La récompense qu’on reçoit en partageant la joie des autres

«Mais les sages-femmes craignaient Dieu: elles ne firent point ce que leur avait dit le roi d’Egypte, elles firent vivre les enfants» (Exode 1:17). «Le Seigneur bénit les sages-femmes; et le peuple se multiplia et s’accrût considérablement. Or, comme les sages-femmes avaient craint l’Eternel, Il leur fit des maisons» (id. 1:20-21). Pourquoi le verset  (id. 20): «Le Seigneur bénit les femmes» est-il interrompu au milieu, et ne stipule pas le bien qu’Il leur fit. Pourquoi lit-on tout de suite après «et le peuple se multiplia...»?

J’ai lu dans Darké Moussar que c’est là la récompense que Dieu accorda aux sages-femmes: la multiplication et la prospérité du peuple. Les sages-femmes, Chifrah et Pou’ah — c’est-à-dire Yokheved et sa fille Miriam (Sotah 11a) — ne pouvaient se satisfaire d’une récompense personnelle (l’établissement de leur maison), alors que les enfants d’Israël étaient opprimés, accablés de travaux pénibles et que tout mâle nouveau-né devait être jeté dans le fleuve (voir Exode 1:22); l’extermination totale menaçait le Peuple d’Israël. Mais quand elles virent que l’Eternel, dans Sa bonté infinie, annule les décrets du mécréant, et que plus on opprimait le peuple, plus sa population «grossissait et débordait» (id. 12), que le peuple se multipliait et s’accroissait considérablement, leur joie fut entière. Ainsi ce n’est que lorsque la situation générale des enfants d’Israël s’améliora, que les sages-femmes furent en mesure d’apprécier la récompense personnelle qui leur avait été accordée; d’elles devaient descendre la maison des prêtres et des rois d’Israël (Sotah 11a). En d’autres termes, pour elles, le destin du peuple était primordial.

L’homme qui mérite de porter ce nom, conclut l’auteur, est donc celui qui ressent et partage la joie et la peine de son prochain et de tout le peuple d’Israël. L’Eternel Lui-même ne proclame-t-Il pas: «Je suis avec eux dans leur détresse» (Psaumes 106:44; cf. aussi id. 91:15).

L’homme doit donc d’abord compatir la détresse de son prochain, l’aimer, s’intéresser à ce qui lui manque. Sa vie privée, ses propres intérêts sont secondaires. Sa récompense est immense quand il pense sincèrement au bonheur des autres. Ainsi est-il écrit: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même» (Lévitique 19:18). Tu dois d’abord l’aimer lui: compatir à sa situation de tout ton être et ensuite penser à toi-même.

Avant de poursuivre, nous nous permettons de relater le récit que Rabbi Tsvi Yé’hézkel Mikhaëlson, de mémoire bénie, président des tribunaux rabbiniques de Plonsk et des alentours, écrivit sur Rabbi ‘Hanokh Hénikh d’Alexander. Alors qu’il était en fonction à Novidvar, Rabbi ‘Hanokh Hénikh HaCohen subissait des humiliations nombreuses, notamment de la part d’un certain notable qui devait de toute évidence être excommunié selon la Halakhah (Choul’han Aroukh, Yoréh Dé’ah 243:7). Les habitants de la ville insistèrent donc pour qu’il l’excommuniât, mais il s’y refusait obstinément. Pensant qu’il avait peur des autorités gouvernementales, les proches du Rabbin ramassèrent la somme de mille pièces d’or et se présentèrent devant lui. «Si vous vous présentez devant un tribunal, lui expliquèrent-ils, c’est l’amende qu’on peut vous infliger. Les voici donc à votre disposition, Rabénou. Banissez donc ce mécréant, afin que nul n’ose plus humilier un rabbin.»

Le Rabbi refusa fermement cette solution. A ses proches, qui lui expliquèrent que la situation était parfaitement claire et qu’il n’y avait plus aucune raison d’avoir peur, il répondit: «Il n’y a pas le moindre doute là-dessus. Je sais bien que cet homme doit être excommunié d’après la Halakhah. Toutefois, je me demande si des intérêts personnels n’entrent pas en jeu dans cette affaire, si ce banissement va être fait pour l’amour exclusif de Dieu (cf. Exode 29:12), pour venger l’honneur de la Torah et des anges de Dieu que sont les érudits en Torah, salis par les mécréants (cf. Chabath 119b). Je ne peux donc accepter, de peur que des intérêts personnels n’entrent en jeu, et que je ne me conforme pas, en fin de compte, à la volonté de la Torah.»

