Rabbi Chelomo Eliezer Alfandri
Rabbi Chelomo Eliezer fut l’un des grands sages du judaïsme oriental. Tous les grands de la terre venaient le trouver, des rabbanim et des Admorim ashkénazes, en même temps que des ‘hakhamim séfarades qui venaient chercher chez lui la Torah. Il avait une grande influence sur les communautés d’orient et d’occident, achkénazim comme séfardim.
Il vécut longtemps, plus de cent ans. Dès son jeune âge, il correspondait avec les plus célèbres guéonim d’Israël, Rabbi Akiva Eiger (mort en 5598, 1838) et son gendre Rabbi Moché Sofer, le « ‘Hatam Sofer » (mort en 5600, 1840). Il resta seul des générations anciennes, pour que nous puissions voir en lui l’image des grands des générations passées.
Rabbi Chelomo est né à Constantinople (Istanbul), la capitale de la Turquie, dans une famille renommée, qui d’après la tradition remontait à Betsalel de la tribu de Juda, et d’où sont issus des Sages et des rabbanim à Jérusalem, Constantinople et Izmir. Son père Rabbi Yaakov était connu comme un grand érudit craignant le Ciel, mais il ne vécut pas longtemps. A sa mort, son fils était encore un petit garçon.
On ne connaît pas exactement l’année de sa naissance. Certains disent qu’il est né en 5586 (1826), et d’autres en 5575 (1815).
Il fut d’abord éleva par sa mère, ‘Hanah, qui était une femme sage et très versée en Torah. Elle avait probablement hérité cette Torah de sa propre mère, la grand-mère de Rabbi Chelomo Eliezer. Celle-ci était très érudite et remplie de connaissances dans le Talmud et les décisionnaires. A l’âge de cent dix ans, elle se rendit en Erets-Israël, prenant avec elle dix talmidei ‘hakhamim et un Séfer Torah, pour pouvoir prier en communauté pendant la route.
Dès sa jeunesse, Rabbi Chelomo Eliezer aimait s’isoler et étudier la Torah sans être dérangé. Il étudiait toute la journée, jusque tard dans la nuit, et n’avait aucune vie sociale.
Encore jeune homme, on prophétisa sur lui qu’il serait un gaon. Il avait une mémoire extraordinaire. C’était une « citerne qui ne perd pas une seule goutte » de tout ce qu’il voyait et entendait. Il vit beaucoup de choses pendant sa vie, car son assiduité ne connaissait aucune limite. De temps en temps, il allait chez les ‘hakhamim de Constantinople pour entendre d’eux des paroles de Torah, mais l’essentiel de sa sagesse est dû à son acharnement au travail. Avant peu son nom devint célèbre, et tout le monde savait qu’un nouvelle lumière brillait à Constantinople.
A l’âge de dix-sept ans, il se maria, et eut un fils qui mourut peu de temps après. Pendant toute le reste de sa vie, le couple n’eut plus d’enfant.
En même temps, un riche, de la ville de Constantinople, construisit pour lui une yéchivah spéciale où étudiaient de grands talmidei ‘hakhamim qui se firent connaître, au cours du temps, comme des grands d’Israël. Rabbi ‘Haïm ‘Hizkiyahou Medini, auteur du « Sdei ‘Hemed », en faisait également partie.
Vers l’âge de trente ans, il jouissait d’une grande renommée parmi les rabbanim séfarades, et beaucoup de gens s’adressaient à lui avec des questions de halakhah. Ses réponses étaient courtes, concises et catégoriques. Ses élèves ont témoigné que dans ses réponses, il n’utilisait jamais les expressions « Il me semble, à mon humble avis », que l’on trouve habituellement sous la plume des rabbanim qui écrivent des responsa, car il avait vraiment une perspicacité extraordinaire.
Bien qu’il ait eu des opinions affirmées, et beaucoup de courage et de zèle pour la Torah et le judaïsme, il se conduisait avec une extrême humilité. Il ne portait ni turban ni chapeau de soie, comme les ‘hakhamim, non plus que le costume des rabbanim, mais faisait attention à ce que ses vêtements soient propres et simples, comme ceux des gens ordinaires.
Il combattit pour une éducation conforme aux exigences de la Torah. Quand on voulut fonder de nouvelles écoles, où au lieu du Talmud on apprendrait des matières profanes, le ‘hakham Alfandri (c’est sous ce nom qu’on le connaissait) partit en guerre contre cette idée. Il publia une proclamation ouverte où il disait : « Si le peuple d’Israël existe, comme un agneau entre des loups, c’est précisément à cause de la Torah orale. Et sans elle, il ne resterait plus aucune trace d’Israël, alors que grâce à l’étude désintéressée de la Torah orale, aucun peuple ne pourrait nous soumettre. » Ces paroles firent grande impression sur tout le monde.
