Les fondements du repentir, l'oubli du péché et le souvenir du bien
Nous nous sommes déjà posés la question de savoir comment ces géants de la génération de la Connaissance, qui ont accédé aux niveaux spirituels les plus élevés dans le désert, pleuraient, chacun à la porte de sa tente, sur des sujets futiles comme la viande et les poissons?
Commentant à cet effet le verset: le feu de l'Eternel sévit parmi eux et déjà il dévorait bakatséh à l'extémité du camp (Nombres 11:1), Rachi explique que le feu a atteint les moktsin méprisables du camp, c'est-à-dire la tourbe; tandis que Rabbi Chimon ben Ménassia explique qu'il s'agit plutôt des ketsinim les grands et les supérieurs du camp (Sifri 11:1).
Il s'agit dans le premier cas du 'érev rav, on peut dire qu'ils se sont convertis, mais n'ont pas coupé tout à fait les liens avec l'exil d'Egypte. Mais dans le deuxième cas, comment peut-on concevoir que ce sont les supérieurs du camp qui ont convoité cette nourriture terrestre?
D'autre part, il est écrit avant qu'ils convoitent la nourriture terrestre: Et ils firent, à partir du mont de l'Eternel, trois journées de chemin (Nombres 10:33). Les Tossafoth ajoutent: comme un écolier qui s'enfuit de l'école (Chabath 116a, s.v. Premier châtiment divin) parce qu'ils ont beaucoup étudié la Torah au Sinaï. Comment peut-on concevoir une conduite pareille?
C'est que, celui qui veut sincèrement se repentir et se conformer constamment à la volonté divine, doit avant tout effacer ses mauvaises habitudes une fois pour toutes et couper tout lien avec le passé. Autrement, le mauvais penchant lui fera rappeler les délices du passé; il lui dira: Pourquoi es-tu prisonnier dans la synagogue ou la yéchivah où tu ne connais aucun repos et où tout t'est interdit? Le mauvais penchant est susceptible de le conduire ainsi au découragement total.
Et même s'il est entouré de Rabbins et de Sages qui le soutiennent constamment, s'il ne se sépare pas totalement de son passé, le mauvais penchant peut le faire trébucher à tout instant.
Si les enfants d'Israël se sont enfuis du Mont Sinaï comme des écoliers, c'est parce qu'ils ne se sont pas tout à fait séparés de leur passé en Egypte, et au lieu de se rappeler la vie extrêmement difficile qu'ils y ont menée, leur asservissement cruel au Pharaon, leur avilissement et leur condition de bête, ils ne se sont rappelés que ce qu'ils y ont mangé ou plutôt ce qu'ils ont préparé aux Egyptiens: c'est exclusivement ce qu'ils ont convoité. Tant qu'ils campaient près du mont de l'Eternel, ils ont plus ou moins réussi à oublier leur passion, mais dès qu'ils s'en sont éloignés, ils ont commencé à se languir des plats qu'on leur servait en Egypte.
C'est ce qui se passe par exemple chez un étudiant de la yéchivah: il est certain qu'il n'osera pas parler des délices de son passé à ses camarades; il ne leur racontera pas comment on le gâtait à la maison... Mais aussitôt sorti de la yéchivah, il commencera certainement à en parler.
Comment cet élève peut-il étudier à la yéchivah alors qu'il garde encore à l'esprit les futilités de ce monde? Il oublie sans doute que l'étude de la Torah à la yéchivah vise essentiellement à briser les mauvais traits, qu'il ne peut pas tirer la corde par les deux bouts...
La Michnah (Pirké Avoth 1:17) et le Zohar (III, 218a, 230a, 278b) enseignent à cet effet: ce qui importe, c'est la pratique et non l'étude. Ce n'est qu'en dehors de la yéchivah qu'il faut affronter les obstacles de la vie et s'efforcer de mettre en pratique ce qu'on y a appris.
C'est exactement ce qui s'est passé pour les enfants d'Israël: tant qu'ils campaient près du mont de l'Eternel, aspect de qui s'élèvera sur la montagne du Seigneur (Psaumes 24:3), ils étaient engagés dans l'étude de la Torah et pensaient s'être déjà débarrassés de leurs mauvais traits. Mais en fait, ce qu'ils ont oublié de rectifier, c'est le souvenir de leur mauvais passé... Il convient par conséquent d'avoir à l'esprit (sans s'angoisser) le péché qu'on a commis, mais de ne pas se rappeler la situation où on se trouvait avant la téchouvah, car tout le processus de pénitence est ainsi contrecarré.
