De la médisance

Nous avons déjà vu le verset parlant de Miriam, qui médisait de Moïse pour la femme noire qu'il avait épousée (Nombres 12:1). Ce verset présente quelques difficultés.

Comment peut-on concevoir que Miriam, la prophétesse qui sauva Moché et se tint à distance (Exode 2:4) pour observer ce qui lui arriverait (Sotah 9b; Tan'houma 96:13), puisse médire de son frère, père de tous les prophètes, à propos de la femme noire qu'il avait épousée, puis répudiée! Miriam savait indubitablement que Moché avait quitté sa femme pour s'occuper des affaires publiques et en particulier pour parler avec le Saint, béni soit-Il. A cet effet, les prières de Moché étaient très courtes: à preuve, en priant pour sa sœur qui était couverte de lèpre, blanche comme la neige, il s'est contenté de dire: Seigneur, oh! guéris-la, de grâce! (Nombres 12:13): c'est parce qu'il devait à tout moment annuler des sentences rigoureuses... S'il s'est séparé de sa femme, ce n'est donc pas pour son honneur, mais pour celui de Dieu; il était prêt chaque fois que le Saint, béni soit-Il, voulait l'appeler... Pourquoi alors a-t-elle médit de lui?

Dans la prière du matin de Chabath, nous disons: que Moché se réjouisse du don (la Torah) qui lui a été imparti, car Tu l'as appelé serviteur fidèle: en d'autres termes, le plaisir et la joie de Moché n'étaient pas engendrés par le fait qu'il était un grand prophète et qu'il avait fait sortir les enfants d'Israël d'Egypte, mais par le fait qu'il portait le titre de serviteur fidèle de son Maître, comme il est écrit: Mais non! Moïse est Mon serviteur; de toute Ma maison, c'est le plus dévoué (Nombres 12:7). Grâce à son immense humilité, il se sentait le serviteur de Dieu pour les enfants d'Israël et il a eu le mérite de parler avec Dieu à plusieurs reprises. Il s'est réjoui de s'attacher aux attributs de Son Créateur: miséricordieux, clément, etc. (Chabath 133b; Sotah 14a): c'était là essentiellement la source de sa joie. Dans un sens, on peut dire qu'il était riche parce qu'il était content de son sort (Pirké Avoth 4:1).

Quant à Miriam, c'était l'une des sept prophétesses d'Israël (Méguilah 14a; Zohar I, 125a); c'est elle qui dirigeait les femmes et leur transmettait les enseignements qu'elle entendait de son frère Moché. Elle a entendu la voix de l'Eternel lui parler, et c'est grâce à son mérite que les enfants purent boire du puits (qui porte son nom) dans le désert durant leur pérégrination (Ta'anith 9a). C'est elle enfin qui a séparé les femmes des hommes lors du Chant de la Mer (Exode 15:20). Comblée de vertus, comment Miriam a-t-elle donc pu médire de Moché?

C'est que, lorsqu'Il a créé l'homme (Adam), l'Eternel a dit: Je lui ferai une aide (la femme: Eve) qui lui convienne (Genèse 2:18), que nos Sages interprètent: S'il a du mérite ce sera une aide pour lui; s'il n'en a pas, elle sera contre lui (Yébamoth 63a; Béréchith Rabah 17:3). Nous voyons empiriquement que lorsqu'un Juif s'efforce d'intensifier son étude de la Torah et sa crainte du Ciel, il se fait généralement aider par sa femme, même si ce n'est pas une épouse vraiment religieuse; s'il a du mérite, il se fait aider. Mais s'il n'a pas de mérite et n'aspire pas à une vie de sainteté, elle le fera souffrir, même si elle est religieuse. C'est pourquoi le roi Salomon déclara: Et ce que j'ai trouvé de plus amer que la mort, c'est la femme (Ecclésiaste 7:26).

Par conséquent, comme Moché était le dirigeant de la génération, un Tsadik, fondation de l'univers (cf. Proverbes 10:25), que la Présence Divine parlait dans sa gorge (Zohar III, 232a), sa femme Tsiporah l'a certainement aidé à s'élever sans cesse jusqu'à ce qu'il arrive au plus haut niveau...

Aharon et Miriam demandèrent: Est-ce que l'Eternel n'a parlé qu'à Moïse, uniquement pour cesser ses relations avec sa femme; ne nous a-t-Il pas parlé à nous aussi? Nous ne cessons toutefois pas de nous élever même si chacun de nous est toujours marié. Et si l'Eternel parle face à face avec Moïse (cf. Nombres 12:8) et qu'il ne fait que s'élever, il est sûr que grâce à l'assistance de Tsiporah il aurait atteint des niveaux encore plus sublimes.

Toutefois, c'est essentiellement grâce à son humilité que cet homme, ce Ich (titre de grandeur) Moché, a trouvé grâce aux yeux de l'Eternel et a pu s'élever tellement... Miriam et Aharon ne visaient donc pas à médire de lui, mais au contraire à mettre l'accent sur l'assistance de sa femme, grâce à laquelle il s'est élevé... Et, dirent-ils, il n'aurait pas dû se séparer de sa famille, comme nous ne l'avons pas fait.

