L’influence de la sainteté de Pessa’h sur le reste de l’année

Dans la section de Chemini, nous pouvons lire : « Ceci est la chose qu’a ordonnée l’Eternel ; accomplissez-la pour que vous apparaisse la gloire du Seigneur. » (Vayikra 9:6) Et nos Maîtres de commenter (Torat Cohanim ad loc.) : « Quelle est donc cette chose-là ? Annihilez le mauvais penchant de votre cœur de sorte à être pleinement disposés à vous plier à la Volonté divine. »

Comme nous le savons, le ‘hamets, surnommé « levain de la pâte », symbolise le mauvais penchant, qui entrave l’homme dans son Service divin. Lorsque, après en avoir éliminé et brûlé toute trace, nous nous sommes abstenus sept jours durant d’en consommer, c’est-à-dire avons symboliquement maîtrisé le mauvais penchant, nous avons le pouvoir, après la fête, de prolonger notre adhérence à la sainteté en continuant à subjuguer cet adversaire.

Or, le Chabbat qui suit Pessa’h – où est souvent lue la section de Chemini – détient un potentiel tel qu’il peut nous transmettre, pour toute l’année à venir, la force de combattre et de prendre le dessus sur notre mauvais penchant. Dans son ouvrage Beth Israël, l’Admour de Gour, de mémoire bénie, développe cette idée : « Le premier Chabbat qui suit Pessa’h, nous devons nous renforcer et ce jour saint nous fournira les forces pour toute l’année, après que notre âme a été libérée à Pessa’h par l’annulation du mauvais penchant. A Pessa’h, c’est le moment opportun pour maîtriser son penchant. Le ‘Hidouché Harim, de mémoire bénie, interprète cette loi stipulée par nos Sages, “à partir de la sixième heure de la journée, le ‘hamets appartenant à un homme n’est plus à sa disposition” (Pessa’him 6b), en faisant le parallèle avec notre mauvais penchant : ce qui n’est généralement pas en la possession de l’homme à cause de l’ascendant qu’exerce sur lui son penchant, à Pessa’h, c’est le moment où il a le pouvoir d’en prendre possession, y compris de ceux de ses membres qu’il ne maîtrise habituellement pas. »

Par conséquent, il nous incombe de fournir de nombreux efforts durant Pessa’h pour y annuler le mauvais penchant et prolonger cette maîtrise au-delà de la fête. Car celle-ci vise avant tout à nous transmettre cette force de persister dans la sainteté tout au long de l’année, à commencer par le lendemain de Pessa’h, le huitième jour, qui symbolise justement le dépassement de la nature. Lors du Chabbat qui suit Pessa’h, nous devons redoubler d’efforts et languir l’atmosphère élévatrice de la fête, afin que, par cet éveil amorcé en bas, nous suscitions un éveil d’en Haut (Zohar I 88b) nous transmettant un influx spirituel pour tout le reste de l’année. Autrement dit, il nous appartient de reproduire le travail sur soi effectué pendant les sept jours de Pessa’h, où nous nous sommes efforcés d’abolir tout ‘hamets, toute inclination au mal.

Lors de Pessa’h, chacun doit s’appliquer à annuler son ego, à l’image de la matsa de forme plate, et ce, en affinant ses traits de caractère. Il est préférable de consommer de la matsa chemoura <*48>48@G confectionnée à la main, qui fait allusion au travail physique d’annulation du ‘hamets. Comme je l’ai déjà expliqué à un autre chapitre, le terme ‘hamets est numériquement supérieur au terme matsa de trois, en écho aux trois vices qui excluent l’homme de ce monde : la jalousie, le désir et la recherche des honneurs (cf. Avot 4:21). A Pessa’h, notre tâche consiste justement à éliminer de nous ces trois défauts majeurs.

