Les soixante-dix facettes de la Torah
Revenons à ce concept de: «Comme un seul homme, d’un même cœur» (Rachi, Mekhilta, Genèse 19:2).
On peut se demander comment les enfants d’Israël ont réussi à s’unir et proclamer à l’unanimité l’unité de Dieu (Min’hath Eliézer). Or, comme nous l’avons vu, ils constituaient ce qu’on appelle la «génération de la connaissance», et chacun servait certainement l’Eternel de façon différente, individuelle. Peut-on dans ce cas, parler vraiment d’entente et harmonie?
C’est que, on le sait, ce qui engendre essentiellement la controverse, ce sont les intérêts personnels et l’orgueil inhérents à l’homme, et plus particulièrement à celui qui a déjà accédé à un certain degré spirituel, et qui, jaloux de son prochain qui sert mieux l’Eternel, s’oppose à ses idées ou favorise quelque concurrence. Il crée un cercle personnel fermé, et y suggère des idées diamétralement opposées à celles de son prochain. Il n’agit assurément pas au nom du Ciel, et n’a pas l’impression de preuve d’orgueil, car il ne cherche en fin de compte que son intérêt personnel...
Les enfants d’Israël, quant à eux, se sont tenus «en face de la montagne», c’est-à-dire se sont débarrassés du mauvais penchant (cf. Soucah 52a). L’un ne cherchait pas à rivaliser avec l’autre; nul ne veillait à ses intérêts personnels. Ils servaient donc tous l’Eternel d’un cœur unanime.
KaFaH ‘aléhem har kéguiguith... (Dieu les a obligés à recevoir la Torah en soulevant la montagne du Sinaï au-dessus de leur tête et en les menaçant de faire tomber la montagne sur eux s’ils n’acceptaient pas la Torah). L’Eternel les aida donc à se plier (léhithkofef de la même racine que KaFaH) et à embrasser le point de vue de l’autre. Car la discorde nuit considérablement à la parnassah (gagne-pain) du Peuple Juif, et plus particulièrement à l’étude de la Torah...
L’Eternel plaça donc tous les enfants d’Israël sous la même montagne pour qu’ils accomplissent les mitsvoth dans l’harmonie la plus totale. Car, enseigne la Michnah (Avoth 5:7), toute discussion issue de motifs intéressés, est nulle et n’aboutit à aucun résultat (voir aussi Zohar II, 33a). D’ailleurs, d’après le Midrach (Bamidbar Rabah 18:10), les lettres du terme Ma’HLoKeTh (la discorde) sont les premières lettres de: Macah (une plaie), ’Haron (colère), Likouï (défaut, déficience), Kélalah (insulte), et To’évah (abomination)... Cherchons par conséquent la paix par tous les moyens, car les hommes sages et instruits accroissent la paix dans le monde, comme il est écrit: «Les érudits en Torah multiplient la paix dans le monde» (Bérakhoth 64a; Tana débé Elyahou Zouta 17). Ils portent le nom de «maçons» car ils œuvrent à édifier le monde (Chabath 114a)... C’est ce qui arrive quand chacun suit l’Eternel à sa façon mais n’agit qu’au nom du Ciel... L’entente et la paix mènent au succès dans tous les domaines...
Nous avons déjà vu à cet effet, le cas de Yérova’am ben Névat, qui a refusé de rester debout dans le parvis, alors que Réhava’am, roi de Judah, s’y trouvait assis. Il voulu passer outre l’enseignement de nos Sages selon lequel le parvis était réservé aux descendants de la Maison de David (Yoma 25a; Yérouchalmi Pessa’him 5:10; Ta’anith 1:2) et finit par se pervertir et placer deux veaux d’or pour détourner les Juifs et leur faire comprendre qu’il n’était pas nécessaire de monter au Temple de Jérusalem. Son orgueil et ses intérêts personnels lui firent perdre la raison. Nous avons vu aussi qu’il a refusé de se repentir et de pouvoir ainsi être en compagnie de Dieu dans le Gan Eden, parce que David, fils d’Ichaï, allait se trouver en tête. Il a ainsi refusé d’honorer le roi David qui lui, se considérait comme un vermisseau plutôt que comme un homme (cf. Psaumes 22:7). C’est pourquoi d’après nos Sages, Yérova’am ben Névat et tous ses hommes, sont descendus en enfer, et ils y sont jugés pour l’éternité (Roch Hachanah 17a).
Il est certes difficile de négliger ses intérêts personnels, mais, comme l’ont enseigné nos Sages, on ne laisse emprunter à l’homme que la voie (bonne ou mauvaise) qu’il veut suivre (Makoth 10b; Bamidbar Rabah 20:11).