Ce récit nous montre qu’il faut toujours faire preuve de la plus grande prudence et sérénité quand on subit une humiliation. Chifrah et Pou’ah imploraient l’Eternel afin que leur action fût faite au nom du Ciel (cf. Exode 22:19). Seule la crainte du ciel les poussait à courir des risques pour sauver des enfants formés à l’image de Dieu. C’est cette image de Dieu qu’elles voyaient quand elles sauvaient les enfants de la mort et c’est ce que causa leur crainte de l’Eternel (cf. Exode 1:17).

Mais les sages-femmes n’étaient pas encore tout à fait satisfaites. Peut-être des intérêts personnels intervenaient-ils, peut-être laissaient-elles vivre les enfants non pour la crainte du Ciel, mais pour d’autres motifs?... Leur joie ne fut complète que lorsqu’elles virent le peuple se multiplier et s’accroître. Infatigables, elles allaient d’un coin à l’autre pour faire enfanter les femmes juives. Elles virent alors l’assistance divine et la réussite dans leurs entreprises, et à leur sujet il est écrit: «Ceux qui mettent leur espoir en Dieu acquièrent de nouvelles forces» (Isaïe 40:31).

Par conséquent, quand on sert Dieu sans éprouver de fatigue, c’est signe qu’Il nous aide. L’édification de leur maison, celle de la prêtrise et de la royauté n’était que secondaire par rapport à leur joie de parcourir inlassablement le pays pour faire enfanter les femmes juives et de voir le nombre grandissant de bébés... Les sages-femmes n’agissaient certainement pas par orgueil ou pour un honneur quelconque. Elles ne cherchaient qu’à sublimer la gloire de l’Eternel. Dans le culte divin, point de frontière, point de lassitude. Plus on sert Dieu, plus on se renforce.

C’est ce que ressentirent les sages-femmes: le peuple se multipliait et croissait et elles ne ressentaient aucune fatigue. Elles étaient maintenant certaines d’avoir agi au nom de Dieu seulement.

On sait que Dieu paie «mesure contre mesure» (Chabath 105b; Nédarim 32a). Or, nous voyons ici que la récompense des sages-femmes qui firent vivre les enfants, fut l’édification de maisons de prêtres et de rois. Est-ce donc le cas ici? C’est la question posée par Rabbi Daniel Heyman, qui l’a entendue de son Rav.

Le verset stipule: «L’Eternel édifia pour elles des batim...». Le terme batim vient de Batiah, fille de Pharaon, Bath Yah, fille de Dieu, comme l’appellent nos Sages (Vayikra Rabah 1:3), qui sauva Moïse du fleuve (cf. Exode 2:5). Dieu agit par conséquent «mesure contre mesure». Les sages-femmes ont sauvé des âmes d’Israël, et en récompense Dieu leur envoya Batiah qui sauva notre maître Moïse, fils de Yokhéved, frère de Miriam (les deux sages-femmes). «Miriam se tint à distance pour voir ce qui lui arriverait» (id. 2:4). Elle avait prophétisé que sa mère était destinée à accoucher d’un enfant qui sauverait le Peuple d’Israël (Sotah 11b). Ainsi, Dieu paya les sages-femmes «mesure contre mesure». [Même si leur récompense consistait en des maisons de prêtrise et de royauté qui devaient se concrétiser respectivement par le frère de Moché, Aharon le grand prêtre et sa descendance, et la descendance de leur sœur, Miriam, mariée à Calev, de la tribu de Judah pour la royauté, Moché cependant représentait aussi bien la prêtrise (c’est lui qui érigea le tabernacle) et la royauté (il dirigeait le peuple d’Israël).]

«Or, les enfants d’Israël avaient augmenté, pullulé, étaient devenus prodigieusement nombreux» (id. 1:7), car les femmes juives donnaient naissance à six enfants en même temps (cf. Chémoth Rabah 1:8; Mekhilta, Bo 12). Nous voyons ainsi que celui qui partage la joie de son prochain et s’efforce de l’aider en toutes circonstances reçoit de Dieu une récompense incommensurable.

Même si leur récompense consistait en des maisons de prêtrise et de royauté qui devaient se concrétiser respectivement par le frère de Moché: Aharon le grand prêtre et sa descendance, et la descendance de Myriam de la tribu de Judah pour la royauté, Moché cependant représentait aussi bien la prêtrise (c’est lui qui ériga le tabernacle) et la royauté (il dirigeait le peuple d’Israël).

 

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