Lorsque, durant Pessa’h, l’homme ne mange pas de ‘hamets, il a la possibilité de corriger ses traits de caractère, d’acquérir les qualités symboliques de la matsa et de maîtriser le mauvais penchant qui siège dans son cœur et tente constamment de le faire trébucher. Personne n’est en effet à l’abri de ces attaques, puisque, comme le soulignent nos Sages, la force du mauvais penchant est proportionnelle au niveau de la personne (Soucca 22a), si bien que les érudits doivent faire face à un adversaire d’autant plus redoutable. Telle est notre mission propre aux sept jours de Pessa’h et, si nous la menons à bien, nous parviendrons à annihiler notre mauvais penchant et ressemblerons à un nouveau-né, comme l’explique le Ari zal.

Le pouvoir d’élévation après Pessa’h

Si, durant Pessa’h, l’homme affine son caractère en annulant ses mauvaises tendances, nous pouvons nous demander comment il peut ensuite se remettre à consommer du ‘hamets, symbole du mauvais penchant et des vices. N’est-ce pas là un risque de retomber dans ses mauvaises habitudes, de réacquérir ses défauts et de pécher envers son prochain, type de péchés dont même le jour de Kippour ne peut nous absoudre, tant que nous n’avons pas obtenu le pardon de celui que nous avons lésé (Yoma 85b) ?

C’est que, après qu’un homme a travaillé sur lui-même de manière intensive à Pessa’h, en annulant les trois principaux vices caractéristiques du mauvais penchant – la jalousie, le désir et la recherche d’honneurs –, il a acquis le pouvoir de Pessa’h, en l’occurrence pé-sa’h, « une bouche qui parle », c’est-à-dire qui parle naïvement, qui chemine en toute confiance dans la voie divine. Aussi, il se tient à un niveau tellement élevé que, si après la fête des épreuves se présentent à lui dans l’un de ces trois domaines, il les surmontera, n’éprouvant pas même de tentation à cet égard. Il aura renforcé sa personnalité au point que ces défauts n’auront plus le pouvoir de s’attacher à lui et de l’influencer.

En outre, à celui qui s’est hissé à ce haut niveau peut être appliqué l’enseignement de nos Maîtres : « Tout homme doit dire : le monde a été créé pour moi » (Sanhédrin 37a). En effet, comme ils l’explicitent par ailleurs (Berakhot 6b), « le monde n’a été créé que pour cela », c’est-à-dire pour satisfaire les besoins élémentaires de l’homme et lui permettre ainsi de remplir sa mission de servir le Créateur. Ceci corrobore l’interprétation que donne le Midrach (Beréchit Rabba 1:1 ; Rachi ad loc.) du premier mot de la Torah, beréchit : « pour le peuple juif, surnommé prémice de sa moisson » (Yirmyahou 2:3).

Précisons néanmoins que cette manière de penser ne doit pas susciter en l’homme des sentiments de fierté et de suffisance, ni le mener à considérer l’autre comme intrus dans ce monde qui lui appartient. Au contraire, cette réflexion doit être conjuguée à l’humilité, à la conscience qu’il ne justifie pas à lui seul l’existence du monde. En réalité, l’homme doit considérer que tous les êtres humains lui « appartiennent », que c’est à lui de prendre soin d’eux, et que s’il leur cause des dommages, c’est lui-même qui en subira le préjudice. S’il réfléchit ainsi, il se gardera bien de se montrer supérieur à eux, de les envier ou de commettre d’autres péchés similaires à leur encontre, conscient qu’il y perdrait. Dès lors, les trois vices principaux que nous avons évoqués n’auront plus d’emprise sur son cœur, noble et pur toute l’année à l’image de la matsa.

J’aimerais rapporter ici au lecteur les saintes paroles de l’Admour de Tsanz-Kalvinsburg, de mémoire bénie : « Nous pouvons constater que certaines personnes s’engagent avec grand enthousiasme à étudier la Torah et accomplir la volonté du Créateur, mais ne recueillent finalement pas le fruit de leurs efforts, ne réussissent pas dans cette entreprise. Ceci est très surprenant si l’on s’en tient à l’enseignement de nos Sages selon lequel « celui qui vient se purifier bénéficie de l’aide divine » (Chabbat 104a ; Yoma 38b) et au fait que ces gens-là ont le statut de « celui qui dit : je vais me lever et étudier ce chapitre-là » (Nedarim 8a). Pourquoi donc ne connaissent-ils pas la réussite ?