Pourtant, c'était dans un sens de la médisance. Car Miriam n'a pas parlé directement à Moché, mais devant son frère Aharon. Tsiporah, la femme de Moché, se trouvait aussi en leur compagnie, comme on le sait. Et si Aharon et elle n'ont pas réagi, c'est qu'ils n'avaient pas l'intention de rapporter la conversation à Moché. En mentionnant que l'Eternel avait parlé aussi avec elle-même, Miriam faisait vraiment preuve d'orgueil, à l'inverse de Moché, dont la modestie était légendaire! Ainsi, la réprimande qui s'exprime par l'orgueil porte aussi le nom de médisance même si elle n'avait que de bonnes intentions pour son frère... Et si Miriam fut atteinte de lèpre, c'est pour que tout le monde en tire une leçon (Tan'houma 96:13; Dévarim Rabah 6:4) et prenne conscience de la gravité de la médisance, même si elle ne vise que le bien de celui dont on médite et  même si ce dernier n'en fait pas du tout cas.

On peut ajouter une autre explication. En affirmant que l'Eternel nous a parlé à nous aussi, Miriam semble dire que c'est grâce à leur mérite que Moché a accédé à un si haut niveau spirituel. Moi, je l'ai attendu à côté du fleuve; c'est moi qui l'ai pris de Batiah pour l'amener téter le sein d'une femme juive (qui se révéla par la suite être sa propre mère Yokheved). Toi aussi, Aharon, quand tu es sorti à la rencontre de Moché, tu as été content, comme il est écrit: A ta vue, il s'est réjoui dans son cœur (Exode 4:14). Tu as consenti à ce qu'il soit ton dirigeant et celui de tout le Peuple d'Israël... Comme il a résidé à Midian soixante ans, les enfants d'Israël ne l'ont pas reconnu (Ramban et Rachbam, Exode 2:23)... C'est donc grâce à toi et à moi qu'il s'est élevé au rang de dirigeant de la génération. C'est par notre intermédiaire et notre mérite que l'Eternel a parlé à Moché! Si nous l'avons élevé sans nous séparer de notre famille, tout en conservant un niveau spirituel élevé, pourquoi doit-il donc se séparer de son épouse et changer son comportement par rapport à nous?

Le Saint, béni soit-Il, répondit à Aharon et Miriam: Il est vrai que c'est vous qui l'avez élevé, mais il n'y a aucun rapport entre le fait qu'il est devenu le chef de sa génération et le fait qu'il s'est séparé de son épouse. S'il a accédé à un niveau tel d'humilité, c'est essentiellement parce qu'il a déployé de gros efforts pour raffiner ses traits. Sa femme l'a certes aidé, mais maintenant qu'il a acquis la vertu de modestie, il n'a plus besoin de son épouse: elle n'a plus rien à lui apprendre...

Celui qui commence une mitsvah, on lui dit: finis-la. Mais celui qui s'en abstient, finit par enterrer sa femme, enseigne le Talmud (Yérouchalmi, Pessa'him 10:5). Pourquoi un châtiment si sévère? (Sotah 13b; Béréchith Rabah 85:7). Quelle faute a commis la femme dont le mari n'a pas fini la mitsvah qu'il a commencée?

C'est que si quelqu'un commence à faire une mitsvah, c'est un signe qu'il est intègre et qu'il se fait aider du Ciel pour commencer à l'accomplir. Il lui incombe donc de l'achever, car sinon il l'humilie en la laissant incomplète. Et si vraiment il ne l'achève pas, son châtiment est sévère: en effet, s'il a commencé la mitsvah, sa femme l'a aidé à l'accomplir; au cas où il ne l'achève pas, sa femme ne sera plus là pour l'aider: il l'aura enterrée. C'est ce que nous avons vu plus haut: Si l'homme n'a pas de mérite, sa femme est contre lui. Dans notre contexte, son épouse porte des accusations contre lui dans le Tribunal Céleste, car c'est  parce qu'il n'a pas achevé sa mitsvah qu'elle est morte.

Par conséquent, il est interdit à deux individus de médire d'un tiers, même si on dit de lui de bonnes choses aussi. Car il s'agit dans ce cas d'une genre de réprimande indésirable, engendrée par l'orgueil et qui peut aboutir sur la médisance. C'est ce que nos Sages appellent la poussière de la médisance (Bava Bathra 164b).

Quand les explorateurs ont vu Miriam atteinte de lèpre, car elle avait médit de Moché, ils auraient dû en tirer une leçon et ne pas parler du mal d'Erets Israël où Moché aspirait tant à entrer pour y accomplir les mitsvoth qui dépendent d'elle (Sotah 14a). Et comme ils ne l'ont pas fait, ils ont été punis très sévèrement en n'ayant pas de part au monde futur (Sanhédrine 108a; Zohar III, 158a). Car ils ont médit d'une terre sans laquelle on ne peut pas accomplir de nombreuses mitsvoth, telles que la nomination d'un roi, les prémices, la construction du Saint Temple et l'effacement du souvenir d'Amalek (Sanhédrine 20b). Ils montrent ainsi qu'ils s'opposent à la résidence de la Providence Divine et désirent plutôt celle d'Amalek, incarnation de l'orgueil. Ils s'opposent ainsi à ce que le Trône Céleste et le Nom saint soient complets, ce qui ne s'accomplira qu'après l'effacement du souvenir d'Amalek.

Ils sont appelés athées parce qu'ils avaient renié les mitsvoth (Sanhédrine 99b). Tout ceci était dû à leur orgueil, leur désir d'être nommés Princes d'Israël. Les explorateurs n'ont toutefois pas pensé à leur descendance dans le désert, car l'orgueilleux ne pense jamais à autrui, et le Saint, béni soit-Il, ne peut pas cohabiter avec lui (Sotah 5a).

 

 

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