Rabbi Chemouël Strashun Le « Rachach »
Rabbi Chemouël Strachon n’était ni Rav ni Av Beith Din, ni Roch Yéchivah ni responsable d’une communauté, mais uniquement un habitant de Vilna, et son nom est connu dans le monde comme celui d’un géant spirituel.
Il a suivi les traces du Gra, qui disait que toutes les sciences ainsi que l’observation de la nature aident à comprendre la sagesse véritable, celle de la Torah. C’était également la méthode de Rabbi Chemouël. De ses notes, nous constatons qu’il avait de grandes connaissances en grammaire hébraïque. Il s’y connaissait aussi en calcul, en géographie et en histoire, et parlait l’allemand et le polonais. Mais il est surtout connu pour son oeuvre, « Le Rachach ». Rabbi Chemouël a écrit des remarques sur toutes les pages de tous les traités du Talmud. Ses notes sont remarquables par la grande érudition dont elles font foi, la délicatesse du raisonnement, la merveilleuse logique et l’intelligence droite et aiguë qui les traversent. On comprend que les grands de la génération aient dit de lui : Rabbi Chemouël a littéralement écrémé dans son livre ce qui touche à la compréhension du Talmud.
Cependant, en plus de toutes ses belles qualités, Rabbi Chemouël Strachon se faisait remarquer par son humilité et son extrême modestie.
Rabbi Israël de Salant racontait l’histoire suivante pour illustrer son humilité :
Un jour, lui-même et Rabbi Chemouël Strachon se trouvèrent ensemble au même endroit. Une discussion s’éleva entre eux à propos de la confiance en Dieu : servait-elle à quelque chose quand il s’agissait de superflu ? Rabbi Israël estimait que l’homme a le droit de prier pour demander à Dieu quelque chose qui est considéré comme superflu, alors que pour Rabbi Chemouël, l’homme n’a pas le droit de demander à Dieu une chose inutile, et sa prière ne peut être entendue que lorsqu’elle porte sur des choses dont il ne peut absolument pas se passer.
Alors, Rabbi Israël lui proposa de faire un pari, et ils verraient bien qui avait raison. Rabbi Chemouël accepta. Rabbi Israël dit : « A partir de maintenant, je fais confiance à Dieu qu’Il m’enverra une montre, ce qui pour moi est une chose superflue, car je n’en ai nul besoin (en ce temps-là, les montres étaient quelque chose de rare), et nous verrons s’Il me l’enverra. Ils se séparèrent en se serrant la main chaleureusement, et attendirent de voir ce qui allait se passer.
Six mois s’écoulèrent.
Un jour, Rabbi Chemouël était dans sa bibliothèque en train d’étudier la Torah. On entendit quelqu’un frapper légèrement à la porte.
– Entrez, dit-il de l’intérieur de la pièce. Un jeune chrétien, haut de taille et large de carrure, au dos puissant, vêtu d’un uniforme de lieutenant, rentra dans la pièce.
Rabbi Chemouël interrompit son étude et lui demanda : « En quoi puis-je vous être utile ? »
– J’ai quelque chose à vous dire, commença le lieutenant. Un soldat juif de mon régiment vient de mourir, et avant sa mort il m’a demandé de lui rendre un service : il avait une montre, et c’est tout ce qu’il possédait au monde. Comme il n’avait ni famille ni proches, il m’a demandé d’apporter la montre au rabbin des juifs. Les juifs de Vilna m’ont dit que c’était vous, c’est pourquoi je vous ai apporté la montre. » Rabbi Chemouël la prit et remercia le lieutenant de s’être donné cette peine.
Quand il fut sorti, Rabbi Chemouël se mit à réfléchir à cet incident bizarre. Il arpentait la pièce de long en large perdu dans ses pensées, quand tout à coup une idée lui traversa l’esprit : il s’était rappelé sa discussion avec Rabbi Israël de Salant. Etait-il possible que du Ciel, on lui ait envoyé la montre pour Rabbi Israël ? Celui-ci n’avait-il pas dit : « A partir de maintenant, je fais confiance à Dieu qu’Il m’enverra une montre » ? Mais peut-être n’était-ce qu’un hasard ? Les idées se bousculaient dans sa tête et ne lui donnaient pas de repos. Il voulait se replonger dans son étude et oublier toute cette histoire bizarre, mais il n’y arrivait pas. Il avait devant les yeux le visage de Rabbi Israël, qui ne le quittait pas. Il appela son fils Mattityahou et lui demanda d’aller chercher Rabbi Israël de Salant.