« Nous pouvons aussi nous étonner de cet autre enseignement de nos Maîtres qui affirment (Sanhédrin 26b) qu’“une pensée peut être nuisible aux paroles de Torah”, c’est-à-dire, comme l’explique Rachi, que le souci de sa subsistance est susceptible de causer chez l’homme l’oubli de son étude. Pourtant, de telles pensées ne trouveront-elles pas porte close auprès de ceux qui désirent réellement étudier la Torah ? Donc, comment expliquer ce phénomène ?

« Mais, en approfondissant ce sujet, on constatera [qu’il existe plusieurs modes de réflexion et de comportement chez les êtres humains] : certains désirent étudier et se plier à la Volonté divine et disent : “Je vais étudier, je vais me repentir…”, alors que d’autres se déclarent perdus d’avance, pensant qu’ils ne valent rien, que leur existence est insignifiante, qu’ils ne viennent que d’une goutte de semence et sont destinés à la vermine (Avot 3:1). Si quelqu’un désire étudier ou se repentir, il ne doit pas se lancer seul dans cette entreprise, mais s’inclure dans l’ensemble du peuple juif et supplier l’Eternel de le prendre en pitié. Car, à lui seul, il n’en est pas capable, et uniquement en s’alliant à la communauté, il pourra tout accomplir.

« C’est la raison pour laquelle nous disons : “Ramène-nous, notre Père, vers Ta Torah, et rapproche-nous, notre Roi, de Ton service”, plutôt que “Ramène-moi (…) rapproche-moi”, au singulier, car, à lui seul, l’homme ne vaut rien, et il ne peut connaître la réussite qu’en s’associant à la communauté. »

Il est intéressant de noter à cet égard que le pronom personnel « je » (ani ou anokhi) est souvent employé au sujet du Saint béni soit-Il. Ainsi, pour n’en citer que quelques exemples, il est écrit : « Je suis l’Eternel, ton D., qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte » (Chemot 20:21), « c’est Moi, l’Eternel, qui vous sanctifie » (ibid. 31:13), « Moi et non un ange, Moi et non un séraphin » (Yalkout Chimoni Chemot, 179).

De fait, seul D. est digne du « je », Lui à qui seul sied la fierté, comme il est dit : « L’Eternel règne ! Il est revêtu de majesté » (Tehilim 93:1). L’homme, quant à lui, ne peut prétendre à l’orgueil, et s’il arrive qu’un homme soit animé de tels sentiments, le Saint béni soit-Il S’affirme incapable de vivre dans sa proximité (Sota 5a ; Arakhin 15b). De même, il est dit : « Tout cœur hautain est en horreur à l’Eternel » (Michlé 16:5). En outre, cet éloignement de l’Eternel constituera pour cet individu une entrave à son élévation dans le Service divin.

Pour en revenir à l’homme, si, comme nous l’avons dit, il ne doit pas être orgueilleux, mais au contraire garder le profil bas en se souvenant de son origine honteuse – une goutte de semence –, il lui incombe pourtant par ailleurs de prendre conscience de son rôle prépondérant dans ce monde, créé pour lui. L’exigence de modestie n’est-elle pas pour le moins contradictoire avec l’obligation de l’homme de se dire que le monde a été créé à son intention ?