Nous connaissons personnellement des gens qui, même dans le domaine de la Torah, ne tiennent compte que du point de vue de leur rav: tout ce que peut dire une autre autorité de la Torah n’a aucune valeur à leurs yeux. Par amour pour leur rav, ils en arrivent à s’opposer et à haïr quiconque ne partage pas leur point de vue... Ils sont vraiment dans l’erreur, car même ce que le plus grand érudit est destiné à révéler, a été dit sur le Mont Sinaï (Vayikra Rabah 22a; Yérouchalmi, Péah 2:6). Donc quiconque néglige la Torah d’un rav, ou d’un disciple, ou même d’un homme ordinaire, renie la Torah de notre maître Moïse, qui lui a été transmise au Sinaï.
Je faisais une fois une conférence quelque part. Alors que tout l’auditoire était attentif à mes paroles, un homme assis au premier banc, n’arrêtait pas de rire aux éclats. Je compris qu’il le faisait parce que je ne lui apportais aucune nouveauté. C’est d’ailleurs ce que je pensais moi aussi, car tout a déjà été dit à Moïse au Sinaï, et qu’«il n’y a rien de nouveau sous le soleil» (Ecclésiaste 1:9).
A l’issue de la conférence je l’appelai, et lui tins les propos suivants: «Ne sais-tu pas, mon cher ami, que tout ce que j’ai dit, je l’ai entendu du rav de ta Yéchivah»? «C’était vraiment une conférence remarquable! m’avoua-t-il alors en se transformant complètement. Je savais que ces paroles ne pouvaient venir que de lui.» Je me séparai alors de lui.
Après quelques minutes, il revint et me demanda: «Monsieur le Rabbin, pourquoi n’avez-vous pas rappelé ce fait dans votre conférence?» «C’est pour te punir de t’être moqué de moi pendant et après ma conférence» lui expliquai-je...
Dieu veut que chacun aime son prochain, même s’il ne partage pas son point de vue, ni celui de son maître. Car le Saint, béni soit-Il, écoute la prière de tout le Peuple d’Israël: des Tsadikim, des gens ordinaires, mais même de celle des méchants, Il forme une couronne (Zohar II, 58a; 246a).
Nos sages en ont conclu que les points de vue de l’Ecole de Hillel, aussi bien que ceux de celle de Chamaï (qui leur sont parfois diamétralement opposés) constituent des paroles du Dieu vivant. La halakhah a été néanmoins fixée selon l’Ecole de Hillel (’Irouvin 13b; Yérouchalmi, Bérakhoth 4:4). En effet, ils étaient humbles et citaient volontiers en premier les points de vue de leurs «antagonistes.».. D’ailleurs, ce n’était pas toujours le cas, et la halakhah a été parfois fixée selon l’Ecole de Chamaï...
La Michnah (Avoth 5:20) enseigne que toute discussion que l’on tient au nom du Ciel, conduit au but qu’on s’est proposé: une discussion de ce genre, c’est celle de Hillel et Chamaï (voir aussi Zohar I, 17b).
Dieu a menacé d’enterrer les enfants d’Israël sous la montagne pour que chacun admette le point de vue de l’autre... «Si vous acceptez ma Torah dans l’entente et l’harmonie sans rechercher votre intérêt personnel, leur dit-Il, c’est bien, sinon cham (là bas, sous la montagne) vous serez enterrés.» La fin de celui qui ne veille qu’à sa réputation, qu’à son chem (nom), de celui qui se prend pour un Grand, qui rejette tous les autres systèmes de service divin, sera amère. YiKaVeR, il sera enterré dans son chem. Comme il est écrit: «véchem réchaïm YiRKaV, le nom des méchants tombe en pourriture» (Proverbes 10:7). C’est le lot de celui qui favorise la dispute et l’antagonisme dans le peuple d’Israël... Si on partage le point de vue de son prochain quand on est Ké-ICH (abréviation de Kan Eno yirkav, yikaver chémo: ici il ne pourrira pas, ou ne sera pas enterré son nom), on méritera de mener une vie agréable dans ce monde-ci comme dans le futur.
Ces propos sont valables de tous temps, et plus particulièrement à notre génération, où l’assimilation fait des ravages, où les épreuves sont extrêmement nombreuses et plus ardues l’une que l’autre, où celui qui veut faire téchouvah est dérangé par les difficultés de la vie... Le mauvais penchant est toujours là, aux aguets. Il ne prend pas le deuil s’il échoue dans ses tentatives: au contraire il renouvelle constamment ses astuces. «Tu as bien fait de reprendre le bon chemin, dit-il au ba’al téchouvah, veille à n’écouter que les paroles de ton rav, car seule sa Torah est vérité, tous les autres rabbins ne valent rien. Ils ne savent pas servir Dieu...» Ainsi il transgresse l’interdiction de médire d’autrui et dénigre son prochain et ses paroles ce qui est là la cause de notre long exil.