Rabbi Israël arriva, et Rabbi Chemouël lui donna la montre en disant : « Dieu a entendu votre prière et vous a envoyé cette montre. Du ciel, on a prouvé que c’est vous qui aviez raison. »
Lorsque Rabbi Israël racontait cette histoire, il ajoutait toujours : « Que du Ciel on m’ait aidé à obtenir une montre, c’est tout simple : quand on fait confiance à Dieu, Il répond à la prière. Mais que Rabbi Chemouël n’ait pas eu honte de le reconnaître, c’est une chose qui est loin d’être simple, et ce deuxième fait est plus grand que le premier. » Et il terminait en disant : « Rabbi Chemouël Strachon est un tsaddik d’une extrême humilité. Je suis certain que son livre sur le Talmud sera bien accueilli par tout le monde. » (J’ai entendu cette histoire de Rabbi Ya’akov Kamenetski).
La prédiction de Rabbi Israël s’accomplit : La Torah du « Rachach » devint une base et une aide pour tous ceux qui étudient la Guemara avec concentration, depuis le jeune garçon jusqu’au plus grand érudit. Si l’on sent quelque chose d’obscur dans la façon de s’exprimer de la Guemara, Rachi et Tossafoth, et que le Maharcha, le Maharam et le Maharchal ne font aucune observation sur ce point, il faut s’aider du Rachach, et dans l’ensemble on y trouve la réponse à toutes les difficultés.
Rabbi Chemouël Strachon est né le 18 ‘Hechvan 5654 (1794) à Zaskevits, de Rabbi Yossef qui était le Rav de cette ville.
A l’âge de treize ans, il épousa la fille de Rabbi David Strachon, qui vivait dans le village de Strassin. Au bout de quelques années, on commença à l’appeler comme son beau-père, et le nom lui resta.
Chez son beau-père, qui était riche, il étudia la Torah dans la sérénité. Au moment des guerres de Napoléon, le village fut détruit, et son beau-père Rabbi David partit avec sa famille dans la grande ville de Vilna, où il lui acheta une maison, établit un beith midrach et se mit à faire des affaires, tandis que Rabbi Chemouël, son gendre, continuait à étudier la Torah. A Vilna, il rencontra Rabbi Avraham Dantzig, auteur de « ‘Hayé Adam », et devint son disciple.
Même après la mort de son riche beau-père, Rabbi Chemouël continua à étudier la Torah assidûment sans problèmes de subsistance et à écrire ses notes et ses remarques, pendant que sa femme s’occupait des affaires avec succès.
Des vieux talmidei ‘hakhamim de Vilna racontaient l’histoire suivante :
L’un des dignitaires de l’armée qui achetait toujours des marchandises à crédit s’adressa un jour à sa femme et lui dit : « Maintenant je quitte Vilna, et je voudrais vous payer ce que je dois. Mais je veux que votre mari certifie par une signature de sa main que j’ai tout payé. »
La femme alla au beith midrach, et demanda à son mari de s’interrompre un instant pour venir à la boutique. Mais il refusa, en disant : « La Torah de Dieu vaut mieux pour moi que des milliers de pièces d’or et d’argent, et il m’est impossible d’interrompre mon étude. Qu’est-ce que tu aurais fait, ajouta-t-il, si j’étais déjà mort et que ce fou vienne exiger de toi de m’amener de la tombe pour certifier le paiement de ses dettes ? Remercie Dieu que je sois bien vivant et en train d’étudier la Torah ! »
La femme retourna à la boutique et donna mot pour mot au dignitaire de l’armée la réponse de son mari. Ce discours lui plut, il paya ses dettes et se contenta de sa signature à elle.
Pendant de nombreuses années, il enseigna la Torah au célèbre « Kleuz de Faflavess », où il est resté des Guemarot portant des notes de sa main. Il refusa d’assumer un poste de Rav, bien que beaucoup de villes le lui aient demandé.
Le « Rachach » vécut longtemps. Il avait soixante dix-huit ans à sa mort, le 11 Adar II en 5732 (1872).
Il a laissé des notes sur le Talmud de Babylone connues sous le nom de « Notes du Rachach ». Elles englobent toutes les pages de tous les traités du Talmud. Il a également écrit des notes sur les michnayoth, le Midrach Rabah et d’autres oeuvres.