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Rabbi El’hanan Wasserman • Le Roch Yechivah De Baranovits

Je me souviens du temps où j’ai étudié à la yéchivah de Telz en Lituanie. Le bruit courut que le Roch Yéchivah de Baranovits allait venir à Telz. Cette nouvelle fit grand bruit à la yéchivah, et tout le monde attendait avec impatience la venue du gaon. Les élèves les plus âgés racontaient des histoires sur lui. On disait qu’il était d’une extrême assiduité et qu’il ne s’arrêtait jamais d’étudier jour et nuit, au point qu’il ne connaissait même pas la ville elle-même.

On racontait qu’un jour El’hanan de Bouskaï (c’est ainsi qu’on  l’appelait d’après le nom de sa ville) exprima un grand désir d’aller à la ville voisine, Plounguian, pour faire connaissance de Rabbi Chemouël Avigdor Faïvelsohn, qui était un gaon très célèbre. Ses amis voulurent lui faire une farce et louèrent une voiture en ordonnant au cocher de faire le tour de Telz et de l’amener chez le Rav de Telz. Et Rabbi El’hanan ne s’aperçut pas qu’il roulait dans les rues de la ville de Telz, avant d’entrer chez le Rav et de trouver le Rav de Telz. Alors seulement, il comprit qu’il n’avait pas quitté la ville.

A six heures, avant la prière de min’ha, tous les élèves de la yéchivah allèrent l’accueillir à la gare. Nous nous tenions tous sur le quai et en attendant l’arrivée du train dans un saint tremblement. Tout à coup, on entendit un sifflement et le train s’arrêta. Rabbi El’hanan sortit d’un wagon avec une petite valise à la main. Son apparition fit grande impression. Son merveilleux visage exprimait le sérieux, il baissait les yeux comme s’il voulait se cacher du grand honneur qu’on lui faisait. Même les non-juifs qui étaient présents furent aussi très impressionnés par le Rav des juifs, et certains se mirent à genoux. Le Rav dit seulement : « Nou, il est l’heure de prier min’ha ». Quand on arriva à la yéchivah et qu’on commença à prier, tout le monde fut stupéfait de voir qu’il restait debout auprès du dernier banc, près de la porte…

Le soir, il donna un cours dans le grand beith midrach, qui était plein à craquer. Rabbi El’hanan monta sur l’estrade et se mit à parler. Il parlait doucement, simplement et clairement. Je me souviens encore du contenu de son cours. Il a parlé de la foi en Dieu. Au cours de son exposé, il posa une question : quelle est la raison de la difficulté de la situation financière dans le monde ? (Il y avait alors une crise économique mondiale.) Et il expliqua : « Qu’est-ce qui manque dans le monde ? Est-ce qu’il manque de la nourriture, n’y a-t-il pas suffisamment de moissons ? Au Canada on jette du blé à la mer pour ne pas faire baisser les cours. Est-ce l’argent manque dans le monde ? Les banques suisses se plaignent de ce que leurs coffres sont remplis d’or et qu’il n’y a pas dans quoi investir ni à qui prêter à intérêt. Par conséquent, pourquoi la faim et la pénurie règnent-elles dans de nombreux pays ? Et il répondit : le Saint béni soit-Il rétribue les créatures mesure pour mesure. Comme les gens ont perdu leur confiance en Dieu, Il leur a pris la confiance en l’homme. Personne n’a confiance dans le prochain. Or chacun sait que le commerce et l’industrie reposent sur la confiance, sur le « crédit », c’est pourquoi les rouages de l’économie ne fonctionnent plus. Et le remède est très simple, il faut que les créatures reviennent à Dieu, et alors Dieu leur rendra la confiance en l’homme. » Ses paroles qui sortaient d’un cœur pur et affligé rentrèrent dans le cœur des juifs où ils firent une impression profonde et indélébile.

Beaucoup d’années sont passées depuis ce jour-là, mais j’ai caché son image dans mon cœur, et aujourd’hui je vais vous parler de ce juif saint, qui a été saint dans sa vie comme dans sa mort.

Rabbi El’hanan Wasserman est né en 5635 (1874) dans la ville de Birz en Lituanie. Quand il eut treize ans, ses parents allèrent vivre dans la petite ville de Boïsk en Lettonie. A un jeune âge il alla étudier dans la célèbre yéchivah de Telz. Le jeune El’hanan devint l’élève favori de deux grands rabbanim : Rabbi Eliezer Gordon et Rabbi Chimon Shkop z’tl. Il fut rapidement connu comme exceptionnellement assidu, prenant garde à ne pas perdre une seule minute. Chaque heure était consacrée à un certain travail et tout marchait selon la montre. Il n’était jamais en retard le moins du monde, et ne restait jamais désœuvré fût-ce pour un seul instant.

« Comment expliquerais-je l’oisiveté dans l’avenir, quand je me tiendrai devant le tribunal céleste et qu’on me demandera ce que j’ai fait à tel instant ? Est-ce que je ne devrai pas rendre des comptes sur chaque moment ? »

Le Rav de Poniewitz z’tl a raconté sur lui que lorsqu’ils étudiaient ensemble à la yéchivah de Radin, on lui apporta un télégramme disant qu’un fils lui était né. Rabbi El’hanan ouvrit le télégramme, se leva et dit la bénédiction HaTov VéHaMétiv, puis il revint immédiatement à la question qui les occupait, et continua à approfondir le problème comme s’il ne s’était rien passé. De même lorsqu’il se rendit une fois en Amérique, et qu’il avait encore une heure avant le départ du train, il se rendit à la yéchivah avec sa valise à la main et donna un cours aux élèves avant son départ.

En 5659, Rabbi El’hanan épousa Mikhla, la fille du gaon Rabbi Méïr Atlas, Rav de la ville de Shavil en Lituanie. Après le mariage, il alla à Radin pour s’imprégner de l’enseignement du ‘Hafets ‘Haïm.

Rabbi El’hanan passa trois ans à Radin et s’attacha à son Rav, le ‘Hafets ‘Haïm, de toutes les fibres de son âme, au point qu’il finit par lui ressembler. Il s’attachait à ses qualités : même simplicité, même droiture, même foi ardente, à la fois profonde et simple, et même attitude devant les problèmes du temps. Il n’est donc pas surprenant qu’après la mort du ‘Hafets ‘Haïm, beaucoup reconnurent en Rabbi El’hanan son successeur.

De Radin, il fut appelé à être Roch Yéchivah dans la ville de Brisk. Il était heureux de l’occasion de se trouver dans l’ombre de Rabbi ‘Haïm de Brisk.

Après la Première guerre mondiale il passa dans la ville de Baranovitz où il fonda une grande yéchivah, qui se développa très bien et eut de nombreux élèves. Il les aimait beaucoup et leur était dévoué comme un père à ses fils. Rabbi El’hanan ne voulait pas être Rav, et choisit d’être Roch Yéchivah et de vivre dans la pauvreté. Après la mort de son beau-père, la grande ville de Shabli l’invita à le remplacer. Sa femme la rabbanit voyait dans cette proposition une issue à la terrible pauvreté qui régnait à la maison, mais lui, fidèle à la ligne qu’il s’était toujours tracée depuis sa jeunesse, refusa absolument d’être Rav. Sa femme décida alors d’aller à Radin demander l’avis du ‘Hafets ‘Haïm. Quand le cocher arriva, la rabbanit vit que son mari se tenait dans un coin en pleurant, car il craignait que son maître ne lui ordonne d’accepter ce poste. En voyant l’ampleur de ce chagrin, elle changea d’avis et ne se rendit pas à Radin.

Au bout de peu de temps, Rabbi El’hanan devint le dirigeant du judaïsme orthodoxe. Son avis était accepté comme étant celui de la Torah. Il écrivait des articles en yiddish et en hébreu sur divers sujets, et tout article signé par lui faisait grande impression. Même quand il était en Amérique, il publia une brochure, Ikveta DiMechikha (« Les signes précurseurs du Machia’h »), où il appelle les juifs à revenir à Dieu. Il était accepté par toutes les tendances, ‘hassidim, mitnagdim, habitants de Lituanie et de Pologne, judaïsme oriental et occidental. Tout le monde lui obéissait, par le mérite de sa Torah et de sa grande intégrité.

Quand éclata la Deuxième guerre mondiale, Rabbi El’hanan s’enfuit à Vilna avec sa yéchivah. Un jour avant l’entrée des Allemands à Vilna, il partit en visite à Slobodka, près de Kovno, pensant revenir à Vilna où il s’était installé. Mais tout à coup les Allemands s’emparèrent de la Lituanie et il fut obligé de rester à Slobodka.

Le 11 Tamouz 5701 (1941), les nazis attaquèrent tout à coup les juifs de Slobodka et les exécutèrent.

Avant d’être tué, il s’adressa à ses amis les rabbanim et à tous les juifs. Il parlait doucement, avec le même calme intérieur qu’à l’accoutumée. Voici ses dernières paroles :

« Au Ciel on nous considère apparemment comme des tsadikim, car nous avons été choisis comme expiation pour le klal Israël dans notre corps. C’est pourquoi nous devons revenir à Dieu totalement et immédiatement. Le temps presse, le chemin de la Neuvième Forteresse (endroit du massacre des martyrs de Slobodka-Kovno) est proche. Nous devons savoir que notre sacrifice s’élèvera plus facilement grâce au repentir, et que par là nous sauverons la vie de nos frères et de nos sœurs en Amérique. Nous accomplissons à présent la plus grande des mitsvot ! « Tu l’as détruite par le feu, tu la reconstruiras par le feu ». Le feu qui dévore nos cadavres est le feu qui reconstruira la maison d’Israël. » Dans un cri de « Chema Israël », son âme monta aux Cieux.

Rabbi El’hanan a laissé beaucoup de livres, comme Kovets Hé’arot sur le traité Yébamot, Ohel Torah en trois volumes, et d’autres.

Oui, le monde de Rabbi El’hanan fut détruit, mais les lettres de son âme pure se sont envolées et sont venues jusqu’à nous en Amérique. Ses livres se trouvent sur les bancs de toutes les yéchivot, et les élèves étudient la grande Torah qu’il a écrite en sainteté et en pureté. Que Dieu venge le sang versé de Ses serviteurs.

 

 
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