L’homme peut étudier la Torah, faire ses prières, et accomplir des mitsvoth, mais il doit constamment veiller à ne pas se sentir supérieur en sagesse et connaissance à son prochain... Il doit aimer son prochain, aussi bien intérieurement (belev é’had) qu’extérieurement (kéich é’had). Sa bouche doit exprimer ce que son cœur ressent à son égard (cf. Pessa’him 113b; Bamidbar Rabah 7:4).
Une des premières questions que le Tribunal Céleste pose à l’homme après sa mort est : «As-tu espéré et attendu la Rédemption?» (Chabath 31a). La pose-t-on aux Tsadikim! Non sans doute, car ils ont certainement cru toute leur vie en la venue du Machia’h et la rédemption proche... On ne la pose certainement pas aux mécréants, qui ignorent absolument ces concepts. A qui alors la pose-t-on?
On la pose à ceux qui d’une part attendent le Machia’h, et de l’autre font tout pour retarder sa venue, à ceux qui médisent de leur prochain et le haïssent (Yoma 9b).
Moïse s’est demandé pourquoi les enfants d’Israël ont dû être asservis plus que toute autre nation (Chémoth Rabah 1:35). Mais quand il apprit qu’ils médisaient l’un de l’autre, ne cherchaient que leurs intérêts personnels, il dit : «Ainsi voici la raison» (Exode 2:14). Ce sont essentiellement ces mauvais traits qui retardent la Rédemption.
Avant le don de la Torah, la discorde divisait les enfants d’Israël et chacun pensait avoir raison. Le Midrach (Yalkout Chimoni, Exode 275), enseigne à cet effet que chaque fois que le verset mentionne: «et ils voyagèrent, et ils campèrent», il vise à mettre l’accent sur cette discorde. Mais après avoir reçu la Torah, chacun prêta attention aux paroles de l’autre; nul ne cherchait plus exclusivement ses intérêts personnels. L’auteur de l’ouvrage HaMéir, dédié à la mémoire de Rabbi Méir ‘Hadache zatsal, fait remarquer cependant qu’aussi bien en temps de discorde qu’en période d’entente «L’Eternel allait devant eux, le jour dans une colonne de nuée pour les guider dans leur chemin, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu’ils marchassent jour et nuit» (Exode 13:21), mais alors que le pluriel est employé pour leurs pérégrinations, au mont Sinaï on emploie le singulier l’union était totale.
Grâce à cette union le peuple TOUT ENTIER répondit: «Nous ferons tout ce que l’Eternel a dit» (id. 19:8). Pourquoi alors Moïse apporta-t-il la réponse du peuple à l’Eternel (id.), demande Rachi (voir Mékhilta, id.). Dieu ne la connaissait-elle pas déjà?
C’est parce que Moïse savait que cette union trouverait grâce aux yeux de l’Eternel. Il apporte la réponse à Dieu, pour faire taire les accusateurs qui prétendaient que les enfants d’Israël ne méritaient pas de recevoir la Torah (Chabath 88b). Il leur expliqua que c’est elle qui contribue à les unir, et ils exprimèrent le désir de «voir notre Roi» (Rachi sur Exode 19:9).
Nous voyons par là que l’étude de la Torah et l’accomplissement des mitsvoth, visent essentiellement à l’union des enfants d’Israël. D’après les paroles de l’Eternel à Moïse: «Voici Je viendrai vers toi dans une épaisse nuée afin que le PEUPLE ENTENDE quand Je te parlerai et qu’il ait toujours confiance en toi» (Exode 19:9). Ce n’est que par l’union, qu’on se défait des intérêts personnels, de l’orgueil et des honneurs, et qu’on accède à la foi complète en Dieu et dans les Tsadikim de la génération. Que Dieu nous aide à nous effacer comme la poussière de la terre, devant tout Juif qui craint sincèrement l’Eternel, et en particulier devant les Tsadikim authentiques de la génération, dont tous les propos sont les paroles du Dieu vivant. Nous n’aurons alors le mérite d’assister à la venue de notre Machia’h intègre que lorsque nous nous serons libérés de notre orgueil personnel, et quand l’entente parfaite et l’amour régneront entre nous. Nous serons alors libérés de notre mauvais penchant qui s’efforce constamment de nous faire trébucher. Amen.
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