En réalité, l’homme doit toujours rester modeste, annuler son ego et abolir de son sein le mauvais penchant afin de pouvoir servir le Créateur avec crainte et d’un cœur entier. Ce devoir s’applique tout particulièrement au septième jour de Pessa’h, alors qu’il vient de s’épurer de toute trace de ‘hamets. Néanmoins, d’un autre côté, il lui appartient de travailler constamment son « moi », de se responsabiliser par rapport à la tâche qui lui a été réservée dans ce monde, conformément à l’enseignement d’Hillel l’ancien : « Si je ne suis pour moi, qui le sera ? » (Avot 1 :14)

Par conséquent, l’homme doit tout d’abord parvenir à une prise de conscience personnelle, puis, une fois qu’il aura réalisé l’importance de son individualité dans l’ensemble du plan divin, il devra veiller à ne pas tomber dans le travers de l’orgueil, et ce, en se rappelant qu’il n’est que poussière et destiné à y retourner (cf. Beréchit 3:19) et en se soumettant aux autres.

Les tremplins du renouveau : la solidarité et la soumission

 Tel est le sens du verset : « Ceci est la chose qu’a ordonnée l’Eternel ; accomplissez-la pour que vous apparaisse la gloire du Seigneur. » (Vayikra 9:6) En d’autres termes, uniquement si vous parvenez à établir une cohésion entre vous, à compatir pour votre prochain, vous serez à même de vous rapprocher de D. et de jouir de Sa proximité.

Si l’on réfléchit, Aharon incarne justement ces deux qualités essentielles requises de l’homme, la solidarité et la soumission aux autres. En effet, nos Sages affirment (Tan’houma Tetsavé) que lorsque, le huitième jour, suite aux sept jours de la cérémonie de consécration, la Présence divine ne s’était toujours pas déployée sur le tabernacle, il dit à Moché que ceci était peut-être dû à sa participation au péché du veau d’or. Quoi de plus étonnant que cet élu de D., qui avait était oint en tant que grand prêtre, en soit venu à de telles pensées ?

C’est qu’Aharon se tenait à un niveau si haut qu’en dépit de sa sainteté suprême, de son rôle prépondérant et de son inestimable mérite – qui valut au peuple juif la protection constante d’une nuée (Taanit 9a) –, il ne se prévalait pas pour le moins, allant au contraire jusqu’à culpabiliser du retard de la révélation divine. Bien que ses intentions aient été entièrement pures et qu’il ait alors dit : « A demain une solennité pour l’Eternel ! » (Chemot 32:5), et non « pour le veau » (Vayikra Rabba 10:3), il se considéra comme responsable, plutôt que de penser ou dire du mal du peuple juif.

Plus encore, nous trouvons que, suite à cela, « ils ressortirent et bénirent le peuple » (Vayikra 9:23), et nos Sages de préciser (Yalkout Chimoni Chemot, 417 ; Rachi ; Targoum Yonathan) les termes de leur bénédiction : « Que la grâce de l’Eternel, notre Dieu, soit sur nous, et qu’Il affermisse sur nous l’œuvre de nos mains ! Qu’il soit de Sa volonté que la Présence divine repose sur l’œuvre de vos mains ! » Pourtant, c’est grâce aux actions d’Aharon que la Présence divine a fini par se déployer sur le tabernacle ! Mais, comme nous l’avons mentionné, Aharon s’effaçait toujours devant les autres, aussi, en prononçant cette bénédiction, il s’inclut modestement dans l’ensemble du peuple. Tel est le sens profond du huitième jour, chiffre qui symbolise le dépassement de la nature qui, chez l’homme, peut s’exprimer par la modestie et l’annulation de l’ego.

Ainsi donc, le verset : « Ceci est la chose qu’a ordonnée l’Eternel (…) » signifie donc que lorsque l’homme extrait de son cœur tout parti pris et s’efface totalement devant son prochain, le Très-Haut peut nous apparaître et résider parmi nous.

Aharon fut celui qui excella tout particulièrement dans ce domaine, le menant à la perfection suite à un travail personnel sans relâche, comme s’il s’était placé des barrières supplémentaires à la Torah (Avot 1:1), à l’instar des premiers ‘hassidim qui se mortifièrent (Beréchit Rabba 2:2), pratiquèrent l’ascétisme et se distinguèrent par leur modestie. Nous en déduisons que seule une ligne de conduite humble est en mesure de déraciner de notre cœur le mauvais penchant et de nous permettre d’être animés d’une crainte de D. authentique.

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