On ne peut accéder à des perceptions de la Divinité qu'en se raffermissant très sérieusement, écrit à ce sujet Rabbi 'Haïm ben Attar, le Or Ha'Haïm dans son commentaire du verset: Partis de Réfidim, ils entrèrent dans le désert de Sinaï (Exode 19:2). Le verset ne vise pas à nous mentionner le lieu d'où ils sont partis, poursuit-il, mais nous enseigne que leurs mains ont cessé de s'affaiblir (RéFIDIM ou RiFion YaDaïm: faiblesse des mains) et qu'ils se préparaient maintenant à porter le joug du service divin au Mont Sinaï, pour trouver grâce aux yeux du Saint, béni soit-Il.
En fait, nous savons que durant leur séjour au Sinaï, les enfants d'Israël ont beaucoup appris, mais dès qu'ils partirent de cet endroit, ils furent pris d'ardentes convoitises dans le désert (cf. Psaumes 106:13), car les épreuves commencent quand on quitte un lieu de Torah. Tant qu'ils campaient autour du mont de l'Eternel, la sainteté du lieu leur a fait oublier leur mauvais passé, car on ne peut pas se rattacher au Saint, béni soit-Il, tout en gardant le passé à l'esprit.
Commentant à cet effet le verset: Le fuyard vint et l'annonça à Avram Ha'Ivri, l'Hébreu (Genèse 14:13), le Midrach (Béréchith Rabah 42:13) enseigne: Le monde entier se trouve d'un 'éver côté, et Avraham de l'autre. Le 'Ets Yossef explique: Car tous les habitants de la terre ne reconnaissaient pas l'Eternel; ils adoraient des idoles. Seul Avraham a reconnu son Créateur. Il se trouvait seul d'un 'éver, côté du monde, pour servir Dieu, et tous les hommes de la terre se trouvaient à l'extérieur. On peut dire aussi que les enfants d'Israël portaient le nom d'Hébreux ('Ivrim) parce qu'ils devaient s'attacher à leur passé ('Avar) saint des patriarches et non, à Dieu ne plaise, vivre avec le passé impur des Egyptiens.
L'étudiant qui sort de la yéchivah doit donc rester attaché aux valeurs qu'il a acquises dans sa yéchivah. Il ne doit se rappeler que les choses saintes qui peuvent lui être extrêmement utiles. Il peut ainsi continuer à puiser de son passé glorieux...
L'élite de la génération de la Connaissance a cru avoir accédé à la plénitude grâce à la Torah qu'ils ont apprise sur le mont de l'Eternel. Ils estimaient qu'elle leur suffirait à livrer combat au mauvais penchant et aux mauvais désirs. Soudain, les voilà qui fuient comme un petit gamin qui sort de l'école, parce qu'ils ne se sont pas débarrassés du souvenir de leur passé en Egypte. Trois jours seulement après, le yetser a commencé à leur rappeler ce qu'ils ont mangé en Egypte, et au lieu de ressentir qu'ils peuvent retrouver le goût du poisson, etc. dans la manne, ils se sont révoltés contre Dieu. Si le mauvais penchant a eu le dessus sur eux, c'est parce qu'ils ne se sont pas détachés de leur passé... Celui qui ne se contente pas de la Torah qu'il a étudié, mais aspire constamment à s'élever, est doué des forces nécessaires pour éliminer le mauvais penchant qui ne cesse de viser à le faire trébucher.
Un Juif doit se détacher complètement de l'Egypte qu'il a vécue: il ne doit ne la percevoir ni par la pensée, ni par les sens. C'est sans doute ce à quoi faisait allusion le Saint, béni soit-Il, quand Il disait aux enfants d'Israël: Certes, si vous avez vu les Egyptiens aujourd'hui, vous ne les reverrez plus jamais! (Exode 14:13). Il ne faut se souvenir que des miracles que le Saint, béni soit-Il, a accomplis pour nos ancêtres en Egypte: notre foi s'en trouvera alors raffermie. N'agissons pas comme la tourbe qui se trouvait à l'extrémité du camp et se rappelait constamment les mauvaises habitudes des Egyptiens.
Le feu de l'Eternel sévit parmi eux, et déjà il dévorait les dernières lignes du camp (Nombres 11:1), en d'autres termes, seuls ceux qui sont enflammés et nourris par le feu de la Torah et l'amour de l'Eternel, qui se trouvent à l'extrémité du camp, c'est-à-dire qui se considèrent les derniers, et croient qu'ils n'ont pas encore maîtrisé la sainte Torah en continuant inlassablement à s'engager dans son étude, réussissent à éliminer le mauvais penchant et à se rapprocher de Dieu. Le mauvais penchant ne réussira plus jamais à leur rappeler de mauvaises choses qu'ils ont éventuellement vues une fois dans leur vie malgré eux.
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