Quand le sultan turc, Abd-el-‘Hamid, arriva au pouvoir, il édicta une loi selon laquelle il était permis d’enrôler dans l’armée quiconque n’était pas musulman. Beaucoup de juifs voulurent montrer leur fidélité au nouveau dirigeant et s’adressèrent publiquement à tous les juifs pour qu’ils accomplissent leur devoir et s’enrôlent dans l’armée. Rabbi Chelomo s’opposa de toutes ses forces à cet enrôlement des jeunes d’Israël, en disant : quand les exilés d’Espagne sont arrivés en Turquie, ils ont conclu avec les dirigeants du pays une alliance selon laquelle ils ne s’installaient dans ce pays qu’à la condition que le gouvernement ne les obligerait pas à faire quoi que ce soit contre leur religion. Or le service militaire implique une profanation du Chabath ainsi que la consommation de nourriture interdite.
Quand le poste de rabbin se libéra à Damas en 5659 (1899), les responsables de la communauté s’adressèrent au ‘hakham Alfandri pour lui demander de venir être Grand Rabbin à Damas. Malgré son grand âge, il accepta.
En 5664 (1904), Rabbi Chelomo Eliezer partit pour Erets-Israël et s’installa à Haïfa. De là, les Sages et les rabbanim de Safed l’invitèrent à être chez eux Rav et Av Beith Din. Il accepta cette nomination et alla s’installer à Safed.
Là commença une nouvelle période de sa vie. Le vieux lion étonnait tous ceux qui le voyaient par sa vigueur et l’acuité de son intellect. Tous les grands de la Torah venaient le trouver pour entendre de lui Torah et sagesse, et tous ceux qui entraient en contact avec lui sentaient qu’ils avaient affaire à un homme saint.
Des légendes, des miracles et des merveilles commencèrent à circuler sur son compte.
Les anciens de Safed racontent qu’en Nissan 1914, après avoir terminé la birkat halevanah et les yeux encore levés au ciel, le ‘hakham Alfandri frappa ses mains l’une contre l’autre et poussa un profond soupir. Des larmes coulaient de ses yeux. On lui demanda ce qui s’était passé, et il répondit : « Je vois que bientôt éclatera dans le monde une guerre terrible ». A la fin de cet été-là commença la Première guerre mondiale.
Il passa ses dernières années à Jérusalem, entouré d’une foule d’admirateurs et de disciples. Il avait déjà plus de cent dix ans, mais son esprit était clair et sa vue saine, il n’avait même pas besoin de lunettes.
En 5690 (1930) vint le trouver Rabbi ‘Haïm Elazar Schapira, le Admor de Muncatz, pour faire sa connaissance face à face. Il prit même l’habitude de parler avec lui en hébreu avec l’accent séfarade, pour pouvoir communiquer. Le Admor lui raconta qu’il avait appris de grands tsaddikim que la proximité de la rédemption dépendait essentiellement du juste de la génération – s’il décrétait par la force de sa Torah que le Machia’h devait venir. C’est pourquoi il le supplia de décréter, car il en était digne. Mais Rabbi Chelomo Eliezer, dans son humilité, lui répondit immédiatement : Je ne suis pas un juste. Le Admor de Muncatz éclata en pleurs.
Cette conversation a eu lieu environ huit jours avant sa mort. Un mardi matin, le 22 Iyar 5690 (1930), il demanda à ses élèves de l’envelopper de son talith et de lui mettre ses deux paires de tefilin, au bras et sur la tête (selon l’usage des ’hakhamim séfaradim). Il lut immédiatement le Chema, et en arrivant au mot Emet, il fit signe qu’on lui enlève les tefilin et dit : « Assez, assez, l’essentiel est le émet (la vérité). Je ne peux plus... » Et son âme sortit en sainteté et en pureté. Il avait alors cent quinze ans.
Des myriades participèrent à son enterrement. Dans les tribunaux rabbiniques de Jérusalem, on proclama un jour de chômage et de fermeture des boutiques. Il n’y eut pas d’oraisons funèbres. Des foules de gens des communautés orientales et ashkénazes suivirent son cercueil en pleurant.
Ses élèves le portèrent sur leurs épaules pendant tout le chemin de sa maison dans le quartier Rou’hama jusqu’au sommet du mont des Oliviers (Oroth MiMizra’h)