La reconnaissance du bien conduit au rapprochement vers Dieu
Les deux premiers versets de notre sidrah présentent un certain nombre de questions:
1) Pourquoi cette répétition: Il ne peut violer sa parole et tout ce qu'il a proféré de sa bouche il doit l'accomplir?
2) Quel rapport peut-on établir entre les chefs des tribus et les vœux?
3) Pourquoi ce passage s'adresse-t-il exclusivement aux chefs des tribus?
On peut dire que dans notre sidrah, la Torah fait allusion à deux moyens par lesquels le Juif peut s'approcher au maximum du Saint, béni soit-Il. L'un consiste à faire de son mieux pour tenir toutes ses promesses, en particulier celles inhérentes au domaine de l'âme... Même une fois son enthousiasme refroidi, ce bel acte en engendrera certainement bien d'autres. On se rapprochera ainsi encore plus de son Créateur.
D'ailleurs, NéDeR a la même valeur numérique que HaNeR (la lampe) (254 + 1) qui fait allusion à l'âme, comme il est écrit: L'âme de l'homme est un flambeau divin (Proverbes 20:27). En d'autres termes, si l'homme, qui se différencie de l'animal par la faculté de la parole divine, fait un vœu, c'est que ce vœu provient certainement du plus profond de son âme, qui fait intégralement partie de la Divinité et est taillée au-dessous du Trône Céleste (Zohar III, 29a); et c'est elle qui demande ce vœu du corps, pour être en mesure de s'élever dans le service divin et d'accomplir avec le maximum de dévouement les commandements divins qui portent aussi le nom de ner, comme il est écrit: Car le précepte divin est un ner (lampe), la Torah, une lumière (Proverbes 6:23).
C'est la signification de lo ya'hel: Il ne peut violer sa parole: si l'âme au fond de lui, demande au corps de s'élever et se sanctifier, il ne rendra pas ses paroles 'houlin, profanes (Sifri, Matoth 30:3; Tossefta Nédarim 4). Tout ce qu'a proféré sa bouche il doit l'accomplir, aspect: de Nous ferons ce que la parole exprime (cf. Exode 24:7). Il accédera ainsi aux cimes de la spiritualité et à la reconnaissance de son Créateur. On peut noter à cet effet que HaNéDeR (+ 1 pour le Collel et pour le mot = 261) a la même valeur numérique que HOu ELoHéNOu EIN 'OD (il n'y a pas d'autres Dieu que Lui): on arrive à cette reconnaissance en tenant sa promesse.
Cette sidrah s'adresse plus particulièrement aux chefs des tribus, parce que ce sont généralement des ANaCHIM BéNé 'HaYiL (des guerriers vaillants) dont la valeur numérique (511) est la même que RACHé (les têtes ou les chefs) qui donnent l'exemple au peuple. C'est la raison pour laquelle la Torah leur ordonne de veiller particulièrement à accomplir tout ce qui sort de leur bouche, même s'il ne s'agit que d'un vœu ou d'une promesse. Comme leurs paroles se font généralement entendre, ils sont obligés de les tenir. Ainsi, MaTSDiKé HaRaBIM MéKaDéCHé HaOuMA (ils prodiguent leur bienfaisance au grand nombre et sanctifient la nation), et ont la même valeur numérique que RACHé (511).
Dans Pirké Avoth (I, 11), Avtalion avertit les Sages de mesurer leurs paroles pour donner une leçon aux disciples qui les suivent. Car s'ils n'accomplissent pas ce que leur bouche profère, le nom du Seigneur sera profané.
Si quelqu'un pèche, ne s'élève pas dans les voies de Dieu, et se voit tenu de faire des vœux pour éliminer le mauvais penchant qui exerce sa force contre lui, c'est un signe que personne ne le réprimande. Dans notre contexte, il faut certainement rejeter la responsabilité sur les chefs des tribus qui ne réprimandent pas assez les enfants d'Israël et ne leur donnent pas l'exemple. Ils doivent faire des remontrances car celui qui en fait au Sage, sera aimé davantage par lui (cf. Proverbes 9:8).
NéDeR a la même valeur numérique (254) que Ba'AL 'AYiN TOVaH (qui a un œil bienveillant) et HOu TOV Bé'ENéY HaCHeM VéADaM (il trouve grâce aux yeux de l'Eternel et de l'homme): c'est le deuxième moyen par lequel le Juif peut se rapprocher du Saint, béni soit-Il: la reconnaissance du bien. Commentant à cet effet le verset: Exerce sur les Midianites la vengeance des enfants d'Israël (Nombres 31:2), le Midrach (Bamidbar Rabah 22:4) explique: le Saint, béni soit-Il, a dit: Exerce, toi personnellement, la vengeance, et lui, il envoie d'autres le faire..., comme il est écrit: Moïse les envoya en campagne (ibid. 6)! C'est que Moché a été élevé à Midian et ne pouvait pas faire de mal à ceux qui lui ont rendu service. Le dicton populaire dit à cet effet: Ne jette pas une pierre dans un puits où tu as bu, même si cette eau est très trouble.
On peut demander sur ce passage un certain nombre de questions:
1) Que Moché aille lui-même exercer la vengeance contre Midian ou qu'il envoie d'autres le faire revient au même, car comme l'enseigne le Talmud, le messager exerce la même fonction que celui qui l'envoie en mission (Bérakhoth 34b; Rachi, Bo 12:6).
2) Comment peut on concevoir que Moché eût essayé de transgresser la volonté de Dieu qui lui a expressément ordonné d'exercer la vengeance sur Midian? Comment peut-on éprouver de la gratitude pour ces mécréants qui ont voulu exterminer le Peuple d'Israël, à Dieu ne plaise?
3) Comment peut-on expliquer ce changement: Dieu a dit à Moché: Exerce sur les Midianites la vengeance des enfants d'Israël, alors que Moché a donné ordre d'exercer la vengeance de l'Eternel?
4) Commentant le verset: Moïse, le pontife Eléazar et tous les chefs de la communauté se portèrent à leur rencontre, hors du camp (Nombres 31:13), le Sifri (42 et Rachi, loc. cit.) explique que c'était parce qu'ils avaient vu des jeunes Israélites sortir pour s'emparer du butin (dont les filles de Midian faisaient parti). Moché se mit alors en colère contre les officiers de l'armée qui revenaient de l'expédition de guerre... Est-ce à dire qu'ils n'avaient pas droit à un bon accueil, eux qui ont tué ceux qui ont failli anéantir le Peuple d'Israël et ont réparé ce qu'ils avaient endommagé?
5) Pourquoi les guerriers envoyés par Moché ont-il laissé vivre toutes les femmes? Ce sont elles qui, à l'instigation de Bil'am, ont fait pécher les enfants d'Israël! Le Midrach (Yalkout Chimoni 785; Rachi, Nombres 31:16) enseigne à cet effet, qu'ils identifiaient chacune de celles qui avaient fait fauter les enfants d'Israël, et qu'ils étaient tous très intègres (Sifri 42). Pourquoi Pin'has s'est-il trompé à ce sujet?
Nous voyons là l'importance de la reconnaissance du bien, à condition toutefois de ne pas transgresser la volonté de Dieu. En dépit de son désir ardent de se conformer à Sa volonté et de livrer combat aux ennemis de Dieu et de les exterminer, Moché craignait de ne pas réussir à accomplir sa mission à la perfection, à cause du bien que les Midianites lui avaient prodigué dans le passé. Moché a eu pitié même du Nil, et de le transformer en sang, fleuve qui n'a pas d'âme et qui est démuni de la faculté de la parole, en dépit du fait qu'il savait que les coups qu'il devait porter sur lui servaient les intérêts des enfants d'Israël et visaient à sanctifier le nom de Dieu aux yeux de Pharaon et ses esclaves. A cet effet, commentant le verset: Prends la verge, dirige la main sur les eaux d'Egypte... (Exode 7:19), le Midrach (Chemoth Rabah 9:10) explique: Comme le fleuve a protégé Moché quand il y fut jeté, Moché ne l'a pas frappé lors de la plaie du sang et des grenouilles. C'est son frère Aharon qui s'en est chargé... Nous voyons là la grandeur de Moché, qui était doué de cette vertu de reconnaissance du bien, même vis-à-vis de ses ennemis...
Moché savait toutefois qu'en fin de compte, les ennemis de Dieu doivent être exterminés. Il a donc trouvé un stratagème pour accomplir la mission divine dont il a été chargé: il a envoyé quelqu'un de neutre qui ne devait rien à ces ennemis: Pin'has, fils d'Eléazar, dont la Torah même témoigne de son zèle pour la cause divine. Va, exécute la vengeance des enfants d'Israël.
Par conséquent, même si les ennemis d'Israël nous ont fait une fois du bien, si Dieu en donne l'ordre, ils convient de ne pas les prendre en pitié et de leur exprimer notre gratitude car le bien que font les mécréants n'est jamais parfait (Béréchith Rabah 89:9; 87:4), et constitue un mal chez les Tsadikim (Yébamoth 103a). Il faut livrer le combat de Dieu, et en particulier quand on en reçoit l'ordre. En effet, qu'écoute-t-on? La voix du maître ou celle de l'élève? (Kidouchine 42b).
En exerçant la vengeance de Dieu plutôt que celle des enfants d'Israël, Moché nous révèle ainsi que lorsqu'on incite quelqu'un à pécher, on vise essentiellement à mettre Dieu en colère. Celui qui fait pécher est donc l'ennemi de Dieu. Celui qui a été obligé de pécher n'est pas responsable: il n'a pas été en mesure de surmonter l'épreuve à laquelle il devait s'affronter: c'est que, dans son for intérieur, il désirait se conformer à la volonté de Dieu et s'il a péché, c'est par suite des souffrances qu'on lui a fait subir. Par conséquent, si Moché a inclus les Midianites dans les ennemis de Dieu, c'est parce qu'ils ont incité les enfants d'Israël à pécher. Nos Sages enseignent à cet effet que celui qui hait Israël, hait Dieu (Sifri et Rachi 10:35).
Le Saint, béni soit-Il, a certes ordonné d'exercer la vengeance des enfants d'Israël pour la perte de vingt-quatre mille des leurs et pour l'extermination qui pesait sur eux. Mais quand l'homme pèche, Dieu éprouve une grande peine de la souillure que son méfait a engendrée dans tous les univers (Zohar III, 122a), qui ne sera peut-être rectifié qu'avec le châtiment envoyé à ceux qui ont incité au péché, car ces derniers doivent être anéantis.
Moché, qui était le meilleur avocat d'Israël, pour lesquels il s'est dévoué corps et âme toute sa vie, visait à ce que tout combat livré à ceux qui font pécher les enfants d'Israël porte désormais, pour les générations à venir, le titre de vengeance de Dieu, et non vengeance des enfants d'Israël. Le souvenir des péchés qu'ils ont commis sera ainsi effacé, car la vengeance est celle de Dieu et plus la leur.
En dépit du fait que les enfants d'Israël ont identifié ces filles de Midian avec lesquelles ils avaient péché dans le passé, ils ont surmonté l'épreuve et leurs sentiments et les ont amenées à Moché pour voir ce qu'il déciderait sur leur sort. Ils ont ainsi rectifié leur faute et montré qu'ils se sont repentis en obéissant à Moché sans poser de questions, comme ils l'avaient fait auparavant (Sanhédrine 82a; Bamidbar Rabah 20:25).
Moché a ainsi rectifié sa faute en se mettant en colère contre les enfants d'Israël. Alors qu'il avait gardé le silence lors de l'épisode de Zimri, comme l'enseignent nos Sages (Sanhédrine 82a) dans leur interprétation du verset: à la vue de toute la communauté d'Israël qui pleuraient au seuil de la Tente d'Assignation (Nombres 25:6). Rappelons-nous à cet effet qu'il avait oublié la Halakhah (la loi) et que c'est Pin'has qui la lui a rappelée. Cette fois, c'est Pin'has qui garda le silence. Et en donnant ordre de tuer toutes les femmes qui ont cohabité avec un homme, Moché a ainsi rectifié sa faute.
Commentant le verset: Eléazar dit aux hommes de la milice qui avaient pris part au combat... (Nombres 31:21), nos Sages expliquent qu'à cause de la colère de Moché contre eux, il a oublié les Halakhoth (Sifri 48; Pessa'him 66b). Moché ne visait par là qu'à glorifier le nom de Dieu. Pourquoi alors a-t-il été puni en oubliant la conduite à suivre? C'est parce qu'il s'est abstenu de réprimander sévèrement la tribu de Chimon alors qu'il l'avait fait pour toute la communauté d'Israël, comme dans le cas mentionné plus haut.
En fait, Moché ne pensait pas du tout aller à la rencontre des chefs de la communauté: il ne l'a fait que parce qu'ils ont amené avec eux des femmes non-juives. S'il était allé à leur rencontre après leur victoire et après qu'ils eussent tué toutes les femmes non-juives, il aurait fait preuve d'ingratitude envers le peuple de Midian et ils auraient été emplis d'orgueil de se voir reçus par Moché lui-même (telle est la réponse que m'a fournie mon fils bien-aimé Raphaël Pinto). Sa colère était donc due, en fin de compte, au fait qu'ils n'avaient pas tué les ennemis de Dieu.
En vérité, si les enfants d'Israël et Pin'has ne les ont pas tués, c'est pour montrer leur soumission à Moché, comme nous l'avons expliqué plus haut et comme nos Sages témoignent sur eux: ils n'ont pas été accusés d'adultère ni de rapine, péchés à cause desquels l'Eternel a fait abattre le déluge sur la génération (Genèse 6:11; Chir HaChirim Rabah 4:5; Sifri 42). Ils étaient donc très intègres, car si ce n'était pas le cas, Moché se serait mis en colère encore plus.
Nous pouvons donc en conclusion lier le début de notre leçon à sa fin. En effet, le terme TSaDIKIM a la même valeur numérique que NéDeR, pour nous montrer que les enfants d'Israël ont tenu la promesse qu'ils avaient faite à Moché d'anéantir leurs ennemis.
Veuille l'Eternel nous donner le mérite d'exercer la vengeance de Dieu, celle d'Israël sur ses ennemis. Ainsi périront tous tes ennemis, Seigneur (Juges 5:31).