Rabbi Yossef Dov-Ber Soloveitchik De Brisk Auteur du Beit Halévi
Rabbi Yossef-Ber fut véritablement l’une des plus grandes et des plus merveilleuses personnalités que le judaïsme lituanien ait donné au peuple d’Israël. Des quantités d’histoires circulent sur ce gaon et tsaddik. On parle de son génie et de l’acuité de son intelligence, de sa droiture et de sa finesse, et on raconte surtout beaucoup de choses sur son bon cœur, car il avait un cœur d’or.
Rabbi Yossef-Ber est né de Rabbi Yitz’hak Zéev Halévi Soloveitchik, le petit-fils du gaon de la génération, Rabbi ‘Haïm de Volojine, en 5580 (1820). Dès son enfance, on s’aperçut qu’il était né pour la grandeur. On raconte que lorsqu’il n’avait que sept ans, il connaissait déjà parfaitement plusieurs traités des ordres Nachim et Nezikim, avec les commentaires du Rambam.
Il entra très jeune à la célèbre yéchivah de Volojine où il se fit une renommée de vive intelligence. Le Roch Yéchivah, Rabbi Yitz’hak, fils du fondateur de la yéchivah Rabbi ‘Haïm de Volojine, qui était son grand oncle, se réjouissait de sa présence et disait de lui : cet enfant sera brillant.
En effet, quelque temps plus tard, Rabbi Yossef-Ber devint très grand en Torah, et tout jeune encore, il fut nommé Roch Yéchivah de la yéchivah de Volojine.
Diverses raisons l’obligèrent à la quitter, et il fut nommé Rav de la ville de Slotsk.
Par nature, c’était un homme de vérité. Il n’a jamais montré de partialité envers qui que ce soit, et il luttait surtout contre les riches puissants qui voulaient dominer le peuple.
Il arriva qu’un jour, à Slotsk, on appelle à la Torah un des maskilim, quelqu’un de totalement déconsidéré. Cette personne monta sur l’estrade et commença à dire, avec les intonations d’un juif religieux craignant le Ciel, la bénédiction de la Torah : « Qui nous a choisis parmi tous les peuples et nous a donné Sa Torah ». Rabbi Yossef-Ber se mit à rire et dit :
– Ce n’est certes pas qu’il dise une bénédiction en vain ! Car si la Torah avait été donnée aux autres peuples, il aurait été obligé de l’accomplir dans tous ses moindres détails, pour qu’on le considère comme un goy parfait. Mais comme elle n’a été donnée qu’à Israël, il est libre de rejeter son joug, et c’est pour cela qu’il dit la bénédiction avec tant de sincérité en soulignant « et nous a donné Sa Torah », à nous et pas aux non-juifs, si bien qu’il n’est pas obligé de l’accomplir...
En ce temps-là, il y avait dans la ville de Slotsk un maskil qui se vantait de manger du porc. Un jour, Rabbi Yossef-Ber le rencontra et lui dit :
– J’ai entendu que vous étiez plus grand que le Rambam, et je ne le savais pas !
– Que veut dire le Rav ? demanda l’intéressé.
Rabbi Yossef-Ber sourit et répondit :
– C’est simple. Le Rambam, dans son Moré Nevoukhim, écrit qu’il ne connaît pas le « goût » du porc [à savoir : la raison pour laquelle la Torah l’interdit ; en hébreu, le mot ta’am signifie à la fois goût et raison], alors que vous, vous le connaissez.
Outre sa grandeur en Torah, il avait un cœur chaud et grand ouvert à tous les pauvres et les malheureux. Il s’occupait des besoins de la communauté avec fidélité et fit beaucoup en faveur des pauvres de la ville. Une année de disette, il fonda une association du nom de « Subsistance des pauvres » dont il prit la direction. Il allait de maison en maison ramasser de l’argent pour les pauvres. Son foyer était largement ouvert aux misérables et à toute âme en peine. Même quand il était lui-même dépourvu de tout, il dépensait son dernier sou pour la tsedakah.
Un jour se trouva chez lui un Rav d’une petite ville qui était très pauvre. Rabbi Yossef-Ber le reçut aimablement et l’invita à un repas, pendant lequel ils discutèrent de Torah. Après la bénédiction finale, l’invité se leva, et alors Rabbi Yossef-Ber s’aperçut que ses chaussures étaient déchirées. Il appela l’un de ses fils et lui dit à l’oreille :
– Enlève tes chaussures et donne-les à ce Rav.
De même qu’il étudiait la Torah avec profondeur et acuité, il accomplissait la mitsvah de charité avec une réflexion approfondie et traitait les pauvres avec intelligence.
Un jour, avant la fête de Pessah’, quelqu’un vint lui poser la question suivante :
– Rabbeinou, peut-on se rendre quitte du devoir de boire les quatre verres avec du lait ?
– Etes-vous malade ? lui demanda le Rav.
– Non, répondit l’homme, Dieu merci je suis en bonne santé, mais le vin est très cher cette année et je n’ai pas d’argent. Le Rav sortit de sa poche vingt-cinq roubles et les donna à l’homme. Il ne voulait pas les prendre, disant : Rabbi, je suis venu poser une question, et non demander l’aumône !
– Cet argent, dit le Rav, je vous le prête jusqu’à ce que Dieu vous aide et que vous puissiez me le rendre après la fête.
L’homme prit l’argent, remercia le Rav et rentra chez lui.
Dès qu’il fut parti, la rabbanit demanda à Rabbi Yossef-Ber :
« Pourquoi lui as-tu donné vingt-cinq roubles ? Le vin pour les quatre verres ne coûte pas plus d’une ou deux roubles ! »
Rabbi Yossef-Ber sourit et dit : « Tu as entendu sa question : est-il permis de se rendre quitte des quatre verres avec du lait. S’il avait eu de la viande, il n’aurait pas pu boire du lait pendant le séder. J’ai donc appris de son discours qu’il n’avait rien pour la fête, et je lui ai donné assez pour que rien ne lui manque. »
Rabbi Yossef-Ber était un homme de vérité, très ferme dans ses opinions, qui représentaient l’avis de la Torah. Le verset « Ne craignez aucun homme » était pour lui un flambeau dans toutes les démarches de sa vie.
Un jour, les responsables de la communauté de Slotsk rentrèrent chez lui pour se plaindre de la dégradation de la situation religieuse dans la ville. Le Rav leur répondit que la vérité avait le dessus, car les incroyants sont vraiment incroyants, c’est pourquoi ils réussissent, alors que ceux qui accomplissent la Torah et les mitsvoth ne le font pas en toute sincérité, c’est pourquoi ils ont le dessous.
Son amour de la vérité lui causa beaucoup d’ennuis et de déceptions. Il quitta le poste de Rav de Slotsk et pendant quelques années se consacra à la Torah en sainteté et en pureté, sans rabbanout et sans gagne-pain.
Après le départ de Rabbi Yéhochoua Leib Diskin, le Rav de Brisk, pour la Terre sainte, les dirigeants de la communauté vinrent lui demander de prendre sa place comme Rav de la ville de Brisk.
Il y fut très honoré, et sa renommée se répandit dans le monde comme le Rav d’Israël par excellence. Il trouva à Brisk le repos et la sérénité pour son esprit agité, put étudier la Torah en paix et écrivit des livres merveilleux de responsa, « Beit Halévi », en quatre parties, et des commentaires du nom de Yad Halévi.
Rabbi Yossef-Ber mourut, après une courte maladie, le 4 Iyar 5652 (1892).
Il a laissé non seulement des livres mais des enfants qui eux aussi furent grands en Torah, parmi lesquels son fils Rabbi ‘Haïm Soloveitchik, qui a éclairé le monde par sa Torah et sa sagesse.