot, de la soumission témoignée, et de la transpiration qu’il verse pour elles, les fautes de l’homme sont pardonnées.

On touche ici à la quintessence de Pessa’h, fête dont le nom a la même guematria que l’expression : « foi en un D. unique – émouna beE-l e’had ». Car c’est cette foi qui leur valut d’échapper aux accusateurs et de sortir d’Egypte. Notons par ailleurs que le mot Pessa’h peut être décomposé en pa’h et samekh, sa lettre centrale, allusion aux soixante myriades de Juifs sortis d’Egypte, qui échappèrent au pa’h, au « piège » tendu sous leurs pieds, et accédèrent à la liberté, marquée par la perte de leurs ennemis